Partir en vacances prophylactiques au Mexique ?
Jean-Hervé Bradol
La grippe A H1N1, se transforme en pandémie. Quels seront le nombre de cas, les catégories les plus touchées, la virulence du virus et la durée du phénomène ? En dépit du travail de modélisation, nul n'est capable de le savoir. Le terme de pandémie correspond à la diffusion planétaire d'un nouveau virus contre lequel aucun individu ne possède de défenses. Les mesures de protection individuelles comme collectives (vaccin, traitement, port d'un masque, limitations des réunions et des déplacements et autres mesures) n'ont jamais été testées face à ce nouveau virus. Par l'effet d'une définition centrée sur le caractère inédit de l'événement et qui mériterait quelques nuances, nul ne sait quelles pourraient-être les stratégies pertinentes. Mais le souvenir toujours vivace du caractère catastrophique d'épisodes antérieurs, notamment la grippe espagnole 1918/19, n'autorise pas à s'abstenir de planifier une réponse à la menace.
L'idée dominante aujourd'hui est de retarder la diffusion géographique du virus pour avoir le temps de produire un vaccin. En cas de réussite, l'usage de ce vaccin permettra-il de limiter le nombre de cas et la mortalité ? Ne serait-il pas préférable que le virus se transmette alors qu'il n'est pas encore très virulent ou au contraire cette large diffusion pourrait-elle être le gage de l'acquisition d'une plus grande virulence ? L'espoir de retarder l'expansion géographique du virus ne relève-t-elle pas de la vaine tentative d'ériger à la dernière minute une digue face à un raz de marée ? L'incertitude domine une action fondée sur une modélisation mathématique alimentée certes par des connaissances acquises lors d'expériences précédentes mais qui conserve de trop nombreuses inconnues pour permettre un pronostic.
Pourtant, le risque est important de voir les Etats prendre au nom d'une telle stratégie un ensemble de mesures limitant les libertés publiques (circulation et réunion des individus), instaurant des discriminations entre individus et populations, dans un contexte où la seule certitude existante est le décalage entre les ressources disponibles et la demande potentielle (Qui aura le privilège d'être vacciné à temps, d'avoir accès aux soins curatifs ?). Il faut ajouter que les mesures considérées représentent en elles-mêmes un énorme enjeu économique. En résumé, il est indispensable de comprendre qui sera sacrifié (ou sauvé) et qui sera enrichi (ou ruiné) dans cette entreprise inédite, extrêmement ambitieuse et aux résultats hypothétiques.
La situation mériterait une information moins propagandiste (citoyens préparez vous à suivre les consignes de salut public) qui éclairerait les sacrifices humains et économiques exigés par les gouvernants pour satisfaire à l'orientation stratégique retenue. Au sujet de cette dernière, ne serait-il pas salutaire d'exposer les alternatives au lieu de suggérer par une attitude monolithique que les évoquer soit déjà une forme d'indiscipline dangereuse ? En l'état actuel des connaissances, la tentation est grande de recommander à un individu de partir en vacances prophylactiques au Mexique. Le virus H1N1 circulant aujourd'hui provoque un banal rhume, il est ainsi possible d'acquérir à moindre coût (le prix des séjours touristiques dans ce pays a chuté) une immunité susceptible de fournir une protection contre un regain de virulence à l'automne quand l'épidémie touchera l'Europe. Une fois rentré en France, pour satisfaire aux obligations de santé publique, il faut abandonner la tentation altruiste de transmettre l'infection à l'un de ses proches dans le but de lui permettre d'acquérir une immunité sans avoir à effectuer le déplacement au Mexique. Il suffit alors de prolonger de quelques jours son séjour dans ce pays fascinant afin de n'être plus contagieux à son retour.
Pour citer ce contenu :
Jean-Hervé Bradol, « Partir en vacances prophylactiques au Mexique ? », 15 juin 2009, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/medecine-et-sante-publique/partir-en-vacances-prophylactiques-au-mexique
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