Liste de lecture Gaza 2, février - juin 2024

Cette liste de lecture rassemble des articles et des vidéos publiés entre les mois de février et de juin 2024.

1.    Bombardements et conduite des hostilités

Le magazine 972 s’intéresse au rôle de l’intelligence artificielle dans la conduite de la guerre. En utilisant « Lavender » un système de ciblage par l’IA, l'armée israélienne a désigné (avec peu de surveillance humaine) des dizaines de milliers d'habitants de Gaza comme suspects. On apprend dans cet article que le système « Where's Daddy ? » (Où est papa ?) a suivi ces cibles et signalé à l'armée qu'elles entraient dans leurs maisons familiales pour que celle-ci soient bombardées. Une pratique qui coïncide avec l’assouplissement par l'armée du nombre de civils pouvant être tués lors du bombardement d'une cible : 15 à 20 civils pour un supposé agent de bas rang du Hamas et jusqu’à 100 civils pour un haut responsable.

‘Lavender’: The AI machine directing Israel’s bombing spree in Gaza, Yuval Abraham, 3 avril 2024

Depuis le 7 octobre, plus de 100 journalistes ont été tués. Durant quatre mois, le consortium de journalistes internationaux Forbidden Stories a enquêté sur les circonstances de ces décès, mais aussi sur tous ceux qui ont été visés, menacés ou blessés en Cisjordanie et à Gaza. Ces investigations révèlent que nombre d’entre eux ont été ciblés alors qu’ils étaient identifiables en tant que journalistes.

« Gaza Project » : comment Forbidden Stories a enquêté sur la mort de plus de 100 journalistes à Gaza, Forbidden Stories, 25 juin 2024

2.    Détention et torture

L’existence de centres de tortures israéliens a été récemment révélée, en particulier le site de Sde Teiman, une base militaire située dans le sud du pays qui est devenue un centre de détention de Palestiniens de Gaza. Fin mai, environ 4 000 détenus gazaouis avaient passé jusqu'à trois mois dans la base. Au moins 1 200 personnes ont été finalement considérées comme des civils et renvoyées à Gaza, sans inculpation, ni excuses, ni dédommagement.

Inside the Base Where Israel Has Detained Thousands of Gazans, The New York Times, 6 juin 2024

3.    Enquêter sur les violences faites aux femmes

Dans cet article, Azadeh Moaveni se penche sur les violences sexuelles commises contre les femmes israéliennes et palestiniennes dans des sociétés en guerre. Elle montre la difficulté d’enquêter sur les violences commises le 7 octobre notamment lorsque venger les actes de violences sexuelles devient un prétexte pour poursuivre la guerre. S’il a été possible d’établir quelques cas, on ne peut démontrer que cette violence a fait partie de la stratégie du Hamas. L’auteur explique également que la violence sexuelle à l'encontre des femmes palestiniennes qui plane sur le conflit israélo-arabe depuis ses débuts a globalement été occultée.

What They Did to Our Women, Azadeh Moaveni, 9 mai 2024

4.    Redessiner Gaza

Si la guerre se déroule au présent, Israël prépare la suite. Cet article du Magazine +972 écrit par Ruwaida Kamal Amer, journaliste palestinienne de Khan Younis, décrit la manière avec laquelle Israël redessine Gaza en élargissant sa zone tampon et en érigeant des bases militaires dans la bande de Gaza. Alors qu’Israël présente ces transformations comme nécessaires à la conduite de la guerre, les Palestiniens craignent de perdre définitivement leurs maisons et leurs terres agricoles. Cet article a été traduit et publié en français dans Médiapart.

Cementing its military footprint, Israel is transforming Gaza’s geography, +972 Magazine, 21 mai 2024
Comment Israël redessine la bande de Gaza, Médiapart, 1 juin 2024

5.    Crimes de guerres, génocide, écocide

Eyal Weizman, architecte israélien britannique, fondateur et directeur de Forensic Architecture accuse Israël d'utiliser les principes humanitaires comme une arme de plus contre les Palestiniens de Gaza. Un nouveau rapport de Forensic Architecture affirme que ce qu'Israël qualifie d'évacuations humanitaires à Gaza équivaut en réalité à un déplacement forcé de Palestiniens, ce qui constitue un crime de guerre. « Nous ne pouvons y voir autre chose qu'une partie de la campagne génocidaire », déclare Eyal Weizman.

