François Jean
Chercheur au Crash, François Jean nous a quittés le 25 décembre 1999. Il avait publié de nombreux articles et ouvrages dont plusieurs dans la revue Esprit. Il s'était passionné, entre autres, pour l'Afghanistan, le Caucase, la Corée du Nord, et analysait sans concession l'évolution de l'action humanitaire.
chapitre 2 : Réfugiés
Médecins Sans Frontières et la crise du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés
Messages, N°39, octobre 1990
par François Jean
Après plus de dix ans de travail dans les camps, en étroite collaboration avec le HCR, MSF est confronté à des difficultés croissantes sur le terrain dans un climat international moins que jamais favorable aux réfugiés.
Notre premier motif d’inquiétude tient à la capacité d’intervention du HCR en cas d’urgence. Cette question a été particulièrement sensible lors des nouveaux afflux de réfugiés qui se sont produits en début d’année. En Guinée, en Côte d’Ivoire et dans le Haut-Zaïre, l’implantation de représentants du HCR sur le terrain a été tardive et les moyens mis à leur disposition ont, dans un premier temps, été insuffisants.
Notre seconde préoccupation touche à l’approvisionnement en vivres des populations réfugiées. Dans certains pays, nous avons dû pallier les défaillances du HCR en prenant en charge, avec l’appui financier du HCR, la fourniture et l’acheminement de nourriture complémentaire ou en assurant une partie de la logistique de l’approvisionnement en denrées alimentaires de base. Les décisions que nous avons prises à cet égard au Malawi et au Shaba ne sont que des mesures ponctuelles dictées par la dégradation de la situation médico-nutritionnelle dans les camps.
Il est évidemment possible d’aller au-delà en élargissant, de manière volontariste, notre champ d’intervention à de nouveaux programmes, notamment dans le domaine alimentaire. Face aux lacunes constatées, certaines ONG pourraient être tentées de se substituer au HCR en captant directement les fonds disponibles chez les grands donateurs. Ce ne serait pas la première fois que des ONG montreraient, outre leur prétention, leur capacité à intervenir avec plus de souplesse que les institutions internationales. En auraient-elles les capacités? Et où trouveraient-elles les moyens de leurs ambitions? Le remède, qui reviendrait à passer d’une gestion multilatérale à des solutions, de fait, bilatérales et ponctuelles risquerait d’être pire que le mal.
La question des réfugiés ne se réduit pas au seul problème de l’assistance qui n’est que l’un des aspects de l’engagement, pris par la communauté internationale lors de la signature de la Convention de 1951, d’assurer la protection des réfugiés. Cet engagement est aujourd’hui assumé avec une réticence croissante par les pays donateurs ; les menaces qui pèsent sur le droit d’asile dans de nombreux pays et les difficultés financières du HCR en témoignent. Dans ce contexte, court-circuiter le HCR réduirait encore ses disponibilités financières, minerait sa crédibilité et, en définitive, sa capacité à assumer son rôle de coordination et son mandat de protection. Les ONG n’ont ni la surface diplomatique ni le mandat international qui permettent au HCR d’apporter une réponse universelle à des problèmes très divers par leur impact politique, leur visibilité médiatique, leur charge émotionnelle…
C’est pourquoi la position de MSF, telle que définie lors d’une récente réunion européenne, est celle d’un soutien au HCR. Un soutien critique évidemment tant il est vrai qu’une coopération fructueuse ne peut être basée sur une attitude complaisante dont les réfugiés seraient les premiers à pâtir. Face aux difficultés actuelles dans les camps et aux perspectives préoccupantes soulevées par le changement d’attitude des pays occidentaux à l’égard des réfugiés tant en matière d’assistance dans le Tiers-Monde que de politique d’accueil en Europe et aux Etats-Unis, nous devons renforcer notre collaboration avec le HCR dans une perspective constructive d’une part et, d’autre part, inciter les principaux donateurs à lui donner les moyens de remplir son mandat d’assistance et de protection.
Pour ce faire, nous devons :
- Rester vigilants pour déceler à temps toute dégradation de la situation dans les camps, - Être rigoureux afin de développer une argumentation technique crédible pour alerter le HCR en cas de problème (le rapport d’Yvan Souares montre que sur les sept missions alarmées par une possible dégradation de la situation, deux seulement ont pu fournir une documentation rigoureuse sur les problèmes évoqués),
- Améliorer notre coordination avec le HCR par des contacts plus réguliers et une meilleure connaissance de ses circuits de décision pour intervenir au niveau approprié à la gravité du problème posé (représentations locales, bureaux régionaux, Haut-Commissaire),
- Être mieux informés des positions des principaux pays donateurs afin de les inciter à réaffirmer le soutien politique et financier qu’ils doivent au HCR pour que soient préservées ses capacités d’assistance sans lesquelles il ne peut y avoir de protection effective des réfugiés.
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Mozambique : Les déracinés de la guerre
Médecins Sans Frontières info, N°13, 1991
Par François Jean
Quinze ans après son indépendance, le Mozambique n'a jamais connu la paix. La guerre s'est rallumée dès 1975, opposant le FRELIMO, parti au pouvoir à orientation marxisteléniniste issu des luttes de libération, à la RENAMO, mouvement de lutte armée suscité par la Rhodésie et d'anciens colons portugais. Progressivement, la RENAMO a fait son nid dans les campagnes en profitant de l'opposition des populations aux projets gouvernementaux de regroupement des paysans dans des structures collectives. Mais les évolutions des années 80 n'ont pas suffi à désamorcer la spirale qui entraîne le pays vers le fond: la nouvelle ouverture politique du FRELIMO et l'arrêt du soutien de la Rhodésie puis de l'Afrique du Sud n'ont pas empêché la RENAMO de s'enkyster comme un corps social armé dans la société rurale avec comme seul projet sa propre reproduction dans la guerre. Le Mozambique est une singulière illustration de ces conflits, nés à l'ombre de la guerre froide, qui se perpétuent et prennent leur autonomie dans l'indifférence générale.
Ce conflit oublié a des conséquences dramatiques: le pays tout entier est ravagé par une guerre sporadique et interminable ponctuée de massacres et de pillages, de destructions de villages et d'attaques de convois routiers. Le climat d'insécurité est tel qu'il dessine une nouvelle géographie faite d'un archipel de villes isolées, entourées d'un étroit périmètre de sécurité et de campagnes incertaines, sortes de trous noirs sur la face du pays légal. De fait les campagnes sont devenues inaccessibles, sauf aux offensives de l'armée et les paysans, soit les trois quarts de la population du pays, sont pris dans un étau de guerre et de famine.
Cette situation n'est malheureusement pas exceptionnelle. Au Mozambique comme au Soudan ou en Ethiopie, la famine n'est pas due aux seuls facteurs climatiques: elle est, très largement, la conséquence de la guerre et de son cortège de dévastations. Le pillage des maisons, la destruction des récoltes, l'attaque des routes ont fragilisé la paysannerie, désorganisé la production et empêché les rééquilibrages nécessaires entre zones excédentaires et zones déficitaires. La guerre accroît la vulnérabilité de la société rurale et empêche l'approvisionnement régulier des secours.
Populations prises au piège
Les populations rurales piégées par les combats sont les principales victimes de la guerre qui ravage le Mozambique. Le conflit qui, depuis quinze ans, oppose la RENAMO et le FRELIMO a déstructuré la société rurale et provoqué des déplacements forcés de population. Le pays tout entier est parcouru par des populations déracinées qui ont tout abandonné pour fuir les combats et se sont réfugiées aux abords des villes ou dans les pays voisins pour tenter d'y trouver un peu de sécurité. Les bidonvilles qui entourent les agglomérations d'une ceinture de précarité ou les vastes camps de réfugiés du Malawi où s'entassent, dans le plus extrême dénuement, plus d'un million de Mozambicains, sont une triste illustration de la grande détresse des campagnes.
Le problème est d'autant plus grave que les populations civiles ne sont pas seulement victimes de la guerre ; elles sont aussi otages des parties au conflit. C'est ainsi que des milliers de personnes ont été enlevées par la RENAMO lors des attaques de villes ou de convois routiers tandis que des milliers d'autres étaient regroupées de force par l'armée lors des opérations de ratissage. Faute de pouvoir totalement contrôler le territoire, chacun des belligérants cherche à contrôler les populations civiles et à les soustraire à l'influence de l'adversaire en les regroupant autour de ses bases. Le fait n'est pas nouveau: le contrôle des populations est un enjeu essentiel des conflits internes. Ce qui est nouveau, par contre, c'est que les organisations humanitaires sont confrontées au moins dans les zones gouvernementales, seules accessibles aux conséquences tragiques des regroupements de populations. Dès lors, elles ne peuvent ignorer les conditions dans lesquelles ces populations sont récupérées par l'armée lors de ses opérations dans les provinces.
De tragiques regroupements forcés
Contrairement aux populations déplacées qui cherchent à fuir les combats, les populations regroupées sont capturées dans leur champ ou leur maison, au hasard des opérations militaires et forcées de s'installer sur des sites choisis par les autorités. Ces centres de regroupement ne disposent pas toujours de ressources suffisantes, en eau et en nourriture, pour cette population supplémentaire et celle-ci est souvent empêchée de retourner cultiver ses champs, parfois distants de quelques kilomètres seulement.
En conséquence, les récoltes pourrissent sur pied pendant que les populations déplacées manquent de nourriture. Les regroupements de population, dans des zones considérées comme sûres mais sans disponibilités alimentaires, ont des conséquences tragiques pour les personnes concernées.
