Fabrice Weissman
Politiste de formation, Fabrice Weissman a rejoint Médecins sans Frontières en 1995. Logisticien puis coordinateur de projet et chef de mission, il a travaillé dans de nombreux pays en conflit (Soudan, Ethiopie, Erythrée, Kosovo, Sri Lanka, etc.) et plus récemment au Malawi en réponse aux catastrophes naturelles. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l'action humanitaire dont "A l'ombre des guerres justes. L'ordre international cannibale et l'action humanitaire" (Paris, Flammarion, 2003), "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de Médecins sans Frontières" (Paris, La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (Paris, Editions du CNRS, 2016). Il est également l'un des principaux animateurs du podcast La zone critique.
Section 3. L'ATTITUDE DES AUTRES ACTEURS À L'ÉGARD DE L'AIDE ET SA SIGNIFICATION POTENTIELLE
Bien qu'elles dominent la scène politico-militaire libérienne, les factions ne sont pas les seuls acteurs du conflit à s'être intéressés à l'assistance humanitaire. Deux autres catégories d'agents ont influé sur la dynamique de l'affrontement tout en se positionnant par rapport aux ressources de l'aide : les « faiseurs de paix » que sont théoriquement la force d'interposition ouest-africaine — l'ECOMOG — et les organes politiques des Nations unies — UNOMIL, Représentant Spécial du Secrétaire Général — (1) ; et les acteurs non militarisés de la scène politique, économique et sociale libérienne — partis politiques, marchands, autres représentants de la société civile (2). Précisons d'emblée que l'étude que nous avons réalisée dans ces domaines est d'une grave indigence. Notre objectif se limite plus que jamais à mentionner un certain nombre de réflexions générales et largement intuitives appelant à une véritable analyse.
1. L'AIDE ET LES « FAISEURS DE PAIX »
Le conflit libérien n'a pas opposé les factions en un huis clos hermétique. La communauté internationale s'est impliquée dans le règlement de l'affrontement au travers d'une organisation régionale — la Communauté Économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) — et du système des Nations unies. Poursuivant un agenda politique changeant et pas toujours très clair, ces deux « faiseurs de paix » ont été amenés à utiliser les ressources de l'aide.
1.1. L'ECOMOG et l'aide humanitaire
1.1.1. Le poids de l'agenda politique nigérian
Alors qu'ils n'avaient prêté qu'un œil distrait au lancement de l'insurrection du NPFL en décembre 1989, les Etats de la sous-région ouest-africaine se sont rapidement sentis concernés par un conflit qui au mois de juillet 1990 avait déjà fait 5.000 morts (presque tous civils), provoqué l'afflux de 600.000 réfugiés en Guinée, Côte d'Ivoire et Sierra Léone, et entraîné le déplacement à l'intérieur du pays de plus d'un million de personnes. Préoccupés par la détérioration sans précédent de la situation politico-militaire libérienne, le Comité Permanent de Médiation de la CEDEAO réuni à Banjul les 6 et 7 août 1990 décida d'intervenir pour tenter de mettre un terme aux affrontements.Sur l'ECOMOG, cf. PRKIC (François). - « La gestion du conflit libérien par la CEDEAO, l'ONU et l'OUA ». - Texte présenté au colloque international Intégration et régionalisme en Afrique. - Bordeaux-Talence (France), 27-30 avril 1994, dactylo. 26 pp. (disponible à la Fondation MSF) ; ADISA (Jinmi). - « Nigeria in ECOMOG: Political Undercurrents and the Burden of Community Spirit ». - in Small Wars and Insurgencies, Vol. 5, n°1, Spring 1994, pp. 83-110. Officiellement, il s'agissait de prévenir les risques de déstabilisation régionale liés à l'extension du conflit et au développement des flux réfugiés, de répondre à un « devoir d'ingérence humanitaire » et de porter secours aux nationaux ouest-africains dont le gouvernement du Liberia ne pouvait garantir la sécurité. Le Comité Permanent de Médiation élabora un plan de paix prévoyant d'une part la constitution d'une force d'interposition — l'ECOWAS Monitoring Group (ECOMOG) —, chargée de « maintenir la paix, restaurer la loi et l'ordre et s'assurer que le cessez-le-feu est respecté », d'autre part l'établissement d'un gouvernement intérimaire, l'IGNU.
Composée à son apogée de 12.000 hommes, l'ECOMOG est rapidement apparu comme l'instrument de la politique extérieure nigériane. Impulsée par le gouvernement de Babangida, la force d'interposition a été exclusivement commandée depuis septembre 1990 par des généraux nigérians. Deux tiers des casques blancs proviennent d'ailleurs du géant ouest-africain. Les autres contingents sont issus du Ghana, de Sierra Léone, de Guinée et de Gambie. Afin de tempérer la domination anglophone, six officiers maliens et des troupes sénégalaises avaient rejoint la force d'interposition en 1991. Ils la quitteront en 1993. Les accords de Cotonou avaient quant à eux prévu la mise en place d'une « expanded ECOMOG » composée de bataillons tranzaniens et ougandais. Les premiers se retireront en mai 1995, les seconds en juillet 1995. De plus, les Etats francophones ayant pris rapidement leurs distances par rapport au volet militaire du plan de paix décidé à Banjul, l'ECOMOG bénéficiera de facto d'une grande autonomie. C'est donc au regard de l'agenda politique nigérian qu'il convient d'analyser prioritairement l'attitude des casques blancs à l'égard de l'aide.
