Goma
Analyse

Trop, jamais assez : Le soutien social chez MSF

Jacob Burns
Jacob
Burns

Jacob Burns a commencé à travailler pour MSF en 2018. Il a travaillé sur le terrain et au siège en tant que chargé de communication, a fait une année au Crash de 2022 à 2023, et a été plus récemment coordinateur de projet en Haïti et à Gaza. Avant MSF, il était journaliste pigiste au Moyen Orient et travaillait sur les droits humains, notamment avec Amnesty International en Palestine.

Si l'on examine les programmes de MSF aujourd'hui, on constate qu'il existe une variété d'initiatives de soutien social, ainsi que des projets visant à traiter les personnes en situation de difficultés socio-économiques : programmes pour les toxicomanes en Iran, distributions d'argent pour les patients atteints du VIH et du cancer au Malawi, protection et soutien social pour les migrants et les réfugiés en Libye. Cependant, la fourniture d'un soutien social est souvent considérée comme une activité marginale et il existe un débat sur l'opportunité ou la pertinence, voire l'efficacité, de telles activités.

Ce papier de Jacob Burns sur le soutien social est divisé en deux parties. Dans l'introduction « Pratiques et motivations », il propose un aperçu des différents problèmes « sociaux » vers lesquels MSF s'est tournée entre les années 1980 et 2010 : les enfants des rues et les personnes vivant dans des bidonvilles ; Mission France ; les projets de lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine, la tuberculose et les violences sexuelles et sexistes ; les réponses à l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest (2013-2015) et en République Démocratique du Congo (2018-2019). L'auteur soutient qu'il est possible de diviser les motivations pour fournir un soutien social en trois grandes catégories : aider à atteindre le succès thérapeutique, aider à l'efficacité de nos opérations, améliorer le « bien-être » de la personne.

La deuxième partie du document est un rapport d'une visite de terrain effectuée en octobre - novembre 2023 à Goma, en RDC. La visite a été entreprise avec une approche ethnographique : compléter les observations du travail des équipes avec des conversations avec les membres de l'équipe au cours desquelles Jacob Burns a essayé de comprendre autant que possible leur raisonnement et leurs motivations pour les décisions qu'ils ont prises. Comme l'auteur le dit lui-même, ce document pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses : comment juger des besoins « réels » des gens ? Quel rôle l'argent doit-il jouer dans la fourniture de l'aide humanitaire ? Quel est le rôle d'une personne qui reçoit de l'aide ? Dans quelle mesure MSF devrait-elle travailler sur les sources des problèmes qu'elle tente de résoudre, plutôt que sur leurs symptômes ou leurs conséquences ?

L'introduction de ce travail de recherche est disponible en ligne ci-dessous. Vous pouvez télécharger la version PDF complète de ce document ici.

Contenu

---  Préface
---  Introduction – Pratiques et motivations
---  Étude de cas: Goma, République démocratique du Congo
---  « soyez curieux » - un épilogue 
---  Annexe : Liste des personnes interrogées 

Introduction - Pratiques et motivations 

Ce projet a débuté par 33 entretiens avec des praticiens de MSF, choisis en raison de leur implication dans certains projets ou périodes associés à la mise en place d’activités de soutien social, ou parce qu'ils occupent une position de direction au sein de l'organisation (voir l'annexe). Il leur a été demandé de raconter leurs expériences avec MSF lorsque le soutien social avait été une composante de notre réponse, ou lorsque MSF avait répondu à des problèmes dits « sociaux ». L'intention ici n'est pas de reconstruire précisément l'histoire du soutien social ou des interventions sociales à MSF, mais les entretiens réalisés me permettent de suggérer une ébauche des différents problèmes "sociaux" auxquels MSF s'est intéressée et des moments où elle l'a fait :

•    Une série de « projets sociaux », souvent axés sur les enfants des rues et les habitants des bidonvilles, qui ont débuté dans les années 1980 et se sont poursuivis jusqu'au début des années 2000 ;
•    La Mission France, à partir de la fin des années 1980, qui a des liens avec ces autres projets sociaux, mais dont l'histoire et la logique opérationnelle sont différentes ;
•    Les projets de lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), la tuberculose et les violences sexuelles et sexistes, qui ont pris une place importante au sein des opérations de MSF à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ;
•    Les réponses à Ebola en Afrique de l'Ouest et en République démocratique du Congo après 2014.

