Ebola en RDC, entre tâtonnements opérationnels et incertitudes scientifiques
Elba Rahmouni
Rebecca Grais, directrice de la recherche à Epicentre, le satellite d’épidémiologie de Médecins Sans Frontières, et Pierre Mendiharat, directeur adjoint des opérations de MSF-France, apportent leur éclairage sur l’épidémie de maladie à virus Ebola dans la province du Nord-Kivu à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Cet entretien croisé en quatre volets (l’épidémie, le contexte social, les traitements et la vaccination) entend montrer comment, à propos de chaque épidémie, s’articulent science et pratique.
Première partie : l’épidémie
Quand est apparue l’épidémie dans la province du Nord-Kivu en RDC ? La déclaration officielle a-t-elle été assez rapide ?
Rebecca Grais : Il semblerait que les premiers cas soient apparus au mois d’avril. L’épidémie de maladie à virus Ebola a été déclarée le 1er août 2018, à la suite de la confirmation le 28 juillet de cas probables par des analyses de sang effectuées à l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB) de Kinshasa. Nous ne pouvons pas reprocher aux autorités le fait que l’épidémie ait été déclarée tardivement car il est illusoire de penser que cela puisse se faire très rapidement. L’apparition de nouveaux cas et leur détection sont deux choses différentes. En effet, pour identifier le virus, il faut que des personnes soient malades et repérées comme telles. Or, parfois dans les maladies virales la période d’incubation peut être longue (plus d’une semaine) et les premiers symptômes ne sont pas spécifiques (fièvre, maux de tête…). Ce n’est pas parce que quelqu’un a de la fièvre que l’on pense immédiatement à Ebola. Malheureusement, il faut souvent que plusieurs personnes décèdent pour tirer la sonnette d’alarme.
Ce qui est encore plus compliqué avec le virus Ebola, c’est qu’il est présent de manière endémique en République démocratique du Congo. C’est à ce jour la dixième épidémie en RDC et la deuxième de l’année (après l’épidémie dans la province de l’Equateur). Il est très difficile de prédire où le virus va apparaître. Je ne suis même pas certaine que le mot "épidémie" soit le bon. D’ailleurs en anglais j’utiliserais plutôt le mot « outbreak » qui comporte l’idée de déclenchement, de flambée. L’alternative ce n’est pas épidémie vs pas d’épidémie mais détection ou non de nouveaux cas. Plutôt qu’épidémie je dirais épisode et je remarque que l’on détecte de mieux en mieux ces épisodes. Mais reconnaissons que derrière le mot épidémie, il y a l’idée de crise, c’est un mot qui fait office de déclaration et qui est ainsi porteur d’une utilité politique et financière.
S’agit-t-il d’un épisode important ? Quelle est son évolution ?
Pierre Mendiharat : L’épidémie d’Afrique de l’Ouest qui a eu lieu de décembre 2013 à mars 2015 avait été absolument exceptionnelle par le nombre de cas. Bien que de moindre ampleur pour l’instant, il s’agit ici d’une épidémie déjà importante dans l’histoire des épidémies survenues dans la région. A ce jour, le 23 octobre 2018, nous recensons 237 cas. L’épidémie s’est étendue géographiquement dans les villes de la région : Mangina, Beni, Butembo, Tchomia. Comme dans la grande épidémie d’Afrique de l’Ouest, le virus se répand sur plusieurs villes densément peuplées (50, 100, 200 000 habitants, 600 000 dans le cas de Butembo), à deux heures de transport les unes des autres. Mangina était le foyer principal au début de l’épidémie et c’est maintenant à Beni qu’il y a le plus de nouveaux cas. Les premier cas à Butembo et à Tchomia sont venus de Beni et c’est également à Beni qu’il y a le plus de cas qui échappent au suivi.