1.1.2. 1990-1995 : vers un embargo humanitaire
Or, de 1990 à 1995, la position du Nigeria est dominée par son hostilité au NPFL. Plusieurs raisons permettent d'expliquer cette attitude. Le régime de Lagos était très lié à celui de Samuel Doe et voyait dans la remise en cause de la dictature militaire libérienne un dangereux précédent qui risquait de se propager sur son propre sol et dans les États de la sous-région. Par ailleurs, désireux d'exercer un rôle de puissance régionale, le Nigeria considérait d'un mauvais œil l'accession à la tête du Liberia d'un mouvement patronné par la Libye et la Côte d'Ivoire. Le régime de Khadafi — auquel le Nigeria s'était notamment heurté au Tchad — était d'autant plus craint que celui-ci pouvait menacer l'unité de la fédération nigérianne en jouant la carte de la mobilisation islamique. Quant à la Côte d'Ivoire, elle était le principal rival de Lagos dans sa quête d'hégémonie régionale. Il n'est pas non plus exclu que la junte nigériane ait voulu protéger ses intérêts économiques. Ayant investi aux côtés de Samuel Doe dans le projet d'exploitation du gisement de fer de Mifergui, Babangida aurait très mal vu la remise en cause de cette entreprise, capitale pour l'industrie sidérurgique nigériane et pour les intérêts personnels du chef de l'État. Selon Eric Fottorino, Lagos aurait également cherché à contrôler l'attribution des pavillons de complaisance ainsi que le port franc de Monrovia qui lui aurait permis de faciliter les opérations de blanchissement de l'argent de la drogue.Le monde, 25 avril 1991.
Toujours est-il que l'ECOMOG s'est imposée entre 1990 et 1995 comme une force anti-Taylor. A peine débarquée et prise sous le feu des rebelles, la force d'interposition mènera une solide contre-offensive qui empêchera le NPFL de s'emparer de Monrovia et permettra de constituer un cordon de sécurité autour de la capitale. En 1992, l'ECOMOG ira même jusqu'à s'allier et à armer des factions hostiles au NPFL afin de repousser l'offensive de celui-ci contre Monrovia lors de l'Opération "Octopus". L'ULIMO et les AFL à l'origine, puis le LPC, l'ULIMO-J et les Forces de Coalition recevront d'importantes subsides des bataillons nigérians.
L'offensive militaire des forces d'interposition s'est bien entendu accompagnée d'une offensive économique s'étendant à l'aide humanitaire. En novembre 1992, la CEDEAO décrète un embargo total en direction des zones NPFL. Bien que celui-ci ne concerne pas en théorie les opérations d'assistance, l'ECOMOG profitera de ces sanctions pour entraver l'acheminement vers le Taylorland d'une aide dont elle avait perçu les multiples intérêts pour le NPFL — notamment en termes de « sanctuarisation » des lignes d'approvisionnement en matériel militaire. La force d'interposition mènera ainsi des attaques directes contre des objectifs humanitaires. Le 16 novembre 1992, les alpha-jets nigérians bombardent l'entrepôt CRS de Buchanan. Il ne s'agissait pas d'un accident, les casques blancs ayant pris la précaution de demander au personnel de s'éloigner de la zone à l'heure de l'attaque. Le 2 mars 1993, l'aviation repasse à l'offensive, visant cette fois un camion CRS effectuant des distributions de nourriture dans la proche banlieue de Buchanan. Le 18 avril 1993, c'est un convoi MSF en provenance de Côte d'Ivoire qui est bombardé dans le Nimba, à hauteur de Sanniquelie. L'ECOMOG s'en prendra également aux infrastructures de santé. L'hôpital d'Harbel est attaqué le 5 novembre 1992, celui de Phebe le 10 mars 1993 et celui de Greenville le 18 mars. Au mois de mai, les forces d'interposition formaliseront clairement leur position à l'égard de l'aide, donnant un sens aux attaques antérieures :
« While it is part of ECOMOG's responsability to support the supply of relief materials to every part of Liberia, it has the right through its peace enforcement mandate to dermine the easiest and safest corridor through which to achieve this objective. Therefore, ECOMOG will not accept any activity that will render it incapable of fulfilling its mandate and expose it and peaceful citizens to danger. ECOMOG warned that no relief agency or NGO has any right to imped the efforts of ECOMOG in its peace enforcement mission. »
Considérant que l'apport d'aide humanitaire peut entrer en contradiction avec son mandat de maintien de la paix — en clair, avec sa volonté d'en finir avec le NPFL —, l'ECOMOG interdira les convois en « cross-border » à destination du Taylorland. Elle proposera en remplacement, l'utilisation en « cross-line » d'un « corridor de la tranquillité », difficilement praticable et réduisant considérablement les capacités d'intervention en zone NPFL. Les opérations depuis la Côte d'Ivoire reprendront finalement au compte-goutte après la signature des accords de Cotonou et malgré la fermeture temporaire de la frontière par les autorités d'Abidjan en août 1993.N'étant pas investie officiellement d'un mandat humanitaire, ni avant, ni après Cotonou, l'ECOMOG n'a eu aucun mal à imposer "légalement" ces restrictions.
