Wounded influx in Al-Shifa Hospital
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Les ONG ne sont plus opérationnelles à Gaza - Rony Brauman dans l'Humanité

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

L'Humanité

Dans le cadre d’un entretien, publié le 17 octobre 2023 dans L’Humanité, Rony Brauman revient sur la situation humanitaire catastrophique que subit la population palestinienne à Gaza. Il évoque les conséquences des terribles attaques du 7 octobre et condamne sans appel les crimes commis à l’encontre des civils.

Quelle est votre réaction par rapport aux événements en Israël et en Palestine, depuis le 7 octobre ?

Je n’ai réellement pris connaissance de l’horreur des crimes que le 8 octobre au soir, avec la découverte des 260 corps dans le festival de musique. J’étais totalement sidéré. Personne n’avait jamais vu pareil massacre de civils en Israël. 

Le premier sentiment a été l’effroi, la consternation, la désolation pour ces vies perdues, mais aussi pour la cause palestinienne qui mérite d’être défendue mais qui a été effacée derrière le visage repoussant d’un monstre tueur. La résistance palestinienne aura beaucoup de mal à se remettre de cette terrible attaque. Le conflit israélo-palestinien, qui avait été totalement délaissé ces dernières années, ressurgit par un drame épouvantable. 

Il faut ajouter que cette explosion d’ultraviolence ne surgit pas d’un coup, sans raison. L’occupation, la colonisation, les privations de liberté et toutes les mesures répressives humiliantes ont inspiré cette réaction criminelle du Hamas.  Cette occupation israélienne des territoires palestiniens dure depuis des dizaines d’années. Or, de nombreuses prises de position officielles dressent un parallèle entre les attentats du Hamas et ceux de Nice et du Bataclan. Mais la France n’était pas dans une situation d’occupation.

Comment obtenir un cessez-le-feu et empêcher que se poursuive le bain de sang ?

La situation ne plaide pas pour une trêve humanitaire. Le bain de sang, qui a commencé le samedi 7 octobre à l’aube, n’a pas cessé depuis. Hélas, personne, à cette heure, n’est en mesure d’arrêter les massacres contre des populations civiles. Mais on peut déjà s’inquiéter de l’après.

Le principal but de guerre d’Israël semble être la destruction de la branche militaire du Hamas. Mais que va-t-il se passer une fois que celle-ci sera abattue ? Sur les décombres de Gaza et ses milliers de morts, une organisation bien plus radicale pourrait prendre la place du Hamas. Quant au gouvernement israélien, son incompétence, son impéritie, sa démagogie auront finalement éclaté au grand jour.

En plus d’être cruelles, racistes, les autorités ont dévoilé leur incapacité à gouverner. L’exécutif va probablement tomber mais par qui sera-t-il remplacé ? Tous les gouvernements successifs depuis l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin ont poursuivi la colonisation.

La branche militaire du Hamas a commis un crime atroce. Mais il est stérile et même contre-productif de s’en tenir à une pure réaction d’effroi. Face à la cruauté du Hamas, il ne faut pas s’abstenir d’expliquer et d’en comprendre les causes. Cela nous ramène aussi au pourrissement du quotidien des Palestiniens par l’occupation israélienne. 

Un tel ordre de déplacement forcé de la population gazaouie est-il viable ?

C’est impossible. Comment voulez-vous qu’un million de personnes puisse être déplacé en quelques heures ? Il faudrait une préparation énorme pour un tel cheminement, mais aussi des moyens logistiques, des moyens d’hébergement. Mais là, il n’y a rien. Le pilonnage de Gaza Sud a déjà eu lieu. De nombreux immeubles ont été détruits. Le Nord a subi aussi d’importants bombardements. Cette décision est effarante, effrayante, cynique et cruelle. 

Lorsqu’on rappelle à Israël le droit humanitaire, avant même son offensive et ses représailles, on oblitère que ce pays viole le droit international depuis des décennies et que les accords d’Oslo ou d’autres n’y font rien. La colonisation de peuplement est un crime de guerre.

Comment les organisations telles que Médecins sans frontières parviennent-elles à travailler sous les bombardements à Gaza ?

Les ONG ne sont plus opérationnelles au moment où je vous parle. Et c’est le cas désormais pour toutes les installations médicales, privées de tout moyen de travailler : stocks épuisés, eau et électricité coupées, danger omniprésent. Une partie de nos équipes palestiniennes continuent d’œuvrer tant bien que mal, sachant qu’un de nos dispensaires a été bombardé et que des ambulances sont touchées.

N’est-il pas décevant qu’en Occident il n’y ait pas davantage de mobilisations en faveur de la paix ?

C’est regrettable.  En revanche, les interdictions qui frappent les mobilisations de soutien aux Palestiniens, victimes des bombardements, sont scandaleuses et inacceptables. Il faut condamner et poursuivre les auteurs d’actes antisémites. Il s’agit de crimes racistes. Mais que l’on interdise des manifestations, en France, c’est totalement effarant.

D’autres pays européens les autorisent. En 2014, au moment de l’opération israélienne « Bordure protectrice » qui a débouché sur une boucherie avec des milliers de morts à Gaza et des crimes de guerre commis par l’armée, des manifestations pro-israéliennes ont eu lieu à Paris. En pleins bombardements sur Gaza, des gens appelaient à soutenir une opération criminelle, à l’appel d’organisations comme le Crif. 

C’est un des moments le plus honteux dont je me souvienne ces dernières décennies.  Je n’étais pas pour interdire ces manifestations, malgré la honte, car ce n’est pas un délit. Mais ce deux poids, deux mesures ne peut être accepté dans une démocratie. Et le mépris avec lequel on traite les violations du droit par Israël est lourd de conséquences. Il y a forcément des retours de flamme. 

Quelle peut être l’issue diplomatique ?

Depuis les accords de Camp David en 2000 et ceux rompus lors du sommet de Taba en 2001, la solution à deux États m’apparaît impossible. L’occupation n’a jamais cessé et l’accaparement de la Cisjordanie par les colons ne permet plus la construction d’un État palestinien.

La forme d’un État binational, confédéral, semblait une issue possible pour déboucher sur des droits égaux, civils, politiques, entre Israéliens et Palestiniens pour sortir de l’apartheid. Du moins jusqu’au 7 octobre. Désormais, même cette perspective semble enterrée. Les fusils, les missiles et la violence ont pris le dessus sur tout. 

N’est-ce pas problématique qu’il faille un tel drame pour que ressurgisse la question palestinienne sur la scène internationale ?

C’est horrible. Il s’agit d’une lourde responsabilité qui pèse sur le gouvernement israélien qui n’a rien fait, mais également sur les États-Unis et l’Europe. Les premiers parce qu’ils sont une grande puissance, sponsors des accords de paix et parrains israéliens. Quant à la seconde, elle est le bailleur de fonds des territoires palestiniens.

D’ailleurs, on n’a jamais pris la peine de rappeler sérieusement Israël à ses obligations de puissance occupante. Au contraire, on l’a récompensé d’une certaine manière en lui accordant l’accès à des marchés, à des crédits, bref, à tout l’arsenal économique que l’on réserve aux meilleurs alliés. C’est aussi une lourde responsabilité.