DIH https://msf-crash.org/fr fr Guerre et humanitaire https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/guerre-et-humanitaire <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2016-07-25T12:00:00Z" class="datetime">25/07/2016</time> </div> </div> <span rel="schema:author" class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/65" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Jason-04</span></span> <span property="schema:dateCreated" content="2016-07-25T00:00:00+00:00" class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">lun, 07/25/2016 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/histoire-de-lhumanitaire" property="schema:about" hreflang="fr">histoire de l&#039;humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/cicr" property="schema:about" hreflang="fr">CICR</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" property="schema:about" hreflang="fr">DIH</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/relations-militaro-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">relations militaro-humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/effets-pervers-et-limites-de-laide" property="schema:about" hreflang="fr">effets pervers et limites de l&#039;aide</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/biafra" property="schema:about" hreflang="fr">Biafra</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/indochine" property="schema:about" hreflang="fr">Indochine</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/temoignage" property="schema:about" hreflang="fr">témoignage</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/nations-unies" property="schema:about" hreflang="fr">Nations unies</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/camp-humanitaire" property="schema:about" hreflang="fr">camp humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/principes-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">principes humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/darfour" property="schema:about" hreflang="fr">Darfour</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/justice-internationale" property="schema:about" hreflang="fr">justice internationale</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/cour-penale-internationale" property="schema:about" hreflang="fr">cour pénale internationale</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/securite-du-personnel-humanitaire" property="schema:about" hreflang="fr">sécurité du personnel humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/ex-yougoslavie" property="schema:about" hreflang="fr">Ex-Yougoslavie</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Rony Brauman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3221" role="article" about="/index.php/fr/rony-brauman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4256.jpg?itok=nCrBsaSM" width="180" height="230" alt="Rony Brauman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Rony</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Brauman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/rony-brauman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><h2>Guerre et humanitaire</h2> <p>L’aide délivrée à titre humanitaire se définit comme assistance désintéressée apportée à des personnes en graves difficultés, auxquelles nous lie la seule appartenance à l’humanité. Elle se distingue en principe d’autres formes d’aide, motivées par un soutien politique ou des liens de solidarité communautaire. Bien qu’acceptable par tous, cette définition ne rend compte ni de ses variations de sens dans la courte histoire qui est la sienne, ni de la confusion et des contradictions des usages courants du mot. En pratique, l’humanitaire s’entend plus largement comme assistance à des populations civiles éprouvées par une crise grave, sous la réserve implicite que les acteurs soient considérés comme légitimes par l’opinion générale et seulement à cette condition. On peut en juger en examinant dans quelles situations le mot est -ou n’est pas- utilisé : peu d’observateurs ont qualifié d’ « humanitaire » l’aide apportée aux victimes des catastrophes naturelles du Pakistan (séisme de 2005 et inondations de 2010) par des organisations liées aux talibans, ou encore par le Hezbollah au Liban suite à la guerre de 2006. Le terme est largement utilisé, au contraire, pour qualifier l’aide apportée par les forces d’occupation occidentales en Afghanistan. On peut mesurer les variations de significations dans le temps en constatant qu’il aurait été et serait encore incongru d’affubler de cet épithète le plan Marshall (1947) ou le pont aérien vers Berlin à l’époque du blocus soviétique (1948-49), alors que c’est ce qui fut fait lors du siège de Sarajevo (1992-95). Au temps de la guerre du Vietnam, nul ne s’interrogeait sur l’existence d’une « crise humanitaire » ni ne qualifiait d’humanitaire l’assistance aux populations civiles mise en œuvre par l’armée américaine ; quant à l’aide civile (médicaments, vélos, groupes électrogènes) que des organisations « anti-impérialistes » envoyaient dans le pays, elle relevait de la solidarité politique et il aurait été déplacé, voire désobligeant, de la qualifier d’humanitaire. L’Armée rouge en Afghanistan, dans les années 1980, apportait également une aide aux civils, que seuls les soutiens de l’invasion qualifiaient d’humanitaire. Les exemples ne manquent pas qui illustrent le caractère tantôt flottant et incertain, tantôt normatif et assertif du vocable « humanitaire », mais toujours pris dans des rapports de pouvoir que la guerre ne fait qu’intensifier. Pour tenter de saisir et d’analyser les enjeux politiques et éthiques de l’humanitaire dans la guerre, il est indispensable d’avoir à l’esprit la variabilité des usages, publics et experts, du terme. Si incohérents qu’ils puissent parfois être, ils se rassemblent pourtant sous une logique commune en tant qu’ils sont d’abord tributaires du jugement politique général que l’on porte sur les acteurs et le contexte de l’aide, bien avant son contenu et ses modalités de distribution. C’est pourquoi, partant de la création de la Croix-Rouge, nous examinerons ici tant l’environnement que les pratiques de l’humanitaire dans la guerre, sans pour autant prétendre en faire l’histoire. Nous nous intéresserons à leur commencement à la fin du XIXe siècle puis aborderons directement l’époque contemporaine post-coloniale, en variant les échelles et en restituant les points de vue et enjeux contradictoires.</p> <h3>Civiliser la guerre</h3> <p>Secourir les soldats tombés sur le champ de bataille, les soustraire aux hostilités dès lors qu’ils sont hors de combat, protéger ceux qui leur prodiguent leur aide, voilà qui résume le contenu du premier traité diplomatique humanitaire, signé à Genève le 22 août 1864 par douze États. Jusqu’alors, au XIXe siècle, l’épithète humanitaire désignait une disposition d’esprit bienveillante, une confiance dans la capacité de l’humanité à s’améliorer. Apparu pour la première fois en France en 1835 sous la plume du poète et député Lamartine, le mot désignait ce « qui vise au bien de l’humanité ». Son emploi ironique, voire railleur, est cependant attesté par le Dictionnaire de l’Académie de 1884 qui le définit ainsi : « se dit de certaines opinions, de certaines doctrines, qui <em>prétendent </em>avoir pour objet le bien de l’humanité ». Avec la convention de Genève et la création de la Croix-Rouge, il ne renvoyait plus seulement à une anthropologie optimiste, à un universalisme pacifiste, mais aussi et principalement à un dispositif d’assistance et un ensemble de normes. Des sociétés de secours avaient vu le jour auparavant, des interventions popularisées par la presse avaient été conduites par des philanthropes en faveur des blessés et malades sur divers champs de bataille, mais les unes et les autres relevaient d’initiatives privées. Notons ici le rôle de l’information, en cette époque où apparaissent les « nouvelles du jour ». A l’âge des rotatives et du télégraphe, le spectacle de la souffrance changeait d’échelle, la description d’un carnage sur des champs de bataille lointains pouvait être lue dans les foyers européens dès le lendemain. Le tableau effrayant de milliers de soldats britanniques mourant de dysenterie avait été dépeint par le quotidien <em>The Times </em>lors de la guerre de Crimée (1853-1856), suscitant un mouvement de protestation auquel les autorités répondirent par le renforcement du dispositif de soins défaillant. Florence Nightingale, déjà connue en Grande-Bretagne pour son engagement dans l’action sociale, la réforme des <em>Poor Laws </em>et l’amélioration des soins, y joua un rôle primordial avec le soutien des autorités britanniques.</p> <p>C’est dans ce contexte que l’assemblée de seize Etats réunie en août 1864 sur les bords du Léman, intitulée « Conférence internationale pour la neutralisation du Service de santé militaire », affirmait l’engagement permanent des signataires, bientôt rejoints par la plupart des autres puissances, à recueillir et soigner malades et blessés militaires, et cela « à quelque nation qu’ils appartiennent ». Reconnaissables par leur emblème, une croix de Malte rouge sur fond blanc adoptée en hommage au drapeau suisse, les services de santé devaient désormais être respectés, protégés en droit, et non laissés au bon vouloir discrétionnaire des chefs militaires. Là, dans la promesse d’inviolabilité des installations de soins, résidait l’événement originaire. L’ordre politique qui ordonnait le sacrifice et la mise à mort était accepté comme une réalité indépassable, celle-ci étant attestée par l’existence de la violence armée de toute éternité. A défaut de pouvoir supprimer la guerre, il fallait tenter de la civiliser. « <em>Inter Arma Caritas </em>», la guerre n’était pas mise en question, seules l’étaient les souffrances excessives qu’elle suscitait, faisant l’objet d’une première codification internationale. Protestant ardent, admirateur de Napoléon III, le philanthrope suisse Henry Dunant est à l’origine de la Croix-Rouge, dont il décrit le projet dans « Un Souvenir de Solférino », publié en1862, livre écrit en réaction au spectacle des mourants abandonnés sur le champ de bataille de Solférino (1859), où il se trouvait pour tenter de rencontrer l’empereur français. Dans cet ouvrage qui connut un grand succès en Europe, il proposait « […] pendant une époque de paix et de tranquillité, de constituer des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés, en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une telle œuvre. » Ces secouristes, ainsi que les hommes mis hors de combat, écrivait-il, devaient être protégés au nom d’un « principe international, conventionnel et sacré » reconnu par les États. Henry Dunant fut, avec le pacifiste Frédéric Passy, le premier lauréat du prix Nobel de la paix en 1901.</p> <p>La « conduite des hostilités » allait par la suite, au fil des trois conventions ultérieures tenues à Genève (1906, 1929, 1949), être soumise à des obligations croissantes concernant prisonniers, populations civiles, dont celles des territoires occupés, ainsi que combattants et victimes des conflits armés internes dans les protocoles additionnels de 1977. Le champ d’application du droit humanitaire a été peu à peu élargi, bornant le droit de détruire des vies et des biens, obligeant à une assistance matérielle sélective. D’emblée, l’évidente tension entre permis de tuer et incitation à faire vivre apparut comme une contradiction insurmontable à des personnalités pacifistes du XIXe siècle, telles Florence Nightingale ou le futur prix Nobel de la paix Alfred Fried, qui n’y virent en premier lieu qu’une tentative de rendre la guerre aimable. Si cette tension n’est plus au centre des débats, elle conserve une certaine actualité, sous une forme renouvelée, celle de la rhétorique des « guerres humanitaires ». Le tracé de la ligne distinguant protégés et sacrifiés change selon les époques, les « frontières de l’intolérable » (Fassin, Rechtmann, 2004) que se donne toute société varient selon le lieu et le moment. Ainsi certaines munitions, comme les balles explosives, firent-elles l’objet d’une interdiction à l’initiative du tsar Alexandre II : interdites dans les guerres entre « nations civilisées », c’est-à-dire les États signataires, autorisées contre les « sauvages », à savoir les populations à coloniser. La Déclaration de Saint-Pétersbourg (1868) qui proscrit certains projectiles confirme une norme coutumière rejetant l’usage d’armes causant des « souffrances inutiles ». Incorporée dans les règlements de La Haye de 1899 et 1907, elle est la référence évoquée dans le préambule des conventions ultérieures signées à la Haye édictant « les lois et coutumes de la guerre ». Droit de Genève et droit de La Haye constituent les deux branches du droit humanitaire international, adopté comme norme universelle par des États dont la plupart furent à l’origine des déchainements de violence contre les civils lors des guerres de la fin du XIXe et du XXe siècle. Ce rapprochement met en lumière l’affirmation de pouvoir en quoi consiste le geste d’énoncer des interdits, position de domination que s’attribuaient les « nations civilisées » sur le monde.