En revanche, la sécurisation de la capitale puis du triangle Monrovia-Kakata-Buchanan a permis un approvisionnement régulier des zones contrôlées par les forces d'interposition. A noter que l'ECOMOG, et plus particulièrement les bataillons nigérians, ne sont pas étrangers aux détournements d'aide alimentaire dans ces territoires. Mais ils n'ont joué qu'un rôle limité dans ces malversations, étant engagés par ailleurs dans d'autres trafics beaucoup plus juteux — rachat des biens pillés, démantèlement des infrastructures économiques (comme celles du port de Buchanan), exploitation du diamant et de l'or…
1.1.3. 1995-1996 : une stratégie de « food for peace »
Toutefois, en 1995 le Nigeria change de stratégie. Alors que l'insatisfaction de l'opinion publique nigerianne à l'égard du coût financier et humain de l'ECOMOG commence à croître, la dimension internationale du conflit libérien connaît un certain nombre de mutations. La Libye parait de moins en moins présente aux côtés du NPFL, de même que son allié régional, le Burkina Faso. Depuis 1993, ce dernier avait adopté une position plus neutre de conciliateur et s'était engagé auprès du Nigeria, en janvier 1995, à stopper tout approvisionnement en armes de Taylor. En Côte d'Ivoire, le successeur d'Houphouet Boigny, Henri Konan Bédié, afficha rapidement des ambitions régionales beaucoup plus modestes. Plus préoccupé par sa réélection à la tête de l'État au scrutin d'octobre 1995 que par les enjeux de politique extérieure, son principal souci semblait de limiter les risques de déstabilisation liés à la présence de milliers de réfugiés libériens sur le territoire ivoirien.
Du coup, Taylor apparaissait comme un élément beaucoup moins menaçant pour la politique étrangère nigériane. Au point que le régime d'Abuja en vint à reconsidérer la question de son accession à la tête de l'État libérien. C'est alors que le leader du NPFL accepta en juin 1995 de se rendre pour la première fois depuis le début du conflit à Abuja. Bien que le compte rendu de la rencontre reste confidentiel, il semble que Taylor ait profité de ce voyage pour conclure un marché avec le régime nigérian : celui-ci soutiendrait ses ambitions politiques en échange d'avantages économiques portant sur les ressources naturelles libériennes. Toujours est-il qu'à partir d'août 1995, l'ECOMOG ne se comportera plus comme une force anti-NPFL.
Ce changement d'optique n'a pas été sans conséquences sur le comportement des forces d'interposition à l'égard de l'aide. Après la signature des accords d'Abuja, l'ECOMOG met un terme aux entraves imposées aux opérations d'assistance dans le Taylorland au profit d'une stratégie de « food for peace ». Tablant sur une sortie politique du conflit favorable à Taylor, les forces d'interposition essayent d'utiliser les ressources humanitaires pour stabiliser le pays. Elles tentent de faire de l'aide une « prime à la paix », encourageant les combattants de base et les commandants locaux à déposer les armes. De fait, l'ECOMOG parvient à attirer dans son sillage des organismes d'assistance afin qu'ils s'implantent directement après son passage dans les zones qu'elle sécurise. MSF et le CICR refuseront de s'associer à cette pratique en raison du manque de neutralité antérieur des casques blancs. De même, les forces d'interposition utilisent la « carotte humanitaire » pour négocier l'ouverture des routes vers Gbarnga et Bong Mines. Afin de forcer les réticences des factions, elles promettent l'envoi de convois humanitaires sur une base paritaire : chaque départ sur l'un des sites serait suivi d'un autre du même type, vers l'autre site, avec la même quantité de nourriture — et ce, en l'absence de toute estimation préliminaire des besoins. Les Nations unies ont elles aussi tenté de manipuler les ressources de l'aide en fonction de leur agenda. Mais celui-ci paraît beaucoup moins clair.
