Xavier Plaisancie
Médecin, diplômé de médecine tropicale. Il commence à travailler avec MSF en 2016 sur les questions d’accès aux soins du VIH chez les hommes dans le district de Homa Bay au Kenya sous la direction de Jean-Hervé Bradol et de Marc Le Pape. Cette recherche rentrera dans le cadre de sa thèse de médecine, qui sera publiée dans un cahier du CRASH. Puis en 2019, il participa au projet d’oncologie de Bamako, au Mali, en tant que médecin de soins palliatifs et chercheur sur la question des trajectoires des patientes atteintes de cancers du sein et du col de l’utérus. Par la suite, il partit comme médecin avec MSF à Kinshasa dans un service prenant en charge les patients vivant avec le VIH au stade SIDA. Enfin, depuis 2022, il poursuit un master de sociologie de la santé à l’EHESS qui l’amène, en lien avec le CRASH, à s’intéresser à la question des pratiques de soins palliatifs au Malawi et au développement de la discipline en contexte humanitaire.
Chapitre 2 - Méthodologie
I. RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE ET FORMULATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE
Un premier travail de recherche a été mené afin de prendre connaissance du sujet par la lecture de la littérature interne à MSF concernant son intervention au Kenya. Les rapports de missions mettaient en avant le plus faible accès au dépistage et aux soins des hommes de la population de Homa Bay. Ces hommes étaient considérés dans les observations réalisées à Homa Bay comme une population réticente aux soins préventifs et curatifs en matière de VIH. Enfin, la mortalité masculine était plus importante à l’hôpital de Homa Bay parmi les patients séropositifs et notamment chez les patients déjà diagnostiqués. Il semblait donc intéressant et important d’étudier l’accès aux soins du VIH de la population masculine.
Les questions formulées à partir de notre travail de recherche bibliographique étaient les suivantes:
1) Quelles sont les représentations du VIH de la population masculine de Homa Bay ?
2) Quels sont les impacts de ces représentations sur la demande de soins ?
3) Comment se font l’information et le test de dépistage du VIH et quel est leur impact sur les représentations
et pratiques masculines ?
4) Les soins proposés sont-ils adaptés aux hommes de Homa Bay ?
Nos recherches bibliographiques ont porté sur des études consacrées à des situations sanitaires variées, études traitant des facteurs qui déterminent la participation aux campagnes de dépistage (notamment en lien avec le VIH) d’une population donnée. De plus, ces recherches ont permis de connaître les travaux déjà réalisés sur la question du genre et notamment sur les différences liées au genre dans l’accès aux soins du VIH.
Enfin, une dernière partie du travail théorique préalable a été menée au siège parisien de l’association Médecins Sans Frontières. Nous avons consulté les archives de l’association concernant son intervention au Kenya depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, afin de prendre connaissance du fonctionnement de la mission, notamment dans le cadre des projets VIH des stratégies de dépistage, de l’évolution des pratiques et des progrès réalisés.
Les hypothèses de travail formulées à la suite de l’ensemble du travail de recherche bibliographique
ont été les suivantes :
1) Les problématiques posées par la prévention et le test de dépistage du VIH se confrontent à d’autres problématiques et s’intègrent avec plus ou moins de facilité dans la vie masculine.
2) La prise de conscience du VIH pourrait correspondre à une période charnière où certains comportements préventifs sont adoptés et où le test du dépistage du VIH est considéré. Cependant, les comportements préventifs et de recherche de soins subiraient des variations en fonction des représentations du VIH qui découlent de cette prise de conscience.
3) L’accès aux soins moindre des hommes du comté de Homa Bay pourrait être lié à une inadéquation entre les représentations du VIH qui prévalent dans la gente masculine et la proposition de soins des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux.
Voici les objectifs du travail qui en ont découlé :
Objectif principal de l’étude :
• Evaluer les représentations masculines du VIH et l’impact de ces représentations sur le recours aux soins.
Objectifs secondaires de l’étude :
• Evaluer les pratiques de différentes institutions médicales ou non puis leur impact sur la population masculine et leurs représentations du VIH.
• Evaluer l’adéquation des soins proposés avec les représentations et les attentes masculines à l’égard du VIH dans le comté de Homa Bay.
II. POPULATION DE L’ÉTUDE
L’étude concernait la population masculine du comté de Homa Bay, constituée à 95 % de Luo. Une partie de la population d’étude a été recrutée à l’hôpital de Homa Bay, dans le service d’hospitalisation masculine, où des patients séropositifs et non séropositifs sont pris en charge. Les patients n’étaient pas nécessairement sous antirétroviraux, et étaient hospitalisés ou non du fait d’une pathologie liée au VIH. En parallèle, des patients suivis à la clinique B ou dans les centres de santé périphériques (pour le renouvellement de leur traitement et leur suivi clinique), cliniquement stables, ont été interviewés.
Par la suite, des entretiens semi-dirigés ont été conduits avec certains patients masculins ayant participé aux activités communautaires de dépistage, donc séronégatifs ou de statut inconnu avant le test. Il était proposé aux hommes séronégatifs de plus de 18 ans, vus lors d’une consultation de dépistage, de participer à l’étude dans les suites du test.
Une autre partie des hommes interrogés a été inclue indépendamment des campagnes de dépistage, lors de rencontres spontanées ou organisées par des intermédiaires. Le critère de sélection pour cette population était un âge supérieur à 18 ans.
