Droits de l’Homme à la tête du client
Rony Brauman
Situant la question dans le contexte des rapports de puissances entre Etats, Rony Brauman analyse la "diplomatie des droits de l'homme".
La France entend, paraît-il, retrouver sa vocation de « patrie des droits de l'homme ». Cela fut maintes fois dit pendant la campagne électorale, et la nomination de Bernard Kouchner au Quai d'Orsay a été présentée comme le premier signe d'une « rupture » avec le cours précédent de la politique étrangère de notre pays. Les humiliés et les offensés du monde devaient désormais trouver à Paris l'attention que leur sort indigne méritait.
La libération des otages bulgares peu après l'élection présidentielle et l'inscription du Darfour en tête de l'agenda diplomatique français semblaient donner corps à cette nouvelle doctrine et indiquer que la volonté et l'énergie suffisaient à obtenir des résultats rapides, même si l'éclat en fut quelque peu terni par les soupçons de marchandage et de récupération. Pour le reste, cependant, il faudra attendre, et il est probable que l'attente sera longue car la tâche est impossible.
D'une part parce que la réalité complexe des rapports de puissance entre Etats vient rapidement à bout des simplifications de circonstance. Faire pression sur le régime militaire birman pour contrer l'arbitraire du pouvoir, soit, mais avec quels moyens et comment apprécier leur efficacité ? On connaît, par exemple, les méthodes chinoises consistant à emprisonner des opposants pour pouvoir les libérer, en signe de « bonne volonté », avant la visite d'un dirigeant occidental. Un gage donné par les militaires de Rangoon vaudrait-il mieux ? La Chine et la Russie ont obtenu que le Conseil de sécurité se contente de déplorer - au lieu de condamner - les violences contre les manifestants birmans. Quand bien même ses exactions auraient été condamnées, ce régime violent et corrompu n'aurait pas pour autant renoncé à ses méthodes. Pas plus que les Etats-Unis n'ont cédé devant la réprobation massive de l'invasion de l'Irak, ni la Russie n'a reculé en Tchétchénie. Quant à la répression et aux exactions en Chine, on se demande en quoi elles sont moins condamnables, du point de vue d'un défenseur des droits de l'homme, que celles de Birmanie. Mais Pékin, dont les Occidentaux se disputent le marché et qui peut, du fait de ses immenses réserves en dollars, mettre à mal l'économie américaine, ne sera évidemment pas la cible d'une quelconque diplomatie des droits de l'homme. Les autres membres permanents du Conseil de sécurité non plus, naturellement. Et c'est ici que surgit le second obstacle. L'universalité des droits de l'homme suppose que leur défense soit globalement intelligible, c'est-à-dire quelque peu cohérente. Soit, par exemple, un pays dans lequel se déroule une crise majeure se traduisant par 200 000 à 300 000 morts en quelques années et plusieurs millions de réfugiés et déplacés. Si ce pays s'appelle le Soudan, de tels chiffres manifestent la pire « crise humanitaire » en cours dans le monde et justifient à eux seuls des sanctions. Mais s'il s'appelle l'Irak, les mêmes données n'évoquent rien d'autre que la nécessité de dialoguer. Ainsi va la diplomatie des droits de l'homme.
On peut également se demander quelle est l'urgence, pour le « pays des droits de l'homme », de renouer le dialogue avec le Rwanda de Paul Kagamé qui persiste à piller et saccager son voisin congolais, ou encore d'exprimer sa volonté de rapprochement avec Israël, encouragé ainsi à poursuivre sa stratégie d'étranglement de Gaza et son expansion territoriale en Cisjordanie. On arrêtera là le catalogue des contradictions non sans avoir noté au passage que si les droits de l'homme n'y trouvent pas leur compte, la diplomatie américaine y reconnaît sans peine quelques-unes de ses priorités. Sans doute est-ce là une clé de lecture. On ne saurait mieux faire pour donner crédit aux dictateurs et démagogues qui ne voient dans les droits de l'homme qu'un instrument de domination occidentale sur le reste du monde. Reste que, si les droits de l'homme ne peuvent être une politique, ils sont nécessairement, pour toute démocratie, un enjeu politique important. C'est cette « morale relative » (Raymond Aron) que visait le politologue américain George Kennan écrivant : « Nous devons être des jardiniers et non des mécaniciens dans notre manière d'aborder les affaires mondiales. »
Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Droits de l’Homme à la tête du client », 1 décembre 2007, URL : https://msf-crash.org/fr/droits-et-justice/droits-de-lhomme-la-tete-du-client
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