Judith Soussan
Diplômée de Relations internationales (Institut d'Etudes Politiques de Paris), de Logistique humanitaire (Bioforce-Développement) et d'Anthropologie (Université Paris-I), Judith Soussan a rejoint MSF en 1999. Elle y a effectué des missions de terrain (Sri Lanka, Ethiopie, Soudan, Territoires palestiniens) avant de travailler, au siège, sur la question de la protection des populations. Après une échappée loin de MSF pendant laquelle elle pratique le reportage radiophonique et collabore à un projet sur les questions d'immigration, elle retrouve le Crash en 2015. Elle a récemment contribué à l'ouvrage "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (chapitre "Qabassin, Syrie. Une mission MSF en terre de Djihad" - CNRS Editions, 2016).
I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELLE DES DROITS DE L’HOMME ET SOUTIEN AUX OPPRIMÉS
Dès sa naissance dans les suites du Biafra – événement fondateur, raconté mythiquement comme soutien à un peuple résistant, opprimé, comme geste de rupture d’avec la tradition de silence de la Croix-Rouge – MSF s’inscrit dans un champ de références multiples liées aux enjeux de son tempsPour une analyse rétrospective critique de ces premiers moments de l’histoire de MSF, voir R. Brauman, « Les relations dangereuses du témoignage humanitaire et des propagandes politiques », in M. Le Pape, J. Siméant, C. Vidal (dir), Crises extrêmes, La Découverte, 2006, p.188-204. Ce temps, c’est celui de la décolonisation et des guerres de libération nationale des années 1960-70, de la guerre froide et des exactions des régimes totalitaires : ces réalités, et les représentations qui les enserrent, balisent le monde dans lequel MSF se projette. Dans le monde d’où sont originaires les fondateurs de l’association, c’est aussi un temps où se craquelle le pouvoir de séduction des idéologies ‘progressistes’, du communisme au maoïsme, et où par ailleurs une nouvelle mémoire de la Shoah se fait jour. C’est à la fois en réaction aux maux des mondes lointainsDes « maux », et non des violences, parce qu’à l’époque ce mot – dont l’usage généralisé est récent – est peu employéet en cohérence avec certains mouvements de pensée en Occident que MSF définit son rôle de sa naissance jusqu’aux années 1980 : la présence de médecins-témoins, exprimant leur soutien aux peuples opprimés et se faisant leur voix.
« NOUS PROTÉGEONS LES HOMMES »
Cœur de l’engagement des médecins MSF, la présence est davantage qu’un fait neutre: dans un monde qui « se ferme», elle est un acte – un acte considéré comme protecteur (au sens commun d’empêchement de violences) du fait de sa double visée d’être «auprès de» et d’être témoin:
« … Une poignée de camarades a décidé de fonder une organisation médicale désirant apporter secours et consolation dans les situations de guerre et de catastrophes, là où les autres organisations ne pouvaient aller, prisonnières de leur statut et de leur conformisme » ; « nous qui sommes médecins, nous protégeons les hommes» (Rapport Moral 1980); «… Les habitants d’Afghanistan commençaient à oublier le sens du mot : SOLIDARITE de la part des occidentaux » (RM 1981) ; au Nigéria, il faut mettre en avant « la nature de notre intervention, dérisoire peut-être, et pourtant chargée de sens : celui d’une certaine fraternité envers ces hommes plongés dans la misère et l’humiliation », en Irak, « derrière cette muraille édifiée en commun par le fanatisme des uns et la raison d’Etat des autres, un peuple étouffe. Nous cherchons, nous trouverons comment forcer les remparts » « Ceux qui ont envahi l’Afghanistan ne supportent pas, en effet, notre présence, à la fois parce qu’elle apporte un soutien matériel et moral à la population, et parce que nous sommes des témoins gênants » (RM 1983) Honduras : « La sécurité de ces réfugiés, considérés en masse comme des suspects aux yeux des militaires, continuera d’exiger une présence internationale permanente » (RM 1986) Réfugiés : « au-delà de notre action médicale, notre présence physique dans les camps est aussi un acte militant, une affirmation sans cesse renouvelée de ce principe humanitaire fondamental » (RM 1988)
Expression de cette vision engagée, la référence aux droits violés – droits de l’homme, mais aussi droits des peuples, droits des réfugiés (mais pas le droit humanitaire) – est indissociable de l’identité de médecin-témoin jusqu’au début des années 1980, et pleinement assumée jusqu’à la fin de la décennie :