Carte des projets MSF Ebola
Rappelons qu’il s’agit d’une région marquée depuis des décennies par des affrontements entre groupes armés. Il y a eu récemment à Beni de nouvelles attaques, attribuées aux rebelles des ADF - Allied Democratic Forces, avec pour conséquence des opérations "villes-mortes" paralysant les villes (fermeture des écoles, des administrations, des marchés, arrêt des taxis-motos…). Dans ces conditions, il est très difficile pour les équipes qui s’occupent du suivi des contacts, de la vaccination, de la sensibilisation, de la désinfection des Centres de Traitement Ebola (CTE) et des maisons contaminées de faire leur travail. Lors de la dernière opération ville-morte à Beni qui a duré 5 jours le nombre de contacts suivis est passé de 80 à 40. C’est très préoccupant en ce qui concerne notre capacité à maîtriser ou endiguer la propagation de l’épidémie.
A l’heure actuelle, nous sommes loin de la fin de cette épidémie. D’ailleurs, le concept d’épidémie déclinante est toujours difficile à manier. Nous l’avons vu en Afrique de l’ouest, il y a des moments où le nombre de cas s’accroît, puis décroît, puis s’accroît de nouveau… Il suffit d’un cas pour faire repartir toute une chaîne de transmission. Nous ne savons donc jamais vraiment où nous en sommes et ce n’est que rétrospectivement que nous pouvons dire que nous étions à la fin d’un épisode (pour reprendre le vocabulaire de Rebecca).
Quels sont les acteurs présents sur cet épisode ?
Pierre Mendiharat : Il est remarquable et rassurant qu’à peine quelques semaines après la déclaration de l’épidémie, autant d’acteurs se soient si fortement mobilisés dans une région relativement isolée et en conflit. Il y a eu un important déploiement de cadres expérimentés du ministère de la Santé, issus du niveau national, de la région et de provinces voisines. Suite à son échec en Afrique de l’Ouest et à la restructuration de son département d’intervention en urgence, l’OMS a été capable de mobiliser des équipes importantes dès le début de l’épidémie. Son action est très positive. Il y a également quelques autres organismes qui ont développé un savoir-faire en intervenant à la fin de l’épidémie d’Afrique de l’Ouest : ALIMA, Unicef, Save the Children, International Medical Corps (IMC), la Croix rouge (notamment pour les enterrements), le Centers for Disease Control and Prevention des Etats-Unis… Et MSF.
Rebecca Grais : Cette mobilisation, impressionnante, est essentielle pour espérer maitriser l’épidémie mais cela pose quand même question parce que nous privilégions cette maladie à d’autres. C’est une mobilisation unique, qui n’est pas généralisable pour d’autres maladies.
Eclairage du CRASH : Comment expliquer l’ampleur de la mobilisation au sujet de la maladie à virus Ebola ?
Rony Brauman : Contrairement à d’autres maladies virales qui se transmettent par voie orale (par exemple la rougeole), la maladie à virus Ebola ne se transmet pas si facilement car il faut un contact direct avec les fluides. Elle tue beaucoup moins que, par exemple, les cardiopathies ou le diabète. Cependant, chez MSF notre action n’est pas directement corrélée aux données démographiques comme le nombre de morts… La maladie à virus Ebola fait peur parce qu’il s’agit d’une maladie contagieuse dont le taux de létalité (environ 50 %) est très élevé. Comme le Sida, Zika et d'autres maladies virales, Ebola est un enjeu de sécurité publique car elles sont considérées comme particulièrement menaçantes dans un monde où la circulation est globalisée.
Jean-Hervé Bradol : D’un point de vue historique, la maladie à virus Ebola nous rappelle les grandes épidémies meurtrières (peste, variole, choléra, grippe espagnole…) qui ont empêché la croissance de la population mondiale du 14ème au 18ème siècle. Certes le nombre de cas de la maladie à virus Ebola lors d’une flambée est sans commune mesure avec celui des grandes épidémies (environ 11 000 morts lors de la grande épidémie d’Afrique de l’Ouest vs 50 à 100 millions de morts pour la grippe espagnole à la fin et au lendemain de la première guerre mondiale). Mais comme l’indique Rony, la proportion de décès parmi les cas ou létalité, de plus de 50 %, apparaît comme une menace terrifiante dans la situation où la transmission interhumaine deviendrait beaucoup plus importante. Du point de vue de la lutte contre les épidémies, celle d’Afrique de l’Ouest nous a permis d’explorer, à petite échelle, comment agir au cas où le nombre de cas explose malgré la stratégie qui consiste à mener une action importante au tout début de l’épidémie pour interrompre les transmissions. De manière générale, en ce qui concerne les épidémies, nous n’avons pas d’autre stratégie que celle "d’étouffer l’affaire dans l’œuf". En ce sens, le temps et le travail consacrés à chaque épidémie sont nécessaires si l’on entend développer d’autres stratégies en vue de l’éventuel retour d’une épidémie généralisée.
