Xavier Plaisancie
Médecin, diplômé de médecine tropicale. Il commence à travailler avec MSF en 2016 sur les questions d’accès aux soins du VIH chez les hommes dans le district de Homa Bay au Kenya sous la direction de Jean-Hervé Bradol et de Marc Le Pape. Cette recherche rentrera dans le cadre de sa thèse de médecine, qui sera publiée dans un cahier du CRASH. Puis en 2019, il participa au projet d’oncologie de Bamako, au Mali, en tant que médecin de soins palliatifs et chercheur sur la question des trajectoires des patientes atteintes de cancers du sein et du col de l’utérus. Par la suite, il partit comme médecin avec MSF à Kinshasa dans un service prenant en charge les patients vivant avec le VIH au stade SIDA. Enfin, depuis 2022, il poursuit un master de sociologie de la santé à l’EHESS qui l’amène, en lien avec le CRASH, à s’intéresser à la question des pratiques de soins palliatifs au Malawi et au développement de la discipline en contexte humanitaire.
Chapitre 1 - Cadre de recherche
I. Données démographiques
L’ex province de Nyanza, qui englobe notamment le comté de Homa Bay, est principalement peuplée par les Luo, en importance la 4e ethnie du pays. Cette ethnie représente au total une population d’environ 3 000 000 de personnes au Kenya soit 10 % de la population du pays et elle est principalement regroupée dans la province de Nyanza mais a par ailleurs toujours été présente dans les grandes agglomérations. Oparanya WA. Kenya 2009 Population and Housing Census Results. Nairobi: Ministry of Planning, National Development and Vision 2013. 2010.Potash B. “Some Aspects of Marital Stability in a Rural Luo Community.” Africa. 1978;48 (4): 380-397.
L’ex province de Nyanza est située dans le Sud-Ouest du Kenya au bord du lac Victoria. Elle est divisée en 2 parties, Sud et Nord. A présent, le Kenya est constitué de 47 comtés eux-mêmes divisés en districts. Ainsi, l’ancienne province de Nyanza comprend le comté de Homa Bay qui regroupe lui-même les districts de Ndhiwa, Homa Bay, Rangwe, Rachuonyo Est Rachuonyo Nord et Rachuonyo Sud, Mbita et Suba ; cela depuis la décentralisation du pouvoir mise en place dans le cadre de la nouvelle constitution adoptée en 2010.Kenya Demographic and Health Survey 2014. Kenya National Bureau of Statistics. Nairobi; 2015.
La population dans le comté de Homa Bay était en 2009 de 462000 hommes et 501000 femmes, puis de 542000 hommes et 584000 femmes en 2016, correspondant au total à 206000 foyers. Statistical abstract 2017. Kenya National Bureau of Statistics. Nairobi; 2018. ISBN: 978-9966-102-05-8.
II. Situation sanitaire actuelle
Nous rendons compte des études réalisées par MSF dans le cadre du suivi des patients à l’hôpital de Homa Bay et des interventions dans le district de Ndhiwa. Les résultats exposés ne sont pas rigoureusement représentatifs de toute la province de Nyanza mais procurent un aperçu de la situation sanitaire à laquelle MSF est confrontée.
1) Situation épidémiologique actuelle
a) Hôpital de Homa Bay En 2015, la mortalité globale à l’hôpital de Homa Bay était d’environ 16%, toutes pathologies
En 2015, la mortalité globale à l’hôpital de Homa Bay était d’environ 16 %, toutes pathologies confondues. La prévalence du VIH parmi les patients hospitalisés était de 49 %. Et parmi eux, la mortalité a été de 16 %. 84 % des patients séropositifs étaient diagnostiqués avant leur admission. Parmi ces patients séropositifs, 63 % étaient sous trithérapie. 74 % des patients étaient hospitalisés au stade d’échec thérapeutique. La quasi-totalité de ces patients en échec thérapeutique était toujours sous un régime de 1ère ligne.