« Les MSF rentrant de mission rendront compte au bureau des violations des Droits de l’Homme et des faits inacceptables dont ils auraient été témoins » (RM 1978). « Parce que nous sommes médecins et infirmières, parce que nous appliquons la sublime phrase de Pasteur, ‘je ne te demande pas quelle est ta race ou ta religion, je te demande quelle est ta douleur’ nous sommes investis d’un poids de responsabilité considérable, en étant des témoins » (RM 1980). « Tous se joignent à moi pour que l’on puisse concrétiser un rêve (…) ce rêve fou de donner sa technique mais aussi son cœur et son enthousiasme pour que l’oubli n’existe pas (…) parfois pour témoigner aussi de ces atteintes aux droits des peuples que sont famine, déportation, massacres… » (RM 1981) ; « il faut dénoncer les atteintes au droit des peuples dont nous sommes les seuls témoins » (RM 1982). MSF décide de créer un « centre de recherche sur les questions de développement, des droits de l’homme et des droits des peuples » (RM 1984) ; MSF « en tant que praticien des droits de l’homme », pense participer à la rédaction d’une nouvelle déclaration universelle (CA mai 1988).
La dénonciation de violences se présente alors comme l’acte qui concrétise cette image du témoin leur faisant obstacle, par opposition au silence «complice» du monde lors des génocides passés. En particulier, ainsi que l’on sait, la référence à l’attitude de la Croix-Rouge face à l’extermination des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale est fondatrice à cet égard – et ce de façon explicite:
« Mes chers amis, n’oubliez pas ! du temps des camps de concentration nazis, il s’est trouvé des organisations pour visiter ces camps… (…) nous ne tolérerons pas les verrous, les génocides… et nous pèserons de tout notre poids (…) pour alerter l’opinion et dire que là où l’on nous présente des statistiques lénifiantes, des peuples sont assassinés » (RM 1980).
Comme la naissance du sans-frontiérisme au Biafra dix ans plus tôt, le positionnement de MSF en faveur d’une « marche pour la survie du Cambodge » en 1980 relève de cette logique et de ces références9. Présente dans les camps de réfugiés thaïlandais, MSF y assiste à l’afflux de réfugiés exsangues qui, non sans raison, laisse penser que sévit une famine au Cambodge ; sans en avoir confirmé l’existence, elle l’interprète comme ‘famine-génocide’ organisée, le manque d’accès confortant l’idée de l’intentionnalité. C’est alors qu’est décidée l’initiative d’une « marche pour la survie du Cambodge ».. Organisée en vue de « faire tomber les barrières qui nous empêchent de secourir ces êtres en danger de mort »10. Extrait de l’appel publié par MSF dans divers journaux. Cité par R. Brauman, article cité, p. 200. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de faire le procès d’‘erreurs’ passées, mais de souligner comment les références implicites structurent, modèlent le regard posé sur le réel et la promptitude à vouloir agir., cette initiative est vécue comme le refus d’une complicité de génocide : « nous avons été responsables – et devant l’holocauste nous avons parlé – nous quasiment seuls » (RM 1980). Référence historique et ressort de la dénonciation qui sont également à l’œuvre dans l’affaire dite du « petit Hitler » du Soudan, huit ans plus tard. En mars 1988, l’équipe de MSFHollande rapporte que des atrocités seraient perpétrées sous la responsabilité d’Abdu Gurun, leader sudiste surnommé le petit Hitler du fait de sa brutalité, et écrit un rapport confidentiel. Mue par le caractère impérieux de la dénonciation des exactions commises par le dirigeant sudiste (probablement perçues comme l’indice visible d’un génocide en cours), MSF-F décide d’« alerter la presse » (CA mai 1988), et ce contre l’avis de MSF-H qui est à l’origine des informations alarmantes (et de seconde main). Alerter non seulement pour informer le monde mais avec un objectif précis : « L’objectif ? inciter le gouvernement français à entamer une démarche internationale pour envoyer une force neutre d’interposition au centre du Soudan » (RM 1988) – une force pour « protéger les civils », dirait-on aujourd’hui…