“Humanitarian Violence” in Gaza: Architect Eyal Weizman on Mapping Israel’s “Genocidal Campaign”, Democracy Now!, 21 mars 2024

Dans cette enquête Forensic Architecture révèle le ciblage systématique des vergers et des serres par les forces israéliennes depuis octobre 2023. Cette destruction est un acte d'écocide généralisé et délibéré qui a exacerbé la famine catastrophique en cours à Gaza et qui s'inscrit dans un schéma plus large consistant à priver délibérément les Palestiniens de ressources essentielles à leur survie.

‘No Traces of life’: Israel’s ecocide in Gaza 2023-2024, Forensic Architecture, 29 mars 2024

Dans cet article, Eyal Weizman remet en perspective l’épisode contemporain dans l’histoire des deux génocides commis par l’Allemagne, le génocide des juifs d’Europe mais également celui des Héréros et des Namas dans l’actuelle Namibie entre 1904 et 1908. Ce faisant, il invite à examiner les continuités qui pourraient « rapprocher l'histoire de l'Holocauste de celle du colonialisme et de l'esclavage, permettant ainsi de reconnaître la solidarité historique entre les Noirs et les Juifs, ainsi qu'entre les Juifs antisionistes et les Palestiniens ».

Three Genocides, London Review of Books, 12 avril 2024

Pour la doctorante en anthropologie Samirah Jarrar, le contrôle israélien sur les Palestiniens de Gaza s’exerce autant dans la mort que dans la vie : les corps abîmés, confisqués, tombes retournées, etc. s’inscrivent dans la continuité de la privation extrême imposée au peuple de Gaza. Ces pratiques révèlent une division raciste et une hiérarchisation des vies et des corps.

Living and dying in Gaza under Israel's necropolitics, The New Arab, 25 mars 2024
Vivre et mourir à Gaza sous le régime nécropolitique d'Israël, Yaani, 15 juin 2024

6.    Cisjordanie

Ce long article du New York Times raconte comment une idéologie radicale est passée de la marge au cœur du pouvoir politique israélien. Les auteurs Ronen Bergman et Mark Mazzetti expliquent le développement d’un système judiciaire discriminatoire autour des colonies juives à Gaza et en Cisjordanie. Ils montrent que les extrémistes ont pris pour cible non seulement les Palestiniens, mais aussi les fonctionnaires israéliens qui œuvraient à la paix.

The Unpunished: How Extremists Took Over Israel, The New York Times, 16 mai 2024

7.   UNRWA

Dans cette tribune, Philippe Lazzarini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), dénonce un mépris flagrant pour la mission des Nations Unies, en particulier des attaques scandaleuses contre les employés, les établissements et les opérations de l’Office.

UNRWA : Arrêtez la violente campagne d’Israël contre nous, AURDIP, 9 juin 2024
UNRWA: Stop Israel’s Violent Campaign Against Us, AURDIP, 2 juin 2024

8.   CPI

Le 20 mai 2024, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé que son bureau avait demandé l'émission de mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, du ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, et des dirigeant du Hamas Yahya Sinwar, Ismail Haniyeh et Mohammed Diab Ibrahim al-Masri. Quelques jours plus tard, une enquête conjointe (+972 Magazine, Local Call, The Guardian) révélait que de hauts responsables du gouvernement et des services de sécurité israéliens avait supervisé une opération secrète de surveillance pendant près de dix ans et qui visait de hauts responsables de la CPI ainsi que des défenseurs palestiniens des droits de l'homme pour tenter de faire échouer une enquête sur des crimes de guerre.

Surveillance and interference: Israel’s covert war on the ICC exposed, +972 Magazine, 28 mai 2024

9.    La reconnaissance de l’État de Palestine

Dans cet article publié dans The Conversation, Insaf Rezagui analyse la reconnaissance de l’État de Palestine par plusieurs pays dont l’Espagne, l’Irlande et la Norvège. Si reconnaissance d’un Etat ne signifie pas existence de l’Etat, cette déclaration vise plusieurs objectifs comme dénoncer la poursuite de la guerre, faire pression sur Israël, rappeler l’attachement à la solution à deux États.

