Antirétroviraux
Point de vue

Sida, des traitements pour tous, vite

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

En quelques années seulement, le nombre de patients bénéficiant d'un traitement contre le sida a été multiplié par dix. Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et éminent spécialiste de cette épidémie, estime que deux millions de malades ont été sauvés d'une mort précoce depuis le début de cette décennie et que ce nombre augmente de 100 000 chaque mois. Le temps semble loin où l'usage des préservatifs était considéré comme le moyen de lutte primordial dans le tiers-monde. Certes, les campagnes de promotion du safe sex demeurent à l'ordre du jour, mais la mise sous traitement des malades est désormais la priorité. Pour l'immense majorité de ceux qui en bénéficient, cela signifie le retour à une vie quasi normale, ce qui justifie à soi seul l'effort accompli. Mais le traitement a, semble-t-il, une autre vertu: en diminuant la quantité de virus dans l'organisme jusqu'à la rendre quasiment indétectable, il réduirait très sensiblement le risque de contamination. Autrement dit, le traitement des uns serait aussi la prévention des autres, ce qui est une raison supplémentaire de poursuivre dans ce sens.

La course entre le nombre de nouveaux cas et le nombre de malades sous traitement est loin d'être gagnée, mais le mouvement est engagé. Le renforcement des structures médicales, la formation de personnel soignant, les médicaments antirétroviraux (ARV) génériques (aujourd'hui cent fois moins chers qu'il y a dix ans) en constituent l'essentiel. Il faut intensifier et accélérer l'effort pour atteindre l'objectif d'un accès au traitement pour tous dans les prochaines années et améliorer les soins d'ores et déjà prodigués: les tests diagnostiques simplifiés et généralisés, les formes pédiatriques d'ARV, de même que les médicaments de deuxième ligne sont des priorités d'aujourd'hui. Nécessaires lorsque apparaissent des intolérances ou des résistances aux traitements standards, ces derniers n'existent pas sous forme générique, et sont donc financièrement inaccessibles. L'aide publique internationale sous ses différentes formes - financements, conseil technique, recherche - a été efficace parce qu'elle est venue renforcer la mobilisation des Etats les plus touchés, notamment en Afrique (où se trouvent les deux tiers des malades). Les ONG ont joué leur rôle dans cette évolution, d'abord en faisant campagne pour l'accès aux ARV génériques mais aussi en prenant par la suite une part de la charge des soins et de la formation, aux côtés des ministères de la santé. Le sida écrasait des structures sanitaires déjà délabrées au début des années 1990. S'il continue de peser lourd sur celles-ci, il en est aussi un facteur de dynamisation, paradoxe qui s'explique par la mobilisation qu'il a suscitée. Reste que le peu d'attention accordée dans le passé par les gouvernements africains aux hôpitaux et aux dispensaires se fait encore sentir. Les villes, on s'en doute, sont mieux loties que les zones rurales, et il n'est pas rare que les régions favorables aux gouvernements en place soient mieux servies que d'autres considérées comme opposantes. Plus largement, l'augmentation des financements internationaux n'est pas suivie d'un renforcement parallèle de la prise en charge des malades, faute de structures et de personnel suffisants. Moins nombreux et moins serrés qu'autrefois, des goulots d'étranglement persistent, expliquant que des fonds restent inemployés alors que les besoins se font durement sentir. On ne rattrape pas en quelques années un retard datant de plusieurs décennies.

Un nombre croissant de gouvernements, cependant, s'orientent vers la criminalisation de la transmission du VIH, l'imposition de tests de dépistage, ou encore le dévoilement obligatoire du statut sérologique. Cette approche policière de l'épidémie est condamnée par tous les spécialistes. Pas seulement au nom des libertés fondamentales, mais aussi et surtout pour ses conséquences sanitaires. On sait que la coercition entraîne la baisse de la fréquentation des consultations médicales, alors que c'est précisément le contraire qui doit être recherché. Il faut contenir et inverser cette tendance, sous peine de ruiner des acquis précieux.

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Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Sida, des traitements pour tous, vite », 1 septembre 2008, URL : https://msf-crash.org/fr/medecine-et-sante-publique/sida-des-traitements-pour-tous-vite

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