</p> <h3>Des bénéfices politiques</h3> <p>Le cadre normatif des conventions de Genève, garanties et promues par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et par les États eux-mêmes en tant que signataires, justifie que l’on date de la création du CICR et de l’adoption de la convention de 1864 l’institution de l’action humanitaire dans la guerre. Les relations de pouvoir et les rapports de force dans lesquels le Comité prenait place expliquent toutefois que les soins aux blessés prodigués lors des guerres ultérieures sous l’emblème humanitaire ne répondirent pas pour autant à l’exigence de neutralité dont rêvaient les fondateurs de l’institution. Les sociétés nationales de Croix-Rouge créées par les États signataires de la convention furent en pratique mobilisées au service exclusif des soldats de leurs pays respectifs et furent partie prenante aux propagandes de guerre dès 1870 (Hutchinson). Une société appartenant à un pays non engagé dans le conflit pouvait néanmoins fournir de l’aide aux victimes sans considération de nationalité. Ce fut le cas de la Croix-Rouge britannique durant la guerre franco-prussienne de 1870, laquelle réservait ses soins à ses seuls soldats lorsque son pays était engagé. Pendant la guerre des Boers, (1899-1902), ce sont des organismes privés se démarquant de la Croix-Rouge qui tentèrent de fournir une aide aux victimes civiles de la guerre, c’est-à-dire en l’occurrence à des populations considérées comme ennemies. La <em>Society of Friends</em>, organisme quaker, ou encore le <em>Boer War Committee </em>mis en place par des féministes pacifistes, furent de ceux-là. La prise en charge médicale des soldats malades et blessés, les visites et l’assistance aux prisonniers militaires et civils, l’assistance aux populations civiles prises dans la guerre se développèrent, banalisant peu à peu la présence de secouristes civils sur les champs de bataille et dans leur proximité.</p> <p>L’objection opposée à l’humanitaire de guerre par les pacifistes fut <em>de facto </em>surmontée par la prise en considération des vies sauvées, qu’une stratégie d’abstention au nom du refus de la guerre aurait de fait condamnées. Une autre objection, celle-ci en provenance de militaires, fut posée dès les négociations portant sur la conduite des hostilités. Pour certains stratèges, imposer des limitations entraînerait le prolongement de la guerre et donc des souffrances accrues ; selon eux, l’usage intense, non restreint, de la violence était seul à même de permettre une victoire rapide épargnant <em>in fine </em>plus de vies humaines. L’aide aux populations déplacées ou occupées, chapitre important de l’humanitaire dans la guerre, a sans cesse réactivé cette critique, renouvelée dans les années 1990 par les discours sur l’« économie de guerre ». Cette expression désigne la captation des ressources de l’assistance par les belligérants et leur usage à des fins guerrières, processus par lequel les conflits seraient ainsi entretenus au détriment des victimes au nom desquelles il est mis en œuvre. Notons que l’objection opposée par les stratèges militaires s’apparente à celle posée par les pacifistes concernant les combattants, en ce que l’une et l’autre privilégient une vision plus théorique qu’empirique du monde. Les uns pensent la guerre comme un pur rapport de forces militaires tandis que les autres conçoivent des rapports humains et sociaux sans violence.</p> <p>L’assistance apportée aux victimes de la disette et des épidémies consécutives qui sévirent dans le nord de la France et en Belgique pendant la Grande Guerre offre un aperçu des enjeux pratiques et de la difficulté à trancher cette question d’une manière générale. Selon les Britanniques, qui avaient placé la Belgique sous blocus, l’assistance alimentaire protégeait les Allemands des émeutes qui se seraient probablement produites sans elles, facilitant donc l’occupation en la rendant moins cruelle. C’était notamment la position de Churchill. Pour les Allemands, qui réquisitionnaient une grande part des ressources alimentaires du pays pour nourrir leurs troupes, elle légitimait le blocus et la présence d’étrangers en zone occupée. Le ravitaillement fut pour l’essentiel collecté et acheminé par la <em>Commission for Relief in Belgium </em>(CRB), organisation américaine dirigée par l’industriel Herbert Hoover. Propriété des États-Unis, alors neutres, les denrées étaient distribuées par un comité belge sous supervision de représentants de la CRB. L’intervention qui dura près de trois ans a certes dispensé les occupants de cette obligation mais nul ne saurait dire s’ils s’en seraient acquittés en son absence. En tout état de cause, son existence était utile aux divers belligérants, les raisons avancées par chacun d’entre eux pour s’y opposer décrivant l’intérêt effectif que son ennemi en retirait. Sans doute est- ce paradoxalement la raison pour laquelle elle put avoir lieu, l’utilisation politique de l’aide - son « instrumentalisation »- en situation de guerre étant une condition constante de son existence avant d’en être une critique. En d’autres termes, il est raisonnable de penser que c’est parce que le coût politique de son refus était plus élevé que celui de son acceptation que les belligérants ont laissé apporter une aide essentielle, parfois vitale, à des centaines de milliers de civils en territoires occupés. Hier comme aujourd’hui, au-delà des droits et obligations théoriques contenus dans le DIH, c’est généralement dans une telle configuration d’intérêts changeants et croisés que peuvent se déployer les organisations de secours sur les terrains de conflits.</p> <h3>Du Biafra à l’Indochine</h3> <p>La première génération de l’action humanitaire de guerre est née dans l’Europe impériale à l’âge du télégraphe et du chemin de fer. La deuxième génération est apparue au milieu de la guerre froide, à l’époque de la décolonisation, des transports aériens et de la télévision. Les observateurs s’accordent pour en situer l’émergence pendant la guerre du Biafra (1967-70) déclenchée par la sécession de la province orientale du Nigéria. Dans le territoire contrôlé par les forces sécessionnistes et encerclé par l’armée gouvernementale fut mis en place un dispositif de secours regroupant diverses sociétés de Croix-Rouge, notamment française et scandinaves, sous l’égide du CICR ainsi que des organisations d’aide liées aux églises protestantes et catholique. Un pont aérien organisé depuis l’île de Sao Tome, alors portugaise, ravitaillait les équipes internationales en médicaments et en vivres, et les combattants en armes et munitions. L’ampleur de l’aide apportée aux Biafrais tout autant que la diversité des acteurs de secours -Croix-Rouge, Églises, ONG- suffiraient à faire de cette intervention l’événement inaugural de cette nouvelle époque de l’aide humanitaire. Une dimension supplémentaire s’y ajoute cependant, lui donnant un relief particulier : la dénonciation d’un génocide comme axe dominant de la communication sur les victimes biafraises. Le contraste des registres de mobilisation de l’opinion publique est frappant entre la guerre du Vietnam (1965-75), lieu d’un combat « héroïque » contre l’impérialisme américain, et celle du Biafra, lieu du « massacre des innocents. » On parlait de trois mille enfants succombant chaque jour. Le sort effroyable des civils captifs dans le réduit biafrais se montrait dans les images d’enfants décharnés agonisant sous l’objectif de caméras de télévision. L’indépendance du Biafra, qui supposait le tracé d’une nouvelle frontière, étant politiquement irrecevable, ce fut la souffrance des victimes innocentes de cette guerre, les enfants en premier lieu, symboles de l’extermination en cours, qui fut mise en avant pour en justifier la poursuite. Financée par les services spéciaux français, cette guerre psychologique fut mise en œuvre par une agence de communication politique et relayée par les églises, de nombreux médias et une partie des organisations humanitaires. L’amnistie générale prononcée par les autorités nigérianes dès la reddition des forces indépendantistes, de même que la protection accordée auparavant aux millions de Biafrais vivant en dehors de la zone de guerre, montrent que l’accusation de génocide était infondée. En dépit de ses liens troubles avec la guerre psychologique, autre nom de la propagande, le « témoignage » allait devenir une composante de l’action humanitaire. L’aide alimentaire et médicale acheminée et dispensée pendant plus de deux ans dans des conditions souvent très dangereuses a sauvé de la mort un grand nombre de Biafrais, civils et combattants. A-t-elle contribué à prolonger le conflit ? On ne peut l’exclure mais il faut, en toute rigueur, relativiser la portée de cette critique en rapportant cette aide à la survie aux autres formes de soutien extérieur. L’assistance diplomatique et militaire de la France intervenue à l’automne 1968, alors que commençaient des négociations, a en effet joué un rôle majeur en favorisant les courants les plus jusqu’au-boutistes de la sécession, opposés à tout compromis. La poursuite de la guerre jusqu’à l’extrême limite de la résistance doit d’abord être imputée au soutien politique apporté par le général de Gaulle aux indépendantistes, sous la pression des voisins francophones du Nigéria cherchant à affaiblir le géant anglophone de la région et dans le contexte de la rivalité franco-britannique en Afrique, Londres soutenant le gouvernement nigérian.</p> <p>La pratique de l’envoi d’équipes d’humanitaires en zone rebelle, indépendamment de toute autorisation gouvernementale, est antérieure à la guerre du Biafra mais c’est dans ce contexte, par son ampleur et sa visibilité, qu’elle a acquis un statut de modèle. Elle demeura toutefois plusieurs années sans équivalent, alors que l’on aurait pu l’attendre dans les conflits du Mozambique, d’Angola, du Vietnam, de Bolivie ou de Colombie, pour n’évoquer que les plus intenses de ces années 1970. Seuls le CICR, et parfois des ONG religieuses, y étaient présents. On peut expliquer cette exception biafraise de plusieurs manières. La dimension religieuse de cette guerre était primordiale au regard de la mobilisation européenne, la future nation biafraise se définissant comme chrétienne et en lutte contre des forces musulmanes. Les autres conflits étaient au contraire appréhendés d’une manière idéologique, en tant qu’enjeux de solidarité anti- impérialiste et anticolonialiste. A ces considérations d’ordre politique, il faut sans doute ajouter que l’engagement solidaire dans le tiers-monde empruntait essentiellement au lexique du « développement ». C’est à partir de la seconde moitié des années 1970, avec les afflux de réfugiés du Vietnam et du Cambodge puis avec la multiplication de foyers de guerre que l’humanitaire gagna en notoriété et en soutien public pour connaître un essor continu jusqu’à ce jour.</p> <h3>Secourir dans la guerre</h3> <p>Du point de vue de l’organisation des secours, les conflits armés se caractérisent par trois ordres principaux de conséquences : d’importants mouvements de populations à l’intérieur du pays concerné et dans les pays voisins, la désorganisation des structures médico-sanitaires, et l’affaiblissement voire l’effondrement de l’économie. Les acteurs humanitaires s’efforcent de répondre aux besoins vitaux induits par cette situation. Soins médicaux curatifs et préventifs, aide alimentaire, approvisionnement en eau, fourniture d’abris constituent l’essentiel des secours que mettent en œuvre Croix-Rouge et ONG aux côtés d’équipes locales dont le rôle, essentiel, est souvent méconnu.