Les populations regroupées dépendent de l'aide internationale pour leur survie. Mais, dans beaucoup de cas, l'aide alimentaire n'arrive pas en quantité suffisante: les convois de nourriture tardent ou se perdent par manque de prévision, de contrôle ou en raison du climat d'insécurité. Jusqu'à présent, les organisations humanitaires n'ont pu obtenir des belligérants qu'ils permettent l'acheminement régulier des secours. La RENAMO reste une guérilla sans visage et les vivres débarqués dans les ports arrivent difficilement aux affamés.
Pour un espace humanitaire
Les organisations humanitaires présentes au Mozambique pour porter secours aux victimes du conflit ne peuvent rester indifférentes et soigner en silence alors que les Droits de l'homme sont régulièrement bafoués et que les personnes déplacées ou regroupées meurent de faim à quelques kilomètres de champs abandonnés. Au Mozambique, comme ailleurs, la communauté internationale se doit d'obtenir des belligérants qu'ils respectent les populations civiles; au Mozambique plus qu'ailleurs, il est possible de limiter les exactions et d'aider les populations. Le gouvernement mozambicain, en effet, n'est pas insensible aux interventions des organisations humanitaires. C'est ainsi que les populations regroupées dans certaines zones de la province de Zambezia ont été autorisées à retourner dans leurs champs au printemps 1991. Mais dans d'autres régions, les combats continuent de déraciner des milliers de paysans.
Rester vigilant
Face à la diversité des situations locales, les organisations humanitaires doivent rester vigilantes et intervenir à temps pour protéger les populations et éviter l'apparition de famines localisées. Le principal problème est celui de l'accès aux victimes. Il est essentiel que des organisations neutres et impartiales puissent circuler à l'intérieur du pays pour évaluer librement les besoins et acheminer régulièrement les secours. Tout doit être fait-pour que l'aide, demandée au nom des affamés, arrive en quantité suffisante aux populations les plus menacées. Tout doit être fait, également, pour assurer la protection des populations déplacées. Le problème n'est malheureusement pas spécifique au Mozambique: il y a 20 millions de personnes déplacées dans le monde qui, comme les réfugiés, cherchent à échapper à la guerre. Mais, contrairement aux réfugiés, ils restent dans leur propre pays, ne franchissent pas de frontières et ne bénéficient d'aucune protection internationale. Dans les pays en conflit, les organisations humanitaires ont un rôle essentiel à jouer pour que soit préservé, et élargi, un espace humanitaire sans lequel les populations civiles seraient abandonnées sans recours entre guerre et famine.
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Réfugiés : go home?
Messages, N°43, novembre 1991
Par François Jean
La vieille Europe s'est bien fait peur cet automne dans une cascade de petites phrases tout droit sorties du dictionnaire de l'exorcisme: "migration-invasion", "immigration-occupation", "clandestins-charters"... Le temps est-il venu, pour les politiques, de surfer sur les craintes, réelles ou entretenues, de leurs concitoyens? Ceux qui le pensent, en tout cas, n'ont que l'embarras du choix: des clandestins aux demandeurs d'asile, des immigrés aux réfugiés, les occasions de glissade ne manquent pas. "Migration-confusion" répondait en écho le Haut Commissariat pour les Réfugiés lors de la récente session de son comité exécutif. La confusion, en effet, est à son comble dans le débat public aussi bien en France, où l'on entend parler de "vrai-faux réfugiés", qu'en Allemagne où, sur fond de violences xénophobes, on s'interroge sur le bien-fondé des garanties constitutionnelles sur le droit d'asile. Après avoir applaudi à la chute du mur de Berlin, les pays européens vont-ils ériger un nouveau rideau de fer pour contenir les demandeurs d'asile?
Ce changement de climat est également sensible en Asie. Le temps n'est plus où les boat people étaient a priori considérés comme réfugiés; ils sont aujourd'hui perçus comme des migrants potentiels. Cette évolution, particulièrement sensible dans le cas des boat people en raison de leur épaisseur politique et de leur charge émotionnelle, est aujourd'hui perceptible un peu partout dans le monde sauf, peut-être, en Afrique et au Moyen-orient. Mais l'affaire kurde a précisément montré le soucis de la communauté internationale d'éviter tout nouveau problème de réfugiés - et toute obligation de protection - fut-ce au prix d'une sauvegarde - ô combien temporaire - des populations rapatriées dans leur propre pays. La question des réfugiés, auparavant placée sous le signe des Droits de l'homme, est aujourd'hui posée en termes de contrôle des flux au Nord et de rapatriement au Sud.
Dans l'absolu, le rapatriement est, certainement, la meilleure des solutions, à condition que la situation du pays d'origine le permette. Dans le contexte actuel, c'est, malheureusement, la seule solution proposée, à condition qu'il s'effectue dans "la dignité et la sécurité". Cette formule rassurante est une belle illustration de la propension de la communauté internationale à habiller de déclarations honorables un sentiment d'impuissance soigneusement entretenu. La question des réfugiés évolue, en effet, par glissements sémantiques progressifs: c'est ainsi que les demandeurs d'asile sont désormais gérés sur le mode de la "dissuasion humaine" qui, en réalité, consiste, de la mer de Chine à l'Adriatique, à leur ôter l'idée de quitter leur pays; c'est ainsi que le rapatriement forcé est aujourd'hui admis sous l'appellation - pudique autant qu'ineffable - de "rapatriement involontaire"; c'est ainsi que les Etats signataires de la Convention de 1951 sur les réfugiés tendent à oublier leurs obligations internationales pour traiter le problème sur un mode précaire, qualifié d'"humanitaire". L'humanitaire a bon dos qui permet aux Etats de se défausser sous des dehors bien intentionnés. Bien entendu, nous attendons des Etats, qu'ils définissent une politique, certes liée à leurs intérêts, mais aussi conforme aux valeurs affichées.
La première obligation des Etats est de respecter le droit d'asile et de ne pas refouler d'emblée les demandeurs d'asile. La seconde est de mettre en oeuvre des procédures de détermination de statut justes et impartiales: dans un climat de crispations identitaires, de politiques d'immigration restrictives et de mouvements croissants de populations, des critères doivent être trouvés pour protéger les plus menacés. La troisième obligation enfin est de s'assurer que ceux qui n'ont pas d'autre choix puissent rentrer chez eux, selon l'expression consacrée, "dans la dignité et la sécurité". Le respect de la dignité humaine suppose que les rapatriés puissent se déterminer librement sur les modalités de leur retour, leur lieu de destination et leur besoin de protection. C'est, au Cambodge notamment, une question essentielle. Les garanties de sécurité ne se limitent pas à de pieuses considérations sur le respect les Droits de l'homme ou au déblocage d'une aide censée acheter la mansuétude des pouvoirs à l'égard de leurs ressortissants égarés; elles supposent, au Vietnam notamment, un engagement de la communauté internationale en faveur du retour à une vraie citoyenneté. Il n'est pas de "solution durable" à la question des réfugiés sans soutien, non seulement à la démocratisation, mais surtout à la démocratie.
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Le fantôme des réfugiés
Esprit, décembre 1992, p.5-l5
Par François Jean
Le 12 Mai 1992, Hong Kong et le Viêt-nam parvenaient à un accord prévoyant le retour - de force si nécessaire - de tous les boat people considérés, à l'issue de la procédure d'éligibilité en vigueur dans la colonie britannique, comme des immigrants illégaux. Depuis cette date, quelques centaines de vietnamiens ont été renvoyés chez eux contre leur gré et le signal émis semble avoir été entendu: les arrivées de boat people se sont presque taries au cours des derniers mois et le retour volontaire devient la seule issue pour ceux qui n'obtiennent pas le statut de réfugié. Hong Kong est désormais un cul-de-sac sur les chemins de la libertéFrançois Jean, "Hong Kong, chronique d'une mort annoncée", Commentaire, 51, automne 1990.et les pays occidentaux ne sont pas en reste, qui répugnent à accueillir sur leur sol les indésirables de la colonie. L'accord anglo-vietnamien marque la fin sans gloire d'un chapitre symbolique de l'histoire récente des réfugiés ; il jette une lumière particulièrement crue sur les évolutions des quinze dernières années.
D'une conférence l'autre
La réponse de la communauté internationale à la question des boat people a considérablement évolué depuis le début de l'exode, à la fin des années 70, comme en témoignent les deux conférences internationales sur les réfugiés indochinois organisées, à dix ans d'intervalle, par les Nations unies à Genève. Lors de la première conférence, tenue en Juillet 1979, les pays d'Asie du Sud-Est avaient accepté d'accorder l'asile aux boat people et les pays occidentaux s'étaient engagés à les réinstaller sur leur sol. Plus prosaïquement, les pays de premier asile avaient consenti un droit de transit aux boat people, sous condition d'un départ rapide vers l'Europe, les Etats-Unis ou l'Australie. C'est ainsi qu'en dix ans plus d'un million et demi de Vietnamiens ont été accueillis dans les pays occidentaux, principalement aux Etats-Unis. Ce traitement exceptionnel, qui accordait aux boat people le bénéfice du statut de réfugié et la possibilité d'un pays de rechange, marquait la volonté politique des pays occidentaux de ne pas rester indifférents à ce drame. Jamais, en effet, réfugiés ne s'étaient vu octroyer de telles possibilités; auparavant, ils étaient au mieux, installés dans des camps au sud, sans possibilités d'accueil a priori dans les pays du Nord.
