MSF à Serif Umra au Darfour
Recension

Politicide

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Rony Brauman présente le livre du sociologue israélien Baruch Kimmerling : Politicide, les guerres d'Ariel Sharon contre les palestiniens.

Depuis ses origines, au XIXème siècle, et surtout depuis sa victoire en 1948, le sionisme est traversé par un conflit de valeurs entre interprétation civique et interprétation tribale du judaïsme. D’éminents intellectuels comme Hannah Arendt, Martin Buber ou Yehuda Magnes incarnèrent la première, mais le « sionisme réel » fut aspiré, année après année, par la seconde. Ariel Sharon, l’homme dont la carrière militaire et politique se confond avec toutes les guerres qui ont marqué le demi-siècle d’histoire de l’Etat d’Israël, l’incarne plus que tout autre.

Le sociologue israélien Baruch Kimmerling, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, lui consacre un livre remarquable intitulé « Politicide, les guerres d’Ariel Sharon contre les palestiniensAgnès Viénot Editions, 340 pages, 19 € ». Ce qui est désigné ici comme clé de lecture de cet interminable conflit, c’est le « processus qui a pour but ultime la disparition du peuple palestinien en tant qu’ entité sociale, politique et économique légitime. » Les principaux instruments du politicide sont la destruction physique des institutions et des infrastructures publiques, la colonisation des terres, l’isolation sociale et politique, les transferts de population (que l’auteur n’hésite pas à qualifier, à juste titre, de purification ethnique), mais aussi « les meurtres, les massacres localisés, l’élimination de la tête de l’élite. »

Kimmerling, qui se présente comme un « patriote israélien, fortement engagé pour le bien-être d’Israël, [son] seul pays » se situe loin des outrances propagandistes peignant Sharon sous les traits réducteurs d’une brute sanguinaire. Il nous propose, au contraire, une grille d’analyse à travers laquelle Ariel Sharon apparaît dans sa cohérence propre, celle d’un chef d’Etat qui a, dans son parcours politique antérieur, refusé tous les accords de paix et qui comparait Arafat à Ben Laden au lendemain des attentats du 11 septembre.

Rejoignant d’autres dissidents israéliens, l’auteur se dresse contre la politique coloniale d’Israël pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une injustice fondamentale, mais aussi pour ce qu’elle porte en elle, à savoir le « pourrissement du tissu interne de la société israélienne » et l’accomplissement à terme d’un second politicide, celui de la communauté juive d’Israël. C’est donc à l’analyse d’un processus d’autodestruction collective qu’il nous convie, visant à réactiver dans le même mouvement, aux côtés d’autres dissidents israéliens, l’héritage politique d’un sionisme républicain aujourd’hui fantomatique.

L’ « Etat palestinien » dont parlent George W. Bush et le premier ministre israélien est-il vraiment différent de cet agrégat de municipalités et de terres arides qu’en Afrique du Sud du temps de l’apartheid on nommait « homelands » ? Les « concessions douloureuses » seront-elles autre chose que le démantèlement de quelques colonies isolées ? On en doute.

La quasi disparition de la gauche israélienne doit beaucoup au nihilisme dans lequel s’enfonce la population palestinienne et dont les attentats-suicides sont l’expression la plus terrifiante. L’entretien du cercle vicieux colonisation – terrorisme - répression est lui-même l’effet d’une démission du camp de la paix dont Kimmerling fait une analyse sévère, rappelant par exemple qu’elle n’a jamais voulu faire d’alliance politique avec les Palestiniens israéliens qui votaient à 95% pour elle jusqu’à la meurtrière répression de novembre 2000 par Ehud Barak.

Comment sortir de cette situation désastreuse ? Par la désobéissance civile, seule alternative à la guerre civile selon Kimmerling. Dans un tel contexte, tout ce qui permet pacifiquement de résister à l’occupation est en effet acte démocratique par excellence. C’est le travail admirable d’ONG israéliennes et palestiniennes qui indique aujourd’hui cette voie, mais il semble malheureusement bien peu de choses dans la vague de haine qui déferle sur le Proche-Orient.

 

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Politicide », 1 septembre 2003, URL : https://msf-crash.org/fr/acteurs-et-pratiques-humanitaires/politicide

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