image ce que nous dit le sida
Analyse

Ce que nous dit le sida

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Le vendredi 21 janvier 2022, Rony Brauman a participé à une séance commune de l’Académie des sciences d’outre-mer et de l’Académie nationale de médecine dédiée aux enjeux et défis de la mondialisation de la santé. Cet article est une transcription de son discours, dont la vidéo est également disponible sur notre site.

Dans son intervention, il identifie les dynamiques et événements qui ont permis l’inversion de la courbe épidémique du VIH/sida. Il adopte ainsi le point de vue de MSF pour expliquer dans quel climat s’est joué le bras de fer avec une partie de l’industrie pharmaceutique et rappelle que c’est également une crainte pour la sécurité internationale et la stabilité politique qui a poussé les Etats à se mobiliser pour endiguer l’épidémie.


Messieurs les présidents et secrétaires perpétuels des deux assemblées,
Mesdames et Messieurs,

Introduction

Je remercie le Dr Chippaux, ainsi que les présidents et secrétaires perpétuels des deux Académies de m’avoir donné l’occasion de raconter ici les confidences que m’a faites le sida, si l’on accepte l’annonce du président de l’Académie nationale de médecine.

Naturellement, cette maladie m’a fait bien peu de confidences. Cependant, j’ai pu suivre en tant que praticien collectif, c’est-à-dire membre d’une organisation d’aide médicale qui s’est fortement investie dans l’épidémie de VIH, les nombreuses questions qui ont surgi à cette occasion – et l’on est bien placé en ce moment pour voir à quel point les épidémies font surgir des interrogations ou de nouveaux problèmes.

Diversité des questionnements révélés par l’épidémie de sida

J’aurais pu, par exemple, évoquer une nouvelle situation médicale fort intéressante, à savoir la naissance de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler la démocratie sanitaire. Elle se manifeste par l’implication considérablement renforcée des patients et de leurs proches dans la définition des protocoles des essais cliniques, et même de leur cadre éthique, alors qu’ils étaient jusqu’alors réservés aux praticiens médicaux. Jusqu’à quel point cette démocratie sanitaire a irrigué d’autres domaines de la pratique médicale, cela reste sujet à débats, mais cette nouvelle façon de faire, qui a permis de réelles avancées dans le soin, a émergé avec le sida.

De même, il aurait été tout à fait possible de souligner la très rapide progression des connaissances. Entre le début des années 80 où apparait un nouveau syndrome Il s’appelait au départ le « cancer gay », je le rappelle. totalement inconnu, létal au début en quelques mois ou quelques années, puis la découverte de son origine virale et la mise au point de traitements efficaces transformant cette terrible maladie en une affection chronique avec laquelle il est possible de mener une vie quasi-normale, il ne s’est passé que quinze ans.

J’aurais pu également, et c’est pour moi l’occasion d’évoquer des questions qui me semblent essentielles en médecine et en santé publique, vous parler de l’histoire du sida comme pathologie iatrogène. Le rôle qu’ont joué dans l’explosion de cette épidémie les grandes campagnes de santé publique – je pense aux premières campagnes de lutte contre la maladie du sommeil dans les années 20-30 ou à la généralisation de perfusions et de vaccinations par injection dans les années 60-70 –, semble bien plus important que la supposée frénésie sexuelle des Africains qui cache surtout une vision coloniale et raciste, bien loin de la réalité, à la fois plus prosaïque et plus dérangeante.

J’aurais pu aussi, et j’en termine là pour la litanie des sujets que je n’aborderai pas, rappeler la faible réactivité de l’OMS, une inertie qui renvoie, d’ailleurs, à celle dont elle a fait preuve au moment de l’épidémie d’Ebola en 2014. Cette faible réactivité a été plus ou moins compensée, avec de nombreux inconvénients et quelques avantages, par la multiplication d’institutions telles l’ONUSIDA (1995), le Fonds mondial (2002) ou l’Unitaid (2006), institutions qui ont, en quelque sorte, comblé les vides laissés par l’OMS.