Dans les années 1980, le désir d'une partie des volontaires de MSF de s'attaquer aux problèmes sociaux s'est exprimé dans une série de projets destinés aux habitants des bidonvilles de ce qu'on appelait le tiers-monde, comme au Guatemala Entretien de l'auteur avec Rony Brauman, directeur d’étude au CRASH et président de 1982 à 1994, 3 mai 2022, en français.. MSF y a soutenu le comité directeur du bidonville en lui apportant de l'argent et de l'expertise technique pour installer un système d'eau et d'assainissement, apportant ainsi du crédit au bidonville luttant pour sa légitimité. L’association avait trouvé ainsi des objectifs concrets et réalisables, même en l'absence de besoins médicaux aigus :

Il n'y avait pas d'activités médicales... C'est ce qui m'a gêné au début... [mais] finalement nous avons été utiles. C'est toujours mon argument : si on ne fait pas de médecine, mais qu'on est utile à quelque chose, vraiment utile, et qu'on remplit un rôle que personne d'autre ne peut remplir, alors c'est bon pour moi Entretien De l’auteur avec Brauman..

Si l'absence totale d'activités médicales était inhabituelle, les projets ciblant des groupes spécifiques de la société plutôt que des pathologies ou des situations d'urgence étaient une caractéristique commune de la programmation de MSF dans les années 1980 et 1990.

Un rapport a été commandé à une ancienne responsable des opérations, Marie-Hélène Jouve en 2007 pour « nourrir une réflexion collective sur ces projets "exclusion et violence sociale" », dans un contexte de profonde remise en cause de ces interventions. L'autrice appelait MSF à sortir de « la définition universellement admise de l'action humanitaire » visant à « soulager le risque vital » : dans un contexte de grande précarité sociale, concluait-elle, « il s'agit d'apporter une aide qui aille au-delà du soin, pour que cette aide médicale ait un sens », et d'axer également l'intervention sur « le bien-être général des patients » Marie-Hélène Jouve, Eléments pour une analyse des projets " Exclusion, Violences sociales ", MSF-France, 2007..

Ces programmes s'adressent souvent aux enfants des rues, qui sont vulnérables aux abus et aux problèmes de santé :

Fin 1996, j'ai été envoyé au Caire. Il y avait beaucoup d'enfants, et dès qu'il y avait des VIP qui arrivaient, le gouvernement rassemblait tous les enfants dans la rue pour les mettre en prison. Nous voulions voir ce qui se passait avec ces mendiants, qui n’avaient parfois que trois ans. Nous avons travaillé avec une organisation locale, nous avons créé un petit centre où les enfants des rues pouvaient se laver, manger, et nous les avons soignés. Et lorsqu'ils étaient en prison, nous avons demandé à avoir le droit de leur rendre visite pour au moins les traiter contre la gale, car si une personne l'a, tout le monde l'aEntretien avec Marie-Hélène Jouve, cheffe de mission et autrice d'un rapport de 2007 sur les interventions de MSF en matière d'exclusion sociale et de violence sociale, 10 juin 2022, en français..

Les débuts de la Mission France en 1987 ont également été souvent cités dans les entretiens comme un moment où MSF s'est montré davantage ouverte à des actions de type social, où les liens avec les services sociaux faisaient partie de l'approche opérationnelle. Les origines de la mission étaient toutefois très axées sur les soins de santé. L'intention n'était pas de s'attaquer directement à la précarité ou à la pauvreté des groupes négligés ayant des difficultés à accéder aux soins de santé. Il s'agissait de leur fournir ces soins, de les orienter vers les services sociaux et d'utiliser les activités médicales comme fondement aux efforts de plaidoyer en faveur de la mise en place d'un système de soins de santé véritablement universel en FranceEntretien de l’auteur avec Brauman.. Toutefois, l'évolution ultérieure de la mission a fait que sa programmation a d’abord répondu à des questions d’exclusion sociale et ensuite seulement aux questions médicales, en particulier lorsque la mission s'est concentrée sur les activités de protection et d'hébergement des migrants.