Il n’est pourtant pas certain que cette ère du témoin soit l’ère du témoignage. En premier lieu, la définition de soi-même comme témoin ne doit pas masquer la réalité d’une action déployée la plupart du temps à la marge des conflits. Les premiers médecins sans frontières se pensent davantage en observateurs engagés des conséquences désastreuses du totalitarisme (en particulier dans sa version soviétique) qu’en témoins oculaires. Par leur présence même dans les camps de réfugiés aux frontières des pays communistes et des conflits bipolaires (ou plus rarement auprès de combattants, en Afghanistan, au Tchad), ils attestent les exactions subies par les populations ou les effets des politiques qu’elles ont dû fuir. En second lieu, ni les fondateurs – qui n’ont pas inscrit le témoignage dans la charte – ni les dirigeants de l’association dans les années 1980 ne prônent une pratique systématique du témoignage sur les violences :
« Le bureau décidera alors souverainement d’en informer l’opinion dans le cas où MSF aura été le seul témoin d’exactions intolérables et dans les cas où le silence rendrait tous les membres de MSF individuellement complices. En aucun cas, ce témoignage ne devra être systématique » (RM 1978) « parfois pour témoigner aussi de ces atteintes… » (RM 1981) « nous souhaitons avoir les moyens de faire entendre notre voix lorsqu’il faut dénoncer les atteintes au droit des peuples dont nous sommes les seuls témoins » (RM 1982) (c’est moi qui souligne).
Les théorisations de la dénonciation disparaissent progressivement des documents-cadres à partir de la présidence de R. Brauman, qui mettra davantage l’accent sur le rôle des médecins MSF comme « témoins gênants » (RM 1983). Lancer « comme un défi à l’arbitraire et à la violence » (RM 1984), tenir le « rôle de trublions, d’empêcheurs de massacrer en rond » (RM 1987), jouer un rôle « dans le domaine de la protection contre les agressions extérieures » (RM 1988), voilà la « substance de [l’]engagement » (RM 1984) de MSF. Si la mention du témoin dénonciateur n’est plus aussi prégnante dans la définition du rôle, en revanche l’idée d’une présence aux vertus protectrices, comme obstacle, empêchement ou atténuation des violences, demeure de mise. Face à la guerre et à l’oppression, MSF continue d’être « sentinelle des droits de l’homme »Un rôle qui ne doit pas occulter le fait que par ailleurs, MSF développe pendant ces années des missions d’assistance technique, purement médicales, où ni les motifs de la présence ni le contenu de l’action ne renvoient à ces références de la guerre et de l’oppression. Nous ne les considérons pas ici, mais il est important de ne pas laisser penser que MSF, pendant ces années, aurait été exclusivement sentinelle.
«L’AIDE ÉTAIT UTILISÉE À LA CONFECTION D’UN PIÈGE »
La deuxième moitié des années 1980 voit cependant apparaître l’idée d’une certaine complexité de ce rôle protecteur, avec notamment les expériences vécues en Ethiopie en 1984-85 et dans les camps de réfugiés salvadoriens au Honduras jusqu’à 1988, deux contextes où MSF se retrouve directement aux prises avec des politiques violentesOn se reportera, pour ces deux moments, à L. Binet, Famine et transferts forcés de populations en Ethiopie, 1984-1986, et Camps de réfugiés salvadoriens au Honduras 1988, Crash/MSF, coll. «Prises de parole publiques de MSF», respectivement 2005 et 2004..
Entamée début 1984, la mission MSF en Ethiopie dure jusqu’à fin 1985, date de son expulsion par les autorités. Quelques mois plus tard, R. Brauman résume l’histoire de cette crise en une formulation qui a fait date : « en d’autres termes, l’aide internationale était utilisée à la confection d’un piège destiné à capturer plus d’un million de personnes ; les organisations faisaient à leur insu fonction d’appât dans ce dispositif mortel » ; MSF a été expulsé « pour avoir refusé de fermer les yeux sur l’inacceptable » (RM 1986). Devenu, à côté du Biafra, l’autre grand moment fondateur de MSF, ce retournement de l’aide servant un e politique criminelle se constitue comme un « intolérable »On utilise ce terme sans jugement moral, en référence directe à la notion telle qu’elle est développée dans D. Fassin et P. Bourdelais (dir), Les constructions de l’intolérable, La Découverte, 2005 : «il s’agit toujours d’une norme et d’une limite historiquement constituées». La démarche des auteurs n’a pas pour objet «de défendre des valeurs (…), mais bien de tenter de reconnaître l’existence d’une ligne de partage dans notre univers moral – ligne constituée dans des temps et dans des lieux donnés» (p. 8) – il inscrit durablement le « dilemme » dans la vision du monde de MSF.
