Au Collège de France, Esther Duflo au chevet de la santé
Rony Brauman
Les incitations matérielles à se soigner ainsi qu'à prendre des mesures préventives de santé sont depuis longtemps l'objet de discussions et de polémiques au sein des organismes de santé publique, gouvernementaux comme associatifs. Faut-il par exemple rémunérer des parents pour les encourager à vacciner leurs enfants plutôt qu'expliquer l'intérêt de cette protection, donner ou subventionner des moustiquaires imprégnées de DDT (pour la prévention du paludisme) plutôt que s'en remettre au marché pour étendre leur usage ? Ces questions, et quelques autres qui leur sont proches, l'économiste Esther Duflo les traite selon une démarche expérimentale analogue aux essais cliniques et informée par les sciences sociales, sans a priori autre que le souci d'améliorer le service rendu. Professeur au MIT (Massachussets Institute of Technology) et première titulaire de la chaire « Savoirs contre pauvreté » du Collège de France, Esther Duflo s'est spécialisée dans l'évaluation de programmes sociaux, se concentrant sur des questions de micro-économie tels que les comportements de santé ainsi que les services sanitaires, l'accès au crédit ou l'éducation. Elle s'en explique de manière détaillée dans une série de conférences données en 2009 et dont ce post veut simplement se faire l'écho, en attirant plus particulièrement l'attention, MSF oblige, sur celle concernant la santé.
Les services publics de santé dans les pays pauvres sont marqués par la mauvaise qualité des équipements, l'absentéisme et la faible motivation du personnel, ainsi que par une faible fréquentation de la population, conséquence de cette défaillance des institutions gouvernementales. Constat banal, mille fois répété, décourageant si l'on s'en tient à cette observation globale. Le travail évoqué ici en fait un point de départ pour l'analyse et l'action, non une conclusion. Ainsi, une longue enquête conduite par l'auteure avec Seva Mandir, une importante ONG locale dans un district du Rajastan, en Inde, a mis en évidence bien d'autres éléments que l'insuffisance des moyens dans cette région où l'accès aux soins et à la prévention sont déplorables malgré l'abondance des structures médicales publiques et privées. Les raisons de l'absentéisme se rapportent autant à la multiplicité des tâches et des injonctions intenables (telle l'incitation à la stérilisation des femmes) qu'à la faible rémunération du personnel ; la très faible couverture vaccinale des enfants (2%), bien que les vaccins soient gratuits, ne tient pas à l'indifférence ni à l'incompréhension ou l'empêchement des parents, lesquels consacrent du temps et des sommes élevées aux soins quand leurs enfants sont malades.
Esther Duflo expose sa démarche générale dans sa leçon inaugurale du Collège de France « Expérience, science et lutte contre la pauvreté ». On comprend dès l'entrée dans sa réflexion qu'il ne s'agit pas de techniciser des enjeux sociaux et politiques ou de mathématiser les conduites humaines, comme on pourrait le supposer à la lecture du titre et comme peuvent le faire par ailleurs d'autres chercheurs. Les courbes, pourcentages et diagrammes sur lesquels s'appuie Esther Duflo illustrent des évolutions, mettent en évidence contrastes et paradoxes sans jamais prétendre à une représentation des comportements collectifs. On n'entrera pas dans le détail des réponses proposées et mises en œuvre, il faut le souligner, avec des résultats concluants, car il ne s'agit ici que d'encourager à regarder la vidéo-conférence mentionnée plus haut (prévoir deux heures). C'est dans l'exposé de la méthode et les questions soulevées par les informations collectées que réside l'intérêt de l'enquête. Ces travaux de « recherche-action » menés dans divers secteurs de la santé publique (prévention du paludisme, campagnes contre le sida, vaccination) et dans divers pays (Inde, Ouganda, Malawi) nous outillent pour mieux comprendre les problèmes décrits génériquement sous la formule « manque d'accès aux soins » et comment, à quelles conditions, améliorer nos réponses, toujours partielles.
Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Au Collège de France, Esther Duflo au chevet de la santé », 3 juillet 2012, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/medecine-et-sante-publique/au-college-de-france-esther-duflo-au-chevet-de-la-sante
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