Le contraste est frappant avec les résultats de la seconde conférence, tenue en juin 1989 sur fond de recrudescence des départs, de réticences occidentales et de refoulements en mer. Pour préserver le droit d'asile dans un contexte d'arrivées croissantes de boat people et de possibilités décroissantes de réinstallation, la communauté internationale adopta un "Plan d'Action Global" sous l'égide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR). Cette nouvelle politique vise d'abord à maîtriser les flux en décourageant les départs de boat people par le biais d'une politique dite de "dissuasion humaine" consistant à mettre les demandeurs d'asile en détention pour leur ôter l'idée de quitter leur pays. Elle met ensuite en place, dans l'ensemble des pays de premier asile, une procédure individuelle de détermination de statut censée faire la part des réfugiés et des migrants.
Depuis l'instauration de cette procédure, la communauté internationale est confrontée à une question cruciale: que faire des boat people non reconnus comme réfugiés? Les pays occidentaux n'en veulent plus, les pays de premier asile non plus. Dès lors, restent deux solutions: le maintien indéfini dans des centres de détention ou le rapatriement - de gré ou de force - au Viêt-nam. Pendant plus de deux ans, deux pays - les Etats Unis et le Viêtnam - se sont opposés, pour des raisons au demeurant contradictoires, au rapatriement forcé des boat people non reconnus comme réfugiés. Au fil des mois, cependant, ces oppositions ont été progressivement ébranlées par des glissements sémantiques successifs.
En Juin 1989, lors de la conférence de Genève, on évoquait pudiquement des retours dans "la dignité et la sécurité" pour éviter toute référence au principe du volontariat. Vint ensuite la brèche de l'automne 1990, lorsque Hong Kong et le Viêt-nam enrichirent leur vocabulaire pour contourner l'obstacle en ajoutant aux deux catégories existantes de "candidats" au rapatriement (les volontaires et les non-volontaires) celle des "non-volontaires non-résistants". Et voici venue l'heure des "immigrants illégaux" et des rapatriements forcés.
Le miroir des boat people
Les boat people, auparavant reconnus, a priori, comme réfugiés sont désormais perçus comme des migrants potentiels. Ce changement de perception ne tient pas principalement aux évolutions du Viêt-nam. Non que le pays n'ait pas évolué depuis quelques années mais l'ouverture économique ne s'est pas encore accompagnée d'un déverrouillage politique. L'adoption de cette "voie chinoise" où les affaires s'emballent à l'ombre du discours du parti n'a pas découragé les départs de boat people et rend plus délicate leur interprétation: comment faire la part, en effet, des raisons économiques, évidentes à ce stade sur fond de rigidités structurelles, d'explosion des inégalités, d'exaspération des attentes... et de la désespérance politique produite par le monopole du pouvoir, la corruption des cadres, l'absence de liberté? Dans cette atmosphère délétère, sans perspectives comparables à celles, longtemps entretenues, d'un exil américain, la prétention à faire la part des réfugiés et des migrants marque sans doute les limites du pragmatisme occidental. La différence, disaient les Polonais il y a quelques années, entre la liberté et la libéralisation est la même qu'entre un canal et une canalisation; les Vietnamiens ne sont pas au bout du tunnel et, faute d'horizon, rêvent toujours de partir. Ce rêve, hier encore vécu comme un hymne à la liberté, est aujourd'hui perçu comme une aspiration à une vie meilleure.
L'histoire des boat people est significative de ce changement de perception. Elle est symbolique d'une époque ouverte par le retrait américain du Vietnam et refermée par la chute du mur de Berlin, une époque engagée sous le signe de la confrontation idéologique et achevée sur la fin de la guerre froide, une époque marquée par une profonde transformation du mouvement des idées, des représentations et des politiques occidentales à l'égard des réfugiés. A la fin des années 1970, en effet, l'exode des boat people a profondément marqué les consciences occidentales. Le drame du Haï Hong, nouvel Exodus découvert par les caméras de télévision, provoqua un aggiornamento des milieux intellectuels jusqu'alors majoritairement engagés dans un soutien sans faille aux mouvements de libération. L'exode des boat people, comme plus tard celui des Cambodgiens au sortir de l'enfer Khmer rouge, précipita l'abandon des engagements militants et le retour à une réflexion critique sur le totalitarisme. La découverte tardive des conséquences humaines des victoires communistes au Viêt-nam et au Cambodge accéléra le déclin des messianismes rédempteurs et l'essor du mouvement humanitaire. Le lancement, en novembre 1978, du comité "un bateau pour le Viêt-nam" témoigne de ce reclassement marqué, symboliquement, par la réconciliation, en juin 1979, de Jean-Paul Sartre et de Raymond Aron sur fond d'Ile de lumière et de sauvetage en mer.
Mais cette évolution ne se limite pas au mouvement des idées; elle traduit un profond mouvement d'opinion. L'exode des boat people, plus encore que celui des Bengalis largement médiatisé en 1971, fait figure de découverte: les réfugiés du sud, soudain projetés sous les projecteurs de l'actualité, émergent à la conscience du public occidental. La couverture médiatique, la mémoire aiguë de la guerre du Viêt-nam et, aux Etats-Unis, le sentiment d'une responsabilité particulière donnèrent à ce drame une dimension exemplaire. Les boat people devinrent, sur tous les écrans de télévision de la planète, des victimes emblématiques: victimes de la guerre, du totalitarisme, des pirates et de la mer de Chine... Il s'ensuivit une émotion considérable et une mobilisation sans précédent des pays occidentaux: les boat people furent accueillis à bras ouverts et les réfugiés du sud, jusqu'alors traités sur le seul mode de l'assistance, devinrent un élément central du calendrier international.
La réaction fut d'autant plus vive que le drame des boat people s'inscrivait dans un contexte marqué par la fin de la détente, l'exaspération des tensions est-ouest et la multiplication des conflits périphériques. De l'Afghanistan à l'Amérique centrale, en passant par l'Asie du sud-est et la corne de l'Afrique, des millions de réfugiés vinrent tout d'un coup témoigner de la brutalité de la guerre et de la grande misère du communisme. Les réfugiés acquirent, pour un temps, une connotation positive tandis que s'opérait un retournement idéologique marqué par le remplacement de la figure centrale du guérillero par celle du freedom fighter dans l'imaginaire occidental. En conséquence, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés se vit doter de moyens accrus et l'on vit les pays occidentaux multiplier les initiatives dans les "sanctuaires humanitaires"Jean Christophe Rufin, Le piège humanitaire, Lattès, 1986. entretenus aux frontières des pays en conflit.
Des réfugiés aux migrants
Ce n'est certes pas la première fois que la question des réfugiés est sujette à de telles évolutions. Au cours du temps, les sociétés ont répondu en fonction de solidarités religieuses, historiques ou culturelles; les Etats y ont réagi en fonction de leurs intérêts politiques ou idéologiques. Ce qui définit le réfugié n'est pas seulement la persécution, c'est aussi le sentiment d'une responsabilité particulière à son égard. C'était vrai en 1573 lorsque le terme de réfugié fut, pour la première fois, employé à propos des calvinistes des Pays-Bas cherchant asile en France auprès de leur coreligionnaires. C'était vrai encore dans l'Europe de la guerre froide lorsque les pays européens accueillirent les dissidents d'outre-mur qui "choisissaient la liberté". C'était vrai enfin dans le Sud saisi par la confrontation Est-Ouest lorsque les pays occidentaux accueillirent les Vietnamiens et portèrent assistance aux Afghans, Cambodgiens et Nicaraguayens qui "votaient avec leurs pieds". Depuis, le mur de Berlin s'est écroulé sous la pression des demandeurs d'asile et les réfugiés se retrouvent à découvert: la guerre froide s'est éloignée, le "syndrome vietnamien" s'est estompé, l'émotion s'est fatiguée... Les boat people ont perdu leur épaisseur politique, leur charge symbolique et leur visibilité médiatique; ils sont aujourd'hui renvoyés au destin des réfugiés oubliés de la planète.
La réponse internationale à la question des réfugiés a certes toujours été sous-tendue par des considérations politiques; jamais pourtant elle n'avait été si émotionnelle, conjoncturelle, télévisuelle, passant indifféremment de l'engouement à l'oubli et du silence à l'indignation. A l'inquiétude même, tant les réfugiés sont aujourd'hui appréhendés sur le mode du débordement. Il est vrai qu'entre-temps des flux Sud-Nord et Est-Ouest sont venus se surimposer aux flux Sud-Sud qui drainaient - et drainent toujours - l'essentiel des réfugiés. Certes, les centaines de milliers de personnes qui, dans un contexte de politiques d'immigration restrictives, demandent chaque année l'asile en Europe ne sont pas toutes - loin s'en faut-reconnues comme réfugiées. Certes, ces demandeurs d'asile ne représentent qu'une part marginale des dix-huit millions de réfugiés actuellement recensés dans le monde et accueillis, pour l'essentiel, par les pays du Sud.Rony Brauman, "Refugiés, go home!", Politique Internationale, 47, printemps 1990. Il n'en reste pas moins que l'augmentation sensible du nombre des demandeurs d'asile en Europe depuis quelques années a précipité un profond changement de politique. La question des réfugiés est aujourd'hui considérée sous l'angle de la pression migratoire. Le fait n'est pas nouveau: la question des réfugiés a toujours été liée à celle des migrations. Dans les pays ouverts à l'immigration, comme le furent longtemps les Etats-Unis, il n'était pas nécessaire de proposer un accès privilégié aux victimes de persécutions.Aristide R. Zolberg, "The roots of american refugee policy", Social Research, Vol. 55, N°4, Winter 1988. Dans les périodes de fermeture, au contraire, les pays démocratiques se doivent de ménager des passerelles spéciales pour les plus menacés.