Des reconnaissances de l’État de Palestine qui isolent encore plus Israël, The Conversation, 12 juin 2014

10.   Israël et les États-Unis

Pour Adam Shatz, rédacteur en chef pour les États-Unis de la London Review of Books, nous assistons à Gaza à la transformation d’Israël, d’un État qui servit jadis de refuge aux survivants des camps de la mort, en nation coupable de génocide. Dans cet article, l’auteur analyse l’enfermement d’Israël dans sa politique mortifère, le soutien des États-Unis à Israël, les mobilisations étudiantes aux États-Unis et à travers le monde, la question de l’antisémitisme.

Israel’s Descent, London Review of Books, 20 juin 2024
Israël dans l’abîme de Gaza, Orient XXI, 24 juin 2024

11.   Le positionnement de l’Egypte

Ces deux articles, publié dans Médiapart et le New York Times, éclairent la politique de ménagement de l’Egypte vis-à-vis de l’Etat israélien. En dépit des lignes rouges proclamées par les dirigeants égyptiens, leurs réactions sont de plus en plus faibles. La situation économique et sociale extrêmement préoccupante du pays qui ne peut pas se permettre de perdre l’aide américaine pourrait expliquer cette situation. Dans ce contexte, les manifestations de solidarité avec Gaza sont réprimées.

L’inconfortable danse de l’Égypte face à la guerre à Gaza, Médiapart, 30 mai 2024
Egypt Faces Hard Choices After Israeli Seizure of Gaza’s Southern Border, The New York Times, 30 mai 2024

12.   Ce que la guerre veut dire pour la société israélienne

Langage déshumanisant, promesses d'anéantissement par des dirigeants militaires et politiques, large soutien aux politiques qui ont semé la dévastation et la faim à Gaza, selfies de soldats israéliens devant les destructions : Megan K.Stack analyse la descente morbide de la société israélienne. Les voix qui critiquent l'occupation des terres palestiniennes et favorisent les négociations et la paix sont maintenant en nombre infime.

The View Within Israel Turns Bleak, The New York Times, 16 mai 2024

Dans un entretien Joseph Confavreux questionne le romancier Yishaï Sarid sur sa compréhension de la société israélienne marquée par le recueillement mémoriel, la violence et les idées d’extrêmes droites. Pour lui, l’existence d’Israël ne peut être bâtie sur une vengeance sans fin.

Yishaï Sarid : « L’existence d’Israël ne peut être bâtie sur une vengeance sans fin », Médiapart, 1er juin 2024

13.   Voix palestiniennes

La maison d’édition indépendante new-yorkaise OR Books annonce avoir acquis les droits pour la publication posthume du poète palestinien et professeur de littérature anglaise, Refaat Alareer. Mort lors d’un bombardement israélien le 6 décembre 2023 avec 7 autres membres de sa famille, il léguait un poème terrible If I Must Die – devenu viral.

If I Must Die : un recueil posthume du poète palestinien Refaat Alareer, Les univers du livre Actualité, 26 avril 2024

Dans ce papier d’opinion Oğuz Kaan Salıcı affirme : « Marwan Barghouti est un personnage clé capable de faire sortir de l'impasse politique en Palestine. […] Son cas requiert plus que jamais notre attention. » Dirigeant de premier plan lors de la première et de la deuxième Intifada, Barghouti est emprisonné en Israël depuis 22 ans.

Marwan Barghouti's imprisonment is denying Palestinians a path to unity, Middle East Eye, 18 juin 2024

Depuis le 28 février 2024, le journaliste palestinien Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Il a dû quitter en octobre son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave surpeuplée. Le 25 juin 2024 il évoque les difficultés à se déplacer, la pauvreté des gazaouis et les critiques qu’ils adressent au Hamas.

