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Secourir sans périr : la sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques

Michaël Neuman
Michaël
Neuman

Directeur d'études au Crash depuis 2010, Michaël Neuman est diplômé d'Histoire contemporaine et de Relations Internationales (Université Paris-I). Il s'est engagé auprès de Médecins sans Frontières en 1999 et a alterné missions sur le terrain (Balkans, Soudan, Caucase, Afrique de l'Ouest notamment) et postes au siège (à New York ainsi qu'à Paris en tant qu'adjoint responsable de programmes). Il a également participé à des projets d'analyses politiques sur les questions d'immigration. Il a été membre des conseils d'administration des sections française et étatsunienne de 2008 à 2010. Il a codirigé "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de MSF" (La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (CNRS Editions, 2016).

Fabrice Weissman
Fabrice
Weissman

Politiste de formation, Fabrice Weissman a rejoint Médecins sans Frontières en 1995. Logisticien puis coordinateur de projet et chef de mission, il a travaillé dans de nombreux pays en conflit (Soudan, Ethiopie, Erythrée, Kosovo, Sri Lanka, etc.) et plus récemment au Malawi en réponse aux catastrophes naturelles. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l'action humanitaire dont "A l'ombre des guerres justes. L'ordre international cannibale et l'action humanitaire" (Paris, Flammarion, 2003), "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de Médecins sans Frontières" (Paris, La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (Paris, Editions du CNRS, 2016). Il est également l'un des principaux animateurs du podcast La zone critique. 

Quand Chantal Kaghoma, une infirmière employée par MSF, otage du groupe rebelle Forces démocratiques alliées (ADF) en République démocratique du Congo, recouvre la liberté après plus de treize mois de captivité en août 2014, elle témoigne : « J’avais perdu tout espoir quand je me suis retrouvée dans la prison avec tous les autres otages. Au fond de moi, je ne croyais plus à MSF, je me disais “bon, tout est fini, je fais une croix.” » Puis elle ajoute : « Au final, malgré le fait que je ne croyais plus à MSF, je me mettais quand même à prendre sa défense. » Aujourd’hui, trois de nos collègues sont toujours détenus par les rebelles ougandais des ADF et l’association poursuit inlassablement ses recherches pour identifier le lieu où ils se trouvent et permettre leur libération. Une équipe spécialement dédiée à cette mission travaille depuis plus de deux ans avec l’intime conviction qu’un dénouement est possible.

Cet exemple est emblématique des principes qui guident MSF dans la gestion de la sécurité de son personnel international et national. Chantal, comme tout volontaire de MSF, est consciente des risques associés au déploiement de nos actions de secours dans des environnements fragiles (guerre, épidémie ou catastrophe naturelle) ; le risque zéro n’existe pas. Mais elle sait aussi que nos pratiques sont tournées vers la réduction des dangers. Nous les mesurons à l’aune des résultats attendus pour les populations que nous soignons, nous n’intervenons que si nous avons identifié clairement des autorités avec lesquelles négocier notre espace de travail et nous tentons de constituer des équipes adaptées (en nombre et qualifications) aux contextes dans lequel nous travaillons. Enfin, et c’est peut-être le plus important pour les collègues de Chantal encore retenus prisonniers, MSF fait tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir le plus rapidement possible la libération de son personnel.

Nous sommes intimement convaincus que l’efficacité et la pertinence de nos opérations de secours reposent pour l’essentiel sur les volontaires présents sur les terrains d’intervention auprès des populations. Pourtant, depuis la création de l’association en 1971, treize membres du personnel international, ainsi qu’un nombre bien plus important encore d’employés nationaux, ont trouvé la mort dans des circonstances violentes. Au cours des dernières années, la section française de MSF a été touchée par de nombreux incidents de sécurité, incluant enlèvements, braquages, assauts sur nos hôpitaux. Nous avons développé plusieurs outils destinés à la gestion de la sécurité : une base de données des incidents, créée par la section belge en 2009, a été progressivement mise en place ; des modules spécifiques sur la sécurité ont été organisés dans les différentes formations du personnel existantes ; nous avons remis à jour notre politique officielle relative à la prise de risques en mission, rappelant les principes partagés par tous les membres de MSF. Enfin, un manuel d’aide à la résolution des kidnappings a été créé. L’ensemble de ces tâches a été confié à un « référent sécurité », poste créé également en 2013 pour la première fois au sein de notre association.

Cependant, nous ne sommes pas entièrement satisfaits de ces développements. Nous sommes notamment circonspects face à la croissance exponentielle des procédures et autres documents visant à encadrer l’action des volontaires agissant sur les terrains pour mener des actions de secours. Beaucoup de procédures et de formations laissent à penser que les volontaires seraient les premiers responsables des violences qu’ils subissent du fait de comportements inadaptés. Il serait nécessaire de les mettre sous la tutelle d’une autorité supérieure, en particulier des responsables du siège suivant à la lettre les recommandations d’experts de la sécurité. Je ne partage pas ce point de vue et souhaite que l’association soit en mesure de se tenir à distance de cette conception centralisée, déshumanisée, de l’action humanitaire.

En disant cela, j’ai bien conscience que nous ne sommes pas toujours en mesure de répondre mieux que les autres à tous les défis que nous pose la sécurité de nos volontaires. Ainsi, nous sommes incapables de déployer du personnel international en Syrie et de travailler en Somalie ; nous avons vraisemblablement fait preuve d’une prudence excessive dans la réponse à l’épidémie d’Ebola. En revanche, nous avons été en mesure d’agir efficacement dans des contextes dangereux, à Gaza lors de l’opération militaire israélienne « bordure protectrice », en République centrafricaine, ou encore plus récemment à Aden, au Yémen, au cœur d’une ville ravagée par les combats.

Nous ne pouvons pas faire l’économie de l’analyse de nos expériences passées et d’en tirer des enseignements pour faire évoluer nos pratiques. C’est pourquoi j’ai demandé au Crash de contribuer à la réflexion sur la sécurité de nos équipes et sur la place accordée à la gestion des risques sur nos missions. Ce livre en est le produit. J’en partage à la fois le constat et les perspectives. Le constat, d’abord, parce qu’il indique que la culture dominante de la gestion des risques n’est pas en mesure d’apporter des réponses convaincantes aux inquiétudes des acteurs de l’aide. Les perspectives ensuite, parce que je suis convaincu que la sécurité des équipes et des projets sera d’autant plus assurée que nous saurons faire confiance à ceux et celles qui ont la charge des missions, au plus près du terrain, et nous montrer capables de discuter ouvertement et collectivement chacune de nos expériences singulières.

Dr Mego Terzian, Paris, le 8 octobre 2015

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Pour citer ce contenu :
Michaël Neuman, Fabrice Weissman, Secourir sans périr : la sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques, 29 mars 2016, URL : https://msf-crash.org/fr/guerre-et-humanitaire/secourir-sans-perir-la-securite-humanitaire-lere-de-la-gestion-des-risques

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