Les politiques de réfugiés sont, par nature, dérogatoires aux règles énoncées par les politiques d'immigration. Elles sont aussi, trop fréquemment, opportunistes et sans substance, oubliant précisément leur objet dans les périodes de nécessité, dans la confusion générale.
La confusion, en effet, est à son comble dans le débat public où l'on parle indifféremment de clandestins ou de demandeurs d'asile, de réfugiés ou de migrants, dans une cascade de petites phrases tout droit sorties du dictionnaire de l'exorcisme. Le temps n'est plus où les pays démocratiques considéraient d'un oeil bienveillant le problème des réfugiés; ils cherchent aujourd'hui à le réduire et à s'en prémunir en incitant les populations des camps à regagner leur pays et en dissuadant les demandeurs d'asile de venir frapper à leur porte. C'est ainsi que les boat people albanais ont été renvoyés à la misère par les autorités italiennes. C'est ainsi que les boat people haïtiens sont reconduits à la dictature par les garde-côtes américains, au mépris des principes énoncés par la Convention de 1951 sur les réfugiés. C'est ainsi que les Mozambicains, Srilankais ou Rohingyas de Birmanie sont aujourd'hui encouragés à regagner leur pays. Dans l'absolu, le rapatriement est, sans doute, la meilleure des solutions, tant il est vrai que le maintien indéfini dans des camps n'est ni humainement acceptable ni politiquement souhaitable. Encore faut-il que la situation des pays d'origine le permette et que la communauté internationale s'assure que le retour des réfugiés s'effectue dans la dignité et la sécurité. De ce point de vue, la tolérance croissante à l'égard de la pratique du refoulement en mer témoigne de la propension des pays occidentaux à traiter le problème sur le mode de l'évitement, sans égard pour leurs responsabilités politiques. Le problème est d'autant plus grave que le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, confronté, depuis quelques années, au manque de soutien des pays occidentaux, est aujourd'hui mal armé pour rappeler les principaux pays donateurs à leurs obligations internationales.
Le mirage kurde
La question des réfugiés, auparavant placée sous le signe des Droits de l'homme, est désormais posée en termes de maîtrise des flux au Nord et de rapatriement au Sud. Les boat people, par les possibilités de réinstallation qui leur étaient offertes, se trouvent précisément à la charnière de ces revirements. Ce changement de perspectives, particulièrement sensible dans le cas des boat people, est aujourd'hui perceptible un peu partout dans le monde sauf, peut-être, en Afrique et au Moyen-Orient. Mais l'affaire kurde a précisément montré le souci de la communauté internationale d'éviter tout nouveau problème de réfugiés et toute obligation de protection, fût-ce au prix d'une sauvegarde - ô combien temporaire - des populations rapatriées dans leur propre pays. L'exode des kurdes d'Irak, en effet, fait figure de révélateur. D'abord parce qu'il eut un impact: contrairement aux réfugiés africains ou aux Chi'ites du sud de l'Irak, les Kurdes acquirent une visibilité en débordant sur les écrans de télévision et les frontières des pays voisins. Ensuite parce qu'il eut un sens: dans un contexte marqué par un fort clivage idéologique et un sentiment de responsabilité particulière, les réfugiés kurdes de 1991, comme les boat people de 1978 ou les Allemands de 1989, furent perçus comme les témoins vivants de l'oppression et du bien fondé des positions occidentales. Enfin parce qu'il alimenta un discours sur le droit d'ingérence qui semblait donner corps au nouvel ordre annoncé.Sur le débat sur le droit d'ingérence et l'humanitaire d'Etat, voir notamment: R. Brauman, "Contre l'humanitarisme", Esprit, Décembre 1991; J.C. Rufin "La maladie infantile du droit d'ingérence", Le Débat, 67, Novembre-Décembre 1991; O. Roy, "Il n'y a pas de diplomatie humanitaire", Libération, 22 Avril 1991; F. Jean, "Humanitaire, quand tu nous tiens!", La Croix-L'évenement, 1 Fevrier 1992; G. Hermet, "Action humanitaire ou raison d'Etat", Libération, 13 Février 1992; R. Brauman et B. Kouchner, "Les French doctors et la politique", Le Nouvel Observateur, 20-26 Février 1992; B. Kouchner, "L'Etat peut-il être humain?, Libération, 1 Mars 1992. "Nous entrons maintenant dans le XXI° siècle où il ne sera plus possible d'assassiner massivement à l'ombre des frontières".Interview de Bernard Kouchner, Le Monde, 30 Avril 1991. Cette envolée candide d'un secrétaire d'Etat, apparemment porté par la mystique du progrès, semblait nous annoncer, sinon le règne du droit, du moins le cauchemar des tyrannies laissées sans repos par les caméras de télévision et la nouvelle arme de l'humanitaire d'Etat.
La réaction occidentale au malheur des Kurdes fut, en effet, célébrée comme la promesse d'une nouvelle ère des relations internationales. La spectaculaire intrusion des Etats sur le champ humanitaire donna de la consistance au droit d'ingérence, un moment présenté comme une formidable avancée bousculant le droit international traditionnel. Dans un ballet d'hélicoptères et un bourdonnement d'avions de secours, les commentaires allaient bon train qui saluaient, dans l'intervention internationale en faveur des kurdes, l'ébauche d'un nouveau dispositif de protection internationale. L'arbre, pourtant, ne peut cacher la forêt. Car, pour un Irak où l'intérêt politique, la visibilité médiatique et la pression de l'opinion déclenchèrent, un temps, une mobilisation internationale, combien de Soudan où les populations du Sud, toujours plus étranglées par la guerre à outrance menée par le régime islamiste de Khartoum, sont aujourd'hui massacrées et déportées dans l'indifférence générale; combien de Somalie où des millions de déracinés tentent désespérément d'échapper à un va-et-vient de pick-up hérissés de mitrailleuses qui peu à peu tissent la toile d'une effroyable famine; combien de Birmanie où les minorités, plus que jamais réprimées par la junte militaire, en sont réduites à chercher leur salut au Bangladesh...
Il serait faux en théorie et imprudent en pratique d'imaginer que la mobilisation internationale en faveur des Kurdes puisse déboucher sur un mécanisme international permettant de protéger les populations dans leur propre pays. Faux en théorie, parce que l'intervention des Etats ne découle pas d'un mouvement de solidarité universelle; elle procède du sens de leurs intérêts particuliers. Imprudent en pratique car toute protection internationale suppose, pour être crédible, une volonté politique improbable hors circonstances exceptionnelles. En avril, en Irak, il fallut un sentiment de responsabilité occidentale, des images de télévision et des réfugiés par millions pour provoquer une réaction internationale.
C'est ainsi que les pays occidentaux intervinrent pour ménager un refuge temporaire aux Kurdes rapatriés dans le nord de l'Irak. En vérité, cette intervention ne se décida pas aisément: plus qu'un engagement spontané, ce fut un service après-vente rendu in extremis pour sauvegarder l'image de la "juste guerre". De même, la résolution 688, votée comme par remords au lendemain du cessez-le-feu, ne condamnait "la répression des populations civiles irakiennes" qu'au nom de la menace que "le flux massif de réfugiés vers des frontières internationales" faisait peser sur "la paix et la sécurité internationale dans la région". Rien dans tout cela qui ne renvoie à une conception, somme toute traditionnelle, du droit international, fondée sur le respect des frontières et le souci de stabilité. Une stabilité que les pays de la coalition avaient voulu préserver en laissant massacrer Kurdes et Chi'ites pour éviter un éclatement de l'Irak; une stabilité un moment ébranlée par l'afflux massif de réfugiés aux frontières de la Turquie et de l'Iran; une stabilité enfin rétablie par le joker de l'humanitaire d'Etat comme en témoigne Bernard Kouchner dans son dernier ouvrage: "Avec la notion d'ingérence humanitaire, un virage s'amorce. Pour la première fois, on aura inversé le sens des courants migratoires".Bernard Kouchner, Le malheur des autres, Odile Jacob, 1992. Par un curieux retournement, le droit d'ingérence, a priori célébré comme une première brèche dans la toute puissance des Etats est a posteriori justifié comme le dernier rempart des Etats contre les mouvements de réfugiés.
Ce paradoxe de l'ingérence, qui hésite entre la solidarité envers les victimes et la crainte d'une déstabilisation est caractéristique des ambiguïtés de la période actuelle. Une période marquée, pour le meilleur et pour le pire, par l'éclatement des cadres de référence traditionnels: l'antagonisme idéologique qui, depuis 1945, structurait le jeu international a laissé place à une configuration plus ouverte et plus volatile, traversée à la fois par une logique de globalisation et des mouvements de fragmentation. Et les Etats sont aujourd'hui désemparés par ces évolutions qui les débordent et les remettent en cause: ils sont pris à contre-pied par la multiplication des revendications identitaires, des troubles internes et des guerres civiles qui minent les cadres politiques existants; ils sont également démunis face à l'émergence d'un ensemble de nouveaux flux qui se jouent des frontières et des territoires et échappent aux modes de régulation traditionnels. Ce processus, largement achevé dans la sphère économique, englobe à présent l'environnement, les migrations, la dissémination nucléaire ou le trafic de drogue. Les schémas d'interdépendance sont depuis longtemps dépassés et les circuits inter-étatiques sont désormais parasités par de nouvelles aspirations et de nouvelles crispations, de nouveaux réseaux et de nouvelles tensions, éclatements, recompositions... Après la finance et l'information, c'est à présent la politique qui cherche ses marques et ses règles du jeu dans un environnement en pleine transformation.
