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Point de vue

OTAN - ONG : Je t’aime moi non plus

Fabrice Weissman
Fabrice
Weissman

Politiste de formation, Fabrice Weissman a rejoint Médecins sans Frontières en 1995. Logisticien puis coordinateur de projet et chef de mission, il a travaillé dans de nombreux pays en conflit (Soudan, Ethiopie, Erythrée, Kosovo, Sri Lanka, etc.) et plus récemment au Malawi en réponse aux catastrophes naturelles. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l'action humanitaire dont "A l'ombre des guerres justes. L'ordre international cannibale et l'action humanitaire" (Paris, Flammarion, 2003), "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de Médecins sans Frontières" (Paris, La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (Paris, Editions du CNRS, 2016). Il est également l'un des principaux animateurs du podcast La zone critique. 

Le 3 mars dernier, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a fait des appels du pied à la communauté humanitaire. Reconnaissant les limites de la force militaire -le «hard power»- lors des phases de stabilisation et de reconstruction, il souhaite renforcer en Afghanistan un partenariat avec les ONG, qu'il voit comme un élément clé d'un nécessaire «soft power».

La réaction des ONG fut brutale. ACBAR, un organe de coordination d'une centaine d'ONG en Afghanistan, «déplore» ces déclarations qui «mettent en danger la vie des Afghans et de ceux qui leur portent secours» et rappelle l'OTAN aux différents engagements pris par ses pays membres pour garantir l'indépendance et la neutralité des ONG. La neutralité y est décrite comme un principe légal intangible, qui signifie une séparation totale du militaro-politique et de l'humanitaire.

Cette profession de foi en faveur de la neutralité a de quoi surprendre de la part d'ONG internationales qui dans leur grande majorité ont soutenu le renversement du régime taliban au nom de la défense des droits de l'homme. En 2003, 80 d'entre elles avaient même appelé au renforcement des troupes de l'OTAN «afin que la démocratie puisse fleurir en Afghanistan». La majeure partie des ONG et agences des Nations unies sont financées par des Etats membres de l'OTAN et agissent dans le cadre des «politiques de renforcement» (capacity building) de l'Etat afghan dont elles sont officiellement les sous-traitants (implementing partner).

Cette alliance entre les forces internationales, le gouvernement afghan et les ONG avait ses vertus tant que les forces de l'OTAN conservaient l'avantage militaire et contrôlaient près de neuf dixièmes du territoire. Jusqu'en 2005, les ONG «embarquées» (embedded) dans la «reconstruction de l'Afghanistan» pouvaient s'installer dans le sillage des troupes internationales et de leurs alliés locaux sans se soucier des réactions de l'opposition armée alors très affaiblie.

Si les ONG membres d'ACBAR en reviennent aujourd'hui au principe de neutralité, ce n'est pas par sursaut de conscience humanitaire. C'est tout simplement que l'OTAN perd du terrain. A l'exception des grandes villes et d'une partie du nord et du centre de l'Afghanistan, le pays est désormais aux mains des insurgés. Les premières positions rebelles ne sont qu'à quelques kilomètres de la capitale, elle-même exposée aux attentats suicides et aux attaques à la roquette des opposants.

Conscientes que la défaite de l'OTAN est désormais possible voire probable, ces ONG redécouvrent les vertus de la neutralité. Ce faisant, elles soulignent que celle-ci n'est pas un principe philosophique dont on peut se passer au nom de la «supériorité morale des droits de l'homme» mais un choix pragmatique qui s'impose à la lecture des rapports de forces dans un conflit armé: pour être protégé et obtenir l'accès aux populations, il faut être toléré par toutes les parties au conflit, donc n'être l'allié d'aucune.

Reste que crier au scandale lorsque l'OTAN appelle les ONG à la rescousse ne suffit pas à manifester sa neutralité. Il faut avant tout agir en conséquence.

Pour citer ce contenu :
Fabrice Weissman, « OTAN - ONG : Je t’aime moi non plus », 9 avril 2010, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/droits-et-justice/otan-ong-je-taime-moi-non-plus

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