L’accès aux antirétroviraux (ARV)

J’ai choisi d’adopter un autre angle d’analyse, celui d’un acteur humanitaire privé, Médecins sans frontières (MSF) engagé dans la campagne visant à la généralisation de l’accès aux antirétroviraux.  Il s’agira de revenir sur le bras de fer qui s’est joué, à l’époque, avec quelques institutions et surtout avec une partie de l’industrie pharmaceutique. Comme je le rappelais au début de mon intervention, les trithérapies antirétrovirales, très efficaces contre le sida, ont été produites et administrées dès 1995-96. Cependant, pour des raisons commerciales de protection de la propriété et de sanctuarisation des marchés pharmaceutiques, ces médicaments ont été réservés aux patients du Nord. C’est pour combattre cet « apartheid sanitaire » mondial que diverses ONG (notamment Oxfam, Treatment Action Campaign et MSF) ont lancé une campagne sous le slogan « les malades sont au Sud, les médicaments sont au Nord ».

Il y avait évidemment des malades au Nord mais c’était largement en Afrique que l’épidémie avait progressé jusqu’à faire des ravages comptant des millions de morts. Rappelons, par exemple, que sur les treize millions d’orphelins du sida recensés dans le monde à la fin des années 1990, douze millions vivaient en Afrique.

Cette campagne s’est heurtée à une vive opposition de la part de l’industrie pharmaceutique. La porosité entre autorité politique et industrie pharmaceutique soulève de nombreuses questions – et ce n’est pas pendant la pandémie de Covid-19 que l’on pourra dire le contraire si l’on examine, par exemple, la politique de prix des vaccins aujourd’hui et les profits ébouriffants, révoltants, qui sont réalisés par des compagnies privées à partir de l’utilisation des résultats de la recherche publique. Pour justifier le rationnement draconien des ARV, l’industrie pharmaceutique invoquait deux types d’arguments : un argument de santé publique et un argument économique.

L’argument de santé publique consistait à mettre en doute la capacité de compliance de patients pour la plupart illettrés et dépourvus de montre, ce qui les rendait incapables de se situer dans un cadre durable associant la nécessité de prises des médicaments à heures fixes, sans en oublier, et de se plier aux contraintes de suivi de la maladie. En somme, ils n’étaient pas en mesure de comprendre où se situait leur intérêt, ce qui avait pour conséquences, outre des prises irrégulières donc peu efficaces, la création de souches résistantes de virus. John Donnelly, « Prevention urged in AIDS fight. Natsios says fund should spend less on HIV treatment », Boston Globe, 7 Juin 2001.On retrouve là deux thèmes argumentaires analysés par Albert Hirschmann, la futilité et la mise en danger, classiquement opposées à l’acquisition de nouveaux droits Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Fayard, 1991.: non seulement les ARV n’auraient que peu, voire pas d’effets pour les patients africains mais leur distribution mettrait en péril le sort des autres patients.

Cette politique avait déjà prévalu en matière de tuberculose jusqu’au début des années 2000. Un grand nombre de patients tuberculeux qui pouvaient être traités dans le monde ont été littéralement condamnés à mort par le slogan « better not treat than mistreat » (mieux vaut ne pas traiter que mal traiter). Ce procès d’intention a été fait à des dizaines de milliers de malades supposément incapables de suivre correctement un protocole thérapeutique à l’époque étiré sur six mois à un an. L’objection n’était donc pas nouvelle mais elle emportait des conséquences particulièrement lourdes, compte tenu de l’ampleur et de la progression de l’épidémie de sida à l’échelle mondiale. MSF a pris sur elle de démontrer que l’argument de la non-compliance et donc de la menace de résistance aux ARV relevait du procès d’intention et non de l’observation. Ce pari a été gagné : aujourd’hui, le niveau de compliance dans les programmes sida que nous entretenons en Afrique est très bon, avec des résultats cliniques et des effets sur l’endiguement de l’épidémie et l’allongement de l’espérance de vie tout à fait comparables à ce que l’on observe dans les pays développés.