Deuxième partie : le contexte social
Il y a eu notamment à Beni plusieurs réactions violentes à l’encontre des équipes de santé (caillassage de voitures, centres de santé brûlés…), comment expliquer ces réactions au sein de la population ?
Pierre Mendiharat : Ces réactions violentes sont compréhensibles dans un contexte de peur. La peur d’être contaminé et de mourir peut entraîner une réaction de défiance vis-à-vis des acteurs de santé. Certaines personnes se cachent ou décident de voyager car elles ne pensent pas que la meilleure façon de survivre soit de se rendre dans un CTE. Il ne s’agit pas d’une croyance irrationnelle car de fait la mortalité y est extrêmement élevée et les centres de santé sont de manière générale des lieux d’accélération de la transmission. Il y a également toutes sortes de rumeurs extraordinaires sur la maladie en lien avec les fluides, notamment le sang, et des croyances en des forces occultes.
En outre, il n’est pas anodin que l’épidémie se déroule dans un contexte politique général extrêmement tendu où les élections présidentielles ont été repoussées plusieurs fois et où le pouvoir central à Kinshasa est considéré comme moins légitime que jamais. Au Nord-Kivu, cette province traditionnellement en opposition au pouvoir central, existe une réaction de défiance de type politique. Cela transparaît notamment dans les rumeurs que nous entendons. Il y en a une, par exemple, selon laquelle si vous vous faites flasher par les thermomètres flash (qui sont partout, à tous les points de passage) vous allez ensuite voter pour le gouvernement. Comme dans toutes les épidémies, il y a l’enjeu pour les autorités de se montrer capables d’y répondre et donc une imbrication politico-sanitaire évidente. Il est impossible dans ce contexte-là d’avoir une réponse déconnectée du politique.
Rebecca Grais : Ce qu’il faut se demander ce n’est pas pourquoi il existe ces réactions mais plutôt d’où provient notre attente que les choses devraient bien se passer. Je ne pense pas que ce soit une attente réaliste. Pourquoi est-ce que ça se passerait bien ? Pourquoi les gens devraient-ils suivre ? C’est une maladie effrayante, mortelle, dont nous ne savons pas grand-chose, nous avons peu à offrir et nous demandons aux gens des choses douloureuses. Dans les épidémies antérieures par exemple les imams ou les prêtres n’avaient pas le droit de voir les personnes malades. Il était demandé, au sein des familles, de ne pas toucher les malades et d’enterrer leurs proches d’une manière inacceptable. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer cette dimension humaine. A cela s’ajoute, dans un contexte où l’Etat ne fonctionne plus, le manque de confiance dans le système médical.
Il y a en outre la dimension politique au niveau international. Enjeux financiers, de réputation, de sécurité face au bioterrorisme, tout cela suscite une couverture médiatique importante au niveau international. Le nombre de cas d’Ebola en RDC sera mentionné dans un petit journal en Pennsylvanie ! Tout cela provoque une pression inhabituelle dans un contexte politique déjà tendu.
Face à ces réactions quelles actions d’information et d’éducation mener auprès des patients et de leurs familles ? Quelle attention est accordée aux patients ?
Pierre Mendiharat : C’est principalement le ministère de la Santé qui est en charge des actions de promotion de la santé. Mais à notre échelle d’intervention, nous avons également des messages à faire passer aux patients, à leurs familles et au personnel de santé dans les CTE et au sein de nos activités de désinfection et décontamination des centres de santé. L’exercice qui consiste à formuler les messages de la meilleure manière possible pour que quelque chose de très compliqué scientifiquement et dont on ne connait pas grand-chose puisse être expliqué correctement à la population est ardu. S’ajoutent à cela des problèmes de traduction qui rendent plus difficile encore la compréhension des messages.
