« La situation m’évoque Ebola à Monrovia en 2014 »
Jean-Hervé Bradol
Entretien publié dans le journal La Croix le 19 mars 2020.
Le directeur d’études à la Fondation Médecins sans frontières (MSF), Jean-Hervé Bradol, lit l’épidémie du coronavirus à la lumière de précédentes épidémies qu’il a vécues au sein de l’ONG.
La Croix : Quels sont les défis majeurs de MSF en ce temps d’épidémie ?
Jean-Hervé Bradol : A l’étranger, dans les pays où nous intervenons, notre personnel soignant sur le terrain est soumis lui aussi à des interdictions de circuler émises par les autorités locales ou internationales. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas envoyer de renforts ou de relève dans des pays qui se sont fermés aux zones épicentres de l’épidémie de coronavirus.
Dans certains pays où nous intervenons, comme en Irak par exemple, le simple fait d’avoir la nationalité d’un pays touché par l’épidémie, peut empêcher nos équipes de se déplacer sur le territoire.
Avez-vous des projets liés au coronavirus ?
J.-H. B. : A Paris, nous venons par rotation au siège pour faire tourner les opérations. Sinon, pour le reste, nous travaillons à distance. En Iran, nous sommes en négociation avec les autorités locales pour les aider à monter un hôpital gonflable destiné à accueillir une centaine de lits pour les patients atteints par le coronavirus. En France, notre priorité est d’essayer de prendre en charge les populations les plus fragiles, c’est-à-dire les sans domicile fixe et les sans papiers. Nous sommes en mission exploratoire pour les zones de la région parisienne et de Marseille.
Quelles sont les analogies entre cette épidémie et d’autres que vous avez vécues auparavant ?
J.-H. B. : Les patients atteints par le coronavirus peuvent développer des affections qui demandent un séjour dans un service pour maladies respiratoires. On prévoit un moment de crise où l’offre de soins sera de très loin inférieure à la demande en ce qui concerne les cas graves.
Cette situation me rappelle celle vécue en août et septembre 2014 à Monrovia, au Liberia, pendant l’épidémie d’Ebola. Nous avons dû affronter une crise due au manque de places disponibles. Tension que l’Italie du Nord et la région de Mulhouse, en France, connaissent déjà. La crainte est de voir cette situation se généraliser. L’autre parallèle avec l’épidémie d’Ebola est, bien entendu, l’exposition en première ligne des soignants. Durant cette épidémie, 800 membres du personnel soignant sont décédés sur un total de 20 000 morts.
Quelles sont les différences entre la situation actuelle et d’autres épidémies ?
J.-H. B. : C’est d’abord l’échelle. Durant la crise d’Ebola, on a enregistré 30 000 cas pendant l’épidémie de 2014, dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, dans le cas du coronavirus, nous avons déjà dépassé la barre des 200 000 cas et la crise est planétaire. Bien sûr, le taux de létalité n’est pas le même, il était supérieur à 60 % pour Ebola.
Ensuite, ce confinement généralisé est inédit. Tout est fait pour éviter un engorgement des hôpitaux, mais les projections épidémiologiques font redouter que le système ne soit débordé.
Enfin, je trouve que la réponse du gouvernement en matière économique est solide. Ces annonces de soutiens temporaires à l’économie sont essentielles, car toutes ces épidémies entraînent en plus d’une catastrophe sanitaire, des conséquences économiques durables auxquelles il faut faire face dès maintenant.