Les entretiens permettant de répondre aux objectifs secondaires étaient réalisés principalement au cours des campagnes de dépistage. L’organisation MSF permettait dans certains cas de faire le lien avec des représentants gouvernementaux ou communautaires chargés de l’organisation des missions de dépistage. D’autres individus ont été rencontrés sans l’intervention de MSF, mais par les rencontres faites sur le terrain ou par les liens créés en dehors du contexte de l’étude. Aucun critère de sélection n’était appliqué si la personne acceptait de participer, hormis l’âge supérieur à 18 ans.
III. ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS
Les entretiens se déroulaient au domicile des hommes lorsque ceux-ci étaient rencontrés dans le cadre du dépistage de porte à porte (« door to door »), en demandant à l’entourage de ne pas y assister. Ces entretiens avaient lieu après le test de dépistage afin de faire le lien avec ce qui venait d’être dit. Cela permettait aussi d’observer comment prenaient place les séquences de dépistage, les discours biomédicaux, les similitudes et variabilités dans les pratiques de test des différents membres du corps médical. L’étude de ces pratiques de dépistage permettait donc de faire ressortir les messages adressés aux hommes, ceux qui revenaient de manière récurrente ou de façon plus rare. Et cela permettait d’évoquer de façon plus précise le vécu de leurs consultations de dépistage.
Pour les entretiens en luo, un traducteur expérimenté et bilingue anglais-luo traduisait les questions et réponses. Le traducteur a été présent tout au long de l’étude, et pour toutes les interviews. Celui qui a été choisi était habitué au travail de traduction dans le cadre d’études réalisées par entretiens. Le caractère masculin du traducteur était préféré pour permettre aux hommes d’aborder des thématiques personnelles plus aisément.
Les entretiens étaient enregistrés par un dictaphone. Ceux-ci duraient en moyenne 1h. Différentes thématiques étaient abordées, sans imposer aux interlocuteurs une série de questions fixées mais en laissant ceux-ci s’exprimer le plus librement possible puis en revenant ou en insistant par la suite sur certains sujets jugés plus pertinents ou plus importants chez la personne rencontrée. Les questions posées étaient ouvertes. Mais selon les personnes interrogées et le développement de leurs réponses, les entretiens pouvaient être plus dirigés, et dans ces cas les questions pouvaient être plus précises. A la fin des interviews, il était proposé aux patients de renouveler l’entretien afin de revenir sur des thématiques jugées importantes ou insuffisamment explorées. Cette répétition des entretiens a été proposée pour permettre de rapprocher les entretiens plus du dialogue que de l’interview en créant une « relation » entre enquêteur et enquêté et permettre d’accéder à d’autres informations, qui deviendraient plus fidèles aux expériences personnelles.
IV. OBSERVATION PARTICIPANTE
En parallèle des entretiens, une observation du fonctionnement de la mission MSF a été pratiquée. L’observation participante est une expression employée notamment par certains anthropologues et qui est applicable à la sociologie.Olivier de Sardan J.-P. La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique. Louvain-La-Neuve : Academia-Bruylant; 2008.Cette observation participante fait partie intégrante de l’enquête de terrain.
Cette observation active peut donner lieu à la création de « données de corpus » consignées qui sont intégrées dans les résultats de l’étude ou bien faire partie de ce que Olivier de Sardan appelle
l’ « imprégnation »Olivier de Sardan J.-P. La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique. Louvain-La-Neuve : Academia-Bruylant; 2008.qui ne correspond pas à des données répertoriées et reconnaissables dans le travail écrit final mais qui ont permis à l’enquêteur de mieux comprendre le milieu dans lequel il évoluait. J’ai observé des séquences d’éducation scolaire, d‘éducation thérapeutique, des journées dédiées au suivi d’adolescents séropositifs, des séquences de conseil ou de suivi de patients séropositifs adultes.
Ainsi, la plus grande partie des résultats de cette étude répondent à l’objectif principal et sont le fait des entretiens avec la population masculine. Pourtant, tous les résultats et réflexions présents dans cette étude ne sont pas le seul fruit d’entretiens formels. Tout un pan des réflexions est issu de rencontres variées, d’entretiens non formels, de l’observation de situations et de séquences thérapeutiques ou médicales différentes. Ces réflexions imprévues ont suscité de nouveaux questionnements qu’il s’agissait ensuite de confirmer ou d’infirmer en entretien.
Les connaissances acquises par l’enquête ont été complétées par la consultation d’écrits locaux, notamment d’une littérature luo, certes peu importante, mais riche d’informations sur la culture et les pratiques luo telles qu’elles étaient décrites il y a plusieurs décennies. Ces écrits en luo ont été étudiés et discutés avec le traducteur ainsi qu’avec d’autres personnes par la suite, notamment en ce qui concerne la persistance actuelle de certaines pratiques ou représentations.
Cette partie du travail réalisé sur place a donc servi de plusieurs façons : tout d’abord à enrichir le travail d’entretiens semi-dirigés visant à remplir l’objectif principal de l’étude. Cela a permis par la suite de confronter plusieurs sources de données et de réflexions pour tenter de répondre à l’objectif secondaire, c’est-à-dire celui de connaître l’adéquation entre une proposition de soins et les attentes de cette population masculine.
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