En 2016, la mortalité était plus élevée chez les hommes séropositifs que chez les femmes séropositives. La mortalité globale à l’hôpital était de 14,4 %, dont 37 % sont décédés au cours des premières 24h. La mortalité des patients VIH positifs hospitalisés était de 19 % dont 26 % dans les premières 24h.Lathelize M, Convent P. Evaluation en temps réel du projet VIH, Sub-County de Ndhiwa - Kenya. MSF-OCP. Médecins Sans Frontières. Paris; 2016.L’étude des motifs d’hospitalisation et de mortalité à l’hôpital de Homa Bay établit que les hommes atteignaient un service de soins à un stade plus avancé de la maladie, et que la mortalité chez les hommes (19 %) était plus importante que chez les femmes (8,8 %). La mortalité après la sortie d’hospitalisation continuait à être supérieure chez les hommes (mortalité cumulée de 40,7 % contre 25,9 % chez les femmes).Hennequin W. Etat des lieux, Kenyan mission – MSFF, HoM September 2012 to April 2017. Médecins sans Frontières. April 2017.
b) District de Ndhiwa
En plus de l’hôpital de Ndhiwa, quatre dispensaires principaux sont fonctionnels sur le territoire du district. En 2015, la population totale du district était estimée à 242 726 individus, 47,6 % d’hommes et 52,4 % de femmes.Lathelize M, Convent P. Evaluation en temps réel du projet VIH, Sub-County de Ndhiwa - Kenya. MSF-OCP. Médecins Sans Frontières. Paris; 2016.
L’étude NHIPS (Ndhiwa HIV Impact in Population Survey) réalisée par Epicentre en collaboration avec les autorités kenyanes et MSF en 2012Maman et al. Cascade of HIV care and population viral suppression in a high-burden region of Kenya. AIDS. 2015;29:1557 – 1565, Vol 29 No 12.montre une prévalence du VIH chez les 15-59 ans de 24,1 % et une incidence moyenne de 2,2 nouveaux cas pour 100 personnes par année. Le nombre de personnes infectées par le VIH qui étaient diagnostiquées dans cette classe d’âge était de 13 250.
Le nombre de PVVIH dans le district de Ndhiwa a été estimé à 22 037 en 2015.Lathelize M, Convent P. Evaluation en temps réel du projet VIH, Sub-County de Ndhiwa - Kenya. MSF-OCP. Médecins Sans Frontières. Paris; 2016. Le taux de personnes séropositives suivies était donc de 60 %. Le taux de patients sous antirétroviraux était de 50 %. Dans l’hôpital de Ndhiwa, durant l’année 2015, 63 146 personnes ont été testées avec parmi elles un taux de séropositivité de 4,69 %.
Lors des actions de test communautaires, débutées en avril 2015, 7 312 personnes ont été testées avec un taux de séropositivité de 3,24 %. Pour l’année 2015, 2 962 personnes ont été diagnostiquées séropositives. Sur ces 2 962 personnes, 82 % ont été intégrées dans le système de soins. Observe-t-on des différences entre hommes et femmes ? Les hommes ont été testés autant que les femmes hormis dans les centres de santé où les tests ont été réalisés plus souvent chez des femmes. Le taux de positivité des tests sur l’année 2015 était de 2,39 % chez les hommes et de 4,12 % chez les femmes.
2) Campagnes de dépistage actuelles
Les stratégies de dépistage ont évolué au fil des annéesHennequin W. Etat des lieux, Kenyan mission – MSFF, HoM September 2012 to April 2017. Médecins sans Frontières. April 2017.passant du volontariat au début de l’intervention de MSF au dépistage proposé par les équipes de soins dans les dispensaires ou les hôpitaux. Par la suite ont été organisées des campagnes de dépistage basées sur les interventions communautaires et enfin le test à domicile, avec le porte à porte (« door to door approach ») a été proposé.Lathelize M, Convent P. Evaluation en temps réel du projet VIH, Sub-County de Ndhiwa - Kenya. MSF-OCP. Médecins Sans Frontières. Paris; 2016.Cette dernière démarche, décidée pour atteindre les populations isolées, les plus rurales, s’inscrit dans ce qui est appelé la COMMOB (community mobile-testing). Cette activité a été mise en place en avril 2015. Une localisation est choisie. Un camp de base est installé permettant de rassembler le matériel et les équipes de dépistage. Chaque équipe est constituée de 9 personnes. Chaque équipe possède un chef qui coordonne les actions. Le reste de l’équipe est constitué de conseillers, au nombre de six, associés à un laborantin chargé de la mesure des CD4 en cas de séropositivité mise en évidence et d’un conseiller spécialisé dans la prise en charge des patients positifs afin d’organiser leur prise en charge thérapeutique ultérieure.