Pour une politique de réfugiés
Faute d'une véritable réflexion sur les enjeux des évolutions en cours, les Etats naviguent à vue; ils oscillent entre une attitude défensive et des velléités de mouvement. Dans cette situation fluide, ils sont toutefois plus portés à endiguer qu'à canaliser, à suivre le courant qu'à remonter à la source, à se prémunir qu'à intervenir. La question des réfugiés est à cet égard révélatrice. D'abord parce qu'elle se situe au carrefour des bouleversements qui agitent la planète: elle plonge ses racines dans les déchirements internes qui jettent sur les routes de l'exode des millions de déracinés et se déploie au fil de ces flux transfrontaliers qui les mènent vers un pays d'asile. Ensuite parce que les Etats y répondent essentiellement en termes de contrôle des flux, hors quelques mouvements de solidarité passagers sous le coup d'émotions télévisées. Enfin parce que les remèdes qui pourraient être apportés aux causes profondes des exodes sont au cœur de la réflexion sur de nouvelles règles du jeu, de nouveaux modes de régulation, de nouvelles autorités internationales...
Cette réflexion, toutefois, a du mal à définir son objet et bute en permanence sur la peur du chaos. L'exemple de l'Irak, pays pourtant vaincu et placé sous surveillance internationale, illustre les réticences des pays occidentaux à s'engager dans les crises internes et les problèmes de minorités. La fin de la guerre froide a réouvert la question des rapports entre politique "intérieure" et politique "étrangère". Et les Etats se perdent entre l'envers et l'endroit, butant sur des frontières qu'ils souhaiteraient à la fois transgresser et, surtout, préserver. Du Togo à Haïti, en passant par l'ex-Yougoslavie, la liste est longue des situations où les pays démocratiques sont confrontés à un choix difficile entre le soutien à la démocratie et le souci de stabilité, la défense des minorités et la crainte de la désintégration, la solidarité envers les opprimés et le refus des réfugiés. Le fait n'est pas nouveau: depuis toujours, la vie démocratique est habitée par cette tension entre morale et politique. Ce qui est nouveau, par contre, c'est la tentation de la politique de se draper dans la toge de la morale pour masquer son désarroi dans une mise en scène permanente de ses bonnes intentions.
L'affaire Kurde est révélatrice de la propension des Etats à se réapproprier l'humanitaire pour répondre aux grands mouvements d'opinion. Cette intrusion des Etats sur un champ humanitaire qui, au départ, s'était constitué en dehors d'eux n'est pas forcément illégitime: les gouvernements des pays démocratiques ne peuvent rester indifférents à l'exigence de solidarité qui se fait jour dans leur propre société. Reste que le conflit yougoslave a balayé l'illusion que l'activisme humanitaire pouvait remplacer la volonté politique. Tout au long de la guerre en Bosnie, les pays européens se sont contentés de protéger les convois de secours sans jamais prendre d'initiatives susceptibles de mettre un terme aux massacres aux déportations et aux camps de détention. Pour n'avoir pas su prendre ses responsabilités politiques au début de la crise yougoslave, l'Europe s'est mise en position de ne pouvoir qu'accompagner la "purification ethnique" par une aide aux populations déplacées, quitte à se défausser ensuite de ses obligations en matière d'asile sous prétexte de ne pas faciliter cet odieux processus. Masque de la démission européenne face à la tragédie yougoslave, l'humanitaire d'Etat est aujourd'hui l'instrument d'une nouvelle dérobade. C'est ainsi qu'en octobre 1992, la libération, négociée par le CICR, de milliers de civils parqués dans des camps, dans des conditions qui sont un véritable défi à la conscience de l'Europe, a du être retardée, faute de pays d'accueil. La création de "zones de sécurité" et l'organisation de convois de secours ne peuvent servir d'alibi au refus d'accorder l'asile aux populations les plus menacées.
L'humanitaire ne peut tenir lieu de politique, sauf à sacrifier à un nouvel idéalisme qui, après le "tout politique" ferait du "tout humanitaire" l'horizon du débat public.Rony Brauman, "Morale et politique: le baiser du vampire", Politique Internationale, n° 50, hiver 1990-1991. Une telle confusion serait d'autant plus paradoxale que la période actuelle appelle, précisément, un renouvellement de la réflexion sur la démocratie. Le temps n'est plus où les droits de l'homme pouvaient être instrumentalisés dans le cadre binaire de l'antagonisme Est-Ouest. La figure du démon s'est tout à coup effondrée et, avec elle, l'idée que la démocratie constituerait le réceptacle naturel de la fusion entre la morale et la politique. Les certitudes de la guerre froide ont laissé place à de nouvelles questions sur la façon de gérer un monde à la fois réconcilié autour de préoccupations universelles - environnement, droits de l'Homme, croissance économique...- et fragmenté par des logiques particulièreseffervescences nationales, déchirements internes, déconnexion Nord-Sud... La question des réfugiés se situe précisément au cœur de la contradiction entre le monde et ses morceaux, l'humanité et l'identité, l'éthique et la politique. Pour autant, elle ne se réduit pas à une opposition entre les ténèbres de la raison d'Etat et l'éclat de la vertu.
Toute politique de réfugiés doit intégrer, à la fois, les possibilités politiques et les aspirations d'une démocratie libérale. A l'heure où les pays occidentaux sont travaillés, en même temps, par une exigence de solidarité et une tendance au repli sur soi, il est urgent de définir une politique cohérente libérée des jeux d'image et des fluctuations de l'opinion. A défaut, l'humanitaire, dégradé en moralisme officiel, risque de n'être que la feuille de vigne de l'indigence politique, le supplément d'âme d'une politique en trompe l’œil ou bien un jeu frivole consistant à surfer, à l'occasion, sur l'émotion de l'opinion pour mieux occulter des politiques foncièrement défensives et évasives. C'est ainsi que les Etats signataires de la Convention de 1951 sur les réfugiés tendent à oublier leurs obligations internationales pour traiter le problème sur un mode précaire, qualifié d'"humanitaire". L'humanitaire a bon dos qui permet aux Etats de se défausser sous des dehors bien intentionnés. Bien entendu, nous attendons des pays démocratiques qu'ils définissent une politique, certes liée à leurs intérêts, mais aussi conforme aux valeurs dont ils se réclament.
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L'Europe, les réfugiés, la guerre
Le Front du refuge, De la démocratie, 1994, p.97-112
Par François Jean
Dans un monde en plein bouleversement, les réfugiés sont une tragique illustration des convulsions de la planète. Ils témoignent, en effet, de toutes les situations de guerre, de famine ou d'oppression qui jettent sur les routes de l'exode des millions de déracinés. Les pays, même les plus opaques, les conflits, même les plus oubliés, se rappellent toujours à l'opinion internationale par des flots de réfugiés. En 1992 encore, des centaines de milliers de Somaliens, de Soudanais, de Tadjiks, de Rohingyas de Birmanie, de Serbes, de Croates, de Musulmans de Bosnie... sont venus porter à 18 millions le nombre des réfugiés actuellement recensés dans le monde et à quelques 20 millions le nombre des personnes déplacées dans leur propre pays.
Les évolutions de ces derniers mois apportent un cinglant démenti à l'idée, un moment caressée, que la fin de la guerre froide pourrait apporter une réponse à la lancinante question des réfugiés. En 1989, en effet, l'écroulement du mur de Berlin, sous la pression des demandeurs d'asile, avait fait naître l'espoir d'une solution: la fin du totalitarisme semblait annoncer que les Russes, les Polonais ou les Roumains avides de liberté n'auraient plus à frapper à la porte des pays occidentaux; de même, la fin de l'antagonisme Est-Ouest faisait miroiter la possibilité d'une solution aux conflits nés dans un climat de confrontation idéologique et laissait présager le retour, dans leurs pays d'origine, des millions de réfugiés croupissant dans des camps depuis la fin des années 70.
Pendant une brève période, la notion de réfugié sembla même s'estomper. L'Europe, oublieuse des conflits du Sud, considéra soudain avec appréhension tous ses voisins de l'Est. Au chapitre des grandes peurs, les chars de l'Armée rouge furent bientôt remplacés par le spectre d'une grande migration de la misère qui, à l'automne 1990, prit l'allure d'un véritable raz de marée. Sur fond de surenchère médiatique, le dissident laissa place au migrant dans l'imaginaire occidental et la liberté de circulation, longtemps revendiquée par les pays démocratiques, fut sacrifiée à la peur de l'invasion. Il ne fallut pourtant pas longtemps pour que les pays européens soient ramenés à la tragique réalité. Celle des exodes massifs provoqués par la guerre et l'insécurité. La Somalie, la Birmanie et, surtout, l'ex-Yougoslavie vinrent tout à coup rappeler à l'opinion publique que sous le mauvais rêve d'une Europe submergée par une vague d'immigration de vraies tragédies se nouaient sur fond de montée des particularismes, d'exacerbation des antagonismes et d'explosion des nationalismes.
Par leur violence et leurs turbulences, ces déchirements identitaires marquent l'effondrement de deux ordres : celui, imposé, du système communiste à l'Est et celui, avorté, du nouvel ordre mondial. La dissolution du bloc de l'Est et l'éclatement de la Yougoslavie ont fait évoluer la problématique des réfugiés. Il eut été étonnant que ce phénomène total, situé à la charnière des problèmes de frontières, de conflits et de migrations ne fût pas affecté par la résurgence des nations, l'effervescence des minorités ou la déliquescence des économies. Les conflits, loin de s'apaiser, ne font que se multiplier et le nombre des demandeurs d'asile, loin de diminuer, ne cesse d'augmenter. La réalité des exodes reprend tout à coup sa place auprès des perspectives de migrations. Une place massive qui aujourd'hui met au défi les politiques européennes de réfugiés et soulève de nouvelles questions sur les instruments internationaux de protection.