JOURNAL DE BORD DE GAZA 39 « Cette guerre a fait ressortir ce qu’il y a de pire chez les gens », Orient XXI, 27 Juin 2024

14.   Le conflit et le monde universitaire

Dans cet article, Joseph Massad professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York, analyse la répression subie par le monde universitaire concernant les études sur le thème de la Palestine et d’Israël. Il explique également que depuis les années 1980, l’écart se creuse dans les principaux pays occidentaux entre les connaissances universitaires et les grands médias en ce qui concerne le Moyen-Orient.

Why academic scholarship on Israel and Palestine threatens western elites, Middle East Eye, 18 juin 2024
Pourquoi les études universitaires sur Israël et la Palestine menacent les élites occidentales, Charleroi pour la Palestine, 24 juin 2024

15.   Le conflit et l’humanitaire

Certains se sont saisis du conflit pour interroger la place qu’il occupe dans l’humanitaire contemporain. Selon l’historien Joël Glasman, la situation à Gaza marque un point de bascule pour les organisations humanitaires désavouées par les démocraties libérales occidentales. Michaël Neuman (directeur d’études au Crash) répond à Joël Glasman dans un autre texte portant sur la relation entre l’humanitaire et les démocraties libérales : plutôt qu’un point de bascule, Gaza serait un paroxysme.

Après Gaza, l’humanitarisme sans libéralisme ?, AOC, 26 mars 2024 
Humanitaire et démocraties libérales, AOC, 10 avril 2024

Dans cet article de Weronika Zarachowicz, les humanitaires Raphaël Pitti, Jean François Corty et Rony Brauman témoignent de la manière dont depuis six mois à Gaza l’action des ONG est gravement entravée dans un contexte où les violations du droit humanitaire international atteignent un paroxysme. L’historien Joël Glasman et le juriste et politiste Philippe Ryfman analysent le processus de fragilisation du secteur humanitaire entamée au début du XXIe siècle.

Gaza, la fin de l’idéal humanitaire ?, Télérama, 10 mai 2024

16.   Perspectives

Enfin, nous clôturons cette sélection par une série de contributions pour remettre l’épisode contemporain, en perspective.

Rashid Khalidi est un historien américain d'origine palestinienne, spécialiste de l'histoire du Moyen-Orient. Dans cette interview vidéo, il revient sur son livre The Hundred Years' War on Palestine: A History of Settler Colonialism and Resistance, 1917-2017 dans lequel il décrit la revendication sioniste sur la Palestine au cours du siècle 1917-2017 comme un colonialisme tardif et un instrument de l'impérialisme britannique puis américain, en se concentrant sur une série de six épisodes majeurs que l'auteur caractérise comme des "déclarations de guerre" au peuple palestinien. Dans un article publié dans The Guardian, Rashid Khalidi inscrit la guerre actuelle, marquée par une intensité terrible, dans l’histoire plus général du conflit israélo-palestinien.

The Israel & Palestine Conflict Explained w/ Rashid Khalidi, Tom Delgado, 7 avril 2024
‘A new abyss’: Gaza and the hundred years’ war on Palestine, The Guardian, 11 avril 2024

Dans ce long entretien vidéo Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orient XXI et Afrique XXI, et Rony Brauman, ancien président de MSF et actuel directeur d’études au Crash, décryptent l’histoire et le présent du conflit israélo-palestinien.

Israël/Palestine : fuir sous les bombes ? Alain Gresh et Rony Brauman, Thinkerview, 14 mai 2024

Dominique Eddé est une romancière, essayiste, traductrice, éditrice libanaise. Elle revient dans cet épisode sur ce qu’a apporté l’intellectuel américano-palestinien Edward Saïd à sa vie, à la pensée, et au conflit israélo-palestinien. Elle s’exprime aussi sur la difficulté de tenir la ligne de crête qui a toujours été la sienne, pour sortir de l’ignorance et combattre la violence.

Dominique Eddé, femme de lumière, Épisode 4/5 : Un homme, Edward Saïd, France culture, 13 juin 2024

L’éditorialiste du New York Times Lydia Polgreen s’appuie sur Frantz Fanon pour discuter la capacité des parties à renoncer aux logiques maximalistes et violentes.

Restoring the Past Won’t Liberate Palestine, The New York Times, 18 Février 2024