1.2. Les organes politiques des Nations unies face à l'aide humanitaire
Les organes politiques des Nations unies ne se sont impliqués que tardivement dans le processus de paix libérien.Sur le rôle des Nations Unies dans les opérations d'aide humanitaire, cf. SCOTT (Colin). - Humanitarian Action and Security in Liberia. 1989-1994. - Thomas J. Watson Jr. Institute for International Studies : Occasional Paper n°20, 1995. La première résolution du Conseil de Sécurité concernant le pays date du 22 janvier 1991 et approuve l'initiative de paix patronnée par la CEDEAO. Une deuxième résolution soutenant les accords de Yamassoukro IV sera votée le 7 mai 1992. Cette position initiale de retrait s'explique par l'indigence financière de l'organisation, contrainte d'effectuer des choix entre de potentielles opérations de maintien de la paix et cherchant à les déléguer à des organisations régionales. La retenue onusienne s'explique aussi par le caractère « interne » du conflit à une époque où la « non ingérence dans les affaires intérieures d'un État » restait la règle officielle, et par la tournure des affrontements, qui laissait présager une victoire rapide du NPFL, mettant en cause la pertinence d'une intervention à ce stade de l'affrontement. Laisser la guerre s'éteindre d'elle-même par la victoire de l'une des parties semblait la meilleure solution. De fait, entre 1990 et fin 1992, les Nations unies, trop contentes que la CEDEAO ait pris en charge la gestion de la crise, se contentèrent d'intervenir sur un plan strictement humanitaire au travers des agences spécialisées.
La reprise généralisée des hostilités après l' « Opération Octopus » d'octobre 1992 amènera l'organisation à réviser sa position qui prendra alors un tour beaucoup plus politique. Confronté à l'échec du plan de paix de Yamassoukro IV, le Conseil de Sécurité décida, par sa résolution 788 du 19 novembre 1992, d'imposer un embargo militaire au Liberia et demanda au Secrétaire Général de nommer un Représentant Spécial. C'est un diplomate jamaïquain, Trevor Gordon-Sommer, qui fut désigné. Son rapport servira de base à la résolution 813 du 26 mars 1993 par laquelle le Conseil de Sécurité proposa de « discuter avec la CEDEAO et les partis concernés la contributions que les Nations unies pourraient apporter (…), y compris le déploiement d'observateurs. » La suggestion rencontra l'assentiment des principales factions, qui réunies à Cotonou pour des pourparlers de paix en juillet 1993, signèrent un accord prévoyant la démobilisation des troupes, l'organisation d'élections libres pour octobre 1994 et le déploiement d'observateurs militaires non armés des Nations unies, l'UNOMIL (United Nations Observer Mission in Liberia). Placée sous l'autorité directe du Secrétaire Général et de son Représentant Spécial, celle-ci s'était vue confiée un mandat à la fois politique — veiller à la bonne application des accords de paix — et humanitaire — coordonner « de façon appropriée » les activités d'assistance en collaboration avec les agences spécialisées.Resolution 866 du 22 septembre 1993. 369 observateurs débarqueront à cette fin à partir de novembre 1993.
En pratique, cette politisation de l'action des Nations unies, s'accompagne d'une relégation des considérations d'ordre humanitaire. Alors que l'aide avait servi jusqu'ici de palliatif au désengagement onusien, le Représentant Spécial essaiera de l'assujettir à son nouvel agenda politique. Croyant fermement au processus de paix décidé à Cotonou, convaincu que celui-ci avait été rendu possible par l'imposition au NPFL d'un embargo, notamment humanitaire, il intima l'ordre aux organismes d'aide de respecter les restrictions de circulation imposées par l'ECOMOG et de stopper leurs opérations en « cross-border » depuis la Côte d'Ivoire. Trevor Gorden-Sommer ira jusqu'à déclarer clairement : « Certaines organisations ont pour mandat de porter assistance aux populations dans le besoin. Nous avons un mandat plus important : apporter la paix. Si l'assistance entrave le processus d'assistance, il n'y aura pas d'assistance. » De fait, le Représentant Spécial ne se prononcera pas sur les attaques menées par les casques blancs contre des objectifs humanitaires — pas plus d'ailleurs, que sur l'alliance entre l'ECOMOG et les factions anti-Taylor — et amènera Abidjan à fermer temporairement sa frontière aux organismes d'aide. Ce positionnement suscita la protestation des organisations non gouvernementales et des agences onusiennes dont le coordinateur UNSCOL, Ross Mountain, fut rappelé en raison de la vivacité de ses critiques.