Les trois âges des réfugiés
Le système international de protection des réfugiés est né après la seconde guerre mondiale, lors de la signature de la Convention de 1951 sur le statut de réfugié et de la création du Haut-Commissariat des Nations unies sur les Réfugiés (HCR). La Convention définit comme réfugié toute personne qui, "craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays". Cette définition, basée sur une approche individuelle centrée sur la discrimination ou la persécution reflète tout à fait les préoccupations d'une Europe encore marquée par les séquelles de l'oppression nazie et déjà menacée par le système soviétique.
Au début des années 50, en effet, la plupart des quelques trente millions de personnes déplacées par la guerre étaient déjà réinstallées, l'Europe était durablement divisée en deux blocs antagonistes et, dans un contexte de guerre froide, le réfugié prenait le visage du dissident : l'essentiel des réfugiés fuyaient les régimes totalitaires pour chercher asile dans les pays démocratiques. La solution alors privilégiée était la réinstallation définitive en Europe ou aux Etats-Unis avec un statut juridique et des droits proches de ceux des nationaux du pays d'accueil. Les politiques d'asile des pays occidentaux étaient d'autant plus libérales que, dans un contexte de guerre froide, les réfugiés avaient une connotation positive : ils "choisissaient la liberté" et s'intégraient d'autant plus facilement dans les pays d'accueil qu'ils venaient de pays appartenant à la même aire culturelle. Jusqu'à la fin des années 1950, en effet, le problème des réfugiés était, pour l'essentiel, un problème intra-européen constitué principalement de mouvements Est-Ouest. Sous des dehors universels, la Convention de 1951 ne s'appliquait d'ailleurs qu'à l'Europe et il fallut attendre 1967 et le protocole de New York pour que le mandat du HCR soit étendu à l'ensemble de la planète.
Dès le début des années 1960, les guerres de libération et les premiers conflits dans les nouveaux Etats indépendants d'Afrique et d'Asie provoquèrent d'importants mouvements de réfugiés. Après le mouvement de décolonisation, le HCR, comme la Banque mondiale et d'autres organisations des Nations unies, tourna son regard vers le tiers monde et dû s'adapter à une nouvelle réalité faite essentiellement de flux Sud-Sud et d'exodes massifs provoqués par la guerre et l'insécurité. Contrairement aux dissidents d'outre-mur victimes de la répression qui se présentaient individuellement à la porte des pays occidentaux, les réfugiés du Sud fuient collectivement des situations de conflit et de troubles généralisés et cherchent, le plus souvent, un refuge temporaire dans un pays voisin. C'est ainsi que la compétence du HCR fut élargie par l'Assemblée générale des Nations unies pour lui permettre de faire face à des exodes de grande ampleur et que la définition du réfugié fut de facto étendue des individus persécutés aux victimes collectives de la violence.Aristide R. Zolberg distingue trois catégories de réfugiés : l'activiste pourchassé du fait de ses activités politiques, la cible persécutée en raison de son appartenance à un groupe particulier et la victime de la violence fuyant la guerre et l'insécurité. Seules les deux premières catégories sont formellement reconnues par la définition de 1951. Aristide R. Zolberg, Escape from violence, Oxford University Press, 1989. Cette définition élargie fut en quelque sorte formalisée en 1969 par la Convention de l'OUA et en 1984 par la déclaration de Carthagène qui reconnurent la qualité de réfugié à toute personne fuyant la guerre et l'insécurité.L'article I, paragraphe 1 de la Convention de l'OUA définit le réfugié dans les mêmes termes que la Convention de 1951 mais le paragraphe 2 élargit la définition à "toute personne qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'évènements troublant gravement l'ordre public(...) est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge à l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité". La déclaration de cartagène est encore plus explicite et stipule que la définition de réfugié doit s'appliquer, au delà des éléments contenus dans la Convention de 1951, aux personnes "ayant fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté sont menacées par une situation de violence généralisée, une agression étrangère, un conflit interne, une violation massive des Droits de l'homme ou toute autre circonstance ayant gravement perturbé l'ordre public". Face aux grands exodes du tiers monde, la réponse de la communauté internationale fut essentiellement d'ordre humanitaire, sous la forme d'une assistance aux réfugiés regroupés dans des camps dans l'attente qu'une amélioration de la situation dans leur pays d'origine leur permette de rentrer chez eux en toute sécurité.
Le problème des réfugiés du Sud, longtemps occulté par la figure du dissident, n'est clairement apparu au public occidental qu'à la fin des années 70, lorsque l'ombre portée de la guerre froide s'est étendue sur le tiers monde. L'affaire des boat people est significative de ce changement de perception. L'exode des vietnamiens, plus encore que celui des bengalis, largement médiatisé en 1971, fit figure de découverte: les réfugiés du Sud, soudain projetés sous les feux de l'actualité émergèrent à la conscience du public occidental. La couverture médiatique, la mémoire aiguë de la guerre du Vietnam et, aux Etats-Unis, le sentiment d'une responsabilité particulière donnèrent à ce drame une dimension exemplaire. Les boat people devinrent, sur tout les écrans de télévision de la planète des victimes emblématiques: victimes de la guerre, du totalitarisme, des pirates et de la mer de Chine...
Il s'ensuivit une émotion considérable et une mobilisation sans précédent des pays occidentaux : les boat people furent accueillis à bras ouverts et les réfugiés du Sud devinrent un élément central du calendrier international. La réaction fut d'autant plus vive que l'exode des boat people s'inscrivait dans un contexte marqué par la fin de la détente, l'exaspération des tensions Est-Ouest et la multiplication des conflits "périphériques". De l'Afghanistan à l'Amérique centrale, en passant par l'Asie du sud-est et la corne de l'Afrique, des millions de réfugiés vinrent tout à coup témoigner de la brutalité de la guerre et de la grande misère du communisme. Les réfugiés du sud acquirent une signification politique et une connotation positive tandis que s'opérait un retournement idéologique marqué par le remplacement de la figure centrale du guérillero par celle du freedom fighter dans l'imaginaire occidental. En conséquence, le HCR se vit doté de moyens accrus et les pays occidentaux multiplièrent les initiatives dans les camps établis aux frontières des pays en conflit.
Depuis, la guerre froide s'est éloignée, le "syndrome vietnamien" s'est estompé, l'émotion s'est fatiguée... Les boat people ont perdu leur épaisseur politique, leur charge symbolique et leur visibilité médiatique.Sur l'évolution des représentations, voir François Jean, "Le fantôme des réfugiés", Esprit, décembre 1992. Ils sont désormais traités sur le même pied que les boat people albanais renvoyés à la misère par les autorités italiennes ou haïtiennes reconduits à la dictature par les gardes-côtes américains, au mépris des principes énoncés par la Convention de 1951 sur les réfugiés. De même, la fin de la confrontation Est-Ouest a mis en lumière les ambiguïtés du maintien des réfugiés dans des camps devenus peu à peu des "sanctuaires humanitaires" et un facteur de perpétuation des conflits.Jean-Christophe Rufin, Le piège humanitaire, Hachette-Pluriel, 1993. Les mouvements de guérilla y trouvaient une légitimité politique, à travers leur emprise sur les populations réfugiées, une base économique, par le biais de l'aide déversée dans les camps, et un réservoir de combattants. Avec le temps, la chronicisation des camps et la perspective d'une prolongation indéfinie de ce statu quo humanitaire soulevèrent de nouvelles questions sur les solutions qui pourraient être apportées au delà de l'assistance immédiate.
Ces questions se posent avec d'autant plus d'acuité que des flux Sud-Nord sont venus se surimposer aux flux Est-Ouest et Sud-Sud qui draînaient - et draînent toujoursl'essentiel des réfugiés. Depuis le début des années 1980, en effet, les pays occidentaux sont confrontés à des flux sans cesse croissants de demandeurs d'asile. De 1983 à 1991, leur nombre est passé de 70 000 à 550 000 pour les pays d'Europe occidentale. Certes ces centaines de milliers de personnes qui, dans un contexte de politiques d'immigration restrictives, se présentent chaque année aux frontières de l'Europe ne sont pas toutes - loin s'en faut - reconnues comme réfugiés. En France, par exemple, où le nombre de demandeurs d'asile est passé de 22 000 à 46 000 entre 1983 et 1991, le nombre de réfugiés accueillis chaque année est resté pratiquement stationnaire, les taux de reconnaissance étant passés de plus de 70% à moins de 20% au cours de la même période. De même, ces demandeurs d'asile ne représentent qu'une part marginale des millions de réfugiés accueillis dans des camps par les pays du Sud. Il n'en reste pas moins que l'augmentation sensible du nombre de demandeurs d'asile dans les pays occidentaux a précipité un profond changement de politique. Les certitudes de la guerre froide ont laissé place à une profonde inquiétude face aux bouleversements du monde et à la crainte des migrations.
Le temps n'est plus où les réfugiés votaient avec leurs pieds : leur fuite, hier encore perçue comme un hymne à la liberté, est aujourd'hui vécue sur le mode du débordement. La question des réfugiés, auparavant placée sous le signe des Droits de l'homme est désormais considérée sous l'angle de la pression migratoire et les politiques mises en oeuvre au cours des dernières décennies sont aujourd'hui en passe d'être profondément modifiées.