</p> <p>L’assistance aux personnes déplacées à l’intérieur du pays et aux réfugiés, c’est-à-dire à celles qui ont cherché un asile dans un pays voisin, mobilise une part substantielle des secours. Centrale dans le développement de l’aide humanitaire contemporaine, cette question était principalement européenne à l’issue des deux guerres mondiales, lorsqu’il s’agissait de prendre en charge et réinstaller les réfugiés et apatrides en Europe. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR) qui fut institué en 1951 est chargé, depuis les années 1970, de leur apporter une protection juridique par l’octroi d’un statut, ainsi que d’organiser l’assistance matérielle. Le HCR relevait à l’origine d’une autre logique puisqu’il fut mis en place afin d’accueillir les opposants aux régimes communistes d’Europe de l’Est, avant que son mandat ne fût élargi aux réfugiés dans leur ensemble, au fil de conventions internationales ultérieures. Au cours des années 1970, après un premier moment lié aux conflits de décolonisation, le déracinement par la guerre et les violences politiques reprit de l’ampleur dans les pays du Sud, déplaçant durablement la question des réfugiés vers ce que l’on nommait encore le tiers-monde.</p> <p>La fin des guerres d’Indochine (1975) fut en effet marquée par l’exode de centaines de milliers de personnes fuyant la répression au Vietnam et au Cambodge, puis la guerre khméro-vietnamienne (1979). Les conflits de la corne de l’Afrique, à la même période, entrainèrent la formation de vastes camps de réfugiés au Soudan et en Somalie. Au tournant des années 1970-80, la reprise de conflits en Afrique australe (Mozambique, Angola) et en Amérique centrale (Nicaragua, Salvador, Guatemala) eut le même effet. Toutes ces guerres prenaient place dans le contexte polarisé de la rivalité Est-Ouest, conférant aux réfugiés une valeur politique : fuyant la violence de pouvoirs dictatoriaux prosoviétiques dans leur majorité, chassés par les guerres révolutionnaires, ils bénéficiaient de la sollicitude du camp occidental qui voyait en eux le signe de l’échec des régimes communistes. Le HCR fut conduit par les États membres de son comité exécutif, où ne figuraient pas les pays de l’Est, à adapter ses statuts à cette nouvelle situation. L’assistance matérielle fournie essentiellement par les occidentaux, était ainsi une dimension du <em>soft power </em>par lequel le camp libéral manifestait sa supériorité. Le droit d’asile était entendu dans ces circonstances non plus comme un statut juridique permettant la réinstallation définitive dans un pays d’accueil mais comme un droit au refuge temporaire et à une assistance matérielle collective délivrée dans des camps.</p> <h3>Réfugiés</h3> <p>Les camps de réfugiés furent l’espace humanitaire primordial de cette période, dans lequel ONG et agences d’aide de l’Onu élaborèrent des savoir-faire pratiques nouveaux, distincts de ceux de l’aide au développement. La décision du lieu de leur implantation doit prendre en compte la salubrité de l’endroit, les facilités de transports, l’accès à l’eau, et bien sûr l’espace disponible en fonction de la taille de la population concernée. Elle appartient aux autorités du pays d’accueil mais fait l’objet de discussions avec le HCR. Si les aspects techniques et pratiques de ce choix sont primordiaux, les questions politiques n’en sont pas absentes, du fait des liens toujours existants entre réfugiés et mouvements rebelles. Les facilités consenties à ces derniers par les autorités du pays d’accueil sont autant de points de tension avec le gouvernement du pays d’origine. C’est pourquoi la distance séparant les camps de la frontière et des zones de guerre est un paramètre politique sensible pour le pays d’accueil, comme le montre, parmi bien d’autres exemples possibles, la controverse sur les camps de Salvadoriens au Honduras au cours des années 1980. La relocalisation de ces camps, voulue par les autorités honduriennes afin d’éloigner les réfugiés de la frontière, devait démontrer que celles-ci ne soutenaient pas la guérilla salvadorienne. Ce projet de déplacement donna lieu à une forte mobilisation internationale contre ce qui fut alors décrit par des mouvements de soutien comme une « déportation ». Il ne fut jamais mis en œuvre. On peut supposer que le recul du gouvernement du Honduras était dû à sa préoccupation de ne pas apparaître hostile envers des paysans fuyant une violente répression militaire. Il est probable également que les facilités offertes à la guérilla salvadorienne par les camps qu’elle contrôlait au Honduras, à proximité immédiate de la frontière, contribuaient à fixer l’armée salvadorienne sur son territoire. Le nationalisme ardent et les vives tensions territoriales marquant les relations entre ces deux gouvernements, par ailleurs fondamentalement anticommunistes, faisaient des camps le moyen pour les militaires honduriens de poursuivre à bas bruit leur conflit avec leurs homologues salvadoriens. Lieux voués à l’assistance et à la protection des civils, les camps de réfugiés n’échappent ni aux rapports de forces politiques à l’œuvre dans les sociétés dont ils sont issus, ni aux rapports de puissance entre États concernés. Les camps de réfugiés cambodgiens, afghans, érythréens, nicaraguayens, mozambicains de ces mêmes années, pour n’évoquer que les plus saillants des conflits des années 1980, furent le théâtre de semblables scénarios politiques. Pour autant, l’assistance financière et juridique fournie par les Nations unies (financements d’infrastructures d’accueil, dédommagements des services sociaux du pays d’accueil, octroi d’un statut de réfugié, alimentation) comme l’aide matérielle fournie par les ONG (soins de santé, eau, nutrition, sanitation, parfois scolarisation) y furent déployées et y rendirent de grands services.</p> <p>Avoir conscience des tensions et dynamiques politiques présentes bien qu’invisibles aux yeux d’acteurs extérieurs n’est pas, pour les humanitaires, simple exercice de connaissance gratuite mais peut devenir un enjeu éthique primordial comme le montre notamment l’exode consécutif à la guerre et au génocide du Rwanda (avril-juillet 1994). Plus d’un million de Rwandais franchirent en juin 1994 la frontière du Zaïre tandis que près de cinq cent mille passaient en Tanzanie. Il devint rapidement clair que ces camps abritaient des milliers de combattants et que le pouvoir du « Gouvernement intérimaire », autrement dit les responsables politiques du génocide, s’y reconstituait rapidement, utilisant à son service les ressources financières et matérielles mises en circulation par les ONG et les Nations unies. La gestion des stocks de nourriture, des tentes et des divers biens fournis par le système de l’aide, de même que le recrutement parmi les réfugiés de personnel travaillant pour les humanitaires sont des leviers de pouvoir et de financement significatifs pour qui s’en assure le contrôle. C’est pourquoi certaines ONG s’interrogèrent dès les premières semaines sur leur présence dans ces camps où se préparaient vraisemblablement, avec leur concours involontaire, la reconquête du Rwanda et le massacre final des Rwandais tutsis. La situation d’urgence extrême, provoquée par une foudroyante épidémie de choléra qui tua plus de 30.000 réfugiés en quelques semaines, relégua à l’arrière-plan ces interrogations de fond, lesquelles resurgirent deux mois plus tard, une fois l’épidémie terminée. Selon ces ONG, minoritaires, à défaut de pouvoir s’opposer au détournement de l’aide et aux fins criminelles qui lui étaient assignées, il fallait refuser d’y contribuer, une fois l’urgence vitale passée. L’auteur de ces lignes se reconnaissait pleinement dans cette analyse. D’autres estimaient au contraire qu’il n’était pas de leur ressort de se prononcer sur la nature politique de l’encadrement des camps et que leur unique devoir était de fournir l’assistance à la population de ces camps. Il est difficile de trancher <em>a priori </em>entre ces deux conceptions de la responsabilité humanitaire, qui relèvent l’une comme l’autre d’une éthique de la solidarité. Au-delà de l’appréciation que l’on porte sur les jugements des unes et des autres dans ce cas particulier, notons que la neutralité et l’impartialité, principes généraux de l’assistance humanitaire, ne permettent pas de départager ces positions contradictoires, l’une et l’autre pouvant à bon droit s’en réclamer. La suite de l’histoire conforte cependant la position des partisans du retrait, puisque les camps devinrent effectivement une plateforme d’attaque contre le Rwanda puis la cible de représailles et d’une contre-offensive de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR). La guerre du Zaïre, devenu République démocratique du Congo, n’a connu que peu de répit depuis ce moment, marquée dès son début par des massacres de masse commis par l’APR et des groupes armés sous son contrôle. L’Est du pays, le Kivu en particulier, reste le lieu d’une intervention internationale de maintien et d’imposition de la paix mobilisant 26.000 personnes, dont 22.000 sous uniforme.</p> <h3>Déplacés</h3> <p>Le terme de « personnes déplacées de l’intérieur » (<em>Internally Displaced Personnes</em>, ou <em>IDP’s </em>dans le jargon de l’aide) concerne les personnes chassées de leurs lieux de résidence par la guerre mais n’ayant pas franchi une frontière internationale. C’est au cours des années 1990 que le phénomène des <em>IDP’s </em>est devenu un enjeu de l’aide humanitaire, pour trois raisons principales qu’un regard rétrospectif permet de discerner : en premier lieu parce que plusieurs conflits liés à la guerre froide trouvèrent à cette époque une issue politique, permettant le rapatriement des réfugiés, comme au Mozambique, en Angola, au Salvador ou au Cambodge au début de cette décennie ; ensuite en raison de l’ouverture de pays jusqu’alors fermés à la présence d’organismes internationaux d’aide, permettant le déploiement massif de celle-ci dans les situations de crise ; enfin parce que la fin de la paralysie du Conseil de sécurité s’est traduite par le déploiement de contingents de casques bleus dans des pays en proie à des troubles graves. Les camps ne disparurent pas pour autant, mais leur géographie en fut modifiée du fait de la politique d’endiguement volontariste des Nations unies dont les conflits du Soudan (Sud-Soudan puis Darfour), de Bosnie, de République Démocratique du Congo fournissent l’illustration.</p> <p>L’assistance aux <em>IDP’s</em>, au moment où se constituent les camps, ne diffère guère de celle apportée aux réfugiés, les uns et les autres se caractérisant par le déracinement et le regroupement en masse dans des espaces relativement restreints. Soins, abris, nourriture, eau potable et sanitation en sont les composantes essentielles. Des dilemmes semblables peuvent s’y présenter, comme en Bosnie (1991-1995) où des responsables d’ONG et d’agences des Nations unies accusèrent les dirigeants européens d’utiliser le spectacle de l’aide humanitaire pour dissimuler leur impuissance à mettre un terme à la guerre déclenchée par les nationalistes serbes et s’interrogèrent publiquement sur leur rôle d’ « auxiliaires de la purification ethnique ». Les déplacements de populations étaient en effet, non la conséquence involontaire mais l’enjeu essentiel de cette guerre face auquel l’Europe se contenta d’un « service minimum » dénoncé comme « alibi humanitaire ». De fait, la France défendait le maintien de la Fédération yougoslave tandis que l’Allemagne avait décidé de reconnaître sans tarder la Croatie, précipitant le démantèlement du pays. Si l’Europe échoua à enrayer l’escalade de la violence et des déplacements forcés, on peut observer rétrospectivement qu’elle parvint néanmoins à contenir le conflit dans ses frontières.