Mais la stratégie déployée par les Nations unies s'avérera un échec. Malgré la signature d'avenants aux accords de paix de Cotonou (à Akosombo et Accra), les combats reprirent, dynamisés par l'émergence de nouvelles factions et la fragmentation des anciennes. L'ONU se retrouva ainsi partie prenante à un processus de paix condamné, sans pour autant avoir de solutions alternatives à proposer. Ayant pris le risque de s'engager dans un règlement politique, au point de tirer un trait sur les priorités humanitaires, l'organisation s'était fait prendre au piège du conflit — situation d'autant plus délicate qu'après l'effondrement des espoirs de Cotonou, elle semblait en panne d'idée pour aboutir à un règlement pacifique. Aussi, la suite des événements est-elle marquée par la plus grande confusion. De 1995 à 1996, les Nations unies « tâtonnent », jouant alternativement ou conjointement de leur mandat humanitaire et politique, introduisant du même coup une confusion délétère entre les deux registres. A vrai dire, il est difficile de cerner la stratégie onusienne de 1995 à 1996. A l'intérieur même de l'organisation, certains acteurs avouent que l'ONU « ne sait pas quoi faire » et qu'à défaut, elle tente de légitimer sa présence par une « gesticulation humanitaro-politique ». De fait, après les accords d'Abuja, l'UNOMIL multipliera les opérations à composante humanitaire et politique, faisant miroiter les ressources de l'aide dans le cadre de négociations, associant à l'inverse des militaires aux convois d'assistance, etc., sans qu'il soit possible de savoir si ces pratiques renvoient à une stratégie cohérente de sortie de crise. Toujours est-il que ces méthodes ont été très mal perçues par les organisations d'assistance qui ont dénoncé les risques entraînés par cette confusion entre humanitaire et politique : perte de neutralité, augmentation des pressions politiques sur les organismes d'aide, absence d'avancée sur la plan strictement politique…
Notons par ailleurs que l'attitude des Etats occidentaux — États-Unis, Union Européenne — est assez similaire à celle des Nations unies avant Cotonou. Désemparés par la crise libérienne mais ne voulant pas marquer un désintéressement total à son égard, ils ont essentiellement investi dans l'aide humanitaire tout en se gardant de s'impliquer dans un règlement politique — et a fortiori militaire — hautement incertain. L'attitude des Nations unies comme celle des autres Etats nécessiterait une étude beaucoup plus approfondie. Rappelons encore une fois qu'il ne s'agit que de pistes de réflexion qui restent à creuser.
2. L'AIDE ET LES ACTEURS LIBÉRIENS NON ARMÉS
En marge des factions et des instances qui revendiquent un rôle dans la résolution de l'affrontement, le conflit libérien a également impliqué un certain nombre d'acteurs démilitarisés, qui pour n'être pas directement partie prenante à la lutte ne sont pas moins concernés par elle et influent ainsi sur son cours. Un certain nombre de ces « tiers » ont parfois eu recours aux ressources humanitaires. C'est le cas des partis politiques, des acteurs économiques et d'autres représentants de la société civile.
2.1. L'aide et les partis politiques non armés
2.1.1. Les trajectoires politiques non armées au Liberia
Bien que la scène libérienne soit dominée par les « warlords », un certain nombre d'acteurs politiques ayant toujours refusé de prendre les armes — du moins directement — continuent d'évoluer. C'est notamment en leur sein qu'ont été recrutés les membres des premiers gouvernements intérimaires — IGNU, LNTG I. Parmi ces mouvements, deux partis occupent une place prépondérante en raison de leur enracinement dans l'histoire libérienne : le Liberian People's Party (LPP) du Dr Togbah Nah Tipoteh, successeur du Moja (Movement for Justice in Africa) fondé dans les années 1970 ; le United People Party (UPP) de Gabriel Baccus Matthew, successeur de la Progressive Alliance of Liberia (PAL), fondé en 1975. Le LPP recrute traditionnellement parmi les « educated natives », les « natifs » — par opposition aux Americo-Libériens — ayant eu accès à l'éducation. A l'origine, il était essentiellement composé d'étudiants de l'University of Liberia. Le UPP apparaît au contraire comme un mouvement populiste, ayant un certain écho chez les petits marchands de la capitale et parmi les déclassés sociaux. C'est ce parti qui fut à l'origine des « rice riots » de 1979, protestant contre les augmentations du prix du riz décidée par Tolbert et prélude à la chute de ce dernier en 1980. Bien que ces deux mouvements soient trans-ethniques, le UPP est particulièrement bien implanté dans la région du Grand Bassa.
Le propre de ces deux partis est d'avoir refusé d'entrer directement dans la lutte armée. Ce positionnement « politique » au sens strict doit toutefois être nuancé : à plusieurs reprises, l'ECOMOG est apparu comme le bras militaire des politiciens et ces derniers ont été accusés d'avoir financé au coup par coup certaines factions. Néanmoins, le UPP et le LPP n'ont pas constitué de milices armées à leur solde et ont joué de cette virginité factionnelle pour se positionner sur la scène politique libérienne. Après les accords d'Abuja, ils ont stigmatisé les « seigneurs de la guerre » accusés d'être des « agents de la mort » et ont fait valoir en retour leur propre refus d'entrer dans la spirale de la violence. En décembre 1995, alors que la tenue des élections en août 1996 demeurait une option envisageable, le UPP et le LPP avaient tenu une conférence appelant les autres partis non armés à former une coalition pour opposer un front commun aux factions. Plusieurs observateurs s'accordent à dire qu'une telle coalition aurait fait peser une hypothèque sur les ambitions électorales du NPFL.Un sondage réalisé à Monrovia auprès d'un millier de personnes en février 1996 à propos de leurs intentions de vote révélait 50% d'indécis, 33% d'intentions en faveur de chefs de factions et 17% pour des politiciens. Bien entendu, ces chiffres doivent être considérés avec beaucoup de précautions… Cf. The First National Poll, (Monrovia), January 30 -February 2 1996. Toujours est-il que le UPP et le LPP ont utilisé les ressources de l'aide dans le cadre de leur stratégie politique.