Concernant l’attention donnée aux patients et à leurs proches, nous avons beaucoup progressé par rapport à l’épidémie d’Afrique de l’Ouest. Tous les CTE sont ouverts à la vue depuis l’extérieur. Les fameux enterrements dit "sécurisés" sont maintenant appelés "enterrements dignes et sécurisés" et, concrètement, les acteurs en charge de cette activité s’efforcent d’assurer la sécurité tout en respectant les familles et leur souhait d’avoir une cérémonie qui leur permettent de commencer le deuil. Cependant, cette activité reste difficile. Les enterrements ont souvent lieu le lendemain du décès, aussi lorsqu’une personne décède en dehors d’un centre de santé, il faut faire très vite pour dépêcher une équipe afin de procéder au test qui permettra de déterminer si la personne est morte d’Ebola et, le cas échéant, adapter les conditions de l’enterrement. A cause de problèmes d’organisation, il arrive malheureusement encore que l’enterrement se fasse dans des conditions mal acceptées par les familles ou sans pouvoir procéder à un prélèvement.
Rebecca Grais : Il faut trouver le moyen de donner ces choses simples et universelles (contact avec la famille, enterrement décent…) que tout patient est en droit de demander. Ces progrès ne sont pas des choses extraordinaires, souvent ils relèvent même du bon sens mais il n’est pas facile de les mettre en œuvre dans le contexte compliqué d’une épidémie.
Troisième partie : les traitements
Quels sont les différents types de traitements disponibles ? Les patients reçoivent-ils tous un traitement ?
Rebecca Grais : Nous ne sommes pas dans le cadre classique d’une prise en charge ; en effet l’efficacité des traitements proposés n’a pas encore été établie scientifiquement. Il en existe cinq, trois anticorps monoclonaux (le ZMapp, le mAb 114, le REGN3470-3471-3479) et deux antiviraux (le Remdesivir et le favipiravir). Le ZMapp est le traitement le plus connu au niveau international. Le mAb 114 provient du sérum d’un survivant de l’épidémie de Kikwit en 1995 en RDC. De ce fait, il y a une forme d’appropriation par les autorités de santé congolaises, une dimension nationaliste importante concernant ce traitement-là, même si, comme les autres anticorps, il est développé aux Etats-Unis. A l’exception du favipiravir, tous ces traitements ont été à l’origine conçus par les militaires dans le cadre de la lutte contre le bioterrorisme. Puis ils se sont développés dans des contextes un peu différents : le mAb 114 dans le secteur public, le ZMapp dans le secteur privé avec l’aide d’une bio tech canadienne. Le Remdesivir n’était pas à l’origine développé pour Ebola Zaïre mais pour tout filovirus.
Nous connaissons peu de choses sur le virus en lui-même ainsi que sur les traitements. Dans ce contexte où il y a un fort risque pour le patient de mourir et où nous n’avons pas le confort de pouvoir dire que les traitements marchent (nous savons qu’a priori ils sont bien tolérés), ce qui importe c’est de proposer ces traitements aux patients. Il s’agit d’une démarche d’éthique médicale où le traitement est présenté comme une possibilité : « ce traitement est disponible et si vous souhaitez le prendre nous sommes prêts à vous le livrer mais nous ne connaissons pas tout de son efficacité ». L’utilisation des traitements requiert un protocole et il est nécessaire d’avoir le consentement éclairé du patient. Le fait d’avoir cette possibilité de proposer des traitements en développement constitue déjà une grande avancée par rapport aux épisodes antérieurs.
Pierre Mendiharat : Nous avons décidé d’éviter de dire "traitement expérimental" dans nos déclarations publiques de peur que ce soit mal interprété : comme si les patients étaient les cobayes de nos expériences. Nous préférons dire "traitement en développement". Mais, la grande majorité des patients et des soignants souhaite utiliser les traitements. Il y a l’espoir que cela marche et, de manière plus prosaïque, la seule manière de savoir s’ils fonctionnent est de les utiliser. Et puis, le taux de mortalité sans traitement étant extrêmement élevé, il n’y a pas grand-chose à perdre avec des traitements dont nous pensons qu’au moins ils n’aggravent pas l’état de santé des patients.