Ces projets avaient en commun le désir de cibler une population spécifique perçue comme socialement désavantagée. Cette situation a changé avec les nombreux projets lancés dans les années 1990 et 2000 qui ciblaient les personnes vivant avec le VIH, les tuberculeux et les survivantes de violences sexuelles. Dans ce cas, l'aide sociale visait à soutenir un objectif médical. Ces activités n'étaient peut-être pas celles traditionnellement associées à l'action médicale, mais la logique de leur déploiement était d'augmenter les chances de succès du traitement. Par exemple, il était courant d'offrir aux patients tuberculeux de la nourriture et un logement pour deux mois, dans le but de favoriser l'adhésion au traitementEntretien avec Jean-Hervé Bradol, directeur d’études au CRASH et président 2000-20007, 19 avril 2022, en français.. Le travail social faisait également partie de la boîte à outils déployée par MSF dans le cadre du traitement de la tuberculose :

Honnêtement, le soutien social n'est pas nouveau. J'ai beaucoup d'expérience depuis que j'ai été membre du personnel national dans les années 1990, en Arménie, au Nagorno-Karabakh. Dans le cadre d'un projet de lutte contre la tuberculose, nous avons recruté une assistante sociale chargée d'étudier chaque cas, non pas dans le cadre d'une politique, pour dire "d'accord, c'est notre loi", mais au cas par cas. Elle effectuait des visites à domicile pour essayer d'organiser l'aide. Si la personne avait besoin d'argent pour acheter de la nourriture, nous lui donnions de l'argent liquide pour qu'elle puisse décider elle-même d'acheter de la nourritureEntretien de l'auteur avec Mego Terzian, Président 2013-2022, 5 mai 2022, en français..

La toxicité des premiers médicaments antirétroviraux (ARV), la nécessité d'une adhésion étroite au traitement de la tuberculose et l'extrême précarité socio-économique des personnes que nous traitions ont toutes été identifiées comme des facteurs justifiant l'inclusion d'activités de soutien social plus importantes dans la boîte à outils de MSF :

Nous nous sommes rendu compte que pour l'observance, il fallait un soutien psychologique, de l'éducation, mais aussi parfois, notamment pour les enfants qui vivaient dans des conditions économiques très difficiles, qu'il était difficile de leur dire "prenez vos médicaments tous les jours", alors qu'ils n'avaient rien mangé le matin mêmeEntretien de l'auteur avec Philippe Blasco, conseiller en éducation et conseil aux patients, 18 mai 2022, en français..

Les projets VIH ont révélé que nous avions des personnes vulnérables, des malades qui ne pouvaient pas travailler, qui devaient prendre des médicaments toxiques et qui étaient souvent des personnes marginalisées ou des orphelins. Tout ce que nous avons fait autour de cela, c'est ce que j'appelle le soutien socialEntretien de l'auteur avec Léon Salumu, responsable de la cellule 5, 23 mai 2022, en français..

Ces programmes nous ont amenés à approfondir notre compréhension du comportement des patients. Les gens ne négligeaient pas de prendre les médicaments qui leur étaient prescrits ou ne manquaient pas les rendez-vous en raison d’un manque de connaissance ou de volonté ; ils avaient cependant des préoccupations matérielles qui les empêchaient de poursuivre ou d'achever leur traitement. La conclusion, par conséquent, était que MSF devait essayer de concevoir des programmes qui répondent à ces barrières matérielles.

Le développement d'activités de santé mentale et de projets destinés aux survivants de violences sexuelles s’est accompagné de la création d'activités visant non seulement à lever les obstacles matériels à l'accès aux soins ou à la poursuite du traitement, mais aussi à élargir l'idée même de soins pour couvrir les coûts socio-économiques encourus par une personne blessée ou malade :

[Au Congo-Brazzaville, en 2000] j'ai participé à l'un des premiers projets transversaux censés traiter les femmes victimes de violences sexuelles de manière holistique. Il y avait tout l'aspect juridique, mais aussi un aspect socio-économique, pour aider les personnes à se réintégrer dans une société dont elles avaient été exclues Il y a des femmes que nous avons aidées à devenir tailleuses, des femmes qui avaient été exclues, qui avaient perdu leur mari, leurs enfants. On en revient au patient ou à la personne. C'était une aide plus personnalisée, en réponse à la violence qu'elles avaient subie et de la façon dont la société dans laquelle elles vivaient y avait réponduEntretien de l'auteur avec Thierry Allafort-Duverger, directeur général, 9 mai 2022, en français..