2.1.2. L'aide au service des trajectoires politiques non armées
Dès les années 1970, le Dr. Nah Tipoteh avait créé parallèlement à son parti une « charity » baptisée « Susuku ». Regroupant principalement de jeunes étudiants dont il essayait de faciliter l'insertion professionnelle, cet organisme a été utilisé par le Moja puis le LPP pour élargir et renforcer la mobilisation des Libériens en sa faveur. Avec le développement du conflit, « Susuku » s'est reconverti dans l'aide aux réfugiés puis s'est spécialisé dans la réintégration des anciens combattants. Financée par la diaspora libérienne en exil, l'organisation a également bénéficié d'une aide épisodique de la communauté internationale — en particulier du gouvernement hollandais. L'intervention du LPP dans la sphère humanitaire via Susuku a sans conteste épaulé la stratégie politique du Dr Tipoteh. Elle lui a permis d'étendre son influence sur la société, de gagner l'allégeance politique des populations qui bénéficiait de son assistance, et plus généralement, de faire valoir son image d'homme d'Etat responsable, prenant en compte les problèmes sociaux et tentant d'y apporter des éléments de réponse. Ceci étant, l'aide internationale est faiblement intervenue dans ces processus étant donné la part minime occupée par Susuku dans la mise en œuvre des vastes programmes d'assistance.
Le UPP a quant à lui été beaucoup plus performant dans l'utilisation de l'aide humanitaire. En effet, le PAM a confié la distribution générale de nourriture à Monrovia à une ONG locale baptisée SELF (Special Emergency Life Food). Considérée par l'agence comme « a professional relief organization », SELF a été chargée de l'enregistrement de 700.000 bénéficiaires et de la distribution bimestrielle de 6.000 à 7.000 tonnes de nourriture. C'est elle aussi qui a géré le port et les stocks de nourriture du PAM et de CRS dans la capitale. Créée au début du conflit, cette ONG est présidée par Dorothe Diggs, une Libérienne ayant travaillé pour une Fondation américaine et disposant de nombreux contacts dans le milieu des organisations internationales. Mais le pouvoir à l'intérieur de SELF est surtout exercé par son "numéro deux", Blamon Nelson, qui est également trésorier du UPP… C'est ainsi que l'organisation est rapidement passée sous la domination du parti de Gabriel Baccus Matthew. De fait, tous les postes clefs au sein de SELF sont occupés par des membres du UPP ; il est indispensable pour gagner de l'avancement d'appartenir au parti, si bien que ceux qui veulent progresser sont obligés, quand ils ne l'ont pas fait prioritairement à leur embauche, de prendre leur carte. L'accès privilégié de SELF aux ressources humanitaires a permis au UPP de structurer son réseau de clientèle. Les militants ont été rémunérés sur les ressources de fonctionnement de l'organisation mais aussi par l'octroi de multiples opportunités de détournement. Nous n'avons malheureusement pas eu le temps d'enquêter dans le port franc de Monrovia mais nous avons recueilli de nombreux témoignages attestant de la pratique récurrente de détournements à différents niveaux de l'organisation, y compris au sommet. Surtout, la distribution finale de nourriture a permis au UPP de consolider son implantation dans les milieux populaires de la capitale. En s'appropriant symboliquement les opérations d'assistance par la présence de membres du UPP lors des distributions, le parti a cherché à se fidéliser un électorat potentiel.
2.2. L'aide et les acteurs économiques locaux
En marge de la sphère politique et militaire, l'aide humanitaire a également constitué un enjeux pour les acteurs économiques libériens. En effet, par delà l’impact direct des secours, les opérations d'assistance ont généré un certain nombre de retombées économiques indirectes, à la fois sur un mode licite et illicite.