Chaque équipe est conduite vers une zone d’intervention. Chaque conseiller équipé du matériel pour pratiquer le dépistage part ensuite de son côté pour tester les familles qui ne l’ont pas encore été. Chaque maison testée est marquée pour qu’un autre conseiller ne s’y dirige pas. Les conseillers sont introduits auprès des familles par un intermédiaire familier de la société locale, afin de rendre plus acceptable la démarche de test. Le test est réalisé après un pré-conseil et une information sur le VIH. Si le test est positif, le « lab tech » (technicien de laboratoire) est appelé pour effectuer une prise de sang afin de confirmer le diagnostic et pratiquer une mesure de la charge virale. Il sera alors demandé au patient de venir prendre son traitement à l’hôpital ou en dispensaire. Si le test est négatif, des conseils préventifs sont dispensés. Tous les habitants de la maison visitée sont testés. Les couples sont testés de façon simultanée et le discours préventif est délivré dans le même temps pour les membres du couple dans la mesure du possible. Les enfants de plus de 15 ans sont testés. La confidentialité n’est pas toujours respectée.
Pour MSF, cette activité a contribué à 10-13 % de tous les tests réalisés aux domiciles dans le district de Ndiwa (d’autres organisations réalisant ce type d’intervention). Une fois toutes les maisons visitées et testées ou non, la COMMOB se dirige vers une autre localité pour assurer le même travail de dépistage. Une autre partie des tests se fait lors des sessions de « moonlight consultation - consultation au clair de lune ». Ces sessions ont été organisées afin de permettre que soient testés des hommes qui ne pourraient se libérer la journée pour accéder aux structures classiques ou être présents lors des tests en « porte à porte / door-to-door ». Ces sessions prennent place une fois par semaine de façon variable en fonction des possibilités, des disponibilités et de la diffusion d’information à ce propos dans la population. Après qu’un certain nombre de personnes aient été testées, la localisation de la moonlight change. La tente est installée en fin de journée. Dans cette tente compartimentée, plusieurs conseillers prennent place afin d’effectuer les tests de dépistage qui se dérouleront jusqu’à minuit.
Une dernière partie des tests se fait dans les dispensaires périphériques.
3) Organisation du suivi
Le suivi des patients séropositifs se fait dans plusieurs structures différentes.Hennequin W. Etat des lieux, Kenyan mission – MSFF, HoM September 2012 to April 2017. Médecins sans Frontières. April 2017.Lathelize M, Convent P. Evaluation en temps réel du projet VIH, Sub-County de Ndhiwa - Kenya. MSF-OCP. Médecins Sans Frontières. Paris; 2016.Certains sont suivis à la clinique B de l’hôpital de Homa Bay. D’autres sont suivis dans les « hubs » (qui correspondent aux dispensaires principaux) ou dans les dispensaires périphériques. Le choix de la structure de suivi est théoriquement laissé au patient. Ces dispensaires sont gérés par le MoH, et MSF leur apporte un soutien.
Au niveau matériel, MSF fournit la 3e ligne d’antirétroviraux et le traitement du sarcome de Kaposi. Au niveau humain, deux équipes gèrent les dispensaires. Chaque équipe est constituée d’un conseiller d’adhésion, d’un médecin kenyan, d’un chef d’équipe et d’une psychologue. Ces équipes passent chaque semaine dans les principaux dispensaires et une fois par mois dans les autres dispensaires afin de récolter les données pour évaluer l’activité du dispensaire, discuter des cas difficiles et prendre certaines décisions thérapeutiques concernant ces cas compliqués. Parfois, les dossiers sont référés à d’autres équipes ou à Homa Bay.
S’il est suspecté une observance mauvaise, le traitement n’est pas modifié immédiatement mais une consultation est prévue avec le conseiller d’observance. Si la charge virale est trop élevée après s’être assuré de l’observance, le traitement de deuxième ligne est débuté. Selon les recommandations kenyanes, la mesure de la charge virale doit être réalisée après les 6 premiers mois de traitement puis tous les ans. Une charge virale > 1 000 copies/ml fait suspecter un échec thérapeutique nécessitant une adaptation du traitement. Actuellement, cet examen n’est réalisé que dans un laboratoire à Kisumu, éloigné de Ndhiwa. Le délai entre le prélèvement et le retour des résultats est de 1 à 3 mois. Les résultats parfois tardent à arriver voire n’arrivent pas du tout. Les patients observants et stables sous antirétroviraux ne sont vus que tous les 6 mois, par contre les médicaments sont délivrés tous les 3 mois. Pour les patients stables sous traitement, une consultation de suivi est programmée tous les 6 mois. Si le patient montre des signes de rechute, il est revu à plus court terme, en général à 15 jours-un mois puis à 3 mois puis 3 mois plus tard encore avec une nouvelle mesure de la charge virale.
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