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Point de vue

Corne de l’Afrique : les faiblesses d’une intervention en question

Michaël Neuman
Michaël
Neuman

Directeur d'études au Crash depuis 2010, Michaël Neuman est diplômé d'Histoire contemporaine et de Relations Internationales (Université Paris-I). Il s'est engagé auprès de Médecins sans Frontières en 1999 et a alterné missions sur le terrain (Balkans, Soudan, Caucase, Afrique de l'Ouest notamment) et postes au siège (à New York ainsi qu'à Paris en tant qu'adjoint responsable de programmes). Il a également participé à des projets d'analyses politiques sur les questions d'immigration. Il a été membre des conseils d'administration des sections française et étatsunienne de 2008 à 2010. Il a codirigé "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de MSF" (La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (CNRS Editions, 2016).

Dans un rapport intitulé « A dangerous delay », Oxfam et Save the children rappellent à l'ordre tous les intervenants - gouvernements, organisations humanitaires, Nations unies - ayant participé à la réponse humanitaire face à la crise nutritionnelle qui a frappé la Corne de l'Afrique au cours des derniers mois. Le sous-titre est explicite : le coût de la réponse tardive aux alertes précoces au moment de la sécheresse dans la Corne d'Afrique en 2011. Les deux ONG décrivent les raisons qui, d'après elles, expliquent le retard pris par la réponse humanitaire à une crise dont plus personne ne conteste la nature, sinon l'ampleur. En revanche, les éléments avancés pour expliquer la gravité de crises nutritionnelles de ce type et les meilleures façons d'y remédier font toujours débat.

Pour Save the Children et Oxfam, c'est le système international de réponse qui a failli, et c'est en agissant sur sa capacité à agir à temps et mener des actions durables qu'il sera possible de sauver davantage de vie dans les crises futures. Certaines recommandations contenues dans le rapport d'Oxfam et Save the Children sonnent juste, comme celles - par exemple - de prendre plus au sérieux des systèmes d'alerte précoce déployés dans la corne de l'Afrique (FEWS, FSNAU, FSNWG...) même s'ils restent faillibles. Ils ont montré leur efficacité à anticiper les conséquences des variations climatiques, de prix, des évolutions du contexte politique sur l'état médical et nutritionnel de la population. D'autres recommandations sont plus fantaisistes, comme celles demandant aux gouvernements de soutenir une « Charte pour éradiquer la faim extrême ».

Toutefois, un des éléments les plus frappants du rapport réside dans l'absence de dimension politique à la fois pour l'origine de la crise, ramenée à sa dimension climatique, et dans la réponse à y apporter. Ne sont soulignées que des défaillances techniques, auxquelles il serait donc possible d'apporter des réponses d'ordre systémique. Ainsi, aucune responsabilité n'est pointée en direction des militants islamistes shabaab somaliens et du gouvernement de transition, qui ont pourtant rendu les interventions humanitaires dans les zones qu'ils contrôlent extrêmement difficiles, ou encore vers les gouvernements de la région, éthiopien et kenyan, au regard des entraves qu'ils ont imposées à la délivrance de secours alimentaires et à leur accès par les populations.

Quelle que soit la nature de la crise à laquelle les acteurs humanitaires ont à faire face, la qualité de leur réponse dépend toujours du rapport de force qu'ils sont capables de mettre en place avec les autorités. Face à des autorités politiques décidées à limiter les secours, force est de constater qu'en l'espèce, ce rapport de force n'a pas été à l'avantage des acteurs de l'aide.

 

Pour citer ce contenu :
Michaël Neuman, « Corne de l’Afrique : les faiblesses d’une intervention en question », 19 janvier 2012, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/acteurs-et-pratiques-humanitaires/corne-de-lafrique-les-faiblesses-dune-intervention-en

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