Autre exemple : en Haïti, à la fin des années 2000, MSF s'est portée garante des prêts accordés aux femmes ayant survécu à des violences sexuelles pour leur permettre de créer des entreprises :

Les travailleurs sociaux ont procédé à une évaluation sur la base de leur expérience antérieure, de l'endroit où elles vivaient, des possibilités qui s'offraient à elles et de l'existence éventuelle d'institutions gouvernementales susceptibles de les aider. Nous en avons aidé peut-être une dizaine, en partenariat avec une initiative de microcrédit qui leur a donné une petite somme d'argent pour les aider à monter une petite affaire, comme vendre de la nourriture sur la route... c'était environ 500 USD. Ce n'était pas une somme énorme. Les prêts étaient à zéro pour cent. Les dix ont remboursé leur prêt et sont devenus complètement indépendantesEntretien de l'auteur avec Isabelle Mouniaman-Nara, directrice adjointe des opérations, 4 mai 2022, en français..

La logique de ces interventions repose sur une conception radicalement élargie du parcours de soins. Non seulement elle prend en compte ce qui intéresse les patients dans la prestation de soins de santé et la manière dont on peut les aider à accéder à ces soins, mais également ce qui suit leur sortie de l'hôpital. Elle prend en compte les actions nécessaires pour garantir que le bénéfice de la prestation de soins n'est pas annulé par le préjudice social ou économique causé par la blessure ou la maladie elle-même.

Parfois, ces efforts pour comprendre les environnements dans lesquels nos patients vivaient et les problèmes qu'ils rencontraient ont conduit à une programmation qui a donné la priorité à l'aide non médicale. Ce fut le cas lors de la réponse d'urgence au tremblement de terre de 2005 au Pakistan :

Un jour, nous avons dit qu'il faisait froid et que nous allions acheter ces radiateurs iraniens, qui ne coûtent même pas 10 dollars chacun, ainsi que du kérosène, et au lieu de transporter de l'eau par camion, nous avons transporté du kérosène. Et voilà, les gens ont chauffé leurs tentes et ils ont cessé de venir à la clinique. 17 000 familles, tout le monde m'a critiqué, tout le monde a dit que ce n'était pas MSF. En quoi cela n'est-il pas MSF Entretien avec Mego Terzian.?

En lisant ces exemples, nous commençons à voir à quel point le périmètre du soutien social chez MSF est vaste. Il y a là une idée du type d'activités que MSF entend lorsqu'elle dit faire du soutien social, un centre autour duquel gravitent diverses expériences. Mais comment donner un sens à ces activités ? Quel est le lien entre l'huile de chauffage pour les victimes du tremblement de terre et la confection de vêtements pour les survivantes de violences sexuelles?

Un obstacle à l'analyse des pratiques du support social apparaît lorsque des personnes qui sont d'accord entre elles sur sa nécessité dans un contexte particulier échangent sur la manière dont il devrait être mis en œuvre. C'est là que nous constatons qu'il y a différentes propositions à l'œuvre, différentes conceptions de ce que signifie l'"accompagnement social", et que ces différentes idées conduisent à des projets très divers.

C'est le cas d'Ebola, où de nombreuses personnes ont identifié le soutien social comme un élément à développer dans le cadre de nos réponses. Cependant, leurs explications sur les raisons de fournir un soutien social et sur la manière dont il serait mis en œuvre ont montré que les intentions à l'œuvre variaient fortement :

J'ai également parié que dans le [soutien] social, il y avait toutes les relations que vous créiez, quelqu'un que vous aidiez vraiment, peut-être serait-il plus enclin à venir à l'hôpital quand il était vraiment malade... si vous aviez créé une relation avec eux, vous les aidiez à couvrir leurs besoins, à mieux suivre le confinement - parce qu'ils n'auraient pas pu le faire si vous ne les aviez pas aidés - et il y avait donc certainement un effet sur la santé publique... Lorsque nous nous débattions avec la mise en place du deuxième vaccin contre l'épidémie au Congo, j'ai bien sûr dit que nous en avions effectivement besoin... mais je pensais surtout qu'il valait mieux travailler sur l'aspect social, parce que vous pouviez - en partie - aider à contrôler l'épidémie grâce à ces actionsEntretien avec Thierry Allafort-Duverger..

Ici, la logique opérationnelle consiste à utiliser une action individuelle - fournir des motivations matérielles pour que la personne se conforme aux recommandations de santé publique - en espérant qu'une fois reproduite à grande échelle, elle contribuera à la réduction de la transmission du virus. Il s'agit d'un soutien social visant à accroître l'efficacité de nos opérations.

