Xavier Plaisancie
Médecin, diplômé de médecine tropicale. Il commence à travailler avec MSF en 2016 sur les questions d’accès aux soins du VIH chez les hommes dans le district de Homa Bay au Kenya sous la direction de Jean-Hervé Bradol et de Marc Le Pape. Cette recherche rentrera dans le cadre de sa thèse de médecine, qui sera publiée dans un cahier du CRASH. Puis en 2019, il participa au projet d’oncologie de Bamako, au Mali, en tant que médecin de soins palliatifs et chercheur sur la question des trajectoires des patientes atteintes de cancers du sein et du col de l’utérus. Par la suite, il partit comme médecin avec MSF à Kinshasa dans un service prenant en charge les patients vivant avec le VIH au stade SIDA. Enfin, depuis 2022, il poursuit un master de sociologie de la santé à l’EHESS qui l’amène, en lien avec le CRASH, à s’intéresser à la question des pratiques de soins palliatifs au Malawi et au développement de la discipline en contexte humanitaire.
Chapitre 3 - Résultats
I. LA POPULATION D’ÉTUDE
La moyenne d’âge des personnes interrogées est de 40 ans et la médiane de l’âge est de 37 ans soit 1970 comme année de naissance.
Sur le plan du statut marital, 58,7 % des hommes interrogés sont mariés et monogames, et 15,2 % sont polygames avec deux femmes. 17,4 % sont célibataires, veufs ou divorcés. Enfin, 8,7 % sont en couple mais non mariés.
Sur le plan de la paternité, 21,7 % n’ont pas d’enfants, 23,9 % en ont entre 1 et 2, 37 % en ont entre
3 et 5. Et 15,2 % en ont plus de 5. Enfin, 2.2 % ont un statut parental inconnu.
Sur le plan du statut pour le virus du VIH, 53 % sont séropositifs et 47 % séronégatifs.
Sur le plan professionnel : 24 % sont fermiers ; 13 % sont encore à l’école ou à l’université ; 10,8 % sont pêcheurs ; 8,6 % ont des travaux en lien avec la mécanique ; 6,5 % sont boda-boda, c’est-à-dire des taxis avec des motocyclettes ; 6,5 % sont enseignants ; 6,5 % sont ingénieurs (encore en activité ou retraités) ;
4,3 % sont commerçants en étant aussi pêcheurs ou fermiers pour certains ; 4,3 % sont maçons de façon occasionnelle selon les besoins de main d’oeuvre ; 4,3 % ont des métiers avec la gérance ou
l’administration ; 4,3 % n’ont pas d’emploi ; 2 % ont une activité en lien avec la religion. 2 % sont vigiles.
En ce qui concerne la répartition géographique de la population d’étude, 60.8 % vivent en zone rurale et 39,2 % en zone urbaine.
Dans la population d’étude, 41 % se déclarent chrétiens, 41 % traditionnels, 8,7 % appartiennent au mouvement Legio Maria, associant chrétienté et pratiques traditionnelles.
II. RAPPORT À L’ÉDUCATION ET AU TRAVAIL
A. EDUCATION FAMILIALE ET SCOLAIRE
Les pères sont censés s’occuper de transmettre un certain nombre de valeurs aux fils, notamment concernant leurs responsabilités familiales, la nécessité de fonder une famille afin de perpétuer le nom paternel, ainsi qu’endosser le rôle de leader familial en cas de décès du père :
« Much of my time, like often in our culture, boys are given the education by the father, how to take the family responsibilities, to be concerned when they grow up. » E11
Certains Luo estiment que cet enseignement a changé, que l’intérêt des parents et grands-parents pour l’éducation des plus jeunes s’est atténué, en parallèle de la perte d’intérêt par ces mêmes enfants et adolescents pour l’éducation parentale :
« You see the grand father is teaching mostly how they should behave in the society. The grand mother is supposed to give the same message to the girls, “you should take care of yourself, you should not do this, you should not do this...” Things have changed, these old people don’t take interest in that house, not like
before. » E30
Malgré la reconnaissance ancienne des qualités physiques pour définir la masculinité, l’éducation parentale semble s’être progressivement tournée vers la valorisation de métiers plus intellectuels, ou en tout cas nécessitant un niveau d’études plus important. La vision de ce qui était un signe de masculinité et la division marquée entre les rôles féminins et masculins semblent s’être modifiées, du fait de l’accès à l’éducation :
« But when we look at how things change, as this people don’t go to work physically, so there is not much about men being a warrior, they defend the family, they are believed to be the strongest. So there is a little change, because of the education. » E11
On voit que chez les patients interrogés les plus jeunes, l’éducation scolaire représente à présent une source de reconnaissance sociale. Chez eux, la sexualité est associée au mariage, lui-même associé à la paternité et ce projet de vie n’est envisageable qu’en possédant un statut financier et une situation professionnelle satisfaisants. L’éducation permet ainsi d’accéder à la paternité et comme nous le verrons, à une forme de reconnaissance sociale :
« I would like to, after finishing my school, maybe apply for a good work, then I marry, then I have children that is my plan (…) it is better to get married after education, when you have get a good job for you to get money to protect the family, the children » E31
Dans un contexte de difficultés économiques, la préoccupation de certains jeunes hommes se tourne vers l’acquisition d’une source de revenus permettant au moins la survie familiale, quitte à sacrifier cette éducation scolaire, notamment quand le support familial paternel s’affaiblit voire disparaît. En effet, la perte du support paternel rend certains jeunes hommes porteurs du fardeau économique familial :
« We lived in peace in a good way, my father died. Now, I am the remaining leader of this family (…) The money was not enough it was less than one hundred schilling. That stopped me from doing my class exam. I continued struggling to support my mother by going fishing. » E27
Ainsi, la situation se complique pour les jeunes hommes forcés d’assurer ce rôle de leader précocement, conduisant à sacrifier une éducation scolaire de plus en plus reconnue socialement et promettant l’accès à un travail rémunérateur, ce qui s’avère être rare dans cette région. Cela les conduit à se rediriger vers des métiers physiques, moins valorisés et moins rémunérateurs.
En étudiant la population interrogée, les participants qui accèdent le plus à des études longues et par la suite à un métier en lien avec leurs études rapportent une éducation religieuse ou un discours très imprégné de la thématique chrétienne. On observe une tendance contraire chez les hommes ayant des métiers physiques, agricoles par exemple, qui rapportent une éducation familiale traditionnelle. Ces discours avec une connotation religieuse ont trait notamment à une limitation volontaire du nombre d’enfants. En effet, cela permet selon certains d’accéder à un revenu plus important, qui pourrait assurer une éducation scolaire plus prolongée pour eux ou leurs enfants. Pour beaucoup, le respect des traditions luo rend l’éducation de ses enfants impossible à assurer, notamment l’éducation scolaire :
« That is the Christianity, so when people perceive this and live the Christian way, many men at these days said “I can see that polygamy decreasing” (…) maybe the Luo men they tend to be polygamous, it is like they are feeling that it was also a sign of wealth before (…) you are even more wealthier so people used to compete for having many women and many children. And now it is a problem because you can see the flour is two hundred, one cage of sugar is two hundred, now what to think if you have 40 children, it is stress, it is more hassle. » E44
B. RAPPORT AU TRAVAIL
De l’avis des hommes rencontrés, l’accès au travail est limité dans la province de Nyanza. Les métiers les plus représentés sont les métiers agricoles, liés à la pêche et au commerce. Les métiers nécessitant plus d’années d’études, comme le travail d’ingénieur ou de professeur, sont limités. Les occasions de trouver un emploi sont peu nombreuses, ainsi l’accès à l’université ou à une formation prolongée n’est en aucun cas l’assurance de trouver un emploi dans la région.
Malgré la modification de l’éducation des jeunes hommes et de l’accès au travail ainsi que l’importance prise par l’éducation scolaire dans le statut social, une chose semble n’avoir pas changé, c’est le sentiment quasi constant chez les hommes rencontrés d’être responsables de la survie et du bien-être familial.
La difficulté d’accès au travail, peut entraîner un report de projets comme le mariage, lui-même associé à la paternité. En effet, le mariage et la paternité nécessitent un apport économique suffisant :
« I was planning for mechanics but I can’t go because of the financial problems. So I am still waiting and I can’t marry right now. Because for marriage I have to spend more money, provide for her, build a house… » E28
C. EDUCATION SEXUELLE
On enseigne aux filles à l’adolescence la valeur de la virginité, principalement la valeur morale, celle-ci représentant une fierté familiale. Hormis cette valeur morale, la virginité est aussi l’assurance d’accéder à une dot plus élevée au mariage. La transmission de ces valeurs tend à changer, et la virginité n’est pas aussi défendue que dans le passé. Pourtant, plusieurs hommes rapportent prôner celle-ci auprès de leurs enfants:
« You know the values of African cultures, the values that are still much respected like, when a girl is married with her virginity, it is pride to the parents and the community, though today you find a break of those values. But we still teach them about the importance of those values. » E7
La virginité des jeunes hommes est défendue pour des raisons différentes, surtout afin de s’assurer du suivi d’une formation scolaire prolongée, qui serait menacée par le début précoce d’une vie sexuelle :
« They believed too that having premarital relationship would ruin your future in term of concentration in your studies, you are diverted, so that is the reason they wanted us to focus on one thing, so if it was school, just school and they advised that it is not bad to have a relationship but after you achieved your education. » E7
Les garçons semblent actuellement bénéficier d’un laxisme relatif quant au contrôle de leur sexualité, celle-ci étant mieux connue, plus acceptée. Lorsque le sujet de la sexualité des jeunes est abordé, celui-ci est souvent traité du point de vue de la précocité de la sexualité des jeunes filles et de ses explications socio-économiques.
Dans le passé et encore de nos jours de façon bien moins importante, l’éducation des enfants se faisait par l’affirmation d’interdits en lien avec la relation aux parents, notamment celle entre pères et fils. L’enfant était ainsi menacé d’apporter une malédiction sur la famille en cas de transgression de règles comportementales. Ces règles concernent les comportements sexuels, d’autres régissent les relations familiales quotidiennes. Ces interdits et recommandations traditionnels semblent, selon les enquêtés, s’appliquer particulièrement aux hommes. Ainsi, un conflit familial entre parents et enfants risquait d’entraîner une malédiction sur le domicile familial : entre autres risques, il y avait menace de malédiction envers toute installation ultérieure d’un membre de la famille sur le terrain familial. Cette malédiction porte un nom, il s’agit de Chira, et touche les individus qui ne respectent pas les règles comportementales imposées par la société luo. Chira se manifeste principalement par un amaigrissement et conduit finalement au décès. La menace de Chira semble agir comme un moyen de contrôle moral de la sexualité en dictant aux jeunes les comportements, notamment sexuels, qu’ils peuvent ou non adopter :
« Chira is when one do a taboo, which is not accepted in the society, or it was something which was not supposed to be done according to our traditions (…) Even the prostitution, one is not supposed to have sex intercourse with somebody who is not his wife. They could tell you “he has Chira”, so it was a form of teaching. » E11
Lorsque le sujet est abordé, les comportements masculins sont mis en avant pour expliquer la survenue de la malédiction Chira.
Ces croyances ont eu tendance a progressivement disparaître d’une génération à l’autre. Et la menace que représentait Chira en cas de transgression de certaines règles tend à être mise en doute de nos jours et a pour certains été remplacée par une autre menace, celle du VIH :
« Before you could cheat somebody that “you have Chira”, but he had AIDS. HIV and Chira are two different thing. HIV is AIDS and Chira is a traditional family disease. » E27
Les valeurs chrétiennes ainsi que le discours biomédical sur le VIH ont eu tendance à supplanter voire condamner les croyances traditionnelles luo, qui représentaient peut être un moyen de contrôle des comportements. Ainsi, observe-t-on un remplacement du discours éducatif et préventif traditionnel par plusieurs sources de connaissances : scolaire, religieuse et biomédicale, véhiculant des idées différentes :
« They are unsaved. Those who are not saved talk about Chira, but with the saved we have not
talked about it, we don’t build our faith on it (…) When has it changed? After the teaching. By the
Community Health Worker, in the community, and the health educator. » E38
A l’école, un message relativement redondant semble être dispensé. L’abstinence jusqu’au mariage est recommandée avec force, et l’utilisation du préservatif, mise au second plan, serait à utiliser si les rapports sexuels sont « nécessaires ». En plus d’être assez ambigus sur ce qui détermine qu’un rapport devient nécessaire, les hommes rapportant ces messages ne semblent pas cerner les motivations des plus jeunes à avoir des rapports sexuels, estimant que c’est majoritairement la pression des pairs qui entraîne l’adoption de ce type de comportements :
« I told them about the need to hmm… to be… to avoid sex… Avoid it completely. We call it abstinence.
