Bateaux dans le port de Gaza, territoire palestinien occupé
Point de vue

Palestine, l’inacceptable

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

En avril dernier, suite à la victoire du Hamas aux élections législatives dans les territoires palestiniens, l’Union européenne décidait de suspendre son aide à l’Autorité palestinienne. Principal soutien financier de celle-ci jusqu’à présent, l’Union motivait sa décision par le refus du Hamas de reconnaître Israël, de renoncer officiellement à la violence et de souscrire aux engagements internationaux de ses prédécesseurs, en particulier aux accords d’Oslo.

Consciente des conséquences désastreuses inéluctables de cette décision, la commission de Bruxelles envisageait de les atténuer en proposant à des ONG présentes dans les territoires de prendre en charge les « besoins fondamentaux » des Palestiniens et éviter ainsi une « crise humanitaire ». Les organisations humanitaires se sont rapidement et à juste titre démarquées de la Commission, en refusant d’endosser ce rôle. Elles ont fait valoir que, par principe, elles n’avaient pas à être les auxiliaires sociaux d’une mesure de rétorsion politique et qu’en tout état de cause, cette proposition était totalement irréaliste. Comment imaginer, en effet, que des organisations d’aide internationale, qu’elles soient privées ou onusiennes, puissent assurer le fonctionnement des ministères et des services sociaux, assurer l’entretien des équipements publics, la bonne marche des hôpitaux et des écoles ? Comment croire qu’elles puissent accepter d’entrer en concurrence ouverte avec l’autorité politique légale d’un pays ? Si la mise sous tutelle des territoires palestiniens était à l’ordre du jour, ce n’était pas aux humanitaires d’en assurer la maîtrise d’œuvre. Rappelons au passage que, selon la IVème convention de Genève, la satisfaction des besoins fondamentaux des populations vivant sous occupation incombe à la puissance occupante et qu’il revient donc aux Israéliens d’assumer cette tâche, au moins dans toute la zone palestinienne demeurée sous leur contrôle. Cet embargo financier prolongeait et aggravait la décision prise dès les résultats des élections palestiniennes, lorsque le gouvernement israélien annonçait qu’il bloquerait désormais les droits de douane et les impôts perçus sur les importations palestiniennes. En 2005, ces taxes représentaient une somme de plus de 700 millions de dollars. Mesure illégale, destinée à asphyxier le gouvernement palestinien et provoquer son effondrement, ce hold up a été soutenu d’emblée par Washington et entériné par l’Union européenne. De fait, les denrées de base deviennent rares et chères, les hôpitaux manquent de médicaments et de matériel, les entreprises licencient.

Certes, un donateur est fondé à suspendre son aide s’il estime que ses fonds sont mal employés et la décision européenne n’était pas un abus de pouvoir. Elle était seulement odieuse et irresponsable, par la punition collective qu’elle infligeait et le ressentiment qu’elle semait. Elle était donc politiquement intenable et c’est pourquoi un « mécanisme temporaire » d’aide aux Palestiniens a été mis en place par le « Quartet ». Reste que, s’il s’agit d’imposer les conditions d’un dialogue entre parties belligérantes et non d’écraser l’une de celles-ci, la moindre des choses pour un arbitre est de tenir une position équitable. Les sanctions imposées au gouvernement palestinien devraient donc avoir leur équivalent du côté d’Israël, dont les dirigeants déclarent depuis des années qu’ils refusent les accords internationaux. Ils en violent effectivement la lettre et l’esprit en poursuivant la colonisation de la Cisjordanie, qui a doublé depuis lesdits accords. Plus encore que les bombardements incessants sur le nord de Gaza en représailles aux tirs de missiles Qassam, la poursuite de la violence par Israël, ce sont les expulsions de fermiers, les destructions de cultures, les entraves permanentes à la circulation, les ravages du mur, l’annexion annoncée de l’essentiel des blocs de colonies. Tant que les atteintes au « processus de paix » ne seront pas sanctionnées justement, c’est-à-dire des deux côtés, le dernier mot restera aux armes.

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Palestine, l’inacceptable », 1 juin 2006, URL : https://msf-crash.org/fr/guerre-et-humanitaire/palestine-linacceptable

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