Enfants dans les rues de Kaboul
Point de vue

Lire l’information en temps de guerre

Jean-Hervé Bradol
Jean-Hervé
Bradol

Médecin, diplômé de Médecine tropicale, de Médecine d'urgence et d'épidémiologie médicale. Il est parti pour la première fois en mission avec Médecins sans Frontières en 1989, entreprenant des missions longues en Ouganda, Somalie et Thaïlande. En 1994, il est entré au siège parisien comme responsable de programmes. Entre 1996 et 2000, il a été directeur de la communication, puis directeur des opérations. De mai 2000 à juin 2008, il a été président de la section française de Médecins sans Frontières. De 2000 à 2008, il a été membre du conseil d'administration de MSF USA et de MSF International. Il est l'auteur de plusieurs publications, dont "Innovations médicales en situations humanitaires" (L'Harmattan, 2009) et "Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997" (CNRS Editions, 2016).

Kidnappée en Afghanistan le 26 septembre 2010, Linda Norgrove est décédée lors d'une attaque de l'armée américaine contre ses ravisseurs supposés appartenir à l'opposition armée afghane. Dans la presse, Linda Norgrove est unanimement présentée comme membre d'une organisation humanitaire ou d'un organisme d'aide : Development Alternatives Inc (DAI). Une simple visite sur le site web de cette institution permet de comprendre que DAI est en réalité une entreprise à but lucratif dont le premier client est l'Agence étasunienne pour le développement international (USAID). Selon la description donnée par l'institution de sa mission sociale, l'une des six valeurs fondamentales de DAI est explicitement de faire du profit. On peut en effet lire: «Pour réussir dans notre mission, nous devons être une compagnie prospère. Il n'y a pas de conflit d'intérêt entre le succès financier (le profit) et le succès de la mission (le développement). Plutôt l'inverse. Si nous réussissons en tant qu'entreprise, nous aurons un impact plus important en matière de développement, nous pourrons assurer le futur de nos employés, ainsi qu'utiliser des ressources pour investir dans notre propre futur».

Au lendemain du week-end, le gouvernement britannique informe l'opinion que contrairement au communiqué de presse diffusé vendredi 8 octobre par l'OTAN, l'otage n'aurait pas été tuée par ses ravisseurs mais par une grenade lancée par l'armée américaine lors d'une attaque contre les combattants qui la détenaient. Lundi 11 octobre, le général Petraeus, commandant des forces alliées, annonçait l'ouverture d'une enquête pour préciser les causes du décès. De vendredi à lundi, nous assistons à un vertigineux glissement du sens de l'information. Il ne s'agit plus d'une humanitaire tuée par les Talibans mais d'une professionnelle du business au service de la politique américaine en Afghanistan et qui serait décédée lors de l'explosion d'une grenade américaine. Si on se fie à l'information disponible, on ne peut éprouver qu'une profonde tristesse devant la disparition d'une personne qui ne participait pas aux combats et œuvrait au développement économique du pays. Mais nous sommes loin de la version initiale: une humanitaire assassinée par l'opposition afghane.

Pour citer ce contenu :
Jean-Hervé Bradol, « Lire l’information en temps de guerre », 12 octobre 2010, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/guerre-et-humanitaire/lire-linformation-en-temps-de-guerre

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site.

Contribuer

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question consiste à tester si vous êtes ou non un visiteur humain et à éviter les demandes automatisées de spam.