Because they are still pupils. So they should not think about sex at their age… we teach them
ways of protecting themselves from STI (sexually transmissible infection), one of them is abstinence,
another one is the use of condoms, if it (sex) is necessary. » E7
L’enseignement prodigué aux filles à propos du préservatif est perçu comme contradictoire avec l’enseignement de la valeur de la virginité. Alors que chez les garçons, ces messages coexistent plus volontiers, confirmant l’idée que la sexualité des jeunes filles tend à être limitée et celle des jeunes garçons plus acceptée. Le message concernant le préservatif est parfois occulté, ou souvent réservé aux seuls garçons :
« I teach boys how to use condoms. And girls ? Yes but it is mostly the boys who use the condoms, in fact we demonstrate them openly how it is supposed to be use and the rest. To the boys. » E30
Les garçons portent alors seuls la responsabilité de l’utilisation du préservatif :
« Only the man we propose. Every woman I have met I didn’t see them propose I don’t know why (…) According to me I always have to propose. It is the responsibility of men. » E37
On observe certains hommes en difficulté, rapportant une négociation de l’utilisation du préservatif et se confrontant à un refus voire une incompréhension de la part de leurs partenaires féminines, comme dans ce cas :
« She didn’t want to use condom and she hate the condom, I could not even find them in the house (…) Where I put them in the box in the house, I could not find them. Even the box I could not get (…) I asked her “why you don’t want to use condom” then she spoke a word: “those ones are for dogs !” Maybe this is just to stop me, to ask no more questions. » E19
D. IMPACT DE L’ÉDUCATION SUR LES COMPORTEMENTS
Il semble exister deux « écoles » en ce qui concerne l’impact de l’éducation sur les comportements. Les patients les plus vieux qui ont eu une éducation sexuelle avant le début de l’épidémie VIH, qu’ils aient reçu une éducation traditionnelle ou religieuse chrétienne, semblent avoir eu une sexualité avant le mariage plus importante que les plus jeunes et possiblement plus à risque. Chez les personnes les plus jeunes, cela semble dépendre du type de message préventif reçu. Le message basé sur l’abstinence et le préservatif semble plus efficient. Chez les plus jeunes, le préservatif représente une alternative lorsque l’abstinence n’est pas envisagée. Le message basé sur l’abstinence seule, qu’il soit dispensé par des institutions religieuses, scolaires ou par l’environnement familial semble moins suivi. Enfin, le message médical semble avoir le plus de poids.
III. RELATIONS AUX FEMMES ET À LA PATERNITÉ
A. VISION DE LA SEXUALITÉ AVANT LE MARIAGE
A chaque « étape » de la vie masculine, même s’il existe une variabilité inter-individuelle, il semble qu’intervienne en arrière-plan la valorisation de la réputation, celle-ci semblant souvent conditionner l’adoption de tel ou tel comportement : ainsi, l’éducation et l’accès à un statut valorisé socialement sont capitaux, et cela représente une préoccupation importante et un sujet de discussion central.
On remarque que chez les jeunes garçons, la sexualité et la multiplicité des partenaires sont particulièrement valorisées, ainsi que la capacité à entretenir ce genre de relations. Il existe une pression des pairs à cet âge-là encourageant à débuter sa vie sexuelle le plus tôt possible. Celle-ci est associée à la réputation car étroitement liée pour certains à la masculinité même. Ainsi, être un « homme » est associé à cette sexualité précoce, à l’origine parfois d’une compétition sexuelle entre adolescents.
Cette pression n’est pas, chez les hommes interrogés, réservée à une classe sociale particulière, et semble s’exercer à l’école comme à l’extérieur, ainsi que dans certains milieux professionnels.
« In the past we used to talk about girls (…) competitions about how many girls we can have again, if we can seduce, if you can seduce girls and things like that (…) when you abstain, somehow young fellows see you as somebody who is a coward (…) So that’s where you are sure that you are men, capable of that. » E37
Certains rejettent ces comportements au moment de la prise de conscience du VIH. Certains vont sacrifier ou modifier leurs relations sociales afin d’éviter cette pression et ce type de comportements:
« I could have such character if I would have interacted like them. You can be involved under pressure, if you are close to them, you listen to their conversation and you will be lured to get into these acts (…) That is why I am not close to women (...) I don’t like it that is why I don’t have friends. » E15
Rejetant la sexualité comme unique moyen de reconnaissance sociale, d’autres vont trouver un moyen de contourner ce problème de réputation sans modifier leurs relations sociales, valorisant d’autres comportements, et évitant les situations risquant de les engager dans une sexualité trop précoce :
« I was respected at school because I am a celebrity at school (…) Some have sex just because of the pressure (…) But sometimes it is fashion to be virgin (...) what I’ve come to realize, they wait for boys to come to ask. But no, when she comes and sometimes we meet, I come up differently she cannot even think of it. » E20
B. ENTRÉE DANS LE MARIAGE
Alors qu’étant plus jeunes, les discussions et préoccupations vont plus vers l’accomplissement d’une sexualité compétitive, il arrive un âge où la reconnaissance des autres, le sentiment d’accomplissement personnel ou encore la masculinité passent par le mariage, lui-même associé à la paternité. Cette pression ne survient pas, de manière générale, au même moment de la vie des hommes, mais beaucoup la situent entre 20 et 25 ans, et certains adolescents planifient leur mariage vers cet âge-là. Ainsi, on peut voir un jeune homme ayant eu plusieurs partenaires dans le passé subir la pression de ses amis pour entrer dans le mariage et adapter son comportement sexuel et relationnel. Son sentiment d’incapacité à assumer une relation maritale le pousse cependant à retarder celle-ci, à contourner le problème :
« You know a lot of my friends, they use to tell me , “why don’t you marry?” (…) Them they are married (…) They only want me to get married. You know when you are a boy from age twenty to twenty-five you need to be married (…) According to them, it is important. But to me, you can’t get married if there is no mean to provide for her. To be a man you have to get married in the community. No even it is not a shame, but you are someone neglected, that you are not a man, such thing like you are mad… » E28
Certains hommes rejettent cette pression, mais ce rejet est souvent partiel, ou temporaire, ces hommes trouvant des alternatives, des moyens de satisfaire les volontés communautaires et personnelles, en montrant un investissement dans une relation unique, comme moyen de se prémunir du regard des autres.
« So they tell me “are you afraid?” “no I am not afraid, I have a girlfriend you know” (…) I already told her, I didn’t propose but I just tell her “now I am not ready to marriage but if you can wait for me two or three years to come”… » E28
Malgré le rejet formel du mariage par certains individus, la pression est parfois trop forte, notamment du fait de l’importance personnelle accordée à la filiation et la perpétuation du nom paternel. Cette valeur est par ailleurs transmise indirectement par l’éducation, qu’elle soit traditionnelle ou religieuse. Par exemple, cet homme, séparé de sa première compagne, refuse initialement de se remarier. Mais étant issu d’un milieu traditionnel, il subit la pression de la communauté de façon indirecte pour devenir père. Converti récemment à la chrétienté, on observe dans le même temps que sont mis en jeu des principes religieux, qui le poussent à inscrire cette paternité dans le mariage qu’il avait rejeté initialement :
« The perception which I have, sincerely, if it were that women are not to be married to give birth and give the family to continue, it is better for one to stay alone, to be unmarried (…) When I see my friends around, they had family, but I did not have family so that notion forced me to get another wife to live with, to have continuity in my family I should also have children, to have someone to be…to live behind me. » E8
Les personnes qui rapportent une pression vers le mariage de la part de l’entourage amical ou familial, voire de la communauté, sont le plus souvent issues d’un milieu rural et traditionnel. Ces personnes-là semblent pratiquer des métiers moins rémunérés, plus incertains, et plus en lien avec l’agriculture notamment, ou nécessitant un niveau d’étude inférieur. Les personnes issues d’autres milieux et porteuses d’un discours religieux ont tendance à expliquer leur entrée dans le mariage pour des motifs personnels : économiques, sanitaires, ou spirituels. Les personnes ayant eu accès à l’éducation la plus avancée, n’évoquent pas cette pression, n’évoquent pas l’importance familiale de perpétuer le nom paternel, ou la nécessité de se marier pour permettre aux frères cadets de se marier à leurs tours (l’ordre d’ancienneté devant être respecté). Par ailleurs, le fait de subir cette pression de l’entourage ne semble pas cependant avoir de lien avec l’âge. Les hommes les plus jeunes comme les plus âgés décrivent cette pression.
C. VIE MARITALE
De l’avis des hommes interrogés, leurs préoccupations se sont modifiées au moment de leur mariage. Les discussions changent et l’intérêt semble moins tourné vers les relations aux femmes. Elles sont plutôt tournées vers la capacité à assurer le bien-être familial, et particulièrement celui de leurs enfants, par l’acquisition d’une source de revenu stable et satisfaisante. Comme évoqué plus haut, les responsabilités familiales considérées comme plutôt masculines sont intégrées dès le plus jeune âge. Beaucoup d’hommes interrogés décrivent leur rôle de pilier économique familial :
« Of course there are differences. One even that I have a family now I have more responsibilities that I have to do (…) I have a role to play with my family. I take care of my family that is the role. I see how they can feed how I can get some money to take children to school » E2
Traditionnellement, les femmes qui n’assureraient pas le rôle attribué par la société et le comportement voulu par le mari pourraient être, non pas exclues du domicile mais «associées» à une autre femme, faisant entrer le couple dans une relation polygame.
« But today, population has grown, you don’t have that vast land to keep the cattle so it is not really valued today but depending on individual circumstance, you can be forced to be polygamous, maybe if you don’t have peace in your family, with your first wife, or maybe she ran away. » E7
De plus, il est souvent dit que la polygamie était considérée comme un signe de richesse, car montrant la capacité à assurer financièrement la charge représentée par l’entretien de nombreuses relations maritales.
« I don’t know how our traditions, if you have many women you are wealthier, if you have many children, you are even more wealthier (…) You will be considered in African culture then, traditionally if you have many women and children, to be somebody… » E44
Cette pratique est remise en cause en raison des difficultés économiques actuelles et de la condamnation morale de cette pratique, par les institutions religieuses, gouvernementales ou humanitaires, dans le contexte du VIH notamment :
« I can say things have changed, because we realized previously, men used to have 4-5-6 wives, but off late and because of the economic situation, getting some boys with two (wives) is a problem. And you see the problem of having many wives, they are more at risk than one wife, maybe things have been a problem. » E30
D. RÉPUTATION ET LIEN AVEC LA COMMUNAUTÉ
La notion de respectabilité intervient en parallèle de la notion de responsabilité. Nous avons vu la pression sociale sur les jeunes hommes pour avoir des rapports sexuels, puis la pression sociale et auto-imposée pour l’entrée dans le mariage. Là, la pression est exercée par le regard des autres et le respect des pairs est conditionné par la capacité à assurer son devoir familial, seul :
« In my family, my community, people, not like those who are rich, when you are poor they enjoy, because now you cannot have earning and living and you depend on others, but when you provide for yourself, they respect you. » E34
Les hommes qui ne sont pas capables d’assurer ces besoins familiaux s’exposent donc à la perte de la réputation, surtout s’ils demandent de l’aide, qu’elle soit familiale ou communautaire. Les hommes sont ainsi considérés comme garants du soutien économique familial. Cette idée semble partagée aussi bien par les hommes que par les femmes.