Quelle est la relation de MSF avec les autorités locales au sujet des traitements ?
Pierre Mendiharat : Ce qui se passe sur le terrain est très positif : pour la première fois, quelques semaines après la déclaration de l’épidémie, chaque patient dépisté se voit proposer un traitement. Pour autant, la relation a été compliquée ; il y a eu des différends notamment du fait de la pluralité des traitements disponibles ayant chacun ses spécificités. En l’absence de données, il est difficile de s’accorder sur le choix du traitement. Quand on est dans le flou, les intuitions individuelles ou collectives s’entrechoquent. L’OMS a mis en place un algorithme et coordonne un mécanisme de choix collégial pour déterminer quel traitement administrer à chaque patient, même si en dernier recours c’est le clinicien qui doit pouvoir décider.
En août, le ministère de la Santé a pris la décision d’administrer le mAb 114 à dix membres de leur personnel contaminés (et depuis également à d’autres patients). Les dix patients ont survécu. Même si ces chiffres sont très petits, il semblerait que le ministère de la Santé ait réalisé les analyses biologiques requises autour de ces patients. De manière générale sur cette épidémie, il est difficile pour MSF d’avoir accès aux données biologiques de suivi des patients : nous n’avons pas nos propres CTE mais intervenons dans des CTE du ministère de la Santé qui contrôle les laboratoires et ne souhaite pas partager les données avec nous, apparemment par peur que nous les utilisions avant eux dans une publication scientifique. Nous attendons les résultats de leurs travaux avec impatience.
Rebecca Grais : Il y a une volonté de la part des différents acteurs de démontrer l’efficacité des traitements. C’est déjà une avancée, tant ça n’a pas toujours été le cas dans le passé. Mais je doute que le ministère de la Santé soit capable de "prouver" l’efficacité du mAb 114. En revanche, et c’est une première étape, ils vont montrer que le traitement n’a tué personne, que c’est quelque chose qui doit être poursuivi et non laissé à l’abandon… Et ensuite ils vont pouvoir trouver un fabriquant.
Il y a sur cette épidémie plus de traitements disponibles mais est-ce qu’on en fait assez au niveau des soins cliniques de base, c’est-à-dire de la prise en charge des symptômes ?
Rebecca Grais : C’est une question difficile. Quand des personnes meurent, on n’en fait jamais assez. La manière dont on traite les patients, dont on développe les rapports avec la famille, les aspects logistiques… tout cela importe. Ce qu’on peut dire, c’est que, cette fois-ci, la question des soins cliniques de base (réhydratation, prise en charge de la douleur…) est une préoccupation des intervenants et c’est déjà une avancée importante.
Pierre Mendiharat : Nous sommes encore loin d’être en mesure de faire des soins intensifs de base : il y a la contrainte de l’équipement protecteur, la difficulté de prélever du sang et de faire des perfusions sans danger… Nous avons cherché à développer les soins intensifs de base par un meilleur suivi des analyses biologiques ainsi que des dispositions de centres mieux adaptés à ce suivi et à la surveillance visuelle des patients. Cependant, globalement, nous n’avons pas réalisé de progrès significatifs à ce sujet. Les cubes d’isolation développés par ALIMA Vidéo Ebola en RDC : ALIMA ouvre un centre de traitement équipée de cubesont certainement un moyen intéressant pour mieux prendre en charge les patients. Les institutions médicales ont plus avancé sur la question des traitements.
Quatrième partie : la vaccination
Quelle est la stratégie adoptée en matière de vaccination ?
Rebecca Grais : Il faut savoir que le vaccin utilisé (le rVSVDG-ZEBOV-GP) n’est pas encore enregistré et que son efficacité clinique n’est toujours pas établie. Son utilisation repose sur une part de rationnel mais aussi sur une part d’incertitude, d’où l’importance d’avoir le consentement éclairé des personnes se faisant vacciner. La vaccination est réalisée par le ministère de la Santé avec l’appui de l’OMS. Ce qui est vraiment nouveau c’est son usage à grande échelle : 16 000 personnes ont déjà été vaccinées. La stratégie utilisée, dite de "vaccination en anneau", consiste à vacciner toutes les personnes ayant été en contact avec un malade (les contacts), ainsi que tous leurs contacts (les contacts de contacts). A ces personnes s’ajoutent les professionnels de première ligne (PPL) et des personnes qui se rendent sur les lieux de vaccination parce qu’elles souhaitent se faire vacciner. Dans la réalité il est souvent difficile de suivre cette stratégie pour des raisons de sécurité.