2.2.1. Les retombées économiques licites des opérations d'assistance
En août 1995, Stephen Smith constatait : « Au Liberia, en dehors de l'économie de guerre, il ne subsiste qu'une brasserie, qui tourne à plein régime, une cimenterie, réduite à 15% de sa capacité de production, et… l'aide humanitaire.Libération, 28 août 1995. » Dans un pays où le taux de chômage dans le secteur privé avoisine les 90%,Estimation pour 1995 du Département d'État américain.où l'administration est en proie à la désorganisation la plus complète — la plupart des fonctionnaires ayant quitté leur poste, ne sachant plus de quelle autorité ils dépendent et ne recevant un salaire dérisoire que de façon extrêmement épisodique… —, les organismes d'aide constituent l'un des principaux employeurs, si ce n'est le principal employeur, de l'économie formelle. En 1995, MSF-France employait 600 salariés qui représentaient une masse salariale annuelle de 341.000 USD. Cet impact est encore plus important au niveau local. A Greenville par exemple, les organisations humanitaires étaient, début 1996, les seuls employeurs de la localité. MSF faisait travailler 102 salariés contribuant chacun à la subsistance d'un foyer de 12 personnes en moyenne. Greenville comptant environ 12.500 habitants, c'est au moins 10% de la population qui bénéficiait ainsi chaque mois des revenus salariaux versés par l'organisation. A noter qu'Oxfam et CRS étaient également présents dans la localité avec un important personnel local.
Parallèlement aux salaires versés, les organismes d'aide ont réalisé un certain nombre de dépenses locales — location d'habitations et de moyens de locomotion (camions, bateaux…), achat de matériaux de construction, de matériel divers (générateurs, pompes…), de nourriture, dépenses liées à la « distraction » du personnel expatrié, etc. — ayant bénéficié au secteur marchand libérien et principalement à la diaspora libanaise. Un certain nombre de commerçants à Monrovia se sont ainsi spécialisés dans l'approvisionnement des organismes d'aide. La cimenterie mentionnée par Stephen Smith travaille presque exclusivement au profit de ces derniers.
Toutes ces retombées indirectes ont eu un effet dynamisant sur l'économie libérienne, au moins dans les secteurs autres que ceux concernés par le domaine d'intervention des humanitaires.En effet, la production agricole ou le commerce des médicaments ont plutôt été pénalisés par les opérations d'assistance — les distributions gratuites contribuant à briser le marché. Cependant, le remplacement du riz par du blé concassé à partir de 1994-1995 a permis de limiter l'effet déflateur sur l'agriculture locale, le "bulgur" étant peu apprécié des Libériens. Les dépenses locales, que ce soit en termes de salaires ou d'achat de fournitures, tendent en partie à relancer l'économie par la demande. L'incidence de ce facteur est amplifié par l' « effet multiplicateur » keynésien, qui joue pour les rémunérations salariales et dans une moindre mesure pour les dépenses d'approvisionnement —, la diaspora libanaise contrôlant le marché ayant tendance à sortir les revenus ainsi générés du circuit économique libérien.
2.2.2. Les retombées économiques illicites des opérations d'assistance
En marge des retombées économiques « licites », un certain nombre de revenus « illicites » ont été générés par l'aide via des détournements alimentant un secteur marchand informel. MSF a partiellement été victime de ce genre de pratiques. En 1995 par exemple, la section française a été contrainte de porter plainte contre son magasinier, pharmacien de formation, qui avait détourné une importante quantité de médicaments afin d'ouvrir sa propre pharmacie. Mais ces pertes restent marginales au regard du budget de la mission, mais surtout aux vues du détournement massif de l'aide alimentaire s'opérant à partir des camps de déplacés.Comme précisé en introduction, le destin de l'aide apportée dans les camps de réfugiés situés dans les États voisins n'a pas été intégré à l'étude. Toutefois, il serait fort étonnant que ceux-ci échappent aux pratiques observés dans les camps de déplacés.
En effet, une grande partie des 1,47 million de personnes déplacées recensées par le PAM en 1995 — dont 800.000 à Monrovia — vit dans des camps alimentés par l'aide internationale. Buchanan, où nous avons été en mesure de recueillir quelques informations, en accueille environ 130.000, répartis sur une dizaine de sites assistés par CRS et la LRRRC. De toute évidence, ces camps abritent un véritable réseau organisé de détournement vers le secteur informel. Il apparaît tout d'abord que le nombre de personnes déplacées est largement surestimé par les deux organismes en charge de la distribution. Selon MSF, les estimations de bénéficiaires étaient deux fois supérieurs à leur valeur réelle jusqu'en mai 1995. Par la suite, CRS a révisé ses chiffres qui demeureraient toutefois surestimés de 35% — 200.000 bénéficiaires pour CRS contre 130.000 pour les autres organismes. Par ailleurs, la ration distribuée au final correspond rarement à celle planifiée : les outils de mesure sont souvent biaisés, certains types de denrées sont dits manquants. Un « food basket » réalisé par MSF fin 1995 a montré que les déplacés recevaient en moyenne 733 kcal au lieu des 900 kcal prévus — soit une déperdition de 18,5%. Au total, on peut estimer la part de l'aide alimentaire détournée dans les camps de Buchanan entre 47% et 60%. Cette ponction est principalement organisée par les employés locaux de CRS, les représentants de la LRRRC (responsable de l'enregistrement et de la distribution finale) et les autorités locales des camps qui s'approprient les surplus non distribués. Les déplacés en profitent de façon marginale, les deux organismes fermant les yeux sur les manœuvres employées par ceux-ci pour gagner des rations supplémentaires : enregistrements multiples en plusieurs points de distribution, prêt ou location d'enfants, multiplication des passages au camp de transit…