E. PATERNITÉ
Le lien entre le respect et la paternité est encore très fort. La paternité est un événement majeur de la vie masculine dans cette population, source de bonheur individuel mais aussi de reconnaissance par les pairs et d’intégration dans la société. Au contraire, les couples qui n’arriveraient pas à concevoir ou les célibataires atteignant un certain âge, souffrent d’un certain degré d’exclusion :
« In the area I don’t now have shame that I did not have children. Shame not to have children? You are not respected when you are not married and you have no children but your age mates have family and children. So you will not have respect. To be a man you need a family. The other responsibility or resource that you are a man: if you have a woman and then has not given birth to a child then you make her pregnant then she has a baby. » E40
Nous voyons que pour certains, la paternité s’inscrit dans le mariage et jamais en dehors. L’absence de mariage équivaut à l’absence de paternité. Cette paternité est pourtant mise à mal par le contexte économique et comme nous le verrons plus tard par le contexte sanitaire. La paternité, source d’accomplissement personnel et de respect de la part de la communauté est de nos jours reconsidérée non dans son fondement mais dans sa configuration. Les Luo s’accordent à dire qu’un nombre d’enfants important dans un foyer, de plusieurs femmes différentes, représentait traditionnellement un signe de richesse et de masculinité. Mais on observe une modification de cette vision, et un rejet de certaines pratiques façonnant la masculinité dans cette société :
« And now it is a problem because you can see the flour is two hundred, on cage of sugar is two hundred, now what to think if you have 40 children, it is stress, it is more hassle » E44
Les difficultés économiques conduisent à différents comportements afin de s’y adapter. De la volonté de multiplier les naissances quand les enfants représentent une main d’oeuvre ou un investissement économique à long terme, à celle de contrôler les naissances permettant de limiter les dépenses associées à la paternité. De plus, on retrouve à nouveau un rejet de cette masculinité traditionnelle ou en tout cas des pratiques classiques au profit de l’image d’un homme qui garde le contrôle de sa vie, sexuelle, familiale, économique, indépendamment de la communauté et qui assure les besoins économiques, scolaires, sanitaires de ses enfants :
« I wanted to have three. But now my income has not reached the level I expected (…) I want to have children but my income cannot allow me (…) One of the challenges is to have food for the family, the woman has to be dressed well, the child also has to be dressed well (…) It is not a threat to my life and it does not affect my reputation in the community because I know what I do. » E21
F. RELATIONS AUX FEMMES ET À L’ARGENT
Quelles que soient les relations aux femmes, il existe un lien avec l’argent. Ces relations vont de la prostitution au mariage en passant par des rencontres occasionnelles ou des relations plus stables mais non maritales. Ce lien est surtout mentionné par les hommes les plus jeunes, pour qui l’argent est obligatoire quelle que soit la femme rencontrée et le type de relation entretenue. Il existe une hiérarchie dans les responsabilités que les hommes pensent devoir assurer en fonction des femmes rencontrées et de ce qu’ils attendent de ces relations. Ainsi, la prostitution, qui par définition possède un lien à l’argent, ne représente pas un investissement financier aussi important que le mariage par exemple. Il existe ensuite les rencontres occasionnelles qui pour ces hommes jeunes représentent automatiquement une charge financière afin d’assurer l’achat de cadeaux par exemple, pour la séduction :
« You can also give a girlfriend a gift, it is not easy to give money when I don’t know how the money is going to be used, but the money I have, after time, I can spend them on. » E22
Avant d’entrer dans le mariage, un homme doit être capable d’assurer cette responsabilité financière, principe inculqué dès le plus jeune âge. Ainsi, doit-il fournir à sa compagne actuelle ou future ou bien à la famille de cette dernière un bagage financier. Après avoir payé la dot à ses beaux-parents, l’argent gagné est investi dans la relation maritale à proprement parler mais il existe toujours cette notion de responsabilité masculine :
« There was a change when I worked before I married; my girlfriend was the lady I used to be close to, so I gave her money, she used to give to her parents. Since we are married the money we have, we spend in our house, to upkeep us » E15
Ce lien à l’argent n’a, semble-t-il, pas toujours existé. Cet homme rapporte que son observation de la société actuelle ne correspond pas à ce que lui a vécu au même endroit, dans sa jeunesse. Les rapports aux femmes auraient ainsi changé, étant de nos jours plus liés à l’argent qu’autrefois. Certains hommes plus âgés ont tendance à rapprocher ce lien actuel avec l’argent de la notion de prostitution, sans distinction, quelle que soit la nature de la relation.
« During that time there was no use of money as it is right now that women I give them money. Right now they give money to women. You might have a lady and you talk with and after short time she observes how much you have in your pocket and then she goes with you and that is why people have to go testing so much because you don’t know the lady that you have contact with is well or not (…) I have been a watchman up to the bar and I have experienced how prostitutes behave. » E29
Pourtant, lors des interviews, il semble exister plusieurs facettes de ces liens, entre sexe et argent, entre relations amoureuses et argent, entre mariage et argent. Pour certains, ce recours à la prostitution chez les jeunes femmes est un moyen de se procurer les biens nécessaires ou les moyens de poursuivre leur éducation scolaire par exemple :
« For example, there is a problem even in university right now where they pay a lot of money, girls cannot raise because education at the university is payful and also what they need. So you may find a girl may have a boyfriend or what you can call a “sugar daddy”, so they may lure the young girls because they have a lot of money, or a lot of thing, and definitely this is prostitution. You know girls are more vulnerable, and also very weak when they are not properly cared for. » E11
Le report du mariage quelle qu’en soit la raison, expose les hommes, selon eux, à la perte de cette relation. Celle-ci serait menacée par d’autres hommes, plus aisés ou plus enclins à subvenir à ces besoins financiers féminins :
« Because for marriage I have to spend more money, provide for her, build a house … No, maybe this credits… “send me credits”… to go out. Well, girls always say yes but she has another plan... Yes, she could meet other men, you know… women love money » E28
L’association de l’idée de prostitution aux relations basées sur l’argent, quelles que soient leurs modalités, ainsi que tout ce que cela implique en terme de jugement moral, semblent plus présents chez les hommes les plus âgés. Ces derniers soulignent, comme mentionné plus haut, la différence avec leur époque, et leurs anciennes relations avec les femmes. Chez les plus jeunes, le rapport à l’argent semble différent et se décliner de plusieurs manières, même si la prostitution n’est pas quelque chose d’inconnu. Les relations, qui se présentent selon diverses modalités, ont pour beaucoup un lien avec l’argent mais ce lien semble autant quelque chose d’auto-imposé que de réclamé par les femmes. On remarque que les hommes évoquant ce lien à l’argent lors de leur relation, en particulier les relations avant le mariage, proviennent d’un milieu plus modeste et souvent traditionnel.
IV. ACCÈS AUX PREMIÈRES INFORMATIONS ET PRISE DE CONSCIENCE DU VIH
A. ACCÈS AUX INFORMATIONS SUR LE VIH
1. Les médias
L’accès aux informations sur le VIH chez les hommes interrogés se fait de différentes manières. Premièrement, beaucoup d’hommes accèdent à ces informations par les médias. Ressortent ainsi la consultation de journaux, de livres concernant le VIH et plus fréquemment l’écoute de la radio. La radio semble représenter une source d’informations importante que ce soit pour la découverte du VIH ou l’accès aux informations complémentaires sur le VIH. Les hommes qui rapportent ce mode de découverte du VIH ne semblent pas se différencier par leurs origines urbaine ou rurale, ni par leur âge (même si la plupart sont nés aux alentours des années 70), ou leur confession religieuse.
Ceux qui décrivent un accès aux articles scientifiques, à la radio, aux livres semblent avoir eu accès à un niveau d’étude plus élevé. Les hommes les plus âgés décrivent plus souvent l’accès aux informations par le biais de médias en général. Ceux provenant d’un milieu rural rapportent plus la consultation de livres en lien avec le VIH par exemple mais non par la radio.
2. Informations par l’école
Une autre source d’informations sur le VIH est l’école. Il ne s’agit pas d’une source d’informations majeure pour les hommes interrogés. Les hommes décrivant un accès à l’information par l’école sont parmi les plus jeunes, nés aux alentours des années 1980. En effet l’école transmet aux plus jeunes beaucoup d’informations en lien avec la sexualité. Est-elle pour autant de manière dominante le premier contact avec le VIH ? Il ne semble pas.
3. Informations par les campagnes de soins communautaires
Une autre partie des hommes interrogés estime avoir pris connaissance du VIH par les interventions des institutions médicales ou gouvernementales. Ceux-là sont peu nombreux. D’autres ont eu cette connaissance première du VIH par l’intermédiaire de discussions avec l’entourage notamment familial, ou avec des membres de la communauté, ou encore certains déclarent avoir « entendu parler» du VIH autour d’eux. Cette dernière méthode d’apprentissage est l’une des plus répandues. On observe qu’elle est plutôt propre aux hommes de milieux ruraux, sans influence religieuse chrétienne, qui affirment perpétuer des traditions luo.
4. Informations par contact direct avec la maladie
Une partie importante des hommes rapporte avoir vécu le début de l’épidémie du VIH en étant témoins de sa rapidité d’expansion, de la gravité des symptômes une fois l’infection déclarée et de son taux important de mortalité. Le contact avec la maladie s’est fait avec plus ou moins de proximité : vision de proches atteints, vision d’autres individus atteints par le VIH ou de corps de patients morts du SIDA. Pour la quasi majorité de ces hommes-là, ces visions d’horreur semblent avoir entraîné une conscience du problème posé par le VIH plus aigüe que chez le reste des hommes interrogés. Ainsi datent-ils plus fréquemment leur prise de conscience, la remise en question de leurs pratiques et comportements et/ou leurs comportements de recherche de test au moment même de leur premier contact avec la maladie :
« In 1989 when I saw HIV positive patients with the rashes on the body, thin person (…) During that time when you see somebody like that who is HIV and AIDS when you go to the hospital, the way he looked, and then to know that is how every patient look like it is terrible…it was terrible to me (…) I was afraid to have any other sexual intercourse and partners and that is why in my life even now I don’t have any other partner. So I don’t get HIV. » E3
B. PRISE DE CONSCIENCE DU VIH
1. Processus de prise de conscience
Lorsque l’on examine les expériences conduisant à une prise de conscience du VIH, celles-ci sont tout aussi variées que lors de l’accès aux premières informations, mais leur répartition dans la population rencontrée est bien moins homogène.
a) Prise de conscience progressive
La plupart des entretiens suggèrent que la prise de conscience a été un processus progressif, le premier contact agissant comme simple information sur le VIH sans impact psychologique majeur. Un deuxième contact différent, par une autre source d’informations, agit alors comme preuve de la véracité de la première information, souvent mise en doute au départ.
Ceux qui n’ont pas observé les effets du VIH sur l’être humain et ceux possédant des préjugés sur l’origine du virus, ou sur les populations atteintes par la maladie, ont pu rejeter l’idée de l’existence du VIH ou de leur propre vulnérabilité au VIH :
« I had just the belief that it was for other people. I did not imagine it could come to me because I had my wife and that woman. So I think I was just cheated (…) that it is not around here, it is far away. Yet I was right living in the infection (…) Yes I was aware it was there (…) Prostitutes in the bar, I thought, but it was for everybody. » E7
Le processus de prise de conscience semble chez eux alors le fruit d’une plus longue maturation, d’une plus grande exposition à des signes prouvant que l’épidémie est bien présente autour d’eux, par les contacts successifs à différentes sources : l’école, les médias, les interventions communautaires, les journaux. Après avoir parfois mis en doute l’existence même de la maladie décrite par la radio ou des intervenants extérieurs, certains hommes sont forcés de reconnaître sa réalité une fois découverte l’existence de patients séropositifs dans leur entourage :
« I used to hear in the announcement before I saw anyone infected in the village. I heard one of the man or the ladies was infected. So this one, it was the proof that it exists. » E1
b) Prise de conscience brutale
La découverte du VIH par le biais d’un enseignement scolaire, de discussions familiales ou d’interventions communautaires en lien avec le VIH (tout particulièrement à l’heure où la légitimité de ces 41 institutions est contestée par les jeunes générations) semble ne pas avoir d’impact immédiat sur les comportements ultérieurs, mais constitue uniquement un premier contact avec la maladie. Au contraire, ceux qui l’ont vécu au plus près en sont ressortis plus affectés et plus déterminés à y faire face. Nous avons remarqué qu’une proportion importante des personnes interrogées date leurs réelles prises de conscience du VIH (comme une maladie bien présente dans leur entourage ou par une reconnaissance de leur propre vulnérabilité) lors de la vision des effets de la maladie sur le corps humain.