Le deuxième argument, venant en quelque sorte prolonger le premier, était celui de la protection de la propriété intellectuelle, gage du financement de la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques. C’est la capacité d’innovation de l’industrie pharmaceutique qui était mise en danger par la production d’ARV génériques, selon les représentants de cette industrie. Rappelons qu’en 1994, lors de la création de l’OMC, les droits de propriété intellectuelle se voyaient appliquer les principes du droit commercial, interdisant aux pays en développement la production de nouveaux médicaments sous forme générique. Ces accords firent l’objet d’une renégociation au début des années 2000 en vue de faciliter la mise en œuvre de licences dites obligatoires en cas de nécessité sanitaire.

S’il est incontestable que la recherche pharmaceutique exige d’importants financements, il est utile de rappeler : 1/ que la plupart des grandes classes de médicaments découvertes jusqu’au milieu des années 70, autrement dit une bonne partie de l’arsenal thérapeutique encore en vigueur de nos jours, ont été produites sans brevet protecteur ; 2/ que nombre de ces médicaments ont été mis au point par la recherche publique, ce qui est notamment le cas des ARV, issus des laboratoires publics étatsuniens.

Arcboutée sur la défense des brevets, l’industrie du médicament entendait combattre frontalement ceux que Bill Gates nommait des « communistes d'un genre nouveau, cachés sous différents masquesEntretien accordé à News.com, le 5 janvier 2005 en marge du Consumer Electronics Show de Las Vegas.».

Le procès de Prétoria

C’est dans ce contexte de forte polarisation économique et politique que survient un événement qui va apparemment renverser la situation. En 2001, 39 compagnies pharmaceutiques décident d’intenter un procès aux autorités sudafricaines qui avaient organisé l’importation dite parallèleLe terme désigne l’importation d’un bien, en l’occurrence des ARV, sans l’autorisation du détenteur des droits de propriété., considérée comme illégale, d’ARV en provenance d’Inde. Je rappelle que l’Inde possède une grande industrie pharmaceutique, notamment de fabrication de médicaments génériques, qui compte parmi les valeurs nationales indiennes, comme à une époque Renault ou le CEA ont été des valeurs nationales en France. L’Inde, parfois surnommée la « pharmacie du tiers-monde », fournissait en ARV l’Afrique du Sud particulièrement touchée comme on le sait par l’épidémie de sida. De leur côté, les autorités sudafricaines étaient auréolées du démantèlement de l’apartheid et rayonnaient encore de la présidence de Mandela qui avait quitté le pouvoir en 1999 mais restait présent sur la scène politique. En dépit des positions du président Thabo Mbeki qui contestait l’origine virale du sida, elles bénéficiaient encore d’une aura bien fanée ces dernières années, mais qui était remarquable au moment où s’ouvrait le procès.

Une vigoureuse campagne internationale, soutenue par la plupart des médias, a été engagée par nombre d’associations et d’ONG dont MSF, Oxfam et Treatment Action Campaign. Cette dernière, moins connue que MSF et Oxfam, est une importante association sudafricaine. Animée notamment par des militants de l’ANC (Congrès national africain), la plupart anciens militants antiapartheid, elle jouissait d’une légitimité politique et d’une aura éthique considérables et réalisait un travail de mobilisation exceptionnel. De plus, certains de ses dirigeants, eux-mêmes séropositifs, avaient déclaré publiquement refuser de se traiter tant que la disponibilité en ARV ne serait pas générale dans leur pays ; ils mettaient, littéralement, leur vie dans la balance. Cela donne une idée de la ferveur et de l’intensité de la mobilisation localehttps://msf-crash.org/fr/publications/agir-tout-prix-negociations-humanitaires-lexperience-de-msf/i-histoires-courtes#afrique-du-sud.-msf,-une-association-africaine-?.

