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Entretien

La sociologue Claudine Vidal présente le livre Violences extrêmes sur RFI

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Comment enquêter sur les violences extrêmes ? Comment secourir leurs victimes et juger leurs responsables ? Ces trois questions traversent un ouvrage collectif intitulé « Violences extrêmes. Enquêter, secourir, Juger », qui vient d’être publié par la Maison des sciences de l’homme. Le livre revient sur ce qui s’est notamment passé au Rwanda. Pour en parler, Laurent Correau est en ligne avec l'universitaire Claudine Vidal, l’une des coordonnatrices de ce travail.

RFI : Dans cet ouvrage que vous codirigez, on voit se dérouler trois moments des « Violences extrêmes » : le temps de l’enquête, le temps des secours et celui du jugement des auteurs d’exaction. Vous avez donc fait travailler ensemble des humanitaires et des chercheurs…

Claudine Vidal : C’est exact. Et l’un des intérêts de ce que nous avons fait, c’est cette association -qui est ancienne d’ailleurs pour nous-. Les humanitaires sont vraiment sur le temps de la crise, le temps le plus chaud où sont rarement les chercheurs qui interviennent plutôt après.

La première partie de cet ouvrage, c’est l’enquête. Quels sont les problèmes que vous pointez dans la capacité qu’ont chercheurs et humanitaires à enquêter sur des crimes de masse ?

La partie « enquêter » est entièrement centrée sur le Rwanda, sur ce qui s’est passé au Rwanda il y a plus de 25 ans maintenant. Plusieurs chercheurs sont intervenus pour dire ce que nous savons maintenant ou ce que nous ne savons pas à la lumière de pratiquement 20 années d’enquête et de très nombreuses publications. En 1998, était parue une énorme publication d’observateurs des droits de l’homme qui s’appelait « Aucun témoin ne doit survivre ». Une enquête de la FIDH [Fédération internationale pour les droits humains] et de Human Rights Watch. Beaucoup de ce qu’elle décrivait est toujours valable, excepté un point noir qui reste, celui des violences de masse commises contre les populations civiles hutues. Cette partie du livre revient aussi sur les enquêtes de terrain qui se sont centrées sur les micro politiques du génocide. Ces recherches très fines menées sur de petits secteurs ont pu montrer comment les paysans hutus se sont fait entraîner dans cette mécanique de tuerie. Enfin, il y a un article d’un très bon spécialiste du Rwanda, très connu, qui s’appelle Scott Straus. Il se demande quelles sont les limites apportées à l’ensemble des enquêtes sur les violences au Rwanda par le fait qu’on n’a pas pu évoquer les crimes de masse commis par le FPR [Front patriotique rwandais, actuellement au pouvoir] entre 1990 et 1994, et après.

Dans ce chapitre, Scott Straus réaffirme bien la spécificité du génocide des Tutsis. Il réfute la thèse du double génocide, mais pour autant il estime qu’« Il faut produire une histoire complète incluant les autres violences de masse commises au Rwanda »…

C’est exact. Or, jusqu’à maintenant, du moins en France, sur le plan universitaire, cette partie de l’enquête n’a pas été traitée. On comprend pourquoi : le FPR au pouvoir ne l’a guère favorisée. Jusqu’à maintenant, les personnes qui ont tenté d’en parler ou qui ont tenté d’enquêter sur ce point ont soit été expulsées du Rwanda, soit n’ont aucun moyen de travailler. Néanmoins, il faut poser la question et montrer en quoi ne pas pouvoir travailler sur ce point apporte un obstacle très grave à la connaissance des violences qui se sont produites au Rwanda et dans la région.

Est-ce que la recherche sur les crimes commis par le FPR avant 1994, pendant le génocide des Tutsis et ensuite dans les forêts congolaises n’a pas été rendue impossible par le débat autour du double génocide et par les agendas de certains acteurs politiques sur ce sujet ?

Je ne le pense pas. Je pense que l’interdit mis par le FPR sur ces recherches, qui conduit à traiter de négationniste quiconque pense en faire, suffit largement. Le débat sur le double génocide me paraît un débat entre idéologues, mais absolument pas entre chercheurs, à de très rares exceptions près.

Il y a donc toute une partie de votre ouvrage qui est consacrée à la description des crimes de masse, une autre qui est consacrée au jugement de ces crimes et de ceux qui les ont commis. Il est parfois difficile de juger ceux qui font partie d’une mécanique génocidaire, comme l’explique André Guichaoua dans un autre chapitre de l’ouvrage. Qu’est-ce qui explique ces difficultés ?

En ce qui concerne le cas du Rwanda, de nombreux responsables du génocide ont fui le pays. Ils se sont trouvés répandus sur la terre entière. Si bien que les recherches et mises en accusation de ces suspects sont extrêmement difficiles. Il y a eu le jugement fait par le tribunal international du TPIR [Tribunal pénal international pour le Rwanda], mais il a jugé 57 individus, ce qui est effectivement peu de choses si on pense aux milliers de suspects possibles. Ils sont cachés, ils sont protégés. C’est la première fois en fait qu’un travail de recensement de ces jugements a été fait et publié.

Dans cette région des Grands Lacs, secourir ou soigner peut aussi être difficile. L’un de vos chapitres porte sur les difficultés des personnels humanitaires dans le Nord-Kivu en RDC, et notamment les difficultés des personnels locaux…

Oui. Parce que les personnels locaux sont en fait aussi une cible pour les différents guerriers qui sévissent au Kivu. Ils ont des relations à la fois avec MSF [Médecins sans frontières] et à la fois avec ces personnages dangereux, dans la mesure où pour MSF, ils sont des informateurs, et pour ces personnages, ils sont des traîtres. Si bien que leur vie n’est pas toujours aisée.