Cette problématique peut apparaître comme dénuée de lien avec celle qui nous occupe en cela qu’elle renvoie avant tout à des enjeux liés aux secours. De fait, l’intervention de MSF se présente comme celle d’un acteur médical répondant à la demande des autorités face à une situation de famine. En somme, si MSF n’a aucune sympathie pour le régime de Mengistu, son intervention n’a cependant pas pour visée le soutien à des populations opprimées ou la défense contre des violations de droits de l’homme – un rôle qui justifierait une vigilance quant aux exactions et une attention particulière au contexte, c’est-à-dire qui contiendrait d’emblée les deux rôles du témoin et du médecin. En Ethiopie, plus d’une année s’écoule avant que la réalité du retournement de l’aide n’apparaisse à MSF. L’attention au contexte, qui n’est au début qu’un « théâtre d’ombres »«Occupés que nous étions à travailler jour et nuit, les exactions, les rafles étaient pour nous un théâtre d’ombres auquel nous ne comprenions rien» (Rony Brauman, «L’humanitarisme contre la politique ?», entretien, Le Banquet, n°2, revue du CERAP, avril 1993). pour les volontaires affairés, ne naît que progressivement. Ce sont les entraves à porter assistance qui la suscitent, en (r)établissant le lien entre action et contexte violentTout au long du développement de la crise, c’est la permanence des entraves à la présence et au travail des organisations humanitaires, à l’origine d’un fort sentiment d’impuissance, qui préoccupe MSF ; la brutalité de la mise en œuvre du processus de «réinstallation» donne lieu à des scènes très éprouvantes dont les équipes sont parfois témoins, mais elle n’est pas le centre de gravité des enjeux perçus. S’il est fait mention d’un «seuil du tolérable largement dépassé» (CA mai 1985), c’est d’abord en référence à ces entraves à l’action, dont la levée est l’objet des efforts de MSF. Fin 1985, le découragement est total : «depuis quatre mois, l’équipe médicale de Kelala assiste, les mains liées, à la mort de centaines d’enfants qu’un centre de nutrition aurait permis de sauver dans leur immense majorité» (CA octobre 1985). C’est dans ce contexte que ces différents éléments se mettent en lien pour constituer un tableau cohérent où l’aide joue un rôle d’appât : cette fois, le «seuil d’intolérabilité (…) dépassé » justifie «d’aller jusqu’au bout, au risque de se faire expulser» (CA novembre 1985).. L’entrave se présente en effet pour MSF comme la marque classique de l’oppression. Dans ces conditions, c’est non seulement sur cette violence que s’ouvrent alors les yeux des MSF, mais bientôt sur le rôle qu’y joue leur présence. A côté de la figure de complicité du témoin silencieux face aux violences, voici que se présente celle, plus troublante encore, du médecin-participant aveugle de l’exécution de crimes. En ce sens, le dilemme éthiopien réaménage l’articulation, auparavant lâche, entre assistance et attention aux violences. Il s’agit de reconnaître que l’action mise en œuvre est insérée dans le champ dynamique des rapports de force politiques, dont elle est un ingrédient parmi de nombreux autres ; dans ce cadre, son effet positif sur les personnes qu’elle vise n’est plus donné d’avance. Autrement dit, assistance et protection (ou témoignage, ou attention aux violences) ne sauraient être les deux volets déconnectés de la présence, une leçon qui irrigue dès lors l’histoire de MSF.
Cette perte d’innocence fondatrice se retrouve dans le ton du rapport moral quelques mois plus tard: « à quel aune mesurer l’intérêt des hommes et des femmes que nous allons secourir ? ». Si la « finalité » de l’action de MSF demeure « l’homme (…) atteint dans son intégrité ou dans sa liberté », il s’agit désormais d’avoir une « réflexion sur notre action et sa portée » (RM 1986). A côté du rôle choisi du défenseur de droits, la responsabilité face aux violences inclut désormais celle d’examiner les conséquences de sa propre action. Une idée qui est creusée, prolongée dans les années qui suivent : « il est essentiel pour mieux insérer notre action de faire l’effort de comprendre la nature des problèmes sur lesquels nous intervenons, d’examiner les solutions proposées en fonction des résultats qu’elles ont amenés. Trop souvent en effet la pureté des intentions sert de paravent commode à la dureté des faits » (RM 1987).