Cette campagne, menée sous le slogan « Drop The Case » a été couronnée de succès puisque les compagnies pharmaceutiques ont déclaré forfait. Elles ont abandonné les poursuites, piteusement capitulé devant la réprobation générale, certains de leurs responsables qualifiant en privé, voire pour quelques-uns en public, cette procédure de faute calamiteuse et d’erreur de communication majeure. Les ARV sont alors devenus accessibles, leur coût étant divisé par cent du fait de la levée des droits de propriété intellectuelle : de 10 000 dollars par an, les trithérapies passaient à 100 dollars par an.

La suppression de cette barrière financière, associée à un effort budgétaire sans précédent dans le domaine de la santé, a permis le déploiement, ces vingt dernières années, de moyens de grande ampleur et remarquablement efficaces de lutte contre le sida. Rappelons que soigner un patient jusqu’à obtenir une charge virale nulle, c’est aussi interrompre de futures éventuelles transmissions. Constatons également, au passage, que les compagnies pharmaceutiques concernées par la levée de certains de leurs brevets n’ont pas vu leurs profits entamés pour autant. Non solvables, les populations bénéficiaires de celle-ci n’étaient pas un marché dont les compagnies pharmaceutiques auraient été indûment privées.

Sur les quelque 40 millions de personnes vivant aujourd’hui avec le VIH, près de 30 sont sous traitement et l’on estime à 6 millions le nombre de celles qui ignorent leur statut sérologique. La bataille contre le sida n’est donc pas terminée – le sera-t-elle un jour ? – mais des progrès considérables, voire inespérés il y a encore peu, ont été réalisés.

Enjeux sécuritaires

Le bras de fer engagé entre ONG, associations de patients et firmes pharmaceutiques, la mobilisation de l’opinion contre la logique de profits suffisent-ils à rendre compte de cette victoire ? C’est ce qui ressort généralement des récits qu’en font les organisations impliquées.

Ce n’est en rien contester la légitimité et l’opportunité du combat mené par ces ONG, et singulièrement de TAC, que de douter que cette nécessaire mobilisation ait été suffisante pour renverser si brusquement le cours des choses. C’est cette partie manquante du récit que je vais brièvement évoquer maintenant.

Au tournant des années 2000, sont en effet publiés une série de rapports de sources diverses mettant au premier plan les dangereuses conséquences politiques de l’épidémie. Je pense à l’ONUSIDA évoquant dès 1998 des taux d’infection cinq fois plus élevés dans les armées africaines que dans la population civile« AIDS and the military », mai 1998, cité dans « Le Sida en Afrique subsaharienne : perceptions d’un enjeu de sécurité internationale », Fanny Chabrol, La Revue internationale et stratégique, n°46, été 2002.. Je pense également, et peut-être surtout, à la conjonction d’un rapport de la CIA« The Global Infectious Disease Threat And Its Implications For The United States », National Intelligence Council, janvier 2000.et d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies en janvier 2000. Inscrivant pour la première fois de son histoire une question de santé à son ordre du jour, le Conseil de sécurité la traitait comme un enjeu de sécurité globale de première importance. L’ambassadeur américain auprès de l’Onu, Richard Holbrooke a exercé, dit Fanny Chabrol, « une influence déterminante pour démontrer la corrélation entre l’infection par le VIH et la sécurité internationale »Op. cit..

Faisant écho à l’ONUSIDA et à son emblématique directeur Peter Piot, le diplomate américain soulignait que le sida atteignait les élites urbaines ou urbanisées, professeurs, administrateurs, ministres, contrôleurs aériens, policiers, militaires, forces de maintien de la paix, c’est-à-dire ceux qui assurent stabilité et continuité des infrastructures étatiques. Plus que des préoccupations humanitaires, cet ensemble convergent de craintes sécuritaires a déclenché la mise à disposition du plus important budget de l’histoire de la santé publique consacré à une maladie, le Plan d'urgence présidentiel de lutte contre le sida (President’s Emergency Plan for AIDS Relief ou PEPFAR). Adopté en 2003, le PEPFAR a engagé à ce jour plus de 100 milliards de dollars dans la lutte contre le sidahttps://www.kff.org/global-health-policy/fact-sheet/the-u-s-presidents-emergency-plan-for-aids-relief-pepfar/.

