José Rodrigues Emergency Unit (UPA) in Manaus, Brazil, where the Covid situation remains critical.
Point de vue

Que penser, faire et dire au sujet de la vaccination Covid-19 ?

Jean-Hervé Bradol
Jean-Hervé
Bradol

Médecin, diplômé de Médecine tropicale, de Médecine d'urgence et d'épidémiologie médicale. Il est parti pour la première fois en mission avec Médecins sans Frontières en 1989, entreprenant des missions longues en Ouganda, Somalie et Thaïlande. En 1994, il est entré au siège parisien comme responsable de programmes. Entre 1996 et 2000, il a été directeur de la communication, puis directeur des opérations. De mai 2000 à juin 2008, il a été président de la section française de Médecins sans Frontières. De 2000 à 2008, il a été membre du conseil d'administration de MSF USA et de MSF International. Il est l'auteur de plusieurs publications, dont "Innovations médicales en situations humanitaires" (L'Harmattan, 2009) et "Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997" (CNRS Editions, 2016).

Blog rédigé par Jean-Hervé Bradol, directeur d'études du CRASH.

Aujourd’hui, pour s'approvisionner en vaccins contre la Covid-19,  il y a ni une difficulté majeure liée au prix, ni un obstacle important en rapport avec les règles de propriété intellectuelle, ni un déficit de la recherche bio-médicale. Pourtant, ces trois thèmes sont en général au cœur de la communication de MSF dans le domaine de l'accès aux médicaments pour les plus pauvres. Notre discours doit donc évoluer.
    
Avec  l'apparition de variants inquiétants du virus présent aux débuts de la pandémie et, en conséquence, la nécessité de vacciner à l'échelle mondiale le plus vite possible, le monde fait face à un double défi : d’ingénierie biologique et de production ultra industrielle – ultra faisant écho à une production à l’échelle du monde en un temps court.

Deux faux problèmes

Face à une crise de sécurité publique, les dirigeants peuvent décider d'activer les mesures dérogatoires aux règles de la propriété intellectuelle pour s’approvisionner en vaccins. En effet, les États détiennent tous les outils juridiques à l'échelon national et international pour prendre les initiatives qu'ils jugent nécessaires pour assurer la sécurité collective ; ils ne s'en privent pas si on en juge par l'état présent de nos libertés individuelles.

Si les brevets ne sont pas un obstacle à l'accès aux vaccins, le niveau des prix ne l'est pas davantage. Les vaccins contre la Covid-19 ne sont pas chers et la part prise par les vaccins dans le « coût de la pandémie » est de peu d'importance car le dénominateur est si élevé que le numérateur est relativement faible. Par exemple, le total des montants engagés par la France, 67 millions d'habitants, pour la réponse à la Covid-19 est de 86 milliards. Si on achetait pour ce pays 180 millions de doses à 10 euros, on dépenserait 1,8 milliards soit 1,8 sur 86 soit 2 % du total de la dépense publique pour la Covid-19. Pas excessif pour éviter que l'économie ne continue à plonger. Et même si l’État devait engager cette dépense tous les ans, cela resterait faisable et intéressant économiquement.

Une incertitude biomédicale

Il y a encore quelques semaines, l'espoir se formulait ainsi : limiter et protéger les contacts interhumains ; prendre en charge les formes sévères de la Covid-19 en hospitalisation ou en réanimation si cela s’avère possible ; dépister et isoler les cas positifs comme les cas contacts ; vacciner en priorité les groupes les plus exposés ; et en parallèle attendre l’arrivée d’une immunité collective afin d'assurer un retour vers un niveau d'activité économique et sociale acceptable. Les cartes ont été rebattues avec l'arrivée, sur tous les continents, des variants menaçant d'accélérer la transmission du virus et de rendre obsolètes certains tests diagnostiques, traitements par anticorps et vaccins. Aujourd’hui, la principale incertitude est donc biologique. Personne ne peut dire si les chercheurs seront assez habiles pour suivre les évolutions du génome viral dans le rythme que ce dernier impose.
    