D'autres justifications concernaient davantage l'utilisation du soutien social pour compenser les effets économiques dévastateurs d’'Ebola ou encore pour faciliter l'utilisation de nouveaux traitements :

Les gens ont peur d'être diagnostiqués avec Ebola, d'accord, mais vous devez leur dire que plus tôt ils viennent, plus ils ont de chances de survivre... [Ebola] signifie une énorme perte d'argent pour la famille, la maison est brûlée, les lits sont brûlés, vous perdez votre emploi, vous êtes isolé, donc en plus de la peur de la mort, je pensais qu'il y avait une grande partie économique dans la peur d'être diagnostiqué avec Ebola... Je me suis dit que nous devrions utiliser l'argent pour encourager les gens à se faire tester, mais pas pour payer tout le monde, pas pour compenser tous les aspects négatifs, seulement stimuler les aspects positifs. Je pars du principe que les personnes qui ont vraiment Ebola savent qu'elles ont Ebola, parce qu'elles se cachent... [L'argent] aurait pu les encourager à venir [au centre de traitement]Entretien de l'auteur avec Isabelle Defourny, présidente 2022- , 19 mai 2022, via Teams, en français..

Ici encore, la raison d'être de la disposition réside en partie dans l'augmentation de l'efficacité opérationnelle, bien que cette fois-ci il s'agisse plus d'amener les gens au traitement que de prévenir la propagation de la maladie. D'autre part, il s'agit de compenser les coûts socio-économiques encourus par la personne et sa famille lorsqu'une personne tombe malade. Cela ressemble à l'idée des projets de lutte contre les violences sexuelles, où le parcours de soins était étendu au-delà du traitement des blessures physiques pour tenter de compenser les coûts induits.

Une autre option consiste à utiliser les mêmes outils - argent liquide et soutien social matériel - pour détecter les infections le plus rapidement possible afin de donner à la personne les meilleures chances de bénéficier d'un traitement. Toutefois, cette approche ne fait pas de distinction entre les personnes dont le test est positif et celles dont le test est négatif, et admet des coûts sociaux liés au simple fait d'être soupçonné d'avoir contracté le virus Ebola :

Dès que nous avons su que nous disposions d'un traitement contre Ebola, nous avons également su que, si nous l'administrions rapidement à une personne infectée, les chances de survie étaient très élevées, et que si nous administrions ce traitement trop tard, elle mourrait... [Nous savons que les personnes qui finissent par développer Ebola sont celles qui ont été en contact avec le virus, et que les personnes en contact avec Ebola ont pris soin d'autres personnes atteintes. Nous avons donc dit que nous savions qui allait tomber malade... [et que nous leur donnions] un paquet de soutien, c'est-à-dire des choses de base comme de la nourriture, des produits d'hygiène, de l'argent liquide. Nous ne voulions pas que les gens disparaissent du radar, nous voulions qu'ils restent dans les parages, qu'ils restent près de chez eux. La partie la plus importante d’un genre de « kit social » que nous donnions était un téléphone portable, avec un peu de crédit. Nous disions aux personnes : « nous vous appellerons tous les jours, mais nous voulons que vous nous appeliez s'il y a quelque chose de bizarre - même un mal de tête, appelez-nous... Et si vous ne tombez pas malade, vous ne tombez pas malade, c'est bon. »Entretien de l'auteur avec Natalie Roberts, directrice des études et responsable du bureau d'urgence 2017-2019, 10 mai 2022, en anglais..

Les trois exemples traitent tous de la même maladie avec la même volonté d'utiliser l'accompagnement social, et pourtant chacun a des critères distincts pour la mise en place de l'accompagnement, des relations distinctes avec l'utilisation des outils médicaux et des objectifs distincts. Ils montrent que des différences même mineures dans la manière de concevoir l'accompagnement social peuvent amener à des projets très différents, ce qui peut rendre difficile pour les équipes sur le terrain l’interprétation et la mise en œuvre de l’injonction à apporter un accompagnement social.

Cette brève étude révèle qu’il est qu'il est impossible d'analyser l'accompagnement social au niveau de ce qui est fait. En effet, nous sommes confrontés à un domaine qui est à la fois plein d'exemples qui ne se ressemblent pas du tout et d'autres qui semblent à première vue être la même activité mais qui, à y regarder de plus près, tentent de remplir des objectifs tout à fait différents. Si l'on s'en tenait à l'analyse de ce qui est fait, par exemple en essayant de regrouper les actions en catégories, on se heurterait toujours à ce problème : les actions sont à la fois trop semblables et trop diverses pour permettre une catégorisation utile.