Pierre Mendiharat : La question de savoir quelle est la meilleure stratégie de vaccination est, pour moi, loin d’être réglée. Il y a la stratégie de la vaccination en anneau mais aussi une autre stratégie de vaccination par zone géographique. En Equateur, par exemple, ils ont vacciné des petits villages en entier sans faire de tri et ce choix s’est révélé être pertinent dans la lutte contre le développement de l’épidémie. Dans un contexte d’insécurité accrue, face à des quartiers auxquels nous n’avons pas facilement accès, comme à Beni, il doit être possible de faire venir à nous les travailleurs de santé pour tous les vacciner (qu’ils aient été en contact ou non avec des malades d’Ebola). De manière générale, dans le cas d’une épidémie et dans la mesure où nous avons fait le pari, en tant qu’organisation, que la vaccination protège, je pense qu’il est préférable d’en faire plus que moins. Je vois dans ce nouveau vaccin une opportunité formidable de lutte contre l’épidémie aussi parce que la vaccination permet de suivre les contacts en ayant quelque chose à leur proposer.
Le staff international chez MSF est-il vacciné ?
Pierre Mendiharat : A l’exception du personnel national qui avait été vacciné lors de l’épidémie précédente en Equateur, la quasi-totalité du personnel MSF de première ligne n’était pas vacciné pendant les deux premiers mois de l’épidémie. Le vaccin n’était pas proposé ou bien il était présenté de manière si défavorable que personne ne souhaitait se faire vacciner. D’après le protocole de la santé du personnel, toute personne doit être renseignée sur le vaccin avant de commencer à travailler sur une intervention Ebola et tout le personnel de santé de première ligne doit se le voir proposer (à l’arrivée sur zone dans le cas des travailleurs internationaux, le vaccin n’étant pas encore disponible en France). Il semble que maintenant la pratique soit en phase avec la théorie et depuis, certains se sont fait vacciner, ainsi que la plupart des membres du personnel en charge de l’hygiène hospitalière.
Il y a eu des messages négatifs à propos du vaccin également pour des raisons pratiques. 25% à 30% des personnes vaccinées développent une fièvre plus ou moins forte dans les 24 à 72 heures. Pour un expatrié qui ne vient sur le terrain qu’un mois, être indisponible les premiers jours est un inconvénient. Cependant l’institution ne peut pas décider à la place des individus et privilégier les opérations au détriment des options de prévention.
Rebecca Grais : Que certains croient que le vaccin marche et que d’autres croient qu’il ne marche pas, ce n’est pas ce qui importe. L’essentiel c’est donner une information correcte et de laisser les personnes choisir.
Pierre Mendiharat : Au sein de Médecins Sans Frontières, certains défendent l’idée que dans la mesure où nous ne savons pas de manière certaine dans quelle mesure les traitements et la vaccination fonctionnent, ce qui importe vraiment ce sont les fameux six piliers définis il y a longtemps pour lutter contre la propagation de la maladie à virus Ebola1° Surveiller l’évolution de la maladie et l’apparition de nouveaux foyers, 2° informer la population sur la maladie, la manière de l’éviter et d’y réagir si l’on s’y trouve confronté, 3° mettre en place des centres de traitement qui permettent d’isoler et de prendre en charge les patients, 4° identifier et suivre les personnes qui ont eu un contact avec un malade, 5° s’assurer que les enterrements ne provoquent pas de nouvelles contaminations, 6° aider les structures de santé à contrôler les risques d’infection pour éviter la propagation de la maladie, tout en continuant de fournir des soins à la population. 5 minutes pour comprendre Ebola en zones de conflits. D’autres conviennent volontiers que ces six piliers soient essentiels mais, pour eux, il en existe désormais un septième tout aussi important : la vaccination. C’est moins évident pour le traitement car le fait de traiter ou non le patient n’a pas directement d’impact sur la propagation ; encore que là aussi, le fait de pouvoir proposer des traitements dans les CTE, pourrait changer leur perception par la population. Et nous savons que la fréquentation des centres aide à limiter la propagation du virus dans la mesure où les individus y sont confinés.
