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Point de vue

Le "délit de solidarité", la criminalisation de l’aide en France ?

Michaël Neuman
Michaël
Neuman

Directeur d'études au Crash depuis 2010, Michaël Neuman est diplômé d'Histoire contemporaine et de Relations Internationales (Université Paris-I). Il s'est engagé auprès de Médecins sans Frontières en 1999 et a alterné missions sur le terrain (Balkans, Soudan, Caucase, Afrique de l'Ouest notamment) et postes au siège (à New York ainsi qu'à Paris en tant qu'adjoint responsable de programmes). Il a également participé à des projets d'analyses politiques sur les questions d'immigration. Il a été membre des conseils d'administration des sections française et étatsunienne de 2008 à 2010. Il a codirigé "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de MSF" (La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (CNRS Editions, 2016).

Le «délit de solidarité» existe-t-il en France? Le 6 janvier dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a publié une note sur les cas d'application du délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier.

Cette note s'inscrit dans le débat autour du «délit de solidarité», entamé au printemps 2009 entre les associations d'aide aux sans-papiers et le ministre de l'Immigration de l'époque, Eric Besson. Aux associations qui expliquaient que des personnes ayant fourni une aide ponctuelle et désintéressée à des étrangers en situation irrégulière pouvaient être poursuivies, voire condamnées, le ministre répondait à l'époque que ce n'est pas le cas: «Il n'y a pas de bénévole, d'humanitaire, ou de particulier qui ait, en France, en soixante-cinq ans, une seule fois été condamné pour avoir aidé, hébergé, nourri ou conduit dans sa voiture, etc. un étranger en situation irrégulière ». Pour Eric Besson, cette loi ne vise que la lutte contre les passeurs, les filières et «ce qui participe d'une collaboration active, par passion, par idéologie ou par imprudence, à des filières exploitant de manière indigne la misère humaine. »

La Commission a étudié dix-huit cas et aucun ne comporte de références à des réseaux de passeurs. Or, ce travail de recherche et d'analyse qui intègre toutes les phases du «procès pénal» -de l'interpellation à la condamnation- montre sans équivoque que «de simples actes de solidarité sont sanctionnés, entraînent la mise en mouvement de l'action publique ou des appels interjetés par le ministère public, ou encore l'ouverture d'une enquête par la police avec, le cas échéant, une mise en garde à vue au titre du délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers».

Aux côtés d'actes d'hébergement et de transport d'étrangers en situation irrégulière réprimés par les tribunaux, la CNCDH note que «des actes de nature clairement "humanitaires" font également l'objet de poursuite», à l'image d'une distribution de nourriture, et ce malgré une immunité "humanitaire" prévue par des assouplissements successifs apportée à la législation. La CNCDH conclut donc à l'existence d'un «délit de solidarité» et demande les modifications législatives nécessaires à la clarification de «la définition de l'incrimination afin de lever l'ambiguïté rédactionnelle du champ de l'incrimination et de celui des immunités».

La revue de la CNCDH ne se prétend pas exhaustive. Mais si moins d'une vingtaine de cas ont été recensés entre 1989 et 2009 (soit moins d'un cas par an en moyenne), convenons que le problème posé par l'existence d'un «délit de solidarité» reste marginal pour les milliers de bénévoles ou de salariés d'associations travaillant aux côtés des étrangers en situation irrégulière. Ce faible nombre pourrait au contraire indiquer que la loi n'est pas appliquée dans le sens qui lui vaut l'opposition des associations. Dès lors, la question que pose l'existence des poursuites engagées à l'encontre d'un certain nombre d' «aidants» est celle de l'intimidation par la loi.

En juin 2010, la Cour suprême des Etats-Unis jugeait constitutionnel le Material Support Statute, un dispositif qui vise à réprimer sévèrement le «soutien matériel» aux organisations et aux individus désignés par le Département d'Etat comme «terroristes» ou comme «menace pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis». Cette décision a suscité des réactions inquiètes de la part des organismes d'aide opérant en Somalie, dans les Territoires palestiniens ou encore au Pakistan, du fait des risques qu'elle fait courir aux travailleurs humanitaires. Au regard de la recrudescence des dispositifs législatifs internationaux destinés à encadrer et limiter les contacts pris par les organismes de secours avec des entités qualifiées de terroristes sur un certain nombre de terrains d'interventions, l'exemple du «délit de solidarité» indique qu'au-delà du risque concret encouru par les acteurs de l'aide, la pression juridique peut constituer un frein réel aux manifestations de solidarité entre individus.

Pour citer ce contenu :
Michaël Neuman, « Le "délit de solidarité", la criminalisation de l’aide en France ? », 27 janvier 2011, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/acteurs-et-pratiques-humanitaires/le-delit-de-solidarite-la-criminalisation-de-laide-en-france

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