Ce mode de contact avec la maladie est rapporté quels que soient le milieu socio-professionnel d’origine, la confession chrétienne ou le traditionalisme. Les plus âgés le rapportent plus fréquemment.
c) Prise de conscience au diagnostic
Un nombre important d’hommes se démarque par une prise de conscience lors de leurs propres diagnostics de séropositivité. Les patients décrivant cette prise de conscience « tardive » ont reçu principalement des informations provenant de discussions avec l’entourage familial ou communautaire. Chez eux, on observe parfois une tendance à considérer l’épidémie comme lointaine, et l’observation de patients malades n’est pas forcément mise en lien avec le VIH :
« In the 1990s (…) Some who went to work in town died and when the bodies was brought home, they were wrapped in polythene so we were told that the disease killed them, that we could not touch them (…) So you did not fear HIV? Because it had not been affected in my family (…) It was not a rural problem (…) I did not have faith that I could be infected (…) I thought it was just a simple thing, a disease which was not common in the rural area. » E38
2. Impact comportemental de la prise de conscience
L’impact de la prise de conscience va se faire à plusieurs niveaux. Les hommes vont se diriger vers le test, vont arrêter ou diminuer leur sexualité, ou la modifier, notamment en adoptant une protection mécanique. Ces attitudes sont modulées en fonction de différents facteurs.
a) Caractère progressif ou brutal de la prise de conscience
Il y a prise de conscience brutale lorsque les effets du VIH sur les patients séropositifs n’étaient pas connus. Dans ce cas, le comportement qui en résulte ultérieurement se tourne plutôt, dans un premier temps, vers une modification radicale de la sexualité.
Lorsque la prise de conscience est plus progressive, les hommes ont eu par la suite des comportements préventifs plus variés. La plupart se sont tournés vers le test en association avec une autre mesure préventive. Beaucoup ont adapté leur sexualité, mais de façon moins restrictive que dans le premier groupe, c’est-à-dire en la protégeant plus qu’en la stoppant ou la diminuant.
La répétition des messages préventifs semble avoir un effet à plus long terme sur les comportements. Elle semble témoigner de la réalité de l’épidémie VIH et de la véracité de ses effets. Dès lors, le moment de la prise de conscience est associé à une connaissance meilleure des moyens à mettre en œuvre pour éviter une contamination. L’analyse de l’impact des informations délivrées par l’école et par l’intermédiaire de l’entourage ou lors des interventions communautaires, lorsque la prise de conscience se fait à ce moment, montre le même type de résultats : une utilisation de la protection mécanique pour la plupart des hommes, sans arrêt ou modification de la sexualité. Cependant, la poursuite des entretiens montre une utilisation de cette protection variable avec le temps, en tension avec le désir de paternité, celle-ci étant associée au mariage. Le mariage est parfois tenu pour protecteur : il devient la seule défense contre le VIH, sans recours à d’autres sécurités comme pourrait l’être un test de dépistage :
« Most of the things I continue to learn them at school (…) Like myself, to have a child is on my mind, so that is why I cannot use condoms always. The first lady I did not use condoms. » E33
b) Confession religieuse
L’utilisation de la protection mécanique se retrouve plus souvent chez ceux caractérisés par une plus grande influence religieuse et/ou ceux qui ont eu accès à une éducation plus importante. La protection semble pourtant plus ou moins suivie chez les chrétiens. Chez ces derniers, le suivi de la protection va être remis en question par la valeur protectrice de Dieu et du mariage et le questionnement lié à l’utilisation même du préservatif.
c) Proximité avec la maladie
La vue d’un proche atteint par la maladie n’a pas le même impact que la vision «d’étrangers» atteints. Une réduction de la sexualité semble plus associée à la vision de proches atteints que celle de personnes sans liens affectifs avec l’individu concerné. Chez ceux sans lien affectif avec les patients. Le recours au test seul est lui plus fréquent chez les observateurs bénéficiant d’une certaine distance avec les malades.
d) Âge
Chez les plus âgés et ceux qui sont déjà mariés au moment de leur prise de conscience, la poursuite et le respect de l’union maritale constituent une prévention pour le futur. Les plus âgés ont tendance à se diriger tout d’abord vers la pratique du test comme assurance de leur séronégativité, faisant alors reposer leur prévention ultérieure sur la confiance en la valeur protectrice du mariage et l’arrêt de relations extraconjugales éventuelles.
Les jeunes ont surtout modifié leur sexualité initialement puis réalisé le test ensuite. Mais chez eux, tout dépend du statut marital. Chez les plus jeunes n’ayant pas débuté leur vie sexuelle, cette prise de conscience contre-indique parfois tout rapport sexuel jusqu’au mariage, ce qui constitue pour eux une protection. Chez ceux ayant déjà débuté leur vie sexuelle, la modification des comportements est plus progressive, souvent moins restrictive. Elle se dirige vers une modification de la sexualité, une adaptation plus ou moins satisfaisante en termes de risque, sans arrêt complet :
« No I didn’t stop immediately even though I had the message but I still went on but this time round I was really, really careful. I used protections, at times I was at least bit by bit abstaining (…) you see, as we were competing. As teenagers we were competing (…) but now (…) maybe if I could only have one at a time. So I had to at least abstain or have one partner. » E37
L’éducation scolaire, influente chez les plus jeunes, se concentre sur la mise en avant de l’abstinence mais aussi de l’utilisation du préservatif soit en premier recours, soit si l’abstinence n’est pas possible. Nous observons que ces recommandations sur l’abstinence peuvent ne pas être considérées comme réalistes et de ce fait être rejetées. Voici un élément d’explication qui est donné par ce jeune homme :
« As teenagers we were seeing all the older people that they want to tell us the things which are not good but they used to do it (…) we believed they used to do it so it’s like there are telling us what to do, it is hypocritical so we never heard of them actually. » E37
3. Impact négatif de la prise de conscience
Dans certains cas, la prise de conscience que l’infection au VIH est mortelle agit comme un choc mais entraîne des réactions inadaptées, dans la mesure où la peur mène à une certaine inertie dans les stratégies préventives :
« There was at time in radio “HIV is dangerous for your life”. It was advertisement through the radio. When I hear, I feel sorry because I pressed the God the world is over (…) When I go to the Bible (…) getting when the world will end so many diseases will come. I think “time has come”. Time was coming slowly, slowly we are now with thing dangerous from America that were coming here in Kenya. » E24
Ce type de réactions est observé pour la plupart des modes d’accès aux informations. Il est plus fréquent lorsque les hommes n’ont pas d’informations préalables sur le VIH, sa prévention et son dépistage et lorsque le premier contact avec la maladie est associé à la mort.
V. REPRÉSENTATIONS ET PERCEPTIONS DU RISQUE VIH
A. CATÉGORISATION DU RISQUE
Lors de l’accès aux premières informations sur le VIH et en fonction de ses modalités, il existe une tendance à faire porter la responsabilité de l’épidémie sur telle ou telle catégorie de la population. Ainsi, pour beaucoup, la religion chrétienne n’est-elle pas compatible avec la persistance de pratiques traditionnelles, car ces dernières seraient fondamentalement contraires aux principes religieux. Pourtant, nombre de personnes interrogées ne choisissent pas entre tradition et chrétienté : tout en s’affirmant chrétiennes, elles conservent des pratiques condamnées par la chrétienté. On observe un classement entre « bons » et « mauvais » chrétiens, en fonction de leur adhésion à des pratiques traditionnelles. Pour certains, les personnes ne rejetant pas ces pratiques sont de faux chrétiens, affiliés à un groupe religieux par nécessité car ils craignent les conséquences que leur « rejet » de la chrétienté pourrait avoir sur leur statut social.
« When you come from that family who are persistently not leaving the past, they want to follow the fathers request, they may not let you go so much easily. As much as they are Christians they may be Christians on Sunday or Saturday but the rest of the week they are not Christians (…) if you die the first question will be, “where do you want to be buried ?” (…) so everybody want to belong to a church. » E44
Les « faux chrétiens » qui perpétuent les traditions seraient un danger pour la population, notamment du fait du risque VIH associé à ces pratiques traditionnelles :
« And also what they fear is the public image, the public relation. Right now the level of Christianity that has led people to know that wife inheritance [L’expression wife inheritor se réfère à la pratique du lévirat, c’est à dire à l’obligation pour un homme d’épouser la femme de son frère lorsque ce dernier décède] socially it is becoming a vice. And when we are in charge the way the messages have been spread, it is like a vice. When you see it, we call him these days a terrorist. If you are called a terrorist, you are a quite vile wife inheritor so they fear those names (…) They must feel very guilty, they are called terrorist… » E44
La valeur protectrice de la religion chrétienne contre le VIH est ainsi mise en avant. Le risque VIH semble représenter un moyen de convaincre les hommes de l’intérêt de respecter des principes religieux chrétiens et de se convertir : « I preach about HIV and AIDS. We must take care of ourselves so that you may protect yourself because in the church we are not all saved there is some who come only to listen to the word of God but they are not saved so we have to tell them there is a serious disease called HIV AIDS. » E29
Que l’on parle des jeunes hommes ou des personnes plus âgées, c’est-à-dire ici entre 16 et 80 ans, il semble exister une opposition entre la sexualité des jeunes et la sexualité des personnes âgées. Cette opposition entre la sexualité des « jeunes » et celle des personnes « âgées » est très marquée dans les entretiens. Il existe une évolution de la sexualité et de ses représentations au cours de la vie de la plupart des hommes, passant d’une sexualité plus compétitive étant jeune, à une sexualité plus en lien avec la paternité en étant plus âgé. Les accusations sont réciproques : pour les personnes d’une de ces catégories, la sexualité de l’autre catégorie semble moins contrôlée, plus moralement condamnable. Selon les plus âgés, la fragilité économique des plus jeunes, les recours à la prostitution surtout féminine mais aussi masculine ou enfin l’influence des cultures occidentales seraient les explications de la sexualité à risque des jeunes :
« If they have little activities to engage them, their last resort is maybe have sex, just sleep. To get some resources, something to keep them busy, even apart from. You know when you get that money, maybe that money can also make you to start some enterprise, so if you can start some income activities, some business, that can build up in the process and will sustain you very well. » E7
Du côté des plus jeunes, le VIH est parfois perçu comme lié aux pratiques traditionnelles ou bien à une autre époque où l’épidémie semblait plus grave. Ainsi, les plus jeunes associent le VIH aux personnes plus âgées :
« We knew it but we took it as just a normal thing we knew it was the disease of older people so young people don’t realize, we knew that but as we grew we learn that it is real. » E37
Il est indéniable que les personnes interrogées ont tendance à faire un lien entre comportements à risque et appartenance à différentes catégories sociales caractérisées par l’âge, le travail, les croyances ou les pratiques sexuelles et ce lien est établi de façon assez stricte et fermée. Certains accusent les illettrés, les célibataires, ou les pêcheurs ; d’autres les Boda-Boda.
B. PERCEPTION DU RISQUE
De l’avis de certains hommes rencontrés (notamment ceux soumis aux influences chrétiennes), la population plus traditionnelle pratiquerait une sexualité plus à risque pour le VIH. Ce préjugé est basé sur l’hypothèse de pratiques sexuelles (comme la polygamie, le lévirat, les rites de purification sexuelle) qui seraient caractéristiques de cette population plus traditionnelle ou sur l’existence d’une prostitution plus répandue. Ainsi, provenir de cette catégorie de population équivaudrait à un risque d’être infecté plus important. L’idée d’une sexualité plus débridée au sein des familles traditionnelles, conduit celles-ci à craindre, conformément aux préjugés, que leurs propres pratiques sont plus à risque :
« So when I also hear that HIV was common I didn’t know in which way it can come in my life. Already I was polygamist, you don’t know how one has protection. Did you think that you could be infected by sex? I was in a polygamist relationship.” E1
«Yes I fear HIV... You know from that time when I hear... I hear that people got it through sexual I got that sexual I’m just living like my father… » E39
Cette partie de la population, plus traditionnelle, va être plus encline à se sentir vulnérable avec leur entrée dans le mariage. Leur désir de paternité ou la difficulté à user du préservatif dans le mariage rend par la suite la protection compliquée. Le mariage, n’ayant peut être pas pour eux la même valeur spirituelle, pourrait être plus fréquemment associé à un sentiment de risque. Ainsi, chez les traditionalistes, le mariage n’est pas considéré comme protecteur, au contraire parfois : « A woman has secret sin in her heart she will not tell you everything she has in her mind and she will not tell you she made love with someone (…) You know when you have not married you know what is all about you, you are sure of the movements, but when you are in a group you cannot be assured of yourself. » E1
Pourtant, les personnes chrétiennes ne rapportent pas beaucoup moins de relations amoureuses ou sexuelles avant le mariage, la conversion s’étant parfois faite après l’accomplissement d’une sexualité compétitive dans leur jeunesse. Chez eux, le sentiment de vulnérabilité lié à la sexualité antérieure au mariage semble parfois occulté, sinon complètement, au moins dans les discours.