Dureté des faits du côté des réfugiés également : à l’automne 1988, MSF prend la difficile décision de se retirer des camps de réfugiés salvadoriens du Honduras, à l’issue d’un long conflit avec les comités censés représenter ces derniers. D’une part, ces comités ont constamment utilisé les réfugiés dans leur guérilla contre la dictature salvadorienne, recourant à des pratiques extrêmement violentes pour assurer leur emprise sur eux. D’autre part, ils ont tenté d’enrôler l’aide dans l’effort de guerre, avec des exigences croissantes envers MSF. Ces deux constats ont petit à petit convaincu les cadres de l’association de la nature autoritaire, « à l’albanaise », de ces comités (alors que les équipes sur place, plutôt séduites dans leur majorité par la cause défendue par la guérilla, tendraient à en tolérer les pratiques). Conformément à leur aversion pour le totalitarisme et l’autoritarisme, ils concluent à la nécessité de résister à ces exigences – attitude qui a pour résultat une détérioration drastique des relations avec les comités et aboutit au retrait des camps fin 1988. Si MSF savait depuis longtemps que les camps de réfugiés sont en général loin d’être de purs « sanctuaires »Voir par exemple la parution dès 1986 du Piège humanitaire, de J.-C. Rufin., cette expérience vient complexifier sa perception de la situation des réfugiés et du rôle qu’elle peut jouer face aux abus dont ils font l’objet :
« La pérennisation des camps de réfugiés dans le tiers-monde est source de multiples tensions pouvant elles-mêmes susciter de graves problèmes de protection (…) Pas plus que quiconque, nous n’avons de solution toute faite à apporter à ce problème, qui ne se résume pas à un face-à-face idéal ‘droits de l’homme / raison d’Etat’ ou ‘bons réfugiés / méchant gouvernement’. Reste que (…) notre vocation humanitaire nous met sans équivoque du côté des réfugiés, dont les droits, théoriquement garantis par les conventions internationales, doivent être défendus pied à pied (…) Nous avons, je l’ai dit, un rôle important à jouer dans le domaine de la protection contre les agressions extérieures. Nous l’avons fait tout au long de ces huit années de présence ininterrompue au Honduras (…) Contre les menaces extérieures, nous pouvons quelque chose. Mais nous sommes impuissants devant un système oppressif issu de l’intérieur… » « là où le droit se brise contre la force » (RM 1988, novembre, peu avant le retrait)
Ces quelques phrases nous indiquent le rôle de protection que s’attribue MSF dans les camps de réfugiés en général – rôle qui n’est pas nécessairement lié à des actions précises, mais d’abord à la présence auprès des réfugiés, à nouveau comme œil extérieur. Quelques mois plus tôt, lors de violents incidents dans ces mêmes camps, il était noté que « le HCR, qui a pour mandat la protection des réfugiés, a une position très difficile. Il tente de protéger les réfugiés contre les comités et contre l’armée hondurienne » (CA juillet 1988). Deux régimes de responsabilité de protection, l’un choisi, l’autre mandataire, qui font co-exister sur un même terrain la petite organisation française et l’agence onusienne, dans une convergence surprenante pour l’observateur d’aujourd’hui ; elle sera en effet remise en cause quelques années plus tard.
A la veille de la chute du mur de Berlin, MSF n’est plus le petit acteur marginal qui déploie des actions symboliques aux marges des conflits bipolaires. C’est une association qui s’est professionnalisée tout au long de la décennie 1980 et qui a fait l’expérience de l’Ethiopie. Si elle se conçoit bien un rôle face aux violences, « au-delà de [son] action médicale… » (RM 1988), celuici s’inscrit désormais dans une complexité certaine. C’est dans une autre complexité que la décennie 1990 fait entrer MSF – celle de l’articulation de sa responsabilité à celle des autres acteurs sur le terrain des conflits post-guerre froide.
Période
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