Des femmes s'embrassent sur le front
Point de vue

ONU femmes : parce que je le vaux bien

Claire
Magone

Directrice de la communication de Médecins Sans Frontières, basée à Paris

Après des études de communication (CELSA) et de sciences politiques (La Sorbonne), Claire Magone a travaillé plusieurs années avec des associations humanitaires, notamment en Afrique au Libéria, en Sierra Leone, au Soudan ainsi qu'au Nigéria. En 2010, elle devient directrice d’études au Crash, puis directrice de la communication de MSF en 2014.

Après d'intenses négociations entre Etats et mouvements de femmes, UN Women a vu le jour en juillet 2010. C'est dans cette structure qu'ont été transférés les mandats de quatre organisations des Nations unies jusque-là dédiées aux questions de genre. A l'origine de sa création, un constat : en dépit de l'évolution des lois et des politiques de nombreux pays, il manque toujours un « appui concret pour donner effet à ces décisions et changer la vie des femmes et des hommes ».

Annoncée dans tous les communiqués de l'ONU comme une « victoire historique », UN Women menace pourtant de desservir la cause qu'elle est censée soutenir. Aussi respectable soit-elle, l'initiative pose une série de questions : ainsi, la diversité des mouvements féministes survivra-t-elle dans cette superstructure ? Le militantisme peut-il s'épanouir dans un monde de professionnels et d'experts du genre ? Enfin, de simples ajustements ne risquent-ils pas de supplanter une réforme profonde réclamée par de nombreux mouvements féministes ?

Telle qu'elle est présentée, UN Women affronte surtout un adversaire dépolitisé. « Champion énergique et dynamique » qui saura faire entendre « la voix unie et forte des femmes de ce monde », il ne s'agira pas d'un organe de combat à portée des mouvements féministes en lutte contre un modèle de domination socio-économique basé sur le patriarcat. UN Women sera, tout simplement, l'étendard de la cause des femmes. Et pour Hillary Clinton qui défend l'idée de placer les femmes au cœur des préoccupations des Nations unies et de la politique étrangère des Etats-Unis, on se doit d'adhérer à ce nouveau modèle pour deux types de raison.

D'une part, parce que les femmes le valent bien, et pour ainsi dire, vaudraient même mieux que les hommes : solidaires, ce sont elles qui « prennent soin des malades dans le monde » ; victimes, elles sont de plus en plus affectées par le VIH « transmis par les hommes » ; innocentes, « elles causent rarement les conflits armés » ; entrepreneuses enfin, elles savent « saisir les opportunités pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles ».
D'autre part, parce que les femmes seraient, par essence, portées vers l'entraide, le souci de l'autre, la paix et la justice. En ce sens, elles seraient les alliées naturelles du combat des Américains et des Nations unies « pour un monde meilleur et plus sûr pour nos enfants ».

Faut-il rappeler ici que les hommes sont les premières victimes des conflits armés, que le VIH est un virus avant d'être une arme et que, soumises au même système d'encadrement et de formation militaire, les femmes n'ont rien à envier aux hommes sur un champ de bataille ou dans une salle de torture ?

Par la vision consensuelle qu'elle propose, l'ONU réduit la femme à sa dimension d'objet d'indignation et neutralise son pouvoir subversif. Poussée dans les retranchements symboliques de la victime - et de sa figure associée, la femme courage -, la femme est invitée à jouer ce rôle classiquement assigné par les tenants d'une vision traditionnelle du genre : la mascotte. Pour que cette mascotte remplisse pleinement sa fonction de ralliement, il faut qu'elle soit identifiable de très loin, et en tous temps, donc que son contour identitaire soit le plus net possible. Elle peut avoir un prénom, mais on évitera qu'elle exprime autre chose que la cause qu'elle incarne, pour ne pas brouiller le message en le complexifiant.

Il peut s'agir d'Aïsha, jeune Afghane dont le visage mutilé a fait cet été la couverture du Times Magazine titré : « Voici ce qui se passera si nous quittons l'Afghanistan », le journal imputant le crime aux Talibans - bien que leur responsabilité dans ce crime semble après examen difficile à établir.


Il peut s'agir de Sakineh, cette femme iranienne condamnée à la lapidation, qui suscite l'indignation et la mobilisation d'une partie du monde, mais dont on peut douter qu'une lettre de soutien rédigée par Carla Bruni puisse la réconforter : "Condamnée à être enterrée vivante, puis à être lapidée ! Votre beau visage, réduit en bouillie! (...). Vos yeux pleins de douleur et de dignité, votre front, votre cerveau, votre âme... transformés en cible pour des lanceurs de pierres, explosés, pulvérisés, en miettes! ».

Visage virginal qu'encadre un voile austère, Sakineh est, aux dires mêmes de son avocat une « femme simple, très simple ». Rien à craindre de ce côté-là.

Pour citer ce contenu :
Claire Magone, « ONU femmes : parce que je le vaux bien », 13 septembre 2010, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/acteurs-et-pratiques-humanitaires/onu-femmes-parce-que-je-le-vaux-bien

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