C. SENTIMENT DE PROTECTION FACE AU VIH
Les hommes estimant n’être pas menacés par le VIH ont dans la plupart des cas une influence chrétienne marquée. L’entrée dans le mariage constituant une protection, celle-ci perdure par la suite. Pour certains, qui n’ont pas reçu cet apprentissage tôt et/ou ne respectent pas une abstinence stricte avant le mariage, l’entrée dans le mariage peut se faire notamment pour sa valeur protectrice, comme nous l’avons déjà dit :
« I thought when I married that I could not get infected because it would also stopping from having other issues out of marriage. I will depend on my wife. » E3
Le mariage constitue une protection pour certains, car limiter tout d’abord ses relations à une partenaire serait moins à risque mais aussi parce que son association à la spiritualité le rend protecteur :
« I didn’t stop walking here and there not because of HIV but because Christ came into my mind, in my life and changed my life… That has helped me. And saved me. » E29
« It was hard but you know, if the heart has no God in it, there is no protection. » E38
Certains considèrent que la foi les protège, alors que leurs connaissances auraient pu les pousser à réaliser un test avant de débuter leur vie sexuelle maritale :
« When I was at school I knew that HIV is contracted through sexual intercourse, it was my wish that God takes care of me that I get a wife who is not infected. » E35
Chez cet homme, la fidélité de sa femme est prouvée (entre autres) par son absence d’infection par le VIH avec le temps. L’utilisation du préservatif recommandée par les médecins n’a pas de sens car le préservatif ne se justifierait qu’en cas de séropositivité avérée :
« If my wife was not faithful to me we could get HIV and AIDS… so when I use my own wife without condom I don’t see any problems (…) If you are walking here and there we could have got it and we could have been using condoms by now. “ E29
Dans certains cas, le préservatif est associé à l’infidélité et au risque :
« My wife, I don’t use condoms.. Because she will think you don’t love her (…) If you use condoms, she may think you have other sex partners. » E15
Parfois, la prévention passe par l’observation des partenaires : celle-ci porte sur la présence de symptômes tout d’abord, sur le degré de confiance en l’autre. A partir de cela est appréciée l’absence de risque ou en tout cas d’un plus faible risque.
« I had to discuss about it before we go into act we discuss about it. Even testing was not there by then so we discuss and if we trust... » E2
On observe chez la sous-population aux influences chrétiennes, une plus grande tendance à observer le risque comme lié à la prostitution, aux femmes non mariées, à certaines catégories socio-professionnelles et à considérer leurs propres pratiques comme protectrices. Chez les plus traditionnels qui ne se sentent pas à risque, les connaissances du VIH semblent en général faibles et la prise de conscience tardive, au moment du diagnostic notamment.
VI. REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES DU TEST
A. REPRÉSENTATIONS DU TEST
1) Test, mariage et paternité
La prise de conscience du VIH est associée à une modification de la vision du mariage et de la paternité. Le mariage constitue souvent une protection à lui seul pour beaucoup. Pourtant, certains le rejettent du fait du VIH, d’une part parce que le mariage représenterait une source de contamination ou d’autre part parce que le mariage obligerait à réaliser un test qu’ils ne sont pas prêts à accepter.
« At times I feared to get married (…) I was afraid by then and did not have courage (…) I had to take the girl to VCT first so that we may know our status before we get married (…) That also put you power to make money to your drugs (…) You had to at least look for money to treat the sick so by the time the person dies and you, you are left poor for that fear made me at least not to get married. » E37
Comme on le voit le mariage, associé à une séropositivité, serait une charge financière et sanitaire trop lourde à porter. Ces hommes affirment ne pas pouvoir assurer dans le même temps leurs soins, ceux de leurs proches s’ils s’avèrent être séropositifs, et leurs responsabilités familiales :
« And I really feared to be HIV positive because it will prevent me from having children and getting married (…) if you are affected by HIV it is just a new lifestyle or if you don’t adhere to the rules on the recommendation of the new lifestyle. That is why I am saying the one who win the competitions is either poor or dead. » E37
La première étape consiste alors à réaliser un test pour soi-même afin de s’autoriser l’entrée dans le mariage et à adopter les mesures préventives par la suite. Ensuite, la condition pour se marier est de faire accepter le test par sa future compagne. Cet homme exprime aussi la peur du refus du test par la partenaire, les difficultés à aborder la problématique du VIH dans le couple avant le mariage, ce qui peut conduire à repousser l’union :
« To find a girl very courageous enough to let us go to VCT, to HIV testing and counselling it was very, very much hard. » E37
Il existe selon certains une plus grande facilité à se faire tester chez les personnes mariées, du fait de moindres conséquences qu’aurait une séropositivité sur les relations de couple une fois ces personnes installées dans le mariage. Sachant que leurs compagnes vont accéder de façon obligatoire au test lors de leurs hospitalisations pour les soins de maternité, il serait plus simple pour les hommes d’accepter le test :
« The unmarried ones those who are not married they fear testing but those who are married they don’t refuse. Because nowadays if a woman goes to the hospital she is supposed to be tested positive or negative so they know (…) They think also that if you have a virus you’re not supposed to marry so that is why they fear. » E41
Pour certains, un test préalable serait à l’origine du refus de l’union maritale :
« With the ladies if you say that before you get married “let us go and get tested” she might run away. » E41
Si le test de leur compagne ou d’un enfant est positif, certains se considèrent positifs d’emblée. A partir de là, le test n’est pas perçu comme nécessaire :
« I could also accept myself to be sick because if the child was born sick, so all of us are sick. That is why I did not ask for a test. » E27
En ce qui concerne la paternité, le VIH représente souvent une menace dans la mesure où un diagnostic de séropositivité empêcherait moralement ces hommes de procréer en raison du risque d’infection de la compagne et de la descendance :
« Yes, they delay testing because it will prevent them from having children. They are being told by misconceptions that “I am going to pregnant the woman, the woman is going to give birth to a child so it is better I stay alone with my HIV. I was born a man, I’ll die a man” » E41
D’autres semblent mettre ce risque de côté et il semble que l’importance de la paternité surpasse la menace que représente le VIH.
« What I know is my child is sick, even right now the child is under drugs, our life is still…hmmm… every human being wish to have a child. » E27
Il semble au total exister deux types de comportements en lien avec le test guidant la vision du mariage et de la paternité.
Dans certains cas, le mariage et la paternité sont priorisés face au test :
• Soit parce qu’une prise de risque antérieure est perçue et que le test, associé à la séropositivité, paraît empêcher l’accès au mariage et à la paternité. En effet, il y aurait risque de transmission, ou une incapacité à assurer les responsabilités inhérentes au statut de pilier familial. Le test est alors délaissé.
• Soit parce que le mariage représente une protection à un instant T, malgré parfois un sentiment de prise de risque antérieure. Le risque n’est parfois pas envisagé à nouveau après ce mariage, et la paternité est vécue librement.
Dans d’autres cas, le mariage et la paternité sont conditionnés par le risque VIH. Un mariage serait impossible sans test préalable, du fait de la nécessité de protéger la compagne ou les futurs enfants. Dans ce cas, le mariage est parfois évité, du moins retardé. Certains hommes, semblant mieux informés sur le VIH, se marient et débutent la sexualité intra-maritale à condition que les deux membres du couple connaissent leurs statuts au préalable.
2) Facteurs limitant le test
Pour certains hommes, le test n’est pas associé à un moyen de se protéger du VIH, ni assimilé à un moyen d’accéder à une prise en charge thérapeutique. La réalisation d’un test n’est pas un moyen d’améliorer la qualité de vie mais au contraire est une source de contraintes supplémentaires.
Le traitement a entraîné une acceptation plus importante du test dans la mesure où un diagnostic conduit à une prise en charge permettant de stabiliser la maladie. Le test a pris alors une autre signification et le diagnostic de séropositivité est associé à l’espoir d’une survie prolongée.
Cependant, les connaissances du traitement ne sont pas complètement généralisées et le test est toujours associé dans certains cas à la mort proche :
« Because people were saying “I’d better die without knowing my status than knowing that I am HIV and living with it, I will die faster”. This is a belief. They believe that after knowing that you got it, you have chance to die very fast but you don’t know you can stay with it. » E30
Pour ces hommes, mieux vaut vivre sans connaître sa séropositivité qu’accepter un test synonyme de mort à court terme. Ce déni n’est pas nécessairement associé à un sentiment de vulnérabilité ou à la peur de la stigmatisation qui pourrait résulter de la révélation de leurs séropositivités. Néanmoins ces motifs semblent représenter des causes de refus importantes. Il semble en outre que le refus du test soit fréquemment lié aux conséquences supposées de la séropositivité et du traitement sur la vision d’eux-mêmes, de leurs corps, de leurs capacités ou de leurs projets futurs.
« No I said it is a better that remain a secret to me (...) From today I changed, that is why I accepted the test today, because she told me if we find the virus by now when I am still strong, no one will realize that I have the virus so I will just continue with my activities, working, doing everything and I will be the one to decide where I will be taking the drugs. Just from there I decided to change my mind. » E28
Le caractère suspensif et la prise à vie du traitement semblent être aussi des facteurs limitant l’accès au test :
« The people refuse, they know there is drugs to nurse it but not to treat it. We have been told that these ARVs they are boosting immune system they are not treating. » E41
3) Test et réputation
«There is a day they came where we worked (…) everybody had a test, it is only me who remained, so I feel embarrassed, if I refuse, I will be the only one who refused for the test. So let me just test myself. From a group of people doing something and then you refuse, of course the members will say there is something… They will maybe suspect that I am infected so I just accepted and maybe I found myself forced. » E28
Chez cet homme, le processus d’acceptation du test se fait selon plusieurs séquences. Tout d’abord, on observe une pression sociale exercée par l’entourage familial et par le village. Le refus du test, proposé en présence d’autres individus dans un lieu public par exemple, pourrait en effet être assimilé à la volonté de dissimuler sa séropositivité ou de dissimuler un comportement à risque. Dans ces conditions le test est accepté, mais à contrecœur. Par la suite, faire la démarche, par soi-même, de demander un test dans une structure de soins, serait associé par le même entourage à une prise de risque et donc une suspicion forte de séropositivité, à l’origine d’une inévitable stigmatisation :
« Not afraid of having symptoms (…) now I would know I have it… but not going to the hospital and somewhere to be tested, or coming here for test me. I don’t want people to say “he has HIV AIDS, he has been affected”. » E28
En effet, une séropositivité compromettrait le statut social, le statut de pilier familial, la capacité à assurer ses responsabilités et projets personnels. Non pas en raison de la maladie elle-même, mais en raison de l’image de la prise en charge de la pathologie : elle expose aux jugements de son entourage. De plus, elle est contraignante par les traitements qu’elle impose. Ce rejet, associé à un déni d’une éventuelle séropositivité, conduit à attendre d’éventuels symptômes pour amorcer une prise en charge :
« No even the community, because when you are using the drugs, they will just find the truth (…) From there I’ll be sick, then I’ll decide what to do (…) I was afraid of taking medicine every day. I did not think of taking the drugs, I thought if I find myself with drugs, I will kill myself. » E28
Le refus et l’acceptation du test ne se basent pas sur le sentiment de risque, fort ou faible, ni sur les conséquences directes d’une éventuelle maladie, mais sur les conséquences sociales (et professionnelles dans une moindre mesure) d’une séropositivité et de la prise de traitements. Pour notre interlocuteur (E28), un message lui assurant de pouvoir accomplir ses responsabilités au mieux (ce d’autant plus qu’il n’aura pas de symptômes s’il débute un traitement tôt) et la possibilité pour lui de réaliser son suivi à distance de son lieu de résidence et de façon anonyme, le poussent à accepter le test.