Concernant les traitements et la vaccination, est-il possible de faire de la science en période de crise ?
Rebecca Grais : Il n’est pas seulement possible de faire des études en période de crise, c’est nécessaire. Depuis 2014 nous accumulons des informations. C’est en quelque sorte grâce à l’épidémie d’Afrique de l’Ouest que nous avons eu la possibilité de développer les traitements et le vaccin. Ils ont commencé à être mis en place alors que l’épidémie était en train de décliner mais sans cela, aujourd’hui nous n’aurions rien.
Le fait qu’il existe cinq traitements soulève de nombreuses questions : lequel marche le mieux ? En fonction de quels critères ? Lequel est le plus facilement administrable ? Lequel a les effets les plus rapides ? Lequel est le plus facilement stockable ? Etc. C’est conduire des études dans ce type de contexte (ce que font MSF et Epicentre) qui permet de documenter ce qui sera possible à l’avenir.
Pierre Mendiharat : A chaque épidémie, nous acquérons de nouvelles connaissances et des progrès sont réalisés. Par-delà la difficulté à faire de la science en période de crise, l’enjeu est de continuer à en faire entre deux épidémies. Nous devrions vraiment en faire beaucoup plus dans ces moments de calme sachant que lorsqu’un épisode commence, tout va très vite. Un protocole de recherche ne se réalise pas en quelques semaines.
Rebecca Grais : Il faut inverser la manière de penser : arrêter de croire que les épidémies sont quelque chose de rare et s’intéresser de manière continue à la famille des filovirus responsables de la maladie d’Ebola et également de la fièvre hémorragique de Marburg. Au-delà de la réponse médicale à apporter, la maladie à virus Ebola, en tant qu’elle cristallise tout un faisceau de difficultés, pose la question générale de nos capacités et de notre investissement. De là émerge une multitude d’interrogations, comme par exemple nos priorités de travail, notre volonté de nous positionner comme leader ou comme "suiveur des autres" sur un sujet donné, la question aussi de la formation de nos médecins pour qu’ils soient entrainés avant qu’un nouvel épisode ne se produise.
Pour citer ce contenu :
Elba Rahmouni, « Ebola en RDC, entre tâtonnements opérationnels et incertitudes scientifiques », 26 octobre 2018, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/medecine-et-sante-publique/ebola-en-rdc-entre-tatonnements-operationnels-et-incertitudes
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Commentaires
merci pour cet article.
Super article, bravo
Je suis un resident de Beni
Juste savoir les mesures post covid entretenues dans cette ville de Beni,
quelle stratégie de prevention gardée au quotidien au sein de la population de Beni.
L'ideal serait de poursuivre avec des seances de sensibilisation mediatique par de spots radiodiffusés, des affiches et prospectus geant au travers les quartiers precaires de la ville et les entrees principales.
Ce qui est etonnable, c'est de voir cette nostalgie qu'affiche la population de Beni gardant en tete la maladie a virus ebola comme un boom pecuniaire qui a marqué la ville , qui pour les vehicules en location, qui pour les boites de nuit, terasses, les malewas, les restaurants, le boom immobilier, hehhh, le vieux metier du monde etait florissant a en croire à la nostalgie de la tranche des beneficieres de la ville et des quariers et points chauds de la ville (Matonge, triangle de la mort, Le Troc, Ishango, Tapis Rouge, HB), au finish, hheeehh, l'OMS a endossé ce debordement des moeurs.
Ce qui est etonnable en plus, j'etais dans une terrasse entrain de suivre le match que jouait les leopards de la RDC, l'equipe nationale sur le boulevard Nyamwisi, à l'annonce du dernier cas de 2021 recent, j'ai vu comment les filles souhaient voir cet episode susciter une occasion de boom financier dans la ville, Dieu merci ca n'a pas eu de l'ampleur au regres des personnes qui en font un business
Merci, Jose
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