« En Afrique, à l’exception de quelques quartiers, le confinement est impossible »
Rony Brauman
Pour le journal L'Humanité, Rony Brauman explique en quoi la crise sanitaire liée au coronavirus va jeter une lumière crue sur les inégalités sociales qui ravagent le continent africain.
Les statistiques officielles font état d’environ 5000 contaminations à l’échelle du continent, ces chiffres vous paraissent-ils fiables ?
Non, bien sûr, les statistiques démographiques sont bien peu fiables, car qui dit statistiques dit suivi, remontées, enregistrement, autant de données qui n’existent que partiellement dans le cas du coronavirus. Pour le moment, nous n’avons que des incertitudes sur l’ampleur exacte de l’épidémie, et nous constatons le même problème en Europe. Cette absence d’indices nous empêche de connaître l’impact des spécificités du continent africain, comme la pyramide des âges, les profils épidémiologiques ou la résistance des personnes confrontées au virus.
L’Afrique dispose-t-elle d’atouts face à cette pandémie?
Les pays qui ont fait face aux épidémies du virus Ebola ces dernières années ont certainement la capacité d’agir plus rapidement, grâce à l’expérience qu’ils ont accumulée. Il y a aujourd’hui une cinquantaine de laboratoires susceptibles de dépister le coronavirus, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée il y a quelques semaines. Cela étant posé, les hôpitaux et les structures sanitaires sont dans un état lamentable, très largement inférieurs aux niveaux requis, avec une absence criante de lits de réanimation, une situation qui ne pourra pas, hélas, se résoudre du jour au lendemain. L’indispensable formation du personnel médical aux processus de réanimation va nécessairement exiger du temps et beaucoup de moyens. La jeunesse de la population et le climat spécifique pourraient constituer un atout, c’est un pari rationnel, mais en vérité nous n’en savons rien. Ce virus était encore inconnu il y a quelques mois. Seule l’expérience permettra de se faire une idée précise quant à son évolution, comme son comportement en climat chaud.
J’ajoute à cela les autres pathologies qui circulent en Afrique et qui peuvent induire des réactions spécifiques, comme le paludisme, le sida ou la tuberculose.
Des processus électoraux, en Guinée comme au Mali, ont été maintenus malgré l’épidémie, cela vous paraît-il raisonnable ?
Non, bien évidemment. Mais un parallèle s’impose avec la France, où nous avons nous aussi maintenu le premier tour du scrutin municipal quelques jours à peine avant que les pouvoirs publics ne décrètent un confinement généralisé.
Est-il envisageable de mettre en place des mesures de confinement comme en Europe ou aux États-Unis ?
Quand j’ai appris que le président de la République démocratique du Congo (RDC) annonçait ces mesures de confinement, je me suis immédiatement dit que c’était absolument impossible, si on fait abstraction des quartiers privilégiés de la capitale, Kinshasa, ou ailleurs sur le continent, à Lagos au Nigeria ou Nairobi au Kenya. Les bidonvilles de ces mégalopoles ne peuvent être confinés : les températures sont insupportables, on ne peut pas stocker de la nourriture et encore moins la conserver.
Le continent africain demeure largement tributaire des importations, notamment pour lui assurer sa sécurité alimentaire. Peut-on craindre des émeutes de la faim, comme en 2008 ?
Ces émeutes de la faim étaient avant tout provoquées par un effondrement du pouvoir d’achat et pas par des pénuries de nourriture, les protestations urbaines ont notamment débuté à cause des baisses des subventions sur les produits de première nécessité. Ces problèmes risquent de surgir à nouveau, et ces protestations vont à nouveau jeter la lumière sur le fonctionnement injuste des sociétés africaines, une révolte de ceux qui aspirent à davantage d’égalité et d’accès aux ressources.