Les préjugés à l’encontre de certaines catégories d’actifs entraînent déjà une première stigmatisation. Celle-ci pourrait susciter une méfiance vis-à-vis du test ou l’adoption de stratégies pour se faire tester sans risque : en recherchant un test loin du domicile ou du lieu de travail, leur activité économique étant liée à leur réputation :
« They say that motorbikers are at risk to get infected by HIV (…) Some are afraid, some go for testing at night or very far away from here (…) Because when you are a motorbike rider, a lot of people know you and they meet a lot of people. That is why they don’t want to be tested. » E22
4) Banalisation du VIH
Le VIH est parfois perçu comme une maladie banale, au même niveau que d’autres IST ou d’autres pathologies présentes dans la région, comme le paludisme. Dans certains cas, elle est même perçue comme secondaire :
« But now community don’t perceive it as a killer because there is some drugs that you may swallow. So it is something taken under control, so this time we normally talk of other killers like cancer or malaria (…) People don’t fear it more or so because stigmatization is down. » E2
L’existence d’un traitement pour une affection connue pour être silencieuse, mais dont la nature mortelle, elle, n’est pas connue, facilite dans certains cas la réalisation du test :
« I did not know my life was at risk… I did not know that my life was at risk, but I wanted to know my conditions, to see if I can start drug… » E9
5) Remise en question du risque et test
Il existe une interprétation erronée du message préventif médical ou une erreur de transmission de ce message. Le discours médical est utilisé afin de minimiser la sensation de vulnérabilité. Premièrement, l’absence de symptômes montrerait l’absence d’infection, sentiment renforcé par l’existence prouvée par le corps médical de couples sérodiscordants. Deuxièmement, l’absence de plaie génitale exclurait la possibilité de transmission du VIH. Ainsi observe-t-on un retard important à la prise en charge qui ne se fera que lorsque les symptômes seront apparus et qu’une certaine pression extérieure aura été exercée.
Chez cet homme, la nécessité du test est niée malgré la séropositivité de sa compagne. Etant prêtre de son église et sa réputation étant menacée par un éventuel test positif, il semble exister un processus de négociation et de mise en balance du risque :
« There is a teaching that you can find that one partner is positive and the other partner is negative. So I thought I was negative and she was positive… Yes, and even sometimes they say there was false results, that there is machine that could not detect the virus. That is why I did not have a test, because I did not have any symptoms, and I feared the test (…) We have been educated that you can have sex but if there is no wounds on your private part no cut so there is no entry point for HIV/AIDS so that is a possibility to come off it » E38
6) Test comme démarche individuelle. Influence féminine
On observe une influence variable du discours féminin sur la démarche de test. On a observé un rôle important des femmes en général dans l’accès de leurs proches au test. Cette démarche des femmes est soit directe, soit indirecte. Elle donne lieu à une confrontation avec une incitation directe au test, ou bien à la mise en œuvre de stratégies plus indirectes visant à éviter la confrontation :
« She is the one who, silently, suspected that I was infected. Later, my sister was in Nairobi and my sister advised me, well she invited me to visit her at Nairobi so I was going to visit my sister but it is like, some arrangement had been made for me to see a counsellor so she did this by my knowledge » E7
Ces incitations se font, chez les hommes rencontrés qui les ont vécues, plutôt par les membres féminins de la famille, comme les sœurs ou les mères. Pourtant, cette influence féminine concernant le VIH reste rare. En effet, malgré la possibilité de discussions ouvertes avec leurs compagnes sur le risque encouru, et l’existence d’une pression de l’entourage familial proche, le test peut être rejeté.
Pour cet homme, la maladie donc le risque sont associés aux symptômes. Peu importe chez lui ce que pense l’entourage de sa pratique du lévirat et du risque qui y serait associé. Pourtant, cet homme a respecté toute sa vie l’avis des anciens de son village, notamment pour ses choix maritaux, mais le VIH représente pour lui une affaire individuelle :
« My wife was no satisfied, she said after I’ve gone there, the people come to her and told her “you know this thing, from what that person died” (…) You know this AIDS, they have taken it as essential (...) It is not a community affair, because you are not for me, I am not for you » E18
Dans la catégorie des plus jeunes, le test est plus fréquemment considéré comme une démarche individuelle. Il y a recours au test même en l’absence de symptômes. La réalisation d’un premier test, non pas demandée mais proposée lors d’interventions gouvernementales ou associatives, se retrouve plus souvent dans cette catégorie. La pression des proches y est bien moins présente.
Chez les plus âgés, le choix du test est moins solitaire, il est lié à la pression des proches notamment de sexe féminin, au décès des proches. Chez eux de plus, l’apparition de symptômes est plus souvent mise en lien avec la possibilité d’une infection par le VIH, tandis que du côté des plus jeunes, les symptômes sont souvent rapprochés d’autres pathologies comme le paludisme, maladie considérée comme plus invalidante, plus fréquente et tout aussi mortelle, notamment à court terme.
B. DÉCLENCHEUR DU PREMIER TEST
1) Prise de conscience par l’exposition à la maladie
La prise de conscience brutale du VIH par le contact avec les effets de l’épidémie agit comme un choc mais ne permet parfois pas d’acquérir des informations pratiques sur le VIH et de sensibiliser certains hommes au test. La possibilité d’une séropositivité est terrifiante et le test est refusé. Cela n’équivaut cependant pas à un déni ou à l‘absence de conscience du risque que le VIH représente. Dans le même sens, cela ne signifie pas qu’aucune mesure préventive n’est adoptée :
« You could not go for test even to go to VCT or a lab you could not approach that place because HIV was a terrible disease (…) it is God who helped me around that time until I went for the testing (…) I was afraid to have any other sexual intercourse and partners and that is why in my life even now I don’t have any other partner. So I don’t get HIV. » E3
2) Test après l’apparition de symptômes
Peu d’hommes racontent avoir fait le lien entre leurs connaissance préalables des signes de la maladie et leurs symptômes. En effet, une fois déclarés, ces symptômes auraient pu instiller l’idée qu’une séropositivité était à redouter et ainsi motiver le test. Plus souvent, ces symptômes n’ont pas été rattachés à l‘éventualité d’une séropositivité mais ont été associés à d’autres pathologies comme le paludisme par exemple. La réalisation du test (inscrite dans une demande de soins généraux), parfois repoussée de quelques mois, voire de quelques années, est motivée par la répétition de symptômes relativement banaux mais gênants du fait de leur caractère récidivant. Ainsi la possibilité d’une infection par le VIH n’était pas imaginée avant la consultation à l’hôpital ou la réalisation du test : il s’agit exclusivement d’hommes traditionalistes :
« Bodies had been brought from Mombasa, who died from HIV AIDS (…) I didn’t know because when the dead body came, they were wrapped, so we were told this is a disease that killed the man (…) I thought it was like any disease, like malaria, headache, like any other disease (…) One of my friend go to those white men and said to me “they treat the disease”. That is how I came to them. » E43
Chez beaucoup de personnes, les symptômes et le comportement de soins sont associés aux croyances en un autre système que celui de la biomédecine :
• Croyance traditionnelle associée à Chira, malédiction touchant les individus qui ne respecteraient pas les règles de conduites de la société luo. Cela conduit les personnes à expliquer l’apparition de symptômes par leurs comportements actuels ou passés qu’ils estiment parfois moralement condamnables. Cela explique de plus le recours à des soins traditionnels, qui retarde d’autant plus l’utilisation de services hospitaliers. Parfois, l’échec des mesures traditionnelles les pousse à se diriger vers la pratique d’un test VIH, souvent sous la pression des proches et du fait de la visibilité des campagnes de dépistage :
« During that time before I was tested, I thought it was the cause of my sickness, it could be Chira but after I was tested I knew the problem, I know that one is now useless, it is not the cause of the problem, but HIV AIDS. Even if he works on the piece of land, I don’t care. Did you know that HIV existed when you fell sick ? Yes. Did you think it could be HIV ? My mind did not think of that, because my mind was set on cultural beliefs. » E8
• Croyance chrétienne, qui pousse certains patients (un exemple étant les membres de certains mouvements religieux comme Legio Maria) à n’avoir recours qu’à la prière pour se soigner :
« I pray before I go to the hospital then when it is becoming difficult for me, I go to the hospital. So I pray trying to get healed and if it fails I go to the hospital. » E35
C. IMPACT DU PREMIER TEST SUR LES PRATIQUES
1) Apparition du sentiment de risque
Parfois, le test représente le moment où un premier sentiment de risque apparaît, alors qu’il était inexistant auparavant. Non pas que ces hommes aient des comportements qu’ils jugent à risque mais du fait du caractère ubiquitaire de l’épidémie à VIH, transmissible aisément et par d’autres voies que sexuelles. Chez ceux-là, on observe une remise en question de certaines valeurs adoptées dans le passé, comme par exemple la disparition de la vision protectrice du mariage chez certains chrétiens. En effet, les couples sont incités à se tester ensemble et la protection mécanique est recommandée dans les relations sexuelles maritales :
« I think she could infect me. You know those who are teaching us about HIV thus people teach us that you can get HIV not only through sexual but sharp object: razor blade, knife... » E39
2) Impact sur les sexualités intra et extra-maritales
Le test est le moment pour les institutions médicales de délivrer un message sur l’adaptation de la sexualité pour les patients qui seraient séronégatifs. Chez les hommes mariés, il est préconisé de stopper les relations extra-maritales et d’utiliser une protection mécanique avec leurs compagnes :
« They told me that my status was very good and that I had not to have sexual intercourse with other lady (…) They told me to take care of myself to use protection because we were negative. » E35
Chez les hommes non mariés, il est parfois conseillé par le corps médical de stopper les relations sexuelles avant le mariage. Dans d’autres cas, la protection par le préservatif et la pratique de la circoncision sont mises en avant par le corps médical lors du test :
« So there was those who visit door to door and they were teaching that men must go to circumcision to reduce the rate of infection. I know it is a disease, and it kills (…) we use condoms. Men must also be circumcised to reduce the infection. » E21
Souvent, les recommandations sur la sexualité dispensées lors du test aux patients séronégatifs célibataires n’ont pas eu beaucoup d’effets ou seulement un effet partiel. Soit parce qu’elles sont inadaptées comme nous l’avons déjà évoqué, soit plus fréquemment parce qu’elles ont déjà été adoptées avant la réalisation du test, à la suite de la prise de conscience.
Les recommandations concernant la sexualité qui semblent avoir eu un effet sont principalement celles portant sur la protection mécanique dans le mariage. Pourtant le suivi de cette recommandation est variable. Son adoption se fait plus ou moins complètement, notamment en fonction du risque ressenti, du sentiment de protection existant dans le mariage, des convictions religieuses. En effet, c’est chez les plus religieux que l’usage du préservatif, après ces recommandations, semble le plus remis en question. Pour les autres, cette utilisation est mise en balance avec leur désir de paternité et leur capacité à négocier le préservatif avec leurs compagnes. Nous avons vu aussi l’importance que revêtait l’entrée dans le mariage notamment par son association à la paternité. Pourtant, le corps médical pousse les hommes mariés (ceux que nous avons interrogés) à utiliser une protection mécanique avec leurs propres compagnes, même lorsque les deux membres du couple sont séronégatifs :
« They told me that my wife and myself were two different persons maybe one may have other relationship and then the other one do not know. So I should use condoms (…) I was surprised first, then later I realized it was a good thing that could help me. So that I may continue living (…) They told me that any of us maybe is not faithful to the other and that if we don’t use condom it may have real effects on us. » E3
C’est à ce moment que l’on observe la difficulté dans laquelle se trouve ces hommes, se sentant obligés de respecter les recommandations médicales portant sur l’utilisation du préservatif. La paternité étant parfois prioritaire, cela conduit à une utilisation partielle du préservatif :
« When I enjoyed sex as a leisure I use condoms, but if it is for procreation, I have to use it free (…) When she has attended her monthly period, and then the monthly period end, I should use free flesh without condom to make her pregnant. (…) From that time we did not have another child. We still have faith God to give us a child. » E33
3) Répétition du test
Il est recommandé aux hommes de répéter le test tous les trois mois, quels que soient les contextes sociaux ou professionnels, leur vision du risque ou leurs pratiques. Beaucoup tendent à respecter cette recommandation, même si aucun risque n’est perçu. Cette démarche est justifiée de la part du corps médical par l’existence d’autres voies de transmission, qui seraient indépendantes de pratiques individuelles jugées à risque. Ainsi, le sentiment qu’une infection est toujours possible persiste malgré des comportements adaptés et un test négatif.