Fondements et convergence des courants de pensée

Il ne s’agit pas ici d’opposer une ardente mobilisation solidaire, celle des associations issues de la société civile, à une froide politique réaliste conduite sous direction étatsunienne, mais plutôt de constater que la mise à disposition de traitements efficaces et économiquement abordables a été rendue possible du fait d’une conjonction singulière : des progrès scientifiques notables  (identification du virus et mise au point des ARV), une mobilisation humanitaire soutenue par l’opinion et les médias, et enfin une crainte sécuritaire qui a poussé des États, notamment le plus puissant d’entre eux, à intervenir.

C’est donc au croisement du scientifique, du social et du politique que ce progrès a été accompli, une configuration déjà observée dans d’autres circonstances et décrite notamment par l’anthropologue Didier FassinL’Espace politique de la santé, Essai de généalogie, PUF, 1996.. Celui-ci note que la première population à laquelle se soit intéressée la santé publique sont les nourrissons des familles pauvres, à la fin du XIXe siècle. Il se demande pourquoi ce que certains ont appelé « le massacre des innocents », tant était élevée la mortalité, a quitté le domaine de l’inexorable pour devenir un sujet de préoccupation appelant à la prise de mesures. L’auteur voit à ce changement profond plusieurs raisons convergentes. La baisse de la natalité, donc l’affaiblissement démographique, d’abord, qui inquiète le pouvoir dans un contexte où le redressement face à l’Allemagne victorieuse de la guerre de 1870 et la recherche de main d’œuvre pour assurer l’exploitation des terres coloniales représentent des enjeux stratégiques. Une mobilisation philanthropique ensuite, notamment dans les milieux du christianisme social, dans un contexte d’accroissement des inégalités et de la grande pauvreté, où se multiplient des associations humanitaires. Un progrès scientifique, enfin, la découverte des microbes, causes des infections, qui donnera lieu à la pasteurisation du lait donné aux nourrissons et à la stérilisation des biberons, ce qui a réduit leur mortalité, notamment estivale. L’« Œuvre de la goutte de lait », fondée en 1894, en est une illustration remarquable : distribution de lait pasteurisé aux nourrissons après consultation, cours de puériculture aux mères constituaient un programme à la fois médical et moral qui s’est largement répandu en France, perdurant en certaines régions jusqu’aux années 1970. Découvertes scientifiques, mouvements philanthropiques et intérêts politiques dessinent donc une sorte d’espace nouveau à l’intérieur duquel des innovations peuvent se transformer en pratiques sociales à grande échelle.

Quelques mots de conclusion

Ce modèle nous indique les conditions nécessaires et non suffisantes, presque impératives toutefois, à des changements de paradigmes. Mais il a ses limites, il ne nous dit rien, naturellement, de phénomènes importants comme l’engagement passionné des premières équipes médicales confrontées à ce mal mystérieux, ni d’autres obstacles politiques freinant la mise en route des programmes de lutte. Ainsi, aux différents thèmes que j’ai mentionnés au début de mon intervention, j’aurais pu ajouter la question de la gouvernance locale et de la corruption, enjeux évoqués dans d’autres interventions de ce colloque à propos des épidémies d’Ebola et de COVID, notamment en RDC avec des détournements massifs qui se comptent par milliards de dollars. Les populations locales, conscientes de cette prédation qui les révolte, protestent et s’en prennent à des équipes sanitaires qui ne sont pas nécessairement impliquées dans ces vols mais qui en payent le prix. On voit là encore à quel point la lutte contre les épidémies s’étend à toutes les dimensions du politique, jusqu’au ras du terrain. Mais c’est une autre histoire, et je ne vais pas m’y engager. Je vais donc m’arrêter là en vous remerciant de votre attention.

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Ce que nous dit le sida », 16 septembre 2022, URL : https://msf-crash.org/fr/medecine-et-sante-publique/ce-que-nous-dit-le-sida

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site.

Contribuer