Le surplus ainsi généré est recyclé de diverses manières. Un trafic de fausses cartes de distribution — vendues entre 500 et 2.000 LD l'unité par des employés de CRS — permet de redistribuer une partie de la nourriture à la population locale (déplacée ou résidente). Mais l'essentiel rejoint des circuits de commercialisation parallèles, impliquant parfois l'ECOMOG, et dominé par les « marketers » — les marchands. Ces derniers sont en fait essentiellement des femmes, qui, du fait de leur plus grande liberté de circulation dans le pays peuvent faire fonctionner des réseaux.De même que les "Mama Benz" au Bénin ou les "Nanas" au Togo, il semble que les femmes jouent un rôle très important dans l'économie libérienne, notamment informelle. Ainsi, après chaque cycle de distribution à Buchanan, il est possible d'observer aux portes de Monrovia le manège des véhicules qui reviennent du port minéralier chargés de sacs de blé concassé, et pris d'assaut par les commerçantes qui les revendent ensuite sur les marchés de la capitale, à "Red Light" et à "ELWA Junction". Mais ce trafic a surtout permis d'alimenter les zones enclavées échappant aux opérations d'assistance. C'est de cette manière que Greenville, déserté par les organismes d'aide de fin 1994 à fin 1995, a pu bénéficier d'un apport irrégulier de blé concassé provenant par canot de Buchanan. Ces poches isolées ont permis aux marchands de réaliser des profits substantiels. Alors que le sac de « bulgur » se négociait, au plus fort de son cours, à 250 LD dans le port minéralier, il était revendu au minimum 1.200 LD à Greenville — soit un profit de 240% !
La LRRRC étant présidée par un membre du LPC et Greenville étant aux mains de cette faction, il a été avancé que les réseaux de détournements obéissaient à une logique factionnelle. Le mouvement armé se serait infiltré dans les camps de déplacés au travers de la LRRRC pour mettre en place un circuit d'approvisionnement politico-militaire à destination des zones contrôlées par le LPC. Cette thèse est séduisante, d'autant plus qu'un certain nombre de combattants figurent parmi les personnes faisant la navette entre les deux ports. Cependant, les civils interrogés à Greenville nous ont affirmé que les réseaux d'approvisionnements obéissaient avant tout à une logique commerciale. Ils en veulent pour preuve les tarifs exorbitants pratiqués par les marchands, tarifs dont le LPC se plaignait souvent. Le même discours nous a été tenu dans les camps de déplacés à Buchanan.Ayant fui les zones LPC et peu avares de critiques quant aux détournements opérés par CRS et LRRRC, on ne voit pas pourquoi les déplacés que nous avons rencontrés auraient tu l'implication du mouvement armé dans les mécanismes qu'ils dénoncent. De plus, les détournements opérés ont également servi à alimenter le marché de "Red Light" à Monrovia, connu pour être tenu en grande partie par les femmes de combattants NPFL. Par conséquent, il semble que la logique de fonctionnement de ces réseaux soit avant tout économique, quand bien même ils servent à alimenter les mouvements armés. Les factions semblent d'ailleurs assez agacées par ces pratiques qui leur échappent et qui parfois les pénalisent économiquement.N'ayant pas eu le temps d'enquêter dans les camps de déplacés de Monrovia, nous nous bornerons à faire l'hypothèse qu'ils connaissent des phénomènes similaires (ce qui est attesté par de nombreux témoignages) quoique d'ampleur plus limitée étant donné le rôle de SELF dans la distribution et son implication avec le UPP, largement hostile aux factions.
Ainsi, l'aide humanitaire n'a pas seulement été utilisée par les factions. Elle a également servi les trajectoires politiques non armées et des stratégies d'enrichissement licites et illicites dissociées de l'univers factionnel même si elles ont été amenées à le rencontrer sur une base commerciale. Plus généralement, ces éléments montrent que l'assistance a pu jouer un rôle dans la structuration d'une société civile et politique échappant en partie au contrôle des mouvements armés. D'autres phénomènes de ce type existent, bien que nous n'ayons pas eu le temps de les étudier ; on a vu certaines ONG locales et des employés libériens d'organismes internationaux s'investir à plein dans la reconstruction du pays audelà de la quête de rétributions matérielles ou de l'adhésion à une entreprise politique ou militaire ; dans plusieurs camps de déplacés, voire dans le bush, les pouvoirs traditionnels se sont parfois reconstitués pour faire valoir les intérêts de la population, notamment auprès des organismes d'assistance ; etc. Mais nous avons extrêmement peu d'informations sur ces processus. Ils ont néanmoins le mérite de souligner que le pouvoir des factions n'est pas absolu, qu'il subsiste un espace civil et politique qui échappe aux mouvements armés, même si à l'heure actuelle c'est l'usage de la force qui domine la dynamique sociale libérienne.
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