L’eau humanitaire est-elle potable ?
Jean-Hervé Bradol, Francisco Diaz, Marc Le Pape & Jérome Léglise
Médecin, diplômé de Médecine tropicale, de Médecine d'urgence et d'épidémiologie médicale. Il est parti pour la première fois en mission avec Médecins sans Frontières en 1989, entreprenant des missions longues en Ouganda, Somalie et Thaïlande. En 1994, il est entré au siège parisien comme responsable de programmes. Entre 1996 et 2000, il a été directeur de la communication, puis directeur des opérations. De mai 2000 à juin 2008, il a été président de la section française de Médecins sans Frontières. De 2000 à 2008, il a été membre du conseil d'administration de MSF USA et de MSF International. Il est l'auteur de plusieurs publications, dont "Innovations médicales en situations humanitaires" (L'Harmattan, 2009) et "Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997" (CNRS Editions, 2016).
Ancien directeur du département logistique de Médecins Sans Frontières en France
Marc Le Pape a été chercheur au CNRS et à l'EHESS. Il est actuellement membre du comité scientifique du CRASH et chercheur associé à l’IMAF. Il a effectué des recherches en Algérie, en Côte d'Ivoire et en Afrique centrale. Ses travaux récents portent sur les conflits dans la région des Grands Lacs africains. Il a co-dirigé plusieurs ouvrages : Côte d'Ivoire, l'année terrible 1999-2000 (2003), Crises extrêmes (2006) et dans le cadre de MSF : Une guerre contre les civils. Réflexions sur les pratiques humanitaires au Congo-Brazzaville, 1998-2000 (2001) et Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997 (2016).
Référent eau, assainissement et hygiène à Médecins Sans Frontières, basé à Paris
Depuis le début des années deux-mille, la survenue de quatre épidémies d'hépatite E dans nos contextes d'intervention a relancé une réflexion sur la qualité de l'eau produite et distribuée aux populations par les organismes humanitaires. En effet, en 2004, dans le camp de déplacés de Mornay (Etat de l'Ouest Darfur au Soudan), l'enquête épidémiologique d'Epicentre (Outbreak of Hepatitis E in Mornay IDP camp, December 2004) a mis en évidence le fait que l'eau correctement chlorée, distribuée par le système d'approvisionnement mis en place par MSF a été un des vecteurs de la transmission de l'hépatite E. L'expérience de ces épidémies a conduit à un triple constat : la fréquence des épidémies d'hépatite E n'est pas négligeable puisque qu'elles surviennent quatre fois en moins de dix ans sur nos terrains, dans le cas précis de cette maladie nos procédures correctement exécutées de production d'eau ne permettent pas d'écarter la menace, enfin les alternatives praticables dans nos contextes d'intervention ne sont pas facilement identifiables.
Si le point de départ a été une maladie particulière, l'hépatite E, la réflexion menée à cette occasion a montré que les enjeux sanitaires liés aux faiblesses des procédures d'approvisionnement en eau mises en œuvre par les organismes d'aide ne concernent pas cette seule pathologie. Quelles difficultés rencontrons-nous pour produire et distribuer une eau claire, au goût acceptable, dénuée de germes fécaux, correctement chlorée et en quantité suffisante ? Quel rôle doivent jouer les « bénéficiaires » dans la définition des critères de qualité à atteindre ? Quelles sont les situations où nous pensons avoir atteint cet objectif et où pourtant un risque sanitaire notable subsiste ? Quel est l'état des connaissances sur la relation entre la consommation d'eau et la santé ? Qu'est-ce qu'une eau potable pour les acteurs qui opèrent hors contextes humanitaires ? Jusqu'à quel point l'état de santé est-il plus influencé par la quantité d'eau disponible que par sa qualité ? D'où viennent les indicateurs de potabilité de l'eau utilisés par les organismes humanitaires et sont-ils encore pertinents ? Devons-nous passer d'une culture d'atteinte de la norme en vigueur à une culture de la gestion de risques résiduels quelle que soit la norme retenue ? Les développements technologiques récents nous ouvrent-ils des perspectives nouvelles ? Peut-on espérer améliorer la qualité de l'eau sans faire de progrès en matière de consommation énergétique dont l'importance est une des caractéristiques des systèmes de production d'eau potable plus sophistiqués que les nôtres ?
Mais au-delà des considérations médicales, scientifiques et technologiques, l'accès à l'eau est un enjeu social, économique et politique majeur aussi bien local, régional, national qu'international. Comment les consommateurs perçoivent-ils l'action des organismes producteurs et distributeurs d'eau ? Quelles sont les tensions sociales, économiques et politiques qui conditionnent la gouvernance de l'eau et les rapports des usagers aux agents qui délivrent l'eau ? Quels sont les axes principaux des politiques publiques nationales et internationales dans ce domaine ?
Pour citer ce contenu :
Jean-Hervé Bradol, Francisco Diaz, Marc Le Pape, Jérome Léglise, L’eau humanitaire est-elle potable ?, 4 juillet 2011, URL : https://msf-crash.org/fr/publications/medecine-et-sante-publique/leau-humanitaire-est-elle-potable
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