« No, I did not feel at risk but later I understood that it can really get to anybody even if you don’t have sexual intercourse (…) They told us there is HIV and AIDS and the ways people can contract it. » E29
Comme nous l’avons déjà souligné, il est nécessaire pour ces hommes, avant d’accepter un test, de s’engager dans un processus de réflexion et d’analyse du risque, de leurs pratiques passées, de leur sensation de vulnérabilité, des conséquences possibles du test. Même la découverte d’une séronégativité a des conséquences, du fait de l’adoption de mesures préventives ultérieures, de la nécessité de répéter le test, ou du fait de l’apparition d’un sentiment de risque entraînant par exemple une modification des relations sociales :
« After testing, if I found I am ok, I have to take care of myself. I need not to have many ladies, (…) After playing I went to my room booked for me only to sleep. When we have to come back, I come back. I have only one lady. When she is not there I cannot meet any lady even if I have to stay there for 5 to 6 month, I can just stay. » E13
VII. IMPACT DE L’ANNONCE DE LA SÉROPOSITIVITÉ
A. ANNONCE DIAGNOSTIQUE – RÉACTION IMMÉDIATE
1) Sensation de mort proche
Pour certains hommes rencontrés, l’annonce de la séropositivité agit comme un choc dans la mesure où ce diagnostic est synonyme de mort proche. Comme nous l’avons indiqué à propos des représentations du test, celui-ci est lié à l’idée que le VIH a un caractère fatal quasi-immédiat, une fois le diagnostic posé :
« I almost lost hope in life, I was just counting my days. I knew my days was numbered, I was waiting for that time (…) at that time, we knew that once you are found with the virus, the final to handle will be death. So that thing really stressed me » E7
Ce sentiment de mort proche se retrouve chez des hommes de tout âge, de toute origine socio-professionnelle et dont le diagnostic à chaque fois été posé après l’arrivée des traitements antirétroviraux dans cette zone. Ce sentiment est même observé chez des hommes dont l’accès aux connaissances sur le VIH et son traitement était parfois supérieur. Pour beaucoup, cette angoisse est liée à des expériences personnelles ou des croyances, mais aussi à la peur de leur propre mort ou d’une stigmatisation. Cependant, elle semble aussi liée au sentiment de responsabilité vis-à-vis de la famille qui pourrait se retrouver en grande difficulté après leur décès :
« We think we may die and leave our children without anyone to care for. » E34
2) Diagnostic inattendu
On voit que certains hommes subissent un choc lors de l’annonce de leur diagnostic. Ils avaient le sentiment de s’être protégés contre le VIH, d’où leur surprise de se voir diagnostiqués séropositifs alors que rien ne le laissait supposer par le passé : ni une prise de risque, ni d’éventuels symptômes mis sur le compte du VIH. Ce choc semblait pour les hommes interrogés bien tempéré par l’existence d’un traitement et par le discours du corps médical :
« When I was at the hospital, the first day I got little worried and then they put me on the drugs but still I kept on going but as I went on taking my drugs, I now got a lot of courage. » E16
Chez d’autres, le diagnostic est inattendu mais ne constitue pas forcément une surprise. En effet, leurs pratiques ne leur laissaient pas supposer une infection par le VIH mais la proximité avec la maladie et leurs connaissances de celle-ci leurs permettent de l’accepter plus facilement. Ces hommes-là, dont le diagnostic n’était pas attendu, sont relativement jeunes et souvent mariés au moment du diagnostic :
« I did not feel really sick. I was just normal because I was counselled and I am also a counsellor, I know how to handle these matters, I was just relaxed, I am not the only person who is supposed to be ill, many people are positive so the life continues » E25
3) Test et diagnostic vu comme un moyen de guérison
Certains des hommes rencontrés se voyaient mourir prochainement juste avant la réalisation du test de dépistage révélant leur séropositivité. Leurs symptômes étant très marqués et inaccessibles aux thérapeutiques employées jusqu’alors ; le test du VIH, souvent réalisé fortuitement, constitue un moyen d’accéder à une guérison qu’ils n’attendaient plus.
« I was to die (…) I did not feel bad, because I had been sick for a long time, so I was told that is the way to get my life back, because it is the way to make things getting better » E8
Ces hommes, traditionnels au moment du diagnostic, ayant testé des thérapeutiques traditionnelles qui avaient échoué, se tournent vers la médecine moderne proposée lors d’interventions communautaires :
« I was sick for a long time in Ndhiwa, and one day a group of people went to Ndhiwa to propose test so I voluntary came for a test. First I was given counselling, I was first counselled and asked: “if you are found positive, what will you feel?” I told them that what I want is life, and if there is a drug, I will take it. » E8
4) Banalisation du diagnostic
Une partie des hommes rencontrés tend à banaliser le diagnostic de séropositivité. Les conseils médicaux prodigués au moment de la consultation agissent, dans certains cas, comme un moyen de banaliser la maladie. Ces conseils, associés à d’autres ressources, notamment spirituelles, permettent d’accepter le diagnostic :
« I did not overreact because the teaching we have about HIV I had learn a lot (…) When I discovered that I was sick I was worried and surprised. I decided I studied the bible and I was taught that you cannot run away from sickness (…) You may think you have ran away from it but you cannot defeat it and that is not the end of the life. » E27
D’autres vont accueillir le diagnostic avec une certaine indifférence : ils ont eu des contacts répétés avec la maladie et ne perçoivent pas sa gravité potentielle. Comme pour cet homme, paraissant impassible devant sa maladie :
« I was not surprised. Because I saw so many people HIV positive, some friends. So I reacted well. » E10
Certains vont même l’accueillir avec une relative joie, préférant se voir diagnostiqués d’une maladie pour laquelle un traitement est proposé, gratuit et efficace, plutôt que d’une maladie incurable, récidivante, impossible à prévenir ou impactant finalement plus leur vie de tous les jours. Ces hommes sont parmi les plus jeunes et leur diagnostic a été généralement posé plus tardivement que dans le cas des autres hommes :
« I felt happy and even I wanted my wife to be together with me so that we go for treatment (…) Before I used to be sick and I thought I was suffering from malaria on/off but now I was diagnosed and now my medical HIV status has been revealed to me then I become happier because now I know I am HIV positive and I will continue living if I go for the treatment. » E4
B. SÉROPOSITIVITÉ – IMPACT TARDIF
1) Impact sur le travail
Nous avons souligné l’importance sociale du travail, sa nécessité pour subvenir à des besoins non seulement personnels mais aussi familiaux, besoins grandissant avec le nombre d’enfants voire le nombre de compagnes. La reconnaissance sociale de l’accès à un niveau d’éducation pousse les hommes à se battre pour faire accéder leurs enfants à une scolarité prolongée.
Dans ce contexte, un diagnostic de maladie chronique s’avère être une source de préoccupations et de difficultés économiques. La totalité des hommes rencontrés rapporte des difficultés économiques qui se sont aggravées ou qui sont apparues lors de leur diagnostic. Les traitements du VIH sont gratuits, pourtant cela ne suffit pas à rendre les soins dans leur ensemble aisés. En effet, cette maladie chronique représente des dépenses supplémentaires : examens biologiques à réaliser, coût des hospitalisations lors d’épisodes intercurrents, coût des transports jusqu’aux structures de soins souvent éloignées et mal desservies dans cette zone rurale. De plus, les recommandations médicales imposent un régime alimentaire adapté aux traitements :
« When I have been discovered positive I must find means to live, to care for myself and to provide for myself and to get food (…) as you know someone who is on HIV treatment need money even for feedings and care. It needs proper care. That is food. You have to feed well so that you can be healthy. You should also have money for that (…) you may not have worries in your mind. It does not need you to have a lot of stress. » E1
En raison des symptômes présents lors du diagnostic, la poursuite d’un travail physique s’avère alors compliquée. Le diagnostic puis le traitement renforcent la capacité à travailler, en réduisant la sévérité des symptômes :
« From the time I was put on treatment, on Septrin, I have not been able to feel sick, even weakness on the knee, I don’t feel. From that time, I don’t feel weak. I feel normal like I was before the infection. » E4
Pourtant, certains hommes décrivent, suite aux recommandations médicales, un arrêt de leurs activités rémunératrices, dans la crainte de voir leurs symptômes réapparaître. Ainsi, ces hommes se retrouvent en grandes difficultés pour subvenir à leurs besoins économiques.
« When I started taking the drugs, my power of earnings has gone done (…) when I come to the hospital, the doctors advised him not to go again to the lake to fish because I could easily develop a pneumonia (…) When I don’t go fishing, I farm but because it was a drought, there was no rain, so the crops failed. » E34
Dans certains cas, le corps médical affirme nécessaire la modification de l’alimentation qui devrait être plus riche, et continue de contre-indiquer la prise des antirétroviraux si cette modification n’est pas effectuée de façon concomitante : « I am supposed to be eating fruits, but when I have money, I only buy milk for the child and fruits I can find in the house. I have got a problem, the problem is money, because the little bit we have is used for travel or to provide. » E4
Ainsi est-il recommandé de se procurer une nourriture de façon continue et de l’enrichir, quand simultanément un arrêt du travail est préconisé alors qu’il permettrait d’accéder à ces denrées.
Dans ces conditions, comment respecter une observance stricte ? Comment permettre le maintien de la famille dans un bien-être relatif ? On observe notamment l‘implication des compagnes dans les activités rémunératrices : auparavant ce n’était pas envisagé par les hommes. On voit dans certains cas une reconfiguration des rapports hommes-femmes, une implication des femmes plus importante dans des activités que les hommes estimaient leur revenir entièrement, notamment en ce qui concerne le travail. Non pas que cette démarche soit aisée pour ces hommes mais certaines situations entraînent une modification de la situation féminine et de la relation de couple :
« The wife was working also at the lake, as a fisherwoman (…) Because the income is low, the wife also joined me to the lake (…) Yes, when I was put on treatment, I was advised by doctors not to go fishing to avoid further complications so it affected my incomes (…) because I was not working and I was suffering, I was left to children (…) So I decided to go back to the lake, to fish, with my brother and the wife also » E34
Cependant le travail constitue pour certains hommes une échappatoire, un moyen d’éviter la stigmatisation liée à une pathologie qu’il est difficile de dissimuler à l’entourage proche :
« Ah no I am not excluded because I am always busy at work so there is no time you will get so called sitting with people. It is like that you can see that you are excluded (…) We just meet it shortly, a short while, like four hours, then that time you came back to talk with people. » E25
Enfin, les relations sociales sont souvent réduites voire écartées après le diagnostic :
« Maybe we are in a pub and they are taking alcohol, even the soda I don’t take or I have to take water so I am not stable here for a long time because I am not really feeling I am enjoying their company. As they enjoy their drink, be very happy, they shout, they do the things, they expressed their joy and I am very normal » E7
2) Impact sur la sexualité
La modification voire la remise en question totale de la sexualité semblent liées de façon très importante aux recommandations médicales dispensées lors du diagnostic et du suivi. Ces recommandations semblent variées en fonction de la situation maritale, de l’âge des patients et de la personne qui mène la consultation. Cependant, il est toujours recommandé une restriction de la sexualité. La modification de la sexualité n’est pas seulement le fait des recommandations médicales, elle tient souvent à une multitude de facteurs. La prise de conscience du VIH antérieure au diagnostic semble déjà enclencher un processus de remise en question de la sexualité. Puis, s’inspirant des recommandations médicales, certains hommes s’imposent des mesures restrictives, perçues comme protectrices contre l’aggravation de la maladie :
« I know there is no cure for it. If you protect yourself you can live longer. I’m faithful (…) When I have been put on drugs there is a time when we did not have interest for sex. » E1
Aux hommes mariés, les conseillers recommandent la fidélité dans le mariage et l’arrêt des relations extra-maritales. Cet arrêt d’éventuelles relations extra-maritales est demandé pour tous les hommes, sans distinction. La justification de cette mesure est tout d’abord d’éviter la transmission du virus à d’autres partenaires. Par ailleurs, elle est motivée par le risque que ces hommes encourraient s’ils étaient contaminés par une autre forme de virus possédant un profil différent de résistance aux antirétroviraux :
« My edge for sex went down when I knew I was HIV positive. I have less interest (…) To avoid to spread the disease, I was advised by my doctors, I should not have sex outside the marriage because I may join with somebody who has not known her status and could give me viral load, and change my viral load. » E4
Parfois, les recommandations médicales prennent une forme culpabilisante dans la mesure où le corps médical émet un jugement de valeur sur les comportements passés de leurs patients et formule une sorte d’avertissement. Cette culpabilité n’est pas seulement instillée par le corps médical mais elle est renforcée par des recommandations médicales restrictives :
« The counsellor made an advice: “V. from now you got a little bit fool man from here”and they warn you what you ought to do. And I just said « I don’t have any feeling for any woman and I think I will be faithful to my wife (…) I have had a tremendous change in my sexual life (…) because I really felt sorry for having… I am the person actually who have infected my wife to which I am truly sorry (…) and since having known my status, I want to live by what I was taught » E7
A la suite du diagnostic, chez ceux pour qui la maladie et le diagnostic semblent avoir été les plus éprouvants, on a pu observer un rejet des relations avec le sexe féminin. Il ne s’agit pas d’une adaptation de la sexualité comme dans la plupart des cas observés, mais d’un arrêt des relations sexuelles et sentimentales.