Des "solutions durables"...
L'ampleur des exodes et la multiplication des demandeurs d'asile ont provoqué un renouvellement de la réflexion sur la question des réfugiés: la chronicisation des camps montre les insuffisances des politiques d'assistance dans les pays du Sud et les réticences des pays d'accueil marquent les limites des politiques de réinstallation dans les pays du Nord. Depuis le début des années 80, l'accent est mis sur les "causes premières" des exodes et sur les "solutions durables" qui pourraient être apportées au problème des réfugiés.La nouvelle réflexion sur les causes des mouvements de réfugiés fut notamment marquée par la publication du rapport de Sadruddin Agha Khan pour la Commission des Droits de l'homme des Nations unies : Etude sur les Droits de l'homme et les exodes massifs, ONU, 1981. Le couple assistance-réinstallation qui, depuis plus de trois décennies, constituait le cœur des politiques de réfugiés est aujourd'hui remplacé par les nouveaux mots-clé de prévention et de rapatriement. Mais la question des causes et des solutions pose, au delà des préoccupations d'assistance et de protection, le problème - politique -de l'attitude de la communauté internationale face aux régimes répressifs et aux conflits internes qui provoquent les principaux flux de réfugiés. Il est clair en effet que les conflits sociaux du monde contemporain sont devenus internationaux, ne serait-ce que par les migrations qu'ils provoquent, et appellent des solutions collectives. Il est clair également que l'implication de la communauté internationale, comme arbitre et comme garant, est un élément essentiel de la régulation des situations de violence qui se développent aujourd'hui. Il est clair, enfin, que toute intervention internationale suppose, pour être crédible, une volonté politique, improbable, sauf circonstances exceptionnelles.
Sous l'idée - accréditée par la notion de "communauté internationale" - d'une humanité réconciliée avec elle-même autour des valeurs des Droits de l'homme, les Etats continuent d'agir en fonction de leurs intérêts et défendent pied à pied leur souveraineté. En théorie du moins cette contradiction entre "les exigences de la conscience publique" et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats est moins absolue qu'il n'y paraît : la résolution 688 sur l'Irak introduit un lien entre répression interne et sécurité internationale, précisément à travers la menace de mouvements de réfugiés. Reste que cette ingérence désormais licite ne fait pas une politique et a du mal à se concrétiser.
Depuis quelques années, les Nations unies multiplient les initiatives pour tenter de trouver des solutions aux conflits et permettre le retour des populations réfugiées et déplacées dans leurs régions d'origine. C'est ainsi qu'en Namibie, au Salvador et au Cambodge, des centaines de milliers de réfugiés ont pu être rapatriés, sous l'égide du HCR. Mais si en Namibie et au Salvador, le processus de rapatriement a été facilité par la volonté des belligérants de circonscrire leurs rivalités dans un cadre politique, il se déroule au Cambodge dans un climat d'incertitude lié à l'impuissance des Nations unies face au refus des Khmers rouges de respecter les accords de Paris. En Angola, également, l'incapacité de la communauté internationale à s'assurer du désarmement effectif des deux belligérants a permis la contestation violente du résultat des élections et le retour de la guerre. En Afghanistan, enfin, la chute du régime de Najibullah n'a pas suffi à rétablir la paix. Des centaines de milliers d'Afghans, réfugiés depuis de longues années dans les camps pakistanais, sont certes rentrés chez eux mais des milliers d'autres sont venus les remplacer, fuyant les combats de Kaboul et des dizaines de milliers de Tadjiks sont venus s'échouer dans le Nord de l'Afghanistan pour échapper à la guerre et à la répression qui ravagent leur pays. L'Afghanistan est une singulière illustration de ces conflits, nés à l'ombre de la guerre froide qui se perpétuent et prennent leur autonomie dans l'indifférence générale.
Comme si ces conflits ne suffisaient pas, de nouvelles guerres éclatent qui provoquent la fuite de centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées. Il en est ainsi du Libéria où l'intervention tardive de la force d'interposition ouest-africaine, en septembre 1990, n'a pas pu empêcher le pourrissement du conflit et l'exode de plus de 200 000 réfugiés dans les pays voisins. Il en est de même de la Somalie où l'intervention récente des forces occidentales ne peut faire oublier que ce pays fut, deux ans durant, abandonné à lui-même et à la loi des armes avec comme conséquences des centaines de milliers de réfugiés au Kenya, au Yemen, en Ethiopie... et des millions de déracinés à l'intérieur du pays, qui tous errent, entre guerre et famine à la recherche de moyens de subsistance et d'un peu de sécurité. Quant à l'ex-Yougoslavie, les hésitations européennes ont permis au conflit de se développer jusqu'à prendre une dimension inimaginable. Pour n'avoir pas su prendre de position claire au début des combats en Croatie et en Bosnie, l'Europe s'est condamnée à l'impuissance face à une logique de conquête territoriale et de "purification ethnique" qui se traduit par des déplacements et des déportations massives de populations.
Le problème est d'autant plus grave que ces mouvements de population ne sont pas seulement la conséquence de la guerre, ils en sont la finalité. Le conflit se résume à une politique de terreur visant à provoquer la fuite des indésirables pour "nettoyer" les régions mixtes et contrôler des territoires homogènes. Dans cet effroyable jeu de massacre, les Serbes sont animés d'une détermination implacable, les Musulmans sont jetés sur les routes, le centre de la Bosnie est devenu une nasse où tournent sans fin des populations déracinées et l'Europe est aujourd'hui confrontée à un flot de réfugiés.
... aux stratégies d'endiguement
La pusillanimité européenne face à la tragédie yougoslave illustre les réticences des pays occidentaux à s'engager dans les crises internes et les problèmes de minorités. La fin de la guerre froide a réouvert la question des rapports entre politique "intérieure" et politique "étrangère" et les Etats se perdent entre l'envers et l'endroit, buttant sur des frontières qu'ils souhaiteraient à la fois transgresser et, surtout, préserver. La question des réfugiés est, à cet égard, révélatrice. D'abord parce qu'elle se situe au carrefour des bouleversements qui agitent la planète : elle plonge ses racines dans les déchirements internes qui minent les cadres politiques existants et se déploie au fil de ces nouveaux flux qui se jouent des frontières et des territoires. Ensuite parce que les Etats y répondent essentiellement sur le mode de l'évitement et cherchent à se prémunir plus qu'à intervenir. Les politiques préventives, aujourd'hui fort discutées, sont, en fait, essentiellement défensives : à défaut d'agir à la source, les pays occidentaux cherchent à endiguer les flux.
L'exemple de l'Irak est une singulière illustration du souci de la communauté internationale d'éviter tout nouveau problème de réfugié, fût-ce au prix d'une sauvegarde - ô combien temporaire - des populations rapatriées dans leur propre pays. Dans ce pays, pourtant vaincu et placé sous surveillance internationale, les forces de la coalition restèrent l'arme au pied face à la sanglante répression des soulèvements chiite et kurde. Mais le débordement de tout un peuple sur les écrans de télévision et les frontières des pays voisins provoqua in extremis une intervention occidentale. Sous des dehors humanitaires et avec une belle efficacité, cette intervention visait essentiellement à persuader les Kurdes en détresse de s'éloigner de la frontière turque et de rentrer chez eux en leur offrant une protection temporaire et une assistance humanitaire dans le nord de l'Irak.
La réaction internationale à l'exode des Kurdes est sans doute l'exemple le plus achevé d'une nouvelle politique de containment basée sur le triptyque rapatriement/zones de sécurité/aide humanitaire. Dans l'absolu, le rapatriement est sans doute la meilleure des solutions, tant il est vrai que le maintien indéfini dans des camps n'est ni humainement acceptable ni politiquement souhaitable. Encore faut-il que la situation du pays d'origine le permette et que la communauté internationale s'assure que le retour des réfugiés s'effectue dans la dignité et la sécurité. De ce point de vue, la tolérance croissante à l'égard des rapatriements dans des pays en proie à la guerre ou à la répression comme Haïti ou la Birmanie soulève quelques graves questions non susceptibles d'être résolues par d'éphémères zones de sécurité ou la fourniture d'une aide temporaire.
Le passage à un traitement politique que supposait la recherche de solutions durables se traduit, dans les faits, par le maintien d'une approche strictement humanitaire parée des habits neufs de l'ingérence. Tout se passe comme si cette ingérence, aujourd'hui tant commentée, consistait à refouler les camps de réfugiés à l'intérieur des pays en crise, dans des zones neutralisées par une présence internationale et alimentées par des convois de secours. C'est ainsi que le mandat du HCR a été de facto étendu pour lui permettre d'intervenir dans les pays en conflits afin d'encourager les processus de rapatriement ou de secourir sur place les populations déplacées susceptibles de déborder sur des frontières internationales. De l'Irak à l'ex-Yougoslavie, en passant par le Sri Lanka, cette nouvelle politique tend à se généraliser mais nulle part plus qu'en Bosnie elle n'a été à ce point ambiguë. Le conflit yougoslave a précisément montré que l'activisme humanitaire ne pouvait tenir lieu de volonté politique. Tout au long de la guerre en Bosnie, les pays européens se sont contentés de protéger des convois de secours sans jamais prendre d'initiatives susceptibles de mettre un terme aux massacres, aux déportations et aux camps de détention. Pour n'avoir pas su prendre ses responsabilités politiques au début de la crise yougoslave, la communauté internationale s'est mise en position de ne pouvoir qu'accompagner la "purification ethnique" par une aide humanitaire, quitte à se défausser ensuite de ses obligations en matière d'asile sous prétexte de ne pas faciliter cet odieux processus... Masque de l'indignité européenne face à la tragédie bosniaque, le tout-humanitaire est aujourd'hui l'instrument d'une nouvelle dérobade. La création de zones de sécurité et l'organisation de convois de secours ne peut servir d'alibi au refus d'accorder l'asile aux populations les plus menacées.