Un problème d’approvisionnement

L’incertitude biologique complexifie la difficulté d’un approvisionnement  - production et distribution - à l’échelle mondiale. Il est probable que pour obtenir de tels volumes dans de si courts délais (plusieurs milliards en moins d'un an), les États doivent s'impliquer d'une manière ou d'une autre dans les activités industrielles. Or, sur ce sujet MSF ne connaît presque rien et ne peut donc rien dire. Nous pourrions aussi nous faire briefer par Sanofi ; cette entreprise est bien placée pour nous expliquer quelles sont les contraintes pour apporter son soutien industriel à la production d'un vaccin développé par d'autres. En effet, la distribution du vaccin de Pfizer produit en partie avec la participation de Sanofi est prévue en juillet 2021.

Où en sont les différents pays ?

Si les situations nationales et continentales sont diverses, la tendance est à court terme à la vaccination sur tous les continents. Certains (UK, Israël, USA..) ont compris la dimension stratégique de l'approvisionnement en vaccins et ont accepté de dépenser plus en achetant des vaccins plus chers et plus tôt afin d'être certains de pouvoir lancer leur projet national de lutte contre la pandémie. D'autres pays, comme la Russie et la Chine, avaient déjà réalisé des investissements importants pour garantir leur autonomie d'action dans leur cadre national et s'assurer un rayonnement sur la scène internationale grâce à leurs vaccins anti Covid-19. Une centaine de pays dont le Japon n'ont pas commencé à vacciner. L'Union africaine s'emploie à sécuriser son accès à 300 millions de doses. L'OMS essaie d'activer un mécanisme adapté aux pays ayant de faibles revenus. L'Algérie et le Chili ont débuté la vaccination.

Trop tôt pour juger ?

Dans ce tableau général, où l'information sur la dimension commerciale et industrielle évolue chaque jour, il est impossible de juger des conséquences qu'auront à la fin de l'année les problèmes d'accès aux vaccins rencontrés par les membres de l’UE au premier trimestre 2021. Il est difficile également de se prononcer sur l'efficacité et l'efficience de campagnes de vaccinations débutantes alors que le temps envisagé pour leur réalisation est compris entre environ 6 à 9 mois pour les pays ayant des ressources importantes. Cependant, pour apprécier la vitesse de cette tentative inédite de vacciner en urgence sur tous les continents et avec des antigènes encore inconnus quelques mois plus tôt, nous ne pouvons que nous souvenir de situations bien différentes. A la fin des années 1990, il aura fallu attendre 5 ans (1996-2001) pour que des pays ayant des ressources limités prescrivent les trithérapies contre le VIH. 

Un sujet opérationnel

Au regard de ce contexte, nous devrions éviter d'intervenir dans le débat public pour recommander des solutions générales comme une réforme de la propriété intellectuelle et nous concentrer sur des actions de vaccination locales, concrètes. Par exemple, vacciner les soignants et les groupes à risque, dans un délai raisonnable, dans un pays comme le Malawi où nous traitons déjà des cas ! Cela ancrerait notre discours sur les obstacles à l'approvisionnement en vaccins dans le réel, à partir d'une expérience correspondant à nos compétences et à nos capacités.

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Face à l’apparition, ou à la recrudescence, de l’épidémie de Covid-19, de nombreux pays d’intervention de MSF, notamment en Afrique subsaharienne, n’ont pas encore accès aux vaccins dont ils auraient besoin pour protéger les populations les plus à risque. Isabelle Defourny, directrice des opérations chez MSF, et Jean-Hervé Bradol, directeur d’études au CRASH, livrent leur analyse sur les inégalités d’accès aux vaccins contre la Covid-19 et les principaux axes d’intervention pour MSF dans ce domaine.

« Cette instabilité biomédicale, elle se double d'une inconnue industrielle et puis d’un manque de clarté politique c’est-à-dire quelles sont les personnes qui doivent être considérées comme prioritaires ? Nous, on dit les soignants mais et aussi quelques cohortes de patients chroniques qui sont à risque. Ce que nous ne voulons pas c’est sacrifier le personnel soignant des pays les moins nantis et quelques cohortes de patients chroniques pour une hypothétique immunité collective dans les pays qui ont beaucoup plus de moyens.

Pour citer ce contenu :
Jean-Hervé Bradol, Isabelle Defourny, « Que penser, faire et dire au sujet de la vaccination Covid-19 ? », 19 février 2021, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/medecine-et-sante-publique/que-penser-faire-et-dire-au-sujet-de-la-vaccination-covid-19

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