Le rejet des femmes se retrouve dans notre étude chez ceux qui ont associé leur diagnostic à une mort prochaine ou qui ont eu un diagnostic à un stade tardif lorsque les symptômes étaient marqués. Cela semble avoir entraîné une reconfiguration plus importante et une modification plus marquée de leurs priorités. Nous avons vu pourtant que la pression sociale obligeait ces patients à se réengager dans une relation maritale, ne pouvant sans elle accéder à la paternité :
« I hated women, I didn’t want them (…) I knew I was going to die soon and that is why I left women (…) From that time I didn’t want any women when I had known my status (…) I married because my fellow young group had women and children but I didn’t have. I had pressure from my friends and relatives. They told me to marry. » E36
Les recommandations médicales, lorsqu’elles sont suivies à la lettre, entraînent une souffrance importante. Certains hommes sont tiraillés entre le suivi de ces conseils fortement associés à leur survie d’une part, et la nécessité de s’engager dans une relation maritale où il est complexe d’avouer sa séropositivité :
« I was told by the doctors that there was an exchange of virus so the doctors told me to leave alone women and then I stopped, from that teaching (…) I feel lonely because even right now I am alone in the house so it is a suffering (…) It is not easy to talk about HIV with somebody (…) unless you are a teacher, who is teaching someone, so they will understand you. » E19
Certains hommes s’accommodent des recommandations médicales et utilisent le préservatif dans le mariage. D’autres le rejettent car ils n’en voient pas la nécessité, soit parce que le mariage constitue une protection contre l’aggravation de leur maladie, soit parce que la paternité s’impose à eux comme une évidence. Certains appliquent cette recommandation mais cela entraîne une réduction de leur sexualité. Cela constitue alors la meilleure solution qui s’offre à eux pour éviter une infection par un autre type de virus et ainsi « survivre » :
« When we use condom, we don’t have a lot of needs for sex, you could also practice it once because you don’t have a lot of interest, because condom is a foreign body and is not the same to free sex. I was told to stop having sexual intercourses out of marriage. “For you to live longer, have adherence”. » E16
Certains hommes rapportent une amélioration de leur sexualité après le diagnostic. Même chez eux, il existe pourtant un impact négatif du diagnostic sur la sexualité. Dans le cas suivant (E43), l’utilisation du préservatif éveille chez ses partenaires sexuelles les soupçons d’une possible séropositivité. Sa sexualité et sa relation aux femmes subissent alors une modification :
« Now I was put on ARV I could now erect (…) There was a change because they knew I was HIV positive. Because I cannot keep quiet about myself. When you want to have sex intercourse and you put a condom the woman may also be suspicious and ask you “what is this thing you put in your…?” When you tell one, she will refuse to have sex, so they refuse. » E43
3) Impact sur le mariage et la paternité
Certains hommes interrogés évitent la confrontation avec leur(s) compagne(s) à propos de l’origine de leurs infections. L’existence de voies de transmissions multiples, mises en avant par le corps médical, protège ainsi les couples de l’accusation d’adultère :
« They asked because I was diagnosed positive and them negative. And I answered I didn’t know. And the discussion ended like that (…) They started asking, who is the cause, and I told them not to be worried, because even me I didn’t know but I remember there was a time when I helped my sister in law who was sick and I used to take care of without using gloves. » E16
Certains sont informés lors du diagnostic de la possibilité de procréer et de donner naissance à des enfants qui seront séronégatifs. Chez les plus jeunes qui sont mariés et dont le désir de paternité est encore présent, les mesures sur l’utilisation du préservatif sont moins bien adoptées. Quand cette thématique n’a pas été abordée en consultation, il est observé une certaine souffrance liée au choix à faire entre le risque de transmission du VIH à sa compagne et le risque que représente la révélation du statut qui pourrait finalement conduire à une impossibilité de procréer.
Chez les plus jeunes séropositifs qui ne sont pas mariés, la gestion du mariage et de la paternité est plus complexe. En majorité, ils comprennent bien la nécessité de révéler leur statut à leurs futures compagnes et sont informés de la possibilité de procréer sans risque. La problématique chez eux vient de la révélation du statut à leurs compagnes et de la gestion de la sexualité avant le mariage. La révélation du statut, quand elle est planifiée, est souvent prévue chez ces personnes-là après la demande en mariage. Les demandes ne s’adressent pas à des partenaires qui accepteraient leur statut et avec qui une relation de confiance vis-à-vis de leur séropositivité se serait constituée. La démarche est inversée. La demande en mariage préalable à la révélation du statut semble apporter une sécurité supplémentaire pour maintenir la relation :
« The person who I will marry is the one I would disclose my status to (…) And I think that is the main reason why I haven’t share with her because I have to see if she can be trusted (…) If I will propose to her “would you marry me?” and she says yes. Then from that time I will tell her about my status. After my proposal. If she accepts (…) If the love is so strong she will not leave you. » E20
On voit là une tentative de prise de risque minimale afin de préserver la réputation avant le mariage. Ainsi la sexualité n’est pas rendue impossible comme ce serait le cas si le statut était révélé. Cela conduit à la création d’une relation perçue comme « différente » avant le mariage et permettant de ne pas aborder la sexualité :
« Because she’s used to my different stories it is very hard to accept the first time (…) Sometimes it is a lie. For example that one of my legs was disused that at times I walked with three legs. That is stories that can keep her mind out of thinking about (sex)… that is stories that could sometimes bring tears, some emotional stories. » E20
4) Impact sur les relations sociales
Nous avons déjà mentionné la remise en question des relations amicales et des activités suite aux recommandations médicales. Ces recommandations sont en lien avec l’alimentation et la consommation d’alcool par exemple, ou avec la focalisation sur l’activité professionnelle en vue d’éviter une stigmatisation. Il existe des cas de stigmatisation plus virulente que nous retrouvons dans les milieux les plus traditionnels, surtout au niveau familial. Dans ces familles semble exister un rapport de force, où le respect s’acquiert par la capacité à assurer ses responsabilités, à dégager l’image d’assurance et de vitalité. Le VIH vient perturber cette image et cette réputation. Chez les hommes ayant perdu cette réputation, le lien social avec les membres de la famille qui représentent une source d’aide et de soutien se trouve alors affaibli :
« In my community, people feel happy when you suffer or when you become sick (…) our income has gone low, so they know that when we are very poor, so there is no need to give us respect (…) The relatives, the family, the uncles were happy, when I was sick because they knew that will make my life on end. And a moment ago, one uncle went from Migori, he got me in the ward with my wife and ask me about the day of the discharge but he didn’t even help me, he went away. » E34
Dans ces familles, le VIH est plus souvent associé au décès à court terme et ainsi la vision du membre atteint mène à des comportements d’exclusion. Nous avons observé cela chez cet homme qui se fait déposséder de ses biens par les membres de sa famille après le diagnostic :
« And others that remains my clan’s men took and they divided among them because they knew I was to die (…) When they were discussing my time to die, my mind was still very clear, I was in my house. It was a small house, I did not build a good one, it was a house which was so poor, it was raining and wet inside » E8
Ces comportements les poussent par la suite à rejeter l’importance du milieu familial, à chercher le respect par l’affirmation de leur capacité à être autonomes vis-à-vis du milieu familial. Cette importance de la réputation se retrouve dans des milieux non traditionnels :
« You know I am a priest, and I have members in my church, and some of my members, are also on the programs so when I come as a pastor I also line up with the members… it is a problem because 64 these ones they see me as a sinner, so I even requested the counsellors so that they treat me separately so that stigma is not in me. But they have not helped me » E38
Chez cet homme, la préservation de sa réputation auprès des membres de son église n’est pas plus importante que le traitement antirétroviral mais plus importante que les conséquences prévisibles d’un transfert dans un autre centre médical, plus éloigné et dont l’accès serait plus coûteux et plus contraignant :
« I’ve asked them even to transfer me to Homa Bay to take my drugs because Homa Bay is far, people that I serve in the church will not know me and I will not get that embarrassment (…) if it is that way, I can struggle, I can struggle to go, because even when I come from Homa Bay I use 200 schilling, I can still struggle to get my money. » E38
Le maintien des relations sociales peut être chez certains un frein à l’observance même. La volonté de dissimuler son statut sérologique pour préserver sa stature sociale entraîne un arrêt volontaire de la prise des médicaments :
« I sleep here and my neighbor sleep here (…) But the time after work, we have to work with students so I was fighting with time so that I can take my drugs at the proper time it was a challenge. Living with people is difficult to take the treatment (…) It was hard sometimes I could skip because I wanted to keep myself...I wanted that around I was respected at school (…) so you had to fight sometimes I got courage I wake up earlier than other people. » E20
Pour certains au contraire, la réputation se crée en revendiquant sa capacité à gérer sa maladie, à assurer son rôle masculin, voire à le remettre en question, malgré la pathologie. Certains revendiquent leur maladie, et se présentent comme un exemple pour le reste de la population :
« I tell people about HIV even one of my friends I convinced him to go to hospital to testing. And before I convinced him I went with him to my house to show him my drugs that I am on drugs so he accepted and now his life is better. » E46
La visualisation d’une épidémie qui n’épargne personne et touche toutes les classes sociales ou professionnelles semble être bénéfique en ce qui concerne l’observance des hommes rencontrés :
« The people that I see in the queue, very respected and very important people in the public life and that also gives me courage, because it is not only a disease for the poor like me, the rich are also suffering like myself, so that is an encouragement to me to keep on taking my treatment. » E8
5) Rejet des traditions – Conversion à la chrétienté
Le moment de la prise de conscience du VIH mais surtout le diagnostic sont souvent les déclencheurs d’un rejet de la médecine traditionnelle. Chez certains, la découverte de la médecine moderne agit comme un choc :
« I did not use any traditional when I was sick but my sister used to buy for me panadol (…) So my sister was a Christian and then she did not bring traditional healer but instead a group of church member to pray for me (…) Since I started drugs, my sister also taught me about the word of God, I became a true Christian, and I forgave these people. Now I don’t feel stigma, I only rely on my treatment and my God (..) what they told me, two of my friends, is only to have hope in God and that I should not look for an traditional treatment. » E8
Lors du diagnostic de séropositivité, l’existence de Chira est mise en doute ainsi que son traitement par la médecine traditionnelle qui n’a pu diagnostiquer le VIH. En même temps que les rejets des traditions luo dans leur ensemble et des pratiques de soin associées à celles-ci, on peut parfois observer simultanément des conversions à la chrétienté. Cela est associé à l’opposition entre traditions et religion chrétienne, opposition affirmée par beaucoup d’intervenants médicaux et gouvernementaux. De plus, la contre-indication par le corps médical de l’utilisation simultanée de traitements traditionnels (souvent à base de plantes) et des antirétroviraux renforce la mise à l’écart de la médecine luo :
«The traditional herbs does not treat HIV, and the drugs for HIV does not treat Chira. At this time people do not believe in Chira because some have become Christians. It is not there anymore. For anybody I cannot tell but for me since I was put on this drugs, I don’t use traditional medicine » E43
Ainsi, les traditions luo sont-elles rejetées de façon forte par certains. Ces derniers, après leur face à face avec le corps médical (souvent porteur d’un discours religieux), relient leur séropositivité à des pratiques luo qu’ils considèrent comme responsables de leur infection ou même comme responsables de la prévalence majeure du VIH dans la région.
« We are telling the dangers of inheriting wives, the dangers of having many wives, polygamy (…) When you see it, we call him these days a terrorist. If you are called a terrorist, you are a quite vile wife inheritor so they fear those names. » E44
Période
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