Les critères d’une «guerre juste»
Rony Brauman
Article de Marc Semo publié dans Le Monde le 13 juin 2018.
La guerre humanitaire sonne comme un oxymore. Bon nombre de ces interventions, à commencer par celle en Libye, «notre guerre d’Irak à nous, à ceci près qu’elle était légale», comme la définit Rony Brauman, furent effectivement des fiascos. Mais l’ancien président de Médecins sans frontières (MSF), qui a toujours mené une réflexion sur le sens de son action, n’est pas opposé par principe à l’usage de la force, y compris quand il est en délicatesse avec le droit international.
Il a ainsi soutenu l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, « même si elle n’était pas légale, car décidée en dehors du Conseil de sécurité, mais on peut arguer de sa légitimité », mais il était contre –et il fut l’un des rares –celle en Libye, qui était pourtant légale « car on peut douter de sa légitimité ». En août 2013, il fut l’un des plus ardents partisans de frappes ciblées contre le régime d’Assad en Syrie après qu’il eut employé du gaz sarin contre son peuple révolté.
Dans cette longue interview avec Régis Meyran, Rony Brauman réfléchit notamment à ce que peut et doit être aujourd’hui la guerre humanitaire, dans la continuité du « droit d’ingérence » tel qu’il fut théorisé par Mario Bettati et Bernard Kouchner avec la fin de la guerre froide, puis de « la responsabilité de protéger » telle qu’elle fut élaborée en 2000 par Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU.
Fixer des objectifs « précis et limités »
Ses critères pour une « guerre juste », en partie inspirés de l’héritage d’Augustin et de Thomas d’Aquin, insistent sur sa légalité – elle doit être décidée par le Conseil de sécurité – et sur le fait que la violence de la réponse ne doit pas excéder celle des exactions. Une telle intervention se doit, en outre, d’être un ultime recours alors que tout le reste a échoué et surtout, «il doit exister des chances raisonnables de succès ».
Ce dernier point, celui de fixer des objectifs «précis et limités » – comme le retrait des forces serbes du Kosovo ou la destruction des bases terroristes en Afghanistan en 2001 –, est essentiel à ses yeux. Sinon c’est le risque d’un enlisement et d’une guerre sans fin.
Rony Brauman analyse «la force de la propagande dès lors qu’elle s’enracine dans une matrice intellectuelle favorable » qui accompagne inévitablement ce genre d’intervention. Très révélateur à cet égard fut le cas libyen. Dès la fin février 2011, la chaîne qatarie Al-Jazira évoquait des manifestants à Tripoli écrasés dans le sang par l’aviation libyenne, événement inventé dont il ne reste aucune trace. Et mi-mars, juste avant le vote de la résolution du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force, on évoquait des colonnes de chars de Kadhafi fonçant sur Benghazi la révoltée. Ils n’étaient en fait qu’une trentaine, avec un millier d’hommes : pas de quoi prendre le contrôle d’une ville d’un million d’habitants armés. Bref, « un storytelling à la manière de Fort Apache», ironise Brauman.