Au lieu de cela, comme nous le voyons avec Ebola, des comparaisons utiles peuvent commencer à être faites lorsque nous déplaçons la conversation de ce qui est fait vers la raison pour laquelle nous le faisons. Ce n'est qu'en examinant les intentions en matière de soutien social que nous pourrons trouver un moyen d'analyser le terrain, de comprendre quelles sont nos ambitions en matière de soutien social et quelles discussions nous devons avoir à ce sujet afin de le mettre en œuvre de manière utile.

 Nous pouvons répartir les motivations de l'aide sociale en trois grandes catégories :

     1. Pour aider à atteindre le succès thérapeutique 

Dans son sens le plus limité, c'est comme donner de la nourriture aux patients atteints du VIH pour qu'ils puissent prendre leurs médicaments parce qu'ils leur donnent la nausée s'ils ont l'estomac vide. Il s'agit d'actions conçues pour créer les conditions permettant de suivre le traitement. Il peut également s'agir d'actions qui s'inscrivent dans une compréhension du succès thérapeutique qui va au-delà des indicateurs purement cliniques pour inclure des indicateurs socio-économiques, où nous reconnaissons que le fait d'être malade ou blessé a un coût et que le bénéfice de notre activité médicale peut être annulé par ce coût si nous n'aidons pas les gens à le couvrir.  

     2. Contribuer à l'efficacité de nos opérations

L'activité la plus fréquente de ce type est la prise en charge des frais de transport des personnes qui se rendent dans notre clinique ou notre hôpital. Nous voulons fournir des services à un certain type de personnes dont nous savons qu'elles n'y ont pas facilement accès et nous supprimons des obstacles économiques qui les empêchent de venir chez nous. Cette démarche peut également prendre la forme d'avantages accordés aux personnes afin d'accroître le recours au dépistage ou au traitement. Elle peut aussi être motivée par ce que nous considérons comme une utilisation judicieuse de nos ressources : nous fournissons une ration alimentaire relativement bon marché à la famille d'un enfant souffrant de malnutrition afin d'atténuer le risque que le supplément nutritionnel relativement onéreux soit partagé avec d'autres enfants de la famille.

     3. Améliorer le "bien-être" de la personne

Cette catégorie très large englobe toute une série d'objectifs et d'échelles d'action. Dans sa forme la plus simple, il s'agit d'accroître l'autonomie de la personne, par exemple en donnant de l'argent aux personnes déplacées pour qu'elles puissent acheter les choses dont elles ont besoin, au lieu de leur imposer notre propre lecture de leurs besoins en leur fournissant un kit d'articles non alimentaires (NFI – non food items). Il y a ensuite l'idée de répondre à un besoin non médical ou de soulager une souffrance non médicale en améliorant immédiatement les conditions matérielles d'une personne : fournir de la nourriture à ceux qui ont faim, de la chaleur à ceux qui ont froid, un abri à ceux qui n’en ont pas. Enfin, il y a les objectifs qui visent un changement plus fondamental ou à plus long terme de la situation d'une personne, en fournissant par exemple une assistance juridique à un migrant en situation d'irrégularité administrative, en orientant un patient vers d'autres services sociaux existants ou en accordant une aide financière pour lui permettre de créer une entreprise.

Ces catégories sont inévitablement personnelles et les limites entre chacune d’elles sont parfois floues ou discutables. D'autres voudront peut-être décomposer nos motivations pour le soutien social d'une autre manière. Ce n'est pas un problème. Ce qui est important ici, ce ne sont pas les catégories elles-mêmes, mais la nécessité de nous poser la question de savoir ce que nous essayons de faire, quel est le problème que nous essayons de résoudre. C'est une fois que nous avons déterminé l'objectif que nous essayons d'atteindre dans chaque cas que nous pouvons passer en revue une série de questions qui nous permettent de porter un jugement sur notre offre d'aide sociale. Quelles sont les limites de ce que nous pouvons faire pour atteindre cet objectif ? Sur quels critères fondons-nous nos actions ? Quelles sont les personnes et les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif ? Enfin, comment allons-nous travailler avec d'autres partenaires et nos patients pour atteindre cet objectif ? C'est à ce type de questions que j'ai vu nos équipes tenter de répondre lors de la visite sur le terrain que j'ai effectuée dans le cadre de ce projet.

Pour citer ce contenu :
Jacob Burns, « Trop, jamais assez : Le soutien social chez MSF », 24 juin 2024, URL : https://msf-crash.org/fr/acteurs-et-pratiques-humanitaires/trop-jamais-assez-le-soutien-social-chez-msf

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