Préserver le droit d'asile
L'ex-Yougoslavie jette une lumière particulièrement crue sur la démission des pays européens et constitue l'heure de vérité pour les politiques de réfugiés, car c'est aux frontières de l'Europe que viennent à nouveau s'échouer les victimes de guerre. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, l'Europe est directement confrontée à un exode massif de réfugiés : depuis le début du conflit en Croatie et en Bosnie, plus de trois millions de personnes ont été déplacées par les combats ou le "nettoyage ethnique" et près de 700 000 réfugiés ont trouvé asile dans d'autres pays européens, principalement en Allemagne, en Autriche ou en Hongrie. Le problème des réfugiés de guerre, qui semblait confiné aux pays du Sud, vient de nouveau frapper à la porte de l'Europe dans un climat plus que jamais marqué par le repli sur soi et la hantise des migrations.
Le peu d'empressement des pays occidentaux à accueillir sur leur sol les populations civiles détenues dans des camps dont la "découverte", en juillet 1992, avait pourtant suscité l'indignation de l'opinion publique internationale et dont la libération avait été définie, en août 1992, comme une "priorité urgente" par la conférence de Londres témoigne, sur une question d'une exceptionnelle gravité, du décalage entre les valeurs affichées et la frilosité politique. C'est ainsi que la libération, négociée en septembre par le Comité International de la Croix Rouge, de 6 600 détenus parqués dans ces camps, dans des conditions qui sont un véritable défi à la conscience de l'Europe, dût être retardée, faute de pays d'accueil. Il fallut, en effet, attendre le mois de décembre pour que les propositions d'accueil de quelques 22 pays permettent enfin de couvrir les besoins de cette population particulièrement menacée. La France pour sa part, fidèle à sa réputation de "terre d'asile", s'est engagée à offrir un asile temporaire à 385 détenus accompagnés de leur familles mais, au début du mois de février, seuls 219 d'entre eux avaient effectivement trouvé refuge dans notre pays, du fait de la lenteur des procédures d'accueil. Dans le même temps, en Croatie et en Bosnie, les deux tiers des détenus libérables continuaient d'affronter les privations, les exactions et les exécutions qui sont le lot commun des camps de détention yougoslaves...
Les réticences des pays européens à offrir un asile, même temporaire, à quelques milliers de personnes directement menacées dans leur survie est une inquiétante illustration du climat de fermeture qui prévaut actuellement en Europe. Sur fond de confusion entre réfugiés et migrants, les pays européens cherchent à dissuader les demandeurs d'asile de venir frapper à leurs portes et s'engagent dans une interprétation de plus en plus restrictive de la Convention de 1951. C'est ainsi que l'harmonisation des politiques de réfugiés, élément essentiel de la constitution d'un espace européen libéré des frontières intérieures, se fait au détriment du respect du droit d'asile et des valeurs fondatrices des démocraties européennes. Mais, au delà de ce durcissement général des règles d'admission, les Conventions de Schengen et de Dublin continuent d'ignorer, tout comme la Convention de 1951, le problème crucial des réfugiés de guerre. Il est vrai que les exodes massifs et incontrôlés de victimes de guerre cadrent mal avec les politiques européennes de réduction planifiée des flux et que les Etats redoutent une extension imprévisible de leurs obligations internationales.
Face aux situations de violence qui se multiplient à leurs frontières, les pays européens cherchent à dissuader les demandeurs d'asile de venir frapper à leur porte. Les instruments internationaux reconnaissent le droit de chercher asile mais ne font pas obligation aux Etats de l'accorder. Au plus, la Convention de 1951 établit-elle le principe du non-refoulement des réfugiés dans des pays "où leur vie ou leur liberté serait menacée". C'est ainsi qu'est apparu en Europe, depuis une dizaine d'années, le problème des "réfugiés de facto" qui ne sont pas formellement reconnus comme réfugiés mais ne peuvent être renvoyés dans des pays en conflit. La crise de l'ex-Yougoslavie a exacerbé les ambiguïtés des politiques européennes et beaucoup de pays ont provisoirement suspendu l'examen des demandes d'asile présentées par des personnes originaires de Bosnie, de Serbie ou de Croatie. Ce gel des procédures met en lumière l'absence de cadre juridique permettant de traiter le problème des réfugiés de guerre en Europe. D'une manière générale, les pays européens se sont contentés de réponses ad hoc et profondément divergentes à la question des réfugiés de guerre, certains pays les traitant comme des réfugiés statutaires, d'autres comme des cas humanitaires. La France, pour sa part, n'a pas encore formulé de politique sur la question des réfugiés de l'ex-Yougoslavie sinon celle de ne pas renvoyer de force ceux qui, surmontant tous les obstacles, sont parvenus sur le territoire national. Les ministères de l'intérieur et des affaires sociales ont certes publié des circulaires dérogatoires prévoyant des autorisations de séjour de trois ou six mois renouvelables mais les réfugiés sont juste tolérés pour des raisons humanitaires, dans la précarité la plus totale, leur sort restant suspendu à une décision discrétionnaire des pouvoirs publics.
Pour une politique des réfugiés de guerre
Le conflit de l'ex-Yougoslavie confère une nouvelle urgence à l'établissement d'un cadre juridique faisant l'objet d'un consensus européen et d'un mécanisme institutionnel permettant de répondre au problème des réfugiés de guerre. L'exode massif de victimes de guerre aux frontières de l'Europe devrait stimuler l'ardeur des politiques et des législateurs sur une question d'intérêt crucial pour le devenir de la Communauté européenne. L'enjeu est d'ailleurs moins de jeter les bases d'un nouveau régime de protection que d'harmoniser et de codifier les pratiques existantes et de sortir de la précarité en donnant un statut légal aux personnes qui ont fui des situations de violence, se sont réfugiées en Europe et ne peuvent être renvoyées dans leur pays.
La question du cadre juridique pourrait, en théorie, être résolue avec les instruments existants : beaucoup de réfugiés bosniaques victimes de la "purification ethnique" correspondent, en effet, parfaitement à la définition de la Convention de 1951 comme victimes de persécutions "du fait(...) de leur religion ou de leur nationalité...". Reste que le climat de fermeture qui prévaut actuellement en Europe est peu propice à une interprétation libérale de la Convention et, a fortiori, à la création de nouveaux instruments juridiques permettant de prendre en compte des populations victimes de situations de violence ou de nouvelles formes de persécution collective. La solution la plus réaliste serait de garder à la Convention de 1951 sa place centrale et de la compléter par un instrument régional qui, comme la Convention de l'OUA pour l'Afrique ou la déclaration de Carthagène pour l'Amérique latine, proposerait une définition élargie permettant d'intégrer les réfugiés de facto ou les réfugiés de guerre.Voir sur ce point les recommendations de l'European Consultation on Refugees and Exiles (ECRE), Working paper on the need for a supplementary refugee definition, Rome, novembre 1992.
Parallèlement à cet élargissement de la définition du réfugié, l'enjeu est de mettre en place des procédures de détermination de statut adaptées aux situations d'exodes massifs provoqués par les situations de conflit et de troubles généralisés. Toute politique libérale de réfugiés repose, en effet, sur la combinaison d'une politique d'accueil ouverte, fondée sur le respect du droit d'asile et d'un processus discriminatoire visant à faire la part des réfugiés et des migrants. Dans un contexte de crispations identitaires, de politiques d'immigration restrictives et de mouvements croissants de populations, des critères doivent être trouvés pour protéger les plus menacés. Ce problème, extrêmement sensible depuis une dizaine d'années en raison d'une interprétation de plus en plus restrictive de la notion de persécution, contraire, sinon à la lettre, du moins à l'esprit de la Convention de 1951, est particulièrement aigu dans le cas des réfugiés de guerre qui ne correspondent pas nécessairement à des critères individuels et risquent d'embouteiller les procédures de détermination de statut. Les mécanismes individuels mis en place en Europe dans les années 50 sont, en effet, peu adaptés aux exodes de grande ampleur générés par les situations de conflit. Là encore, les pays européens pourraient s'inspirer des expériences d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine où la procédure "prima facie" permet une reconnaissance collective des réfugiés lorsque des arrivées massives ne permettent pas une détermination individuelle de leur statut.
Face à la multiplication des conflits aux frontières de l'Europe, nombre de pays réfléchissent aux possibilités d'attribution collective d'un statut temporaire pour les réfugiés de guerre. Le HCR n'y est pas opposé, à condition qu'ils bénéficient d'un traitement équivalent à celui des réfugiés et des droits garantis par la Convention de 1951. Confrontés au plus grand exode de réfugiés en Europe depuis la seconde guerre mondiale, les Etats ne peuvent indéfiniment se contenter de traiter le problème sur un mode précaire, qualifié d'humanitaire; ils se doivent de définir une politique claire et d'assumer leurs obligations de signataires de la Convention de 1951. La première obligation des Etats est de respecter le droit d'asile. La seconde est de mettre en oeuvre des procédures de détermination rapides, équitables et adaptées aux situations d'exode massifs. La troisième obligation, enfin, est de traiter humainement les victimes de guerre et de leur garantir asile, assistance et protection jusqu'à ce qu'une amélioration de la situation leur permette d'envisager un retour en toute sécurité dans leur pays d'origine.
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