Southern Chhattisgarh Mobile Clinics
Chapitre
Michaël Neuman
Michaël
Neuman

Directeur d'études au Crash depuis 2010, Michaël Neuman est diplômé d'Histoire contemporaine et de Relations Internationales (Université Paris-I). Il s'est engagé auprès de Médecins sans Frontières en 1999 et a alterné missions sur le terrain (Balkans, Soudan, Caucase, Afrique de l'Ouest notamment) et postes au siège (à New York ainsi qu'à Paris en tant qu'adjoint responsable de programmes). Il a également participé à des projets d'analyses politiques sur les questions d'immigration. Il a été membre des conseils d'administration des sections française et étatsunienne de 2008 à 2010. Il a codirigé "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de MSF" (La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (CNRS Editions, 2016).

Date de publication

Présentation générale du Cahier

L’épidémie de COVID-19 a remis au goût du jour les débats récurrents sur les obstacles à l’accès aux médicaments, aux tests diagnostiques et aux vaccins. Médecins sans frontières est impliquée dans ces débats depuis 1996, ce qui a conduit l’association à lancer la Campagne d’accès aux médicaments essentiels (initialement connue sous le nom de CAME, aujourd’hui renommée MSF Access Campaign) en 1999, puis à soutenir la création de l’initiative Drugs for Neglected Diseases (DNDi) en 2003.

Pour certains membres de l’association, les mécanismes mondiaux, notamment les règles de propriété intellectuelle, sont les premiers responsables des inégalités d’accès aux médicaments. Au cours de la dernière décennie, les communications publiques de MSF sur le sujet, menées par l’Access Campaign, ont largement reflété cette analyse. Cependant, d’autres s’interrogent sur l’impact de cette approche et sur la capacité d’une campagne visant à modifier les mécanismes mondiaux des brevets et du prix des médicaments à résoudre efficacement les problèmes rencontrés par les équipes MSF et les autres praticiens sur les terrains où MSF travaille.

C’est dans ce contexte que le Crash a organisé, les 3 et 4 février 2022, un atelier en ligne sur l’accès aux médicaments destiné aux dirigeants, aux responsables opérationnels et aux membres de MSF France, ainsi qu’aux membres de l’Access Campaign travaillant au bureau de Paris, afin d’éclairer les débats actuels autour de l’accès aux médicaments et de déterminer ensemble les éléments de la discussion les plus pertinents à résoudre pour soutenir l’avancée des projets opérationnels de MSF OCP. Les problèmes liés à l’accès aux médicaments sont-ils les mêmes que lorsque MSF a commencé à s’y intéresser au milieu des années 1990 ? Plutôt que de se concentrer uniquement sur les obstacles à l’accès aux médicaments, faut-il élargir le débat à ce que l’on appelle aujourd’hui les « produits de santé » ou plus encore, étendre la discussion à l’accès aux soins et donc à des problèmes largement structurels de ressources humaines, de financement, ou d’absence de politiques nationales d’assurance maladie ?

Nous avons cherché à aborder ces questions à l’occasion de quatre tables rondes, chacune dédiée à un thème important que nous voulions discuter ensemble, choisi parmi des luttes passées et futures considérées comme prioritaires dans notre activité et dans notre portefeuille opérationnel : les vaccins contre la tuberculose, le paludisme et au-delà ; l’approche à adopter en matière de lutte contre la tuberculose et l’antibiorésistance ; la gestion des patients souffrant de cancer ; les problématiques liées à la nutrition, le paludisme et la santé pédiatrique en général. En introduction de chaque table ronde, nous avons invité quelques panélistes ayant un point de vue particulier sur le sujet à nous livrer d’une part leurs perspectives sur le paysage, et d’autre part les expériences et les possibilités d’action à explorer pour MSF. Nous avons ensuite ouvert la discussion aux responsables opérationnels et aux autres participants via Zoom.

Bien que nous ayons dû, pour que la discussion en ligne reste gérable, restreindre le nombre de participants pouvant interagir avec leur caméra et leur microphone (les responsables opérationnels d’OCP, principalement), nous avons également invité les collègues du département médical de MSF OCP, de l’Access Campaign, d’Épicentre et des autres centres opérationnels à assister aux ateliers en ligne et à participer au débat grâce à un tchat.

Pendant l’atelier, nous avons proposé de commencer chaque table ronde par la définition des indications thérapeutiques : pourquoi voulons-nous prescrire, et à qui ? Nous avons ensuite discuté de ce qui nous empêchait de le faire, en évoquant des obstacles rencontrés dans des situations spécifiques. Afin de mieux cadrer la discussion, nous avons établi une typologie non exhaustive des obstacles éventuels, qui a été envoyée aux participants en amont des ateliers. Enfin, nous leur avons demandé de proposer ou d’imaginer des solutions possibles pour ces problèmes, en particulier à travers l’action de MSF. Les discussions se sont tenues en français et en anglais, elles ont été traduites simultanément.

En préparation de l’atelier, nous avons organisé une série d’entretiens vidéo pour recueillir les points de vue d’experts externes à MSF sur l’évolution du paysage pharmaceutique et sur les circonstances du développement des médicaments et produits de santé aujourd’hui. La vidéo qui en résulte, qui comprend des sujets allant du pré-développement à la distribution, en passant par les brevets et les questions de qualité, a été transmise à l’avance à tous les participants de l’atelier. Nous remercions chaleureusement ces experts d’avoir pris le temps de nous décrire leur travail. Grâce à leurs connaissances approfondies et à leurs présentations limpides, ils ont rendu compréhensibles des sujets complexes et auxquels beaucoup d’entre nous étaient auparavant peu familiers. Nous vous recommandons vivement de regarder cette vidéo, disponible sur le site du Crash, avant de lire le cahier : https://msf-crash.org/fr/rencontres-debats/doing-drugs-briefing-video-sur-lacces-aux-medicaments

Nous trouvons les discussions de l’atelier très riches par leur densité et leur complexité, ainsi que par la variété des expériences et des opinions des participants. Vingt-cinq ans après que MSF s’est pour la première fois intéressée à ce sujet, un débat sain se poursuit sur les manières de s’attaquer aux obstacles à l’accès aux médicaments, aux tests et aux vaccins grâce à notre activité humanitaire médicale. Nous espérons que cette discussion inspirera et encouragera les praticiens de MSF et d’ailleurs à réfléchir sur leur travail et celui de l’association.

Natalie Roberts

Michaël Neuman

Jean-Hervé Bradol

 

Les différents obstacles à l'accès aux médicaments rencontrés par le personnel humanitaire médical

Nous avons tenté de dresser ici une typologie non exhaustive des obstacles rencontrés par les praticiens dans l’accès aux médicaments et aux vaccins :

1/ Des produits utiles, voire indispensables, dont la production a été arrêtée en raison d’un marché trop restreint. Dans les années 1990, les médicaments prescrits contre la trypanosomiase humaine africaine (THA) et les antibiotiques contre les formes épidémiques de méningite ont vu leur production et distribution diminuer et être abandonnées par l’entreprise pharmaceutique dans le premier cas et par le producteur dans le deuxième. Un phénomène similaire en lien avec les matières premières est observable aujourd’hui : certaines entreprises pharmaceutiques ont arrêté de fabriquer des médicaments pour lesquels il existe des génériques en raison d’une rentabilité insuffisante. Cela implique qu’ils peuvent arrêter de produire les matériaux bruts utilisés pour fabriquer ces produits (la Chine et l’Inde produisent 80 % des principes actifs des médicaments), avec pour conséquence qu’ils risquent d’arrêter la production d’autres médicaments fabriqués à partir des mêmes matériaux bruts (parce que la demande ou les marges de profit son faibles), mais pour lesquels il n’existe pas de version générique.

2/ Des produits utiles, voire indispensables, dont le prix est trop élevé pour qu’ils soient prescrits à l’échelle requise. Ce phénomène est lié aux monopoles rendus possibles par la globalisation des règles de propriété intellectuelle appliquées à partir des années 2000 au secteur des produits de santé (un des exemples de ce phénomène est le sofosbuvir et la manière dont son prix a été fixé).

3/ Des produits nécessaires mais qui n’existent pas en raison de l’absence de recherches pour le traitement de maladies qui affectent les personnes les plus pauvres en particulier. Cette catégorie désigne aussi bien les produits inexistants pour le traitement des maladies tropicales négligées que les produits disponibles mais dont les spécifications (une chaîne du froid à -80°C, par exemple) rendent l’utilisation difficile, notamment dans les contextes souvent précaires où nous travaillons.

4/ Des obstacles créés par les partenaires de MSF (les ministères de la Santé, généralement) ou par MSF elle-même. C’était le cas lorsque MSF a refusé de prescrire des traitements pour les patients souffrant de tuberculose extrapulmonaire ou n’a pas voulu modifier les protocoles de traitement et de soin du paludisme au Burundi, de la trypanosomiase en Angola et plus récemment, dans la réponse à l’épidémie d’Ebola. Les faiblesses et la vénalité de certains ministères de la Santé ne doivent pas être écartées ici.

5/ Des problèmes (exigences complexes, procédures lentes, manque de compétences, influence des entreprises pharmaceutiques) avec les organismes de réglementation qui délivrent les autorisations d’utilisation de produits aux niveaux international (les préqualifications de l’OMS, par exemple) ou national.

6/ La multitude de produits génériques dont la qualité est difficile, si ce n’est impossible, à évaluer et dont le prix peut demeurer relativement élevé.

7/ L’accès aux médicaments ne remplace pas l’accès aux soins. Certains à MSF pensent que l’accès aux médicaments n’est qu’une des nombreuses barrières (et aujourd’hui, pas la plus importante) à l’accès aux soins et que le véritable objectif de l’organisation devrait être de favoriser, grâce à son influence et à ses ressources, l’« accès » dans une acception plus large.