</p> <h3>Dunantistes et wilsoniens</h3> <p>Les années 1990 furent marquées par la multiplication des déploiements militaires de l’Onu, un « wilsonisme botté », selon l’expression de Pierre Hassner qui désignait par là l’essor d’un interventionnisme multilatéral sous conduite américaine. Entre 1990 et 1995, près de 50.000 casques bleus furent déployés dans le monde, soit autant que durant les quarante-cinq années d’existence de l’Onu. La doctrine de ce nouvel interventionnisme à visée stabilisatrice fut énoncée dans l’ « Agenda pour la Paix, diplomatie préventive, maintien de la paix, rétablissement de la paix », document présenté en 1992 par le secrétaire Général des Nations unies Boutros Boutros- Ghali. Le projet de créer une force armée mobilisable en tout temps au service de l’Onu n’a pas vu le jour mais les contingents internationaux se sont multipliés sur les terrains de crise tandis que s’accroissait et se professionnalisait l’action des ONG et des agences des Nations unies, Haut- Commissariat aux Réfugiés et Programme alimentaire mondial (PAM) en premier lieu. La guerre de Somalie (1990-…) fut le laboratoire de ce néo-interventionnisme militarisé, inauguré par le spectaculaire débarquement des troupes américaines, filmées en direct, dans le port de Mogadiscio le 8 décembre 1992. L’échec de cette opération, dû notamment à l’incompréhension des dynamiques politiques à l’œuvre ainsi qu’à l’engagement direct et sanglant des forces américaines dans le conflit, a fait l’objet d’une abondante littérature. Les derniers <em>US Rangers </em>quittèrent discrètement la Somalie en mars 1994. Le refus américain d’intervenir de quelconque façon lors du génocide du Rwanda, qui commença le mois suivant, en fut la première conséquence.</p> <p>Les interventions dites militaro-humanitaires n’en furent pas condamnées dans leur principe pour autant et leur existence induisit une situation nouvelle pour les ONG humanitaires. L’Onu les invitait en effet à intégrer leur action à la sienne, à se placer désormais au service de la construction de la paix, ce qui n’allait pas sans soulever de difficiles questions. Si la paix est en elle-même un objectif humanitaire, il n’en va pas de même des modalités concrètes de son « imposition », autrement dit de l’ordre politique mis en place pour la réaliser, qui peut impliquer la désignation d’un ennemi. Pour assister les populations sous contrôle de groupes armés refusant l’accord de paix que défendent les Nations unies, souvent celles qui se trouvent dans la situation la plus difficile, il est nécessaire de ne pas être confondu avec ceux qui combattent ces groupes. On appelle parfois « dunantistes » les ONG qui en tiennent pour une conception restrictive de leur action et voient les contingents internationaux comme l’une des parties au conflit. Elles se distinguent par là des « wilsoniennes », qui considèrent l’Onu comme un acteur neutre puisque multilatéral et se reconnaissent dans ses finalités politiques. Les dunantistes, tels le CICR ou MSF, se présentent volontiers comme les tenants des principes d’indépendance, de neutralité et d’impartialité (« <em>principled organisations </em>»), suggérant par défaut que les wilsoniens leur tournent le dos. De fait, en situation de conflit, l’implication exclusive dans le soutien aux structures et initiatives sociales de l’État -santé, formation, réhabilitation d’écoles- peut aisément être confondue avec une stratégie de contre-insurrection. A ce point se superposent « conquête des cœurs et des esprits » et assistance humanitaire. C’est ce que refusent les humanitaires dunantistes qui entendent se tenir à équidistance de tous les belligérants quels qu’ils soient. Il s’agit avant tout pour elles d’atteindre les populations isolées par la guerre, au nom de l’exigence d’impartialité qui commande à une organisation humanitaire de régler son action sur les besoins essentiels. On peut soutenir pleinement cette position, c’est le cas de l’auteur de ces lignes, tout en estimant que la définition desdits besoins essentiels, et donc des réponses prioritaires, relève davantage de préférences subjectives et variables que d’un constat objectif et permanent.</p> <p>L’impartialité peut en effet se définir tantôt comme fourniture du plus grand bien possible au plus grand nombre, tantôt comme réponse aux besoins les plus urgents, ces deux conceptions étant dans certains cas mutuellement exclusives. Aucune des deux ne peut en droit se poser comme plus conforme aux <em>requisits </em>humanitaires que l’autre. Notons également que la « conquête des cœurs et des esprits » n’appartient pas seulement au registre des stratégies contre- insurrectionnelles mais tout autant à celui des insurrections. Les organisations humanitaires travaillant dans les zones contrôlées par un mouvement d’opposition n’échappent donc pas plus à l’instrumentalisation politique que celles œuvrant en zone gouvernementale, leur acceptation par les groupes armés rebelles étant précisément tributaire de leur utilité politique pour ceux-ci. Contrairement à une idée répandue, et comme il a été souligné plus haut, l’instrumentalisation n’est pas un effet pervers de l’aide humanitaire mais une caractéristique constante de sa mise en œuvre.</p> <h3>Darfour, une guerre génocidaire ?</h3> <p>L’assistance aux victimes de la guerre du Darfour (2003-…) illustre cet aspect de l’action humanitaire et met en évidence deux de ses évolutions majeures évoquées plus haut, la croissance opérationnelle et la professionnalisation. La violente riposte gouvernementale à l’insurrection armée qui éclata en 2003 dans cette province occidentale du Soudan eut pour effet, sinon pour objectif, de chasser des centaines de milliers de villageois vers les villes du Darfour à proximité desquelles ils se regroupèrent. La guerre et les opérations de terreur menées par des milices progouvernementales faisaient rage en 2004, alors que les Nations unies s’apprêtaient à commémorer le dixième anniversaire du génocide au Rwanda. Sous la pression internationale, notamment d’ONG et du délégué humanitaire des Nations unies au Soudan mettant en avant le risque d’un nouveau génocide, le régime ouvrit le Darfour en guerre aux acteurs de l’aide. Plus de dix mille travailleurs humanitaires, dont environ un millier d’expatriés s’y retrouvèrent à pied d’œuvre, faisant de cette région, entre 2005 et 2009, le théâtre de la plus grande opération humanitaire de ces soixante dernières années. Sans doute le régime de Khartoum comptait-il sur cette ouverture pour améliorer son image extérieure et probablement entendait-il tirer parti de cette mobilisation pour fixer les populations déplacées sur leurs nouveaux lieux de regroupement et renforcer ainsi son contrôle politique. Si tel est le cas, le calcul ne fut que partiellement payant. Le général Omar el Béchir fut en effet inculpé de génocide en 2009 par la Cour pénale internationale (CPI) tandis que les camps, regroupant au total plus de deux millions de personnes déplacées, passèrent peu à peu sous le contrôle partiel des mouvements d’opposition armée. L’assistance internationale permit le sauvetage de dizaines de milliers de personnes, non seulement par la protection physique qu’offraient les camps mais également par la prévention de la mortalité par dénutrition et maladies associées que l’on observe dans de telles circonstances.</p> <p>Lieu de la démonstration des capacités opérationnelles des organisations humanitaires, le Darfour fut également la toile de fond d’une intense controverse portant sur une intervention internationale armée destinée à mettre un terme aux violences que les partisans de celle-ci qualifiaient de génocidaires. D’inspiration néoconservatrice, cette mobilisation monta en puissance entre 2004 et 2009, au point de devenir un enjeu des campagnes présidentielles aux États-Unis en 2004 et en France en 2007. Des ONG, notamment de défense des droits de l’homme, firent campagne sur ce thème tandis que d’autres, principalement d’action humanitaire, s’y opposèrent publiquement ou se contentèrent de ne pas s’associer aux appels. A l’instar de la controverse sur la guerre du Biafra, la polémique portait en premier lieu sur la requalification d’une guerre civile en génocide, le programme supposé d’extermination des Darfouriens réduisant l’aide au mieux à un faux- semblant, au pire à une complicité. Les bombardements aériens de villages, les violences terroristes des milices, les massacres de civils ne furent que trop réels, notamment pendant les quinze premiers mois du conflit. C’est sur ces bases que la chambre préliminaire de la Cour pénale internationale a délivré un mandat d’arrêt pour génocide à l’encontre du général Béchir et de plusieurs hauts responsables gouvernementaux, parmi lesquels le commissaire soudanais à l’aide humanitaire. Il reviendra à la CPI, si ces dirigeants lui sont un jour livrés, de faire le départ entre guerre contre-insurrectionnelle et guerre génocidaire, l’une et l’autre ne se distinguant en l’occurrence que par les intentions prêtées à leurs auteurs. Selon l’acte d’inculpation, le génocide s’est toutefois déroulé en deux phases : par la violence dans un premier temps, par épuisement ensuite, les camps de déplacés étant décrits comme des camps de concentration dans lesquels la famine et les épidémies parachevaient la tâche des bombardements et des milices. L’efficacité de l’aide évoquée plus haut se traduisait pourtant dans les camps du Darfour par des indicateurs de morbidité, de mortalité infantile et d’accès à l’éducation bien meilleurs que dans le reste du pays, autant de démentis factuels opposés à cette lecture mais ignorés par le procureur. L’annonce de l’émission d’un mandat d’arrêt fut suivie de l’expulsion de nombreuses ONG. L’attention se porta alors sur les effets à prévoir d’une réduction brutale de l’assistance et sur les réactions et condamnations politiques, ce qui rejeta dans l’ombre les questions éthiques et politiques que soulevait l’accusation de génocide par attrition. Si elle était retenue, en effet, cette incrimination ferait des Nations unies, des gouvernements qui les financent et des ONG les « idiots utiles », par incompétence ou par aveuglement, d’un régime génocidaire.</p> <h3>Une justice équivoque</h3> <p>Au-delà de ce cas extrême, les relations entre organisations humanitaires et CPI sont marquées par une double équivoque. Regroupées au sein d’une « Coalition pour la CPI », elles ont fait campagne pour l’adoption du statut de Rome (1998), au nom de la lutte contre l’impunité et de l’intérêt général, la justice étant vue comme le préalable à la paix. D’emblée s’est posée, du moins pour celles d’entre elles particulièrement actives dans les conflits armés, telles le CICR et MSF, la question de leur éventuel témoignage devant la CPI. Être perçu comme un témoin potentiel de l’accusation complique en effet les négociations toujours nécessaires pour accéder à des zones de guerre, donc d’exactions. C’est pourquoi le CICR, acteur humanitaire mandaté par les États, s’est vu reconnaître un statut spécial l’exemptant de toute obligation de coopération avec la Cour. Accordé au CICR de façon permanente, ce privilège peut être revendiqué par d’autres acteurs humanitaires au cas par cas et dans l’esprit de la règle. Si l’équivoque d’un soutien sans participation était prévue et tenable, il n’en va pas de même des rapports entre justice internationale et politique. Il n’est certes pas utopique d’attendre d’une menace pénale un effet dissuasif mais il est vain d’imaginer une guerre sans crimes de guerre. Dès lors, inévitablement, se distinguent ceux qui risquent de tomber sous le coup d’une inculpation et les autres. Seuls des Africains ont fait l’objet de poursuites à ce jour, non en raison d’un biais raciste comme cela est dit parfois mais parce que seuls les États et forces politiques ne disposant pas de protecteur au Conseil de sécurité sont en réalité menacés, ce qui est le cas de la plupart des États de ce continent. Une justice internationale plus juste est-elle possible dans un monde dominé par les rapports de puissance ? Est-elle concevable, dès lors que les crimes politiques mettent en œuvre des pans des sociétés concernées, dispersant dans des processus et interactions complexes la notion de responsabilité individuelle, fondement de la justice moderne ? Certains en doutent, d’autres y voient l’ouverture possible d’espaces politiques nouveaux permettant d’ébranler des rapports de force au profit des opprimés. A chacun de répondre à ces questions. En tout état de cause, c’est la fausse évidence d’une réponse d’emblée positive de la part des organisations humanitaires, tenant pour secondaire l’enjeu des rapports de forces politiques, qui est posée ici comme une équivoque.</p> <p>La guerre en ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda furent les déclencheurs des premières juridictions internationales depuis celles de Nuremberg et de Tokyo, les tribunaux pénaux respectivement d’Arusha et de la Haye suivis de la Cour pénale internationale. Le génocide du Rwanda est directement à l’origine de l’adoption par les Nations unies, en 2005, de la résolution sur la « Responsabilité de protéger » connue sous le nom de R2P. Répondant à « la nécessité d’une réponse décisive en temps opportun », visant à « protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité », la R2P divisa les acteurs humanitaires. Certains, dont l’auteur de ces lignes, y ont vu une dangereuse réhabilitation de la notion de « guerre juste », d’autres insistèrent sur son aspect dissuasif, l’usage de la force en dernier recours pouvant être un moindre mal. Quoi qu’il en soit, il s’agit non d’une obligation mais d’une possibilité offerte aux membres du Conseil de sécurité de recourir à l’emploi de la force en activant le chapitre VII de la charte, face à des violences de masse. La « responsabilité de protéger » fut invoquée pour la première fois au sujet de la Libye, en mars 2011, débouchant sur la mise à mort du colonel Khadafi. La résolution 1973, qui n’autorisait que la mise en place d’une zone d’interdiction de vol (<em>no fly zone</em>) au-dessus de Benghazi, a conduit au renversement du régime, non sans une certaine logique puisque celui-ci constituait la menace pesant sur la population insurgée. Cette interprétation très extensive est le fait des nations qui invoquèrent des considérations humanitaires lors des débats au Conseil de sécurité, afin de hâter et de légaliser l’emploi préventif de la force. Nul ne peut dire ce qui se serait passé en l’absence de l’opération « <em>Unified Protector </em>» de l’Otan mais la suite des événements en Libye, marquée par la prolifération de groupes armés de toutes sortes, semble avoir relégué la R2P au rang d’accessoire encombrant. Ainsi ne fut-elle pas évoquée dans la résolution 2127 du Conseil de sécurité donnant à la France un mandat de sécurisation des populations civiles et désarmement des milices en République centrafricaine. Les violences de masse y étaient bien réelles, pourtant. Quelles que soient les raisons de sa mise à l’écart, il ressort que la R2P n’apportait en pratique aucun moyen nouveau au Conseil de sécurité, lequel dispose depuis sa création des instruments juridiques permettant l’emploi de la force, sous condition d’un accord de ses membres.</p> <h3>Des risques accrus ?</h3> <p>L’essor continu qu’a connu l’action humanitaire depuis les années 1970 s’est traduit par une multiplication des acteurs: nouvelles ONG, nouveaux donateurs institutionnels, mandat élargi pour certaines agences des Nations unies telles le HCR ou l’Unicef, création d’un bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha), expéditions militaires à visée humanitaire. Quasi-absente des médias jusqu’alors, la thématique humanitaire y occupe une place significative, parfois centrale dans les conflits ; des gouvernements lui ont réservé un portefeuille, des enseignements, des colloques et des thèses universitaires lui sont consacrés, d’innombrables témoignages et réflexions d’acteurs publiés. Parallèlement à la croissance des moyens, de la reconnaissance et des budgets, en marge d’actions de terrain toujours plus nombreuses et amples, s’est développé dans le milieu de l’aide un discours mettant l’accent sur l’augmentation des menaces et des attaques visant les acteurs humanitaires. Les populations civiles, et à leurs côtés les équipes humanitaires, seraient devenues l’enjeu et la cible des combattants. La fin de la bipolarité et de ses supposées vertus régulatrices en serait la cause première, qui aurait entraîné une transformation des conflits, désormais intra-nationaux et mettant aux prises des factions hors de tout contrôle extérieur. La fragmentation des groupes armés, guidés par l’appât du gain ou le sectarisme et non plus par une cause politique, l’effacement de la distinction civils-combattants, le non-respect des principes humanitaires en seraient les conséquences. Ce discours s’appuie sur l’existence d’ « incidents de sécurité » réels, c’est-à-dire d’agressions et d’attentats survenus au cours de ces vingt dernières années : l’assassinat d’un délégué du CICR lors de l’attaque d’un convoi humanitaire à Sarajevo (1992) puis celui de six membres du CICR en Tchétchénie (1996), l’attentat meurtrier contre le siège des Nations unies à Bagdad (2003), l’assassinat de 17 employés d’Action contre la faim au Sri-Lanka (2006) parmi d’autres.</p> <p>Les tendances inquiétantes que ce discours présente, comme les analyses d’ensemble dans lesquelles il les inscrit, sont toutefois discutables. On peut arguer que la période a été au contraire marquée par une présence croissante des humanitaires au plus près des zones de conflits et par une augmentation spectaculaire de leurs effectifs sur des territoires autrefois largement inaccessibles. Rapporté à cette évolution, le risque encouru par les humanitaires œuvrant en situation de conflits est en réalité resté stable. Il est exact que les conflits se sont en majorité internalisés, même si tous ont une dimension régionale, mais il est contestable que les civils en soient davantage la cible qu’avant la guerre froide. Bombardements indiscriminés, stratégies de terreur, exécutions d’otages, milices, massacres de civils, viols ont été au cœur de la plupart des conflits auxquels l’humanitaire moderne a été confronté tout au long du XXe siècle et la mortalité liée à la guerre n’a cessé de diminuer depuis la fin de la guerre froide. Les atrocités frappent-elles plus les consciences d’aujourd’hui, ce discours marque-t-il une évolution des sensibilités, une moindre tolérance aux violences de masse ? Le recul et les études manquent pour répondre avec assurance à cette question. Il faut toutefois relever qu’en faisant de l’après-guerre froide l’époque du massacre des civils, elle relègue distraitement dans l’oubli les innombrables victimes et cibles civiles de l’ « âge des extrêmes ».</p> <h3>Questions sur les principes</h3> <p>L’augmentation des dangers auxquels s’exposent les humanitaires concerne en réalité un petit nombre de pays, qui sont tous le siège d’interventions internationales. Il s’agit pour l’essentiel de prises d’otages visant non les humanitaires en tant que tels mais des catégories de personnes présentant une valeur d’échange ou de protection, destinées à être monnayées ou utilisées comme boucliers humains. Confrontées à de telles situations, les organisations humanitaires tendent à confier à des sociétés spécialisées la négociation avec les preneurs d’otages, comme le font dans d’autres circonstances les entreprises. La recherche et les tractations sont alors menées, dans la plus grande discrétion, par d’anciens policiers ou membres des services de renseignement. Ce <em>modus operandi </em>silencieux est sans doute justifié lorsqu’il s’agit de négocier la libération d’employés de compagnies commerciales. Dans le cas d’otages humanitaires, le bien- fondé du secret et l’efficacité de la pure logique financière restent cependant à démontrer, si l’on en juge par la pratique. Les forces politiques se disputant le contrôle de territoires sont généralement soucieuses de ne pas s’aliéner le soutien de la population, la présence d’humanitaires étant l’une des manifestations de cette nécessité, comme cela a été dit plus haut. Aveu de faiblesse pour les dirigeants politiques, source de griefs pour la population, le kidnapping d’humanitaires en zone de conflit armé n’est pas seulement une tragédie pour ceux qui le vivent mais aussi un défi pour des forces politiques dont l’autorité, atteinte, doit être restaurée. Réduire ces enjeux à la recherche d’une transaction commerciale, c’est ignorer la réalité de ces rapports de forces et se priver de la possibilité de les utiliser pour la libération des otages. Les humanitaires disposent d’un espace de négociation spécifique, ce qui explique qu’un nombre significatif d’entre eux aient été libérés sans rançon au terme de campagnes, locales et internationales, de dénonciation publique et de pressions politiques par les acteurs locaux.</p> <p>Qu’il s’agisse de sécurité des acteurs ou de la conduite des opérations d’assistance elles-mêmes, la référence aux principes humanitaires fondamentaux -neutralité, impartialité, indépendance- tient une place limitée dans notre analyse des situations et des positions d’acteurs. Ces principes ont leur importance en tant qu’ils signalent l’engagement de n’avoir d’autre but que de se rendre utile aux victimes, de n’être guidé que par le souci d’en soulager le sort. Ils sont notamment exprimés dans le droit international humanitaire, sous formes de droits et d’obligations des divers acteurs des conflits et sont des éléments importants de négociation entre acteurs de secours et autorités politiques. Ils n’ont cependant guère de valeur analytique, chacun d’entre eux pouvant être interprété dans des sens différents comme nous l’avons vu. L’assistance humanitaire aux réfugiés et déplacés, si neutre et impartiale qu’elle puisse être dans ses intentions, ne saurait l’être aux yeux de tous les acteurs politiques locaux. Le travail clandestin en zone rebelle, pratiqué par de rares ONG, est marqué par la même ambivalence. La détermination des besoins prioritaires par une organisation humanitaire doit moins aux principes généraux dont elle se réclame qu’à ses orientations opérationnelles, ses choix d’allocations de ressources, ses intérêts institutionnels. Leur mise en œuvre passe par des négociations et la recherche de compromis acceptables avec les autorités politiques, au croisement des objectifs et des contraintes des uns et des autres. L’éthique de l’action humanitaire dans la guerre comme dans la paix repose, non pas sur une illusoire mise à distance de la politique, mais sur la volonté de savoir quelle politique poursuivre et quelles limites s’imposer.</p> <p>&nbsp;</p> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Rony Brauman, Guerre et humanitaire, 25 juillet 2016, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/guerre-et-humanitaire">https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/guerre-et-humanitaire</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3989" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3989&amp;2=reading_list" token="RvVIIJlG9n8SagA7HW8yhrBl2itlF_ZqKqJtl3lidSA"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">Guerre et humanitaire</span> Mon, 25 Jul 2016 00:00:00 +0000 Jason-04 3989 at https://msf-crash.org La morale à zéro https://msf-crash.org/fr/blog/droits-et-justice/la-morale-zero <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2014-09-11T12:00:00Z" class="datetime">11/09/2014</time> </div> </div> <span class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/1" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">babayaga</span></span> <span class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">jeu, 09/11/2014 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" hreflang="fr">DIH</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/hamas" hreflang="fr">Hamas</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/gaza" hreflang="fr">Gaza</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Rony Brauman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3221" role="article" about="/index.php/fr/rony-brauman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4256.jpg?itok=nCrBsaSM" width="180" height="230" alt="Rony Brauman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Rony</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Brauman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/rony-brauman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p>Opération de police, guerre, représailles, quels que soient les termes appropriés pour qualifier la sanglante opération "Bordure protectrice", une chose est sûre : l'écrasante majorité des quelque 2 000 morts palestiniens sont des femmes, des enfants et des vieillards, à coup sûr des civils (1100 civils et 900 "terroristes"). Côté israélien, la justification est limpide : le Hamas utilise ses civils pour protéger son armée, alors qu'Israël utilise au contraire son armée pour protéger ses civils. Si les autorités israéliennes consentent à reconnaître l'existence de regrettables bavures - quelle guerre n'a pas ses dommages collatéraux ? -, elles imputent la responsabilité de la mort des innocents à l'ennemi palestinien. Rien de plus ordinaire, bien sûr, que le rejet de la faute sur l'adversaire, d'autant qu'il est factuellement exact que les groupes armés palestiniens opèrent en milieu civil, tirent leurs missiles, stockent des munitions et creusent leurs tunnels depuis des bâtiments publics ou à proximité d'écoles et d'hôpitaux dans un environnement densément peuplé. Face à cette situation, l'"armée la plus éthique du monde", comme elle aime se décrire, assure prendre toutes les précautions possibles, tels les avertissements par largage de tracts ou par appels téléphoniques pressant les habitants de quitter leur quartier avant un bombardement imminent. Notons ici que les guerres menées par l'armée israélienne sont décrites comme des opérations de police à grande échelle, menées contre des "terroristes" qu'il s'agit de détruire, non d'amener à une table de négociations. La bande de Gaza a été déclarée "entité hostile" en 2007, après être passée sous contrôle du Hamas. Dès lors, selon Tsahal et ses juristes, elle devenait une zone d'intervention légitime où tous les coups, ou presque, sont permis comme en témoignent les images de quartiers réduits à un amoncellement de gravats. Il s'agissait pourtant bien de "frappes chirurgicales", les cibles n'étant pas détruites au hasard mais visées avec les moyens hi-tech dont dispose cette armée ultramoderne. Si les trois quarts des victimes sont des civils, c'est en premier lieu parce qu'ils n'avaient nul endroit sûr où s'abriter, et non parce que le Hamas en faisait des boucliers en les empêchant de fuir, comme le prétendaient les porte-parole de l'armée israélienne. On entend juridiquement par boucliers humains des personnes emmenées ou maintenues sur des objectifs militaires dans le but de protéger ceux-ci contre des attaques. Cette pratique est prohibée par le droit international humanitaire, lequel n'autorise pas pour autant à faire d'une ville un champ de ruines, quand bien même elle abrite des ennemis.</p> <p>Gaza est une prison assiégée et le comble du cynisme consiste, pour les assiégeants, à appeler à fuir ceux-là mêmes qu'ils enferment. Au demeurant, il n'est pas plus raisonnable de demander au Hamas d'exposer, en les isolant, ses moyens et installations militaires qu'il ne le serait de demander aux Israéliens d'offrir obligeamment leurs propres installations militaires au ciblage de ses ennemis. État-major, casernes, entrepôts, en Israël comme ailleurs, sont fondus dans le tissu urbain. Il y a des guerres plus ou moins horribles, mais il n'y a pas de guerre propre. Les laboratoires militaires ne se découragent pas pour autant, ils ont mis au point ces dernières années une bombe présumée "propre", caractérisée par un rayon d'action de quelques mètres seulement, en dépit de sa forte puissance explosive. La Dense Inert Metal Explosive (Dime) ne projette en effet pas d'éclats mais des microfragments de tungstène et de cobalt dont la vitesse initiale élevée est freinée par l'air après quelques mètres. Mise au point par l'US Air Force, tirée par des drones ou des hélicoptères, cette munition a été utilisée par Tsahal au Liban en 2006 et à Gaza en 2009. Bien qu'elle provoque des lésions inopérables en raison de la pénétration de particules indétectables, ainsi que des cancers osseux et musculaires dus aux métaux lourds qui la composent, elle n'est pas interdite. Qui est le terroriste dans cette histoire ?</p> <p>Cette chronique est initialement parue dans Alternatives Internationales, <a href="http://www.alternatives-internationales.fr/la-morale-a-zero_fr_art_1312_69265.html" target="_blank">n° 064 - septembre 2014</a></p> </div> <section class="field field--name-comment field--type-comment field--label-above comment-wrapper"> <h2 class="title comment-form__title">Ajouter un commentaire</h2> <drupal-render-placeholder callback="comment.lazy_builders:renderForm" arguments="0=node&amp;1=3733&amp;2=comment&amp;3=comment" token="gwnJub28aYgd-3VckrtAqcRP1lqvWk9x7-rxryhPEf4"></drupal-render-placeholder> </section> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3733&amp;2=reading_list" token="2t6mK-UtRqa9DwWhXuxwPeuYTvaqGb5WRlaH7ZU-pXI"></drupal-render-placeholder><div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Rony Brauman, La morale à zéro, 11 septembre 2014, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/blog/droits-et-justice/la-morale-zero">https://msf-crash.org/fr/blog/droits-et-justice/la-morale-zero</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3733" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">La morale à zéro</span> Thu, 11 Sep 2014 00:00:00 +0000 babayaga 3733 at https://msf-crash.org « Humaniser la guerre » https://msf-crash.org/fr/blog/guerre-et-humanitaire/humaniser-la-guerre <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2013-09-27T12:00:00Z" class="datetime">27/09/2013</time> </div> </div> <span class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/1" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">babayaga</span></span> <span class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">ven, 09/27/2013 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/histoire-de-lhumanitaire" hreflang="fr">histoire de l&#039;humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" hreflang="fr">DIH</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/droit-dingerence" hreflang="fr">droit d&#039;ingérence</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/negotiations-humanitaires" hreflang="fr">négotiations humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/espace-humanitaire" hreflang="fr">espace humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/responsabilite-de-proteger" hreflang="fr">responsabilité de protéger</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/medias" hreflang="fr">médias</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Rony Brauman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3221" role="article" about="/index.php/fr/rony-brauman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4256.jpg?itok=nCrBsaSM" width="180" height="230" alt="Rony Brauman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Rony</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Brauman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/rony-brauman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p><span><strong>Entre morale du devoir et morale des conséquences, le droit humanitaire d'urgence, pourtant reconnu internationalement, est bien difficile à appliquer.</strong></span></p> <p>par Marielle Chevallier<br /> Textes et documents pour la classe, N°1060, septembre 2013</p> <p><strong>TDC Comment l'idée d'une aide sur le théâtre des conflits est-elle née ? </strong><br /> &nbsp;</p> <p><strong>Rony Brauman</strong>. L'idée du secours aux blessés et de la prise en charge des morts sur le champ de bataille est presque aussi ancienne que les conflits eux-mêmes. Mais ce secours commence à être pensé philosophiquement au XVIIIe siècle, avec Jean-Jacques Rousseau et Emer de Vattel, qui posent comme principe que la guerre est une affaire d'États, que les hommes qui se battent le font au nom des États ; quand ils ne peuvent plus combattre, devenant neutres, ils doivent être soustraits à la logique de la confrontation. Cette notion de neutralité des victimes, puis par extension de neutralité des secours, est au fondement de l'action humanitaire dans la guerre. Jusqu'au XIXe siècle, des traités ad hoc permettaient de mettre en place des structures de soins et d'honorer les morts. Après la création de la Croix-Rouge et la première Convention de Genève l'année suivante (1864), ces traités laissent place à une convention diplomatique reconnaissant pour la première fois explicitement un droit international « humanitaire », c'est-à-dire un droit de l'humanité prise comme un tout, au nom du principe du « droit des gens » et des « exigences de la conscience publique ».</p> <p>Selon ce droit, l'aide humanitaire sur les champs de bataille est reconnue et protégée par des conventions, de même que la neutralité des blessés, que protège un emblème universellement reconnu, celui de la croix rouge. Son champ d'application s'est ensuite élargi aux prisonniers, aux malades, aux populations civiles. Le paradoxe est qu'à la même période, fin du XIXe, du fait du progrès technique, de l'industrialisation et de l'impérialisme, se produisait une généralisation et une totalisation des conflits. Rappelons-nous que les premiers camps de concentration de civils datent des guerres coloniales (guerre des Boers). Or le droit humanitaire, qui entend humaniser la guerre, se réfère aux « conflits indécis et tempérés » du XIXe siècle, dans un espace indemne de présence civile. Ainsi dès l'origine, les principes posés sont dépassés par le développement de nouvelles formes de conflits.</p> <p><strong>TDC Qu'est-ce que la création des ONG a modifié dans la conception de l'action humanitaire ? </strong><br /> &nbsp;</p> <p><strong>R. B. </strong>Sous le vocable ONG (qui date de la création de l'Onu) se regroupent toutes sortes d'entités associatives très différentes. La variété de leurs domaines d'action ne permet pas de leur assigner un rôle univoque. Médecins sans frontières (MSF), créée en décembre 1971, fut l'une des toutes premières à vouloir agir selon les principes de la Croix-Rouge dans la guerre, et d'ailleurs dans d'autres situations de catastrophes. Mais MSF entendait agir exclusivement dans le domaine médical, alors que l'assistance humanitaire était jusqu'alors généraliste, et revendiquait - du moins pour une partie de ses fondateurs - une liberté de parole interdite à la Croix-Rouge, tenue par ses statuts à un devoir de discrétion.<br /> La création de MSF doit beaucoup l'existence de la médecine d'urgence qui s'est développée durant la Seconde Guerre mondiale et les guerres de décolonisation. Ensuite d'autres organisations se sont créées par professions. La descendance est donc riche, à la fois sur le plan médical mais aussi sur le plan de la structuration de l'aide humanitaire, bien au-delà des situations de conflit.</p> <p><strong>TDC Le droit international humanitaire (DIH) a-t-il pour but d'humaniser la guerre ? Implique-t-il un droit d'ingérence ?</strong><br /> &nbsp;</p> <p><strong>R. B. </strong>Oui, le DIH entend humaniser la guerre et c'est ce qui lui a valu d'emblée de très vives critiques. Les pacifistes lui reprochaient de chercher à rendre les guerres acceptables, tandis que nombre de militaires affirmaient que son application empêcherait la victoire rapide du plus fort, qu'il aurait en réalité pour effet de prolonger les conflits, donc d'amplifier les souffrances. Qu'entend-on par humanisation de la guerre ? Il s'agit d'abord de créer en son sein des espaces de négociation pour l'envoi de secouristes, l'acheminement de nourriture, le traitement correct des prisonniers et des populations civiles, mais aussi d'interdire les méthodes de guerre qui ne distinguent pas les civils des combattants.<br /> Les acteurs humanitaires agissant selon les principes des Conventions de Genève se voient reconnaître un rôle par les belligérants. C'est cet espace de négociation que le DIH soutient. Mais le DIH ne permet en aucun cas d'intervenir dans un conflit sur un mode violent pour faire cesser des actes de barbarie, réels ou supposés. L'ingérence armée à but humanitaire relève d'une tradition impériale que l'on appelait autrefois la « mission civilisatrice ». elle n'a rien à voir avec le DIH.</p> <p><strong>TDC Comment concilier « responsabilité de protéger » et non-ingérence ? </strong><br /> &nbsp;</p> <p><strong>R. B.</strong> La « Responsabilité de protéger », telle que l'Onu l'a adoptée en 2005, est la réponse de cette organisation aux critiques qui lui ont été faites lors de conflits qui ont particulièrement choqué les opinions publiques occidentales, le génocide des Rwandais tutsis en 1994 ainsi que la guerre d'ex-Yougoslavie (1992-1995). Cet instrument vise à endiguer, par la force le cas échéant et c'est là tout le problème, certains crimes particulièrement graves (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, purification ethnique et génocide). On peut considérer comme un progrès le fait que les atteintes graves aux droits de l'homme relèvent désormais de la sécurité internationale et puissent entraîner une intervention armée. Mais à cela, on peut objecter d'une part que c'était déjà possible avant 2005, le Conseil de sécurité étant libre d'apprécier l'existence d'une menace à la paix et à la sécurité internationale et d'activer le chapitre VII de la charte qui permet l'emploi de la force armée ; et l'on peut ajouter que, dans ces conditions, cet instrument n'a pas d'autre fonction que de réhabiliter la notion de « guerre juste » sous une forme moderne, c'est-à-dire la guerre pour les droits de l'homme. Cette vision est à mon sens très contestable car elle se fonde sur des bases très vagues, très fragiles, et confère à la violence armée des vertus auxquelles je ne crois pas.<br /> Les partisans de la Responsabilité de protéger font valoir que la souveraineté moderne implique, pour les Etats, un devoir de protection de leurs populations, et que l'on ne saurait invoquer la souveraineté pour massacrer ses opposants à l'abri de toute critique. On ne peut que se reconnaître dans un tel propos, tant il est vrai que le principe de non-ingérence est souvent invoqué pour les pires raisons, mais on ne peut en déduire pour autant que la guerre, fût-elle pour une bonne cause, est une bonne réponse à ces situations.</p> <p><strong>TDC Existe-t-il des guerres légitimes ? </strong><br /> &nbsp;</p> <p><strong>R. B. </strong>La première des violences légitimes est celle qui concerne sa propre défense. À part cette situation, la guerre est la pire des façons de régler des conflits et c'est pourquoi s'engager dans un processus de légitimation théorique, au-delà du principe de légitime défense, me semble contestable et dangereux. Les vertus qu'on prête à la violence - sidération, catharsis - ne sont pas totalement inexistantes mais tellement minces par rapport à ses conséquences désastreuses que je me refuse à toute justification théorique.</p> <p><strong>TDC Que vous inspire le rôle des médias dans la couverture des conflits, la désignation de l'ennemi et « l'éveil de l'opinion mondiale » (cf. Darfour, Libye, Mali, etc.) ?</strong><br /> &nbsp;</p> <p><strong>R. B.</strong> Dans l'ensemble, les médias assurent leur rôle d'information sur les situations de conflit. Mais il arrive qu'ils s'emballent- ce fut le cas lors du tsunami en Indonésie ou de la guerre au Darfour - et passent du registre de l'information à celui de la communication militante. Au Darfour, on a choisi un camp, et pour mieux construire la division bien/mal, l'autre camp a été accusé de génocide, conformément à la propagande des néo-conservateurs américains. Cela a eu pour effet de radicaliser les enjeux, de placer les réfugiés dans une situation de victimes idéales qu'eux-mêmes ont intériorisée en accentuant leur soutien aux groupes combattants, en faisant pression pour une solution militaire au conflit et en refusant toute négociation. Aujourd'hui où sont ceux qui dénonçaient un génocide au Darfour ? Y-a-t-il eu génocide ? Dans un article paru dans Le Monde, Tzvetan Todorov soulignait la fascination des médias pour la figure du guerrier en Libye et en Syrie. Quiconque se proposant en négociateur potentiel était en effet disqualifié comme « Münichois ». Tel est le paradoxe de cet esprit de combattant humanitaire : il en vient à valoriser la guerre.</p> <p>&nbsp;</p> </div> <section class="field field--name-comment field--type-comment field--label-above comment-wrapper"> <h2 class="title comment-form__title">Ajouter un commentaire</h2> <drupal-render-placeholder callback="comment.lazy_builders:renderForm" arguments="0=node&amp;1=3714&amp;2=comment&amp;3=comment" token="GjR2Kdk_UXc29wortRLy5KtloZziuzCEKQt8zqKSqMA"></drupal-render-placeholder> </section> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3714&amp;2=reading_list" token="QZEeBUc4MF754dZR4ZoMBh0V1OJwPwWQU0SRuxlsE7M"></drupal-render-placeholder><div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Rony Brauman, , « Humaniser la guerre », 27 septembre 2013, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/blog/guerre-et-humanitaire/humaniser-la-guerre">https://msf-crash.org/fr/blog/guerre-et-humanitaire/humaniser-la-guerre</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3714" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">« Humaniser la guerre »</span> Fri, 27 Sep 2013 00:00:00 +0000 babayaga 3714 at https://msf-crash.org Le Droit et l’interdit https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/le-droit-et-linterdit <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2012-09-10T12:00:00Z" class="datetime">10/09/2012</time> </div> </div> <span rel="schema:author" class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/63" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Kesaven-02</span></span> <span property="schema:dateCreated" content="2012-09-10T00:00:00+00:00" class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">lun, 09/10/2012 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/cour-penale-internationale" property="schema:about" hreflang="fr">cour pénale internationale</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/genocide" property="schema:about" hreflang="fr">génocide</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/justice-internationale" property="schema:about" hreflang="fr">justice internationale</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" property="schema:about" hreflang="fr">DIH</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Rony Brauman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3221" role="article" about="/index.php/fr/rony-brauman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4256.jpg?itok=nCrBsaSM" width="180" height="230" alt="Rony Brauman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Rony</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Brauman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/rony-brauman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p><em>Dans cet entretien publié par Amnesty International, Rony Brauman s'explique sur ses réserves et critiques concernant l'extension indéfinie du domaine des droits de l'homme qui leur ôte en substance ce qu'ils gagnent en surface.</em></p> <p>« L'élargissement de son champ d'action conduit AI à prendre des positions sur des sujets qui sont traditionnellement ceux d'une organisation humanitaire. Ce constat n'est pas inspiré par une querelle de territoire car en pratique, sur le terrain, il n'y a aucune concurrence. Mais cette extension de l’action d’AI croise un débat au sein des organisations humanitaires opposant ceux qui pensent que l'on agit sur la base de droits (que l'on vient mettre en acte) à ceux qui estiment que l'on agit sur la base de besoins. Pour le dire dans la terminologie anglo-saxonne consacrée, il y a l'action "rights based" et l'action "needs based". Je suis un tenant de cette dernière. Prenons l'exemple de la santé, apparemment le plus évident car la peur de la maladie et le besoin de se soigner sont universellement ressentis. Il me semble pourtant qu'en parler comme d'un droit ne va pas de soi, puisque un tel droit supposerait résolu le problème des conditions matérielles d'accès à des soins curatifs et préventifs de qualité. On ne décrète pas la mise en place dans un pays d'un système égalitaire et effectif de soins comme on décide, par exemple, de ne pas réprimer l'expression d'opinions critiques. Je reprends ici la distinction que Raymond Aron a introduite entre droits civils et politiques qu'il qualifie d' « impératifs catégoriques », et droits économiques et sociaux qu'il qualifie d' « objectifs souhaitables » et qui relèvent donc d'un autre registre, celui du possible. La liberté d'expression, jamais totale au demeurant, peut être appliquée quelles que soient les conditions matérielles mais il en va autrement de la santé, qui exige d'importantes infrastructures, c'est-à-dire des formes d'organisation sociale qui se construisent dans le temps long.</p> <h4>Q : Pensez-vous qu’AI de ce point de vue puisse apparaître comme porteuse de valeurs occidentales ?</h4> <p><strong>RB :</strong> <span>Je dirais plutôt de valeurs politiques, le problème n'étant pas qu'elles soient politiques mais qu'elles ne soient pas reconnues comme telles. Aux États-Unis, il n'y a pas de droit aux soins. Une partie de la société américaine considère l'assurance-maladie garantie par l'État non comme une forme de justice sociale mais comme une récompense indue accordée à des « paresseux », un encouragement au vice. Le débat introduit par Barak Obama a suscité dans certains états une ambiance de quasi guerre civile. Vues d'Europe, ces tensions sont difficilement compréhensibles parce qu'on y a tellement intériorisé le principe d'un État redistributeur que l'on n'arrive plus à concevoir que d'autres sociétés puissent en avoir une vision différente. C'est en cela qu'il s'agit de valeurs politiques.</span></p> <p>Il serait ridicule pour MSF de débarquer aux USA et d’expliquer aux Américains que les dizaines de millions de personnes qui n'ont pas accès aux soins représentent un déni de droit. Plus généralement, je pense que l'on considère de façon hâtive et superficielle, comme une évidence au-delà de toute discussion, l'existence de valeurs universelles. Je pense à la réflexion du philosophe Michael Walzer, selon lequel toute société humaine est “universelle en ce qu'elle est humaine et particulière en ce qu'elle est une société”. C'est dans ce dualisme, qui rend compte de notre expérience quotidienne, qu'il faut penser les questions de la morale et des droits de l'homme.</p> <h4>Q : D'où l'impératif d'une élaboration juridique ou d’un contrat social planétaire autour de l'universalité…</h4> <p><strong>RB :</strong> <span>La création d’un contrat social se fait dans un contexte politique, matériel, social. Il est différent au Mali, en Thaïlande ou au Canada. Plus que des droits positifs, ce sont des rejets, des</span>&nbsp;choses qu'on ne veut pas, qui me semblent véritablement universels, au sens où la quasi-totalité des hommes, par delà les cultures et sociétés, les partagent. Personne n'a envie d'être puni pour des raisons qui lui semble injustes. L'horreur que peut susciter la torture relève effectivement d'un universalisme. Aider des gens qui sont dans ces situations, mobiliser l'opinion pour leur défense et le bannissement de ces pratiques me semble non seulement justifié, mais aussi immédiatement intelligible partout. Je ne dis pas consensuel, car de telles actions suscitent des oppositions, mais universellement appropriable au nom d'un même sentiment de rejet. Je retrouve ici le terrain originel d'Amnesty, l'habeas corpus, droit à un jugement équitable et à l'intégrité de son corps. Ces remarques renvoient aux limites qu'un État doit s'imposer à lui-même.</p> <h4>Q : C’est une approche très réductrice…</h4> <p><strong>RB :</strong> <span>Effectivement. Et elle vaut à mes yeux également dans l'humanitaire. Je me sens pleinement en phase avec l'action d’AI concernant la peine de mort, les exécutions extra-judiciaires, les punitions arbitraires, les conditions de détention. Les limites n'en sont pas si claires et sont à discuter devant chaque situation mais le répertoire d'actions est concret et cohérent. Je ne m'y retrouve plus lorsqu'AI étend son positionnement à des catégories de problèmes qui ne sont reliés entre eux que par leur commune appartenance à une idée du Bien. On appelle cela les&nbsp;</span>« générations » de droits comme si elles se situaient naturellement dans une progression fléchée, s'additionnant les unes aux autres: droits économiques, sociaux, culturels, environnementaux, droit au développement, droits de l'enfant et quelques autres. Comment définit-on, à qui oppose-t- on le cas échéant, un “droit au développement » ? Pourquoi parler de « droits de l'enfant » plutôt que de droit à l'enfance, c'est-à-dire à l'irresponsabilité, justement, ce qui pointe vers une responsabilité particulière des adultes vis-à-vis des enfants ? Se réclamer d'un droit à l'environnement ne nous aide en rien à saisir les pratiques prédatrices, liées parfois à des impératifs de survie, ailleurs à l'irresponsabilité,à la violence, à la corruption. La catastrophe de Fukushima les concentre tous.</p> <h4>Q : A quel niveau et par qui peut se poser la question de cette irresponsabilité ? Dans le cas du Japon, à qui appartient-il de la dénoncer ?</h4> <p><strong>RB :</strong> <span>Aux Japonais eux-mêmes, à la justice de ce pays et il me semble que c'est le chemin qu'ils prennent. Mais il s'agit aussi, bien sûr, d'éviter de nouveaux Fukushima et je ne prétend pas avoir de réponse claire. C’est par une négociation politique que nous devons rechercher la sécurité collective, écarter des formes de production d'énergie dont les suites sont difficiles,voire impossibles à contrôler. Avant l'ère nucléaire, un accident industriel n'avait que des conséquences locales et circonscrites dans le temps. Depuis Tchernobyl, nous savons que cela n'est plus vrai. Cela suppose une réflexion collective pour des arbitrages, des choix et des compromis nouveaux, posés en termes d'obligations et d'interdits autant que de droits.</span></p> <h4>Q : Génocides au Cambodge, au Rwanda. Massacres à Srebrenica ou ailleurs. Comment considérez-vous la constitution de la Cour Pénale Internationale et l’élaboration du droit international auxquelles ont largement contribué les ONG?</h4> <p><strong>RB :</strong> <span>Je pense en premier lieu qu'il faut garder à l'esprit la distinction de fond qui existe entre droit national et droit international. Le droit national est un droit de subordination. Il y a un État, un appareil judiciaire et une police sous son contrôle, des lois qui doivent être respectées. Si elles sont enfreintes, une procédure égale pour tous dans un cadre politique donné commence. Le droit international, dans la mesure où il n'y a pas d’État mondial, n'est pas un droit de subordination mais de régulation. Il donne lieu à des espaces de négociation balisés dont personne ne peut garantir que le franchissement sera sanctionné puisqu'il n'y a pas d'autorité supérieure. La mise en oeuvre du droit pénal international est donc tributaire de rapports de force politiques, de stratégies de puissances, qui en minent les principes mêmes. À commencer par le fait que les membres permanents du Conseil de sécurité et leur population -ce sont les premières puissances militaires et économiques- sont par définition "hors juridiction". Cette immunité de fait -je ne dirais pas « apartheid juridique » parce que ce serait inutilement polémique- suscite des réactions</span>&nbsp;hostiles dans le Tiers monde. La faveur que les ONG accordent à la justice pénale internationale depuis le début du processus de la mise en place de la CPI s'explique par leur conviction, sans cesse répétée, selon laquelle l'impunité favorise le crime, c'est-à-dire la guerre, et que la justice est donc un préalable à la paix. Si le premier terme de cette affirmation est juste, on ne peut pour autant en déduire que la punition empêche le crime. Comment comprendre, si c'était le cas, que le crime prospère à ce point dans des pays où il est sévèrement réprimé ? Quant au deuxième terme, il est démenti par l'Histoire : s'il n'y avait pas de paix sans justice, il n'y aurait pas de paix du tout.</p> <p>Par ailleurs, il s'agit de juger des crimes qui sont par nature d'ordre politique puisque ce sont des entités politiques qui les commettent, guérillas ou États, avec pour enjeu le pouvoir. L'un des défauts majeurs de la CPI et de l'idéologie juridique qu'elle véhicule, est de ramener au rang de fait divers ou de cas individuels des phénomènes comme la guerre, le despotisme, la rébellion, et donc de nous couper d'une compréhension politique de ce qui s'y joue. Du point de vue des violations des droits de l'homme et du du droit humanitaire, les Républicains ne valaient pas beaucoup mieux que les fascistes lors de la guerre d'Espagne. Ça ne m'empêche pas de savoir où est « mon » camp dans ce conflit ! Dans le même esprit de distinction entre le fait-divers et la guerre, comment tracer la ligne qui départage les criminels et les autres dans des phénomènes de masse où les donneurs d'ordre et les exécutants forment un ensemble indissociable et nombreux?</p> <p>L'autre raison pour laquelle je ne suis pas un adepte de la justice pénale internationale est la pression que celle-ci exerce sur une société sortant de la guerre, voire encore en guerre, pour la mise en accusation des principaux auteurs de violences. Le temps politique de la reconstruction n'est pas nécessairement le temps moral et juridique du choix des principaux coupables et de leur punition. Des périodes, d'ailleurs différentes selon les sociétés, doivent être respectées pour le réapprentissage de la vie collective, La punition des coupables, avec ou sans guillemets, n'y est pas nécessairement perçue comme une urgence, contrairement à une certaine vision orthopédiste du fonctionnement social très en vogue de nos jours. Rendre coûte que coûte une « justice du monde » aboutit en quelque sorte à une technicisation du politique, à une mise à l'écart de ses rapports de force, ses représentations collectives et concurrentes, ses priorités qui ne procèdent pas d'une logique universelle.</p> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Rony Brauman, Le Droit et l’interdit , 10 septembre 2012, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/le-droit-et-linterdit">https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/le-droit-et-linterdit</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3977" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3977&amp;2=reading_list" token="f_8ouB5rDIcKhdtj2L69JtrLqzlsuFYfGoKSksnl88Y"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">Le Droit et l’interdit </span> Mon, 10 Sep 2012 00:00:00 +0000 Kesaven-02 3977 at https://msf-crash.org Responsabilité de protéger : le retour à la tradition impériale de l’humanitaire https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/responsabilite-de-proteger-le-retour-la-tradition-imperiale-de <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2010-03-15T12:00:00Z" class="datetime">15/03/2010</time> </div> </div> <span rel="schema:author" class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/64" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Corinne-03</span></span> <span property="schema:dateCreated" content="2010-03-15T01:00:00+00:00" class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">lun, 03/15/2010 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/responsabilite-de-proteger" property="schema:about" hreflang="fr">responsabilité de protéger</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/interventions-militaires" property="schema:about" hreflang="fr">interventions militaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/droit-dingerence" property="schema:about" hreflang="fr">droit d&#039;ingérence</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/guerre-juste" property="schema:about" hreflang="fr">guerre juste</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/relations-militaro-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">relations militaro-humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/cicr" property="schema:about" hreflang="fr">CICR</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" property="schema:about" hreflang="fr">DIH</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Fabrice Weissman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3235" role="article" about="/index.php/fr/fabrice-weissman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4204.jpg?itok=sX0PzbdD" width="180" height="230" alt="Fabrice Weissman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Fabrice</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Weissman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Fabrice Weissman a rejoint Médecins sans Frontières en 1995. Logisticien puis chef de mission, il a travaillé plusieurs années en Afrique subsaharienne (Soudan, Erythrée, Ethiopie, Liberia, Sierra Leone, Guinée, etc), au Kosovo, au Sri Lanka et plus récemment en Syrie. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l'action humanitaire dont "A l'ombre des guerres justes. L'ordre international cannibale et l'action humanitaire" (Paris, Flammarion, 2003), "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de Médecins sans Frontières" (Paris, La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (Paris, Editions du CNRS, 2016).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/fabrice-weissman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p>Faut-il dépêcher des forces militaires dans un pays étranger afin de sauver sa population du massacre, de la famine, des épidémies ou de l’oppression ? Si la question est aussi ancienne que la guerre elle-même<span class="annotation">L’idée qu’il est du devoir d’un souverain de faire la guerre à un tyran qui massacre son peuple se retrouve dès la Chine Antique, cf. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, ‘‘L’intervention humanitaire armée en Chine antique,’’ Revue des deux mondes, janvier 2006 : 152-173.</span><span>, elle connaît un regain d’intérêt spectaculaire depuis la fin de la guerre froide. Du Darfour à la Birmanie, du Tchad à la Géorgie, du Zimbabwe à la RD Congo, le recours&nbsp;</span>à la force pour protéger les civils et les secouristes humanitaires est un thème récurrent des controverses et campagnes d’opinion sur la réponse internationale aux crises.</p> <p>Justifié dans les années 1990 au nom du « droit d’ingérence humanitaire », l’usage de la violence pour secourir des populations en danger est aujourd’hui défendu au titre de la « responsabilité de protéger » – ou « R2P » pour les initiés (<em>Responsibility to/2 Protect</em>). La formule a été inventée en 2002 par le panel d’experts réunis à l’initiative du Canada au sein de la Commission Internationale sur l’Intervention et la Souveraineté des Etats (CIISS). Créée en pleine polémique sur la légitimité et la légalité de l’intervention de l’OTAN au Kosovo, la CIISS s’était vue confiée la tâche suivante : construire un cadre normatif permettant de déterminer « quand il est approprié que des Etats&nbsp;prennent des mesures coercitives – et en particulier militaires – contre un autre Etat afin de protéger des populations menacées dans ce dernier. »<span class="annotation">International Commission on Intervention and State Sovereignty, <em>The Responsibility to Protect </em>(Ottawa: International Development Research Centre, 2001), VII.</span></p> <p>D’après ses promoteurs, la doctrine élaborée par la CIISS va bien au-delà de la théorie du « droit d’ingérence humanitaire » formulée à la fin des années 1980 par Mario Bettati et Bernard Kouchner.<span class="annotation">Cf. notamment, Mario Bettatti, ‘‘Le droit d’ingérence : sens et portée’’, <em>Le Débat </em>67 (novembre-décembre 1991).</span><span>Elle se veut à la fois plus précise – son champ d’application est limité aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et nettoyages ethniques – et plus&nbsp;</span>ambitieuse : alors que le droit d’ingérence ne préconisait que le recours à la force pour « protéger les convois humanitaires… et les victimes face à leurs bourreaux », la R2P vise également la&nbsp;« prévention des conflits » et la « reconstruction des sociétés ».<span class="annotation">Gareth J. Evans, <em>The Responsibility to Protect. Ending Mass Atrocity Crimes Once and For All </em>(Washington, DC: Brooking Institution Press, 2008).</span><span>A cet effet, elle recommande&nbsp;</span>l’utilisation de « boites à outils pour atrocités de masse » (<em>mass atrocities tool boxes</em>) incluant des actions humanitaires, diplomatiques, économiques, judiciaires, sociales, politiques et, en dernier recours, militaires. Enfin, la R2P prétend respecter la souveraineté des Etats en leur reconnaissant la responsabilité première de veiller à la protection de leurs populations. C’est uniquement en cas de défaillance de leur part que la « communauté internationale » aurait « la responsabilité » de se substituer aux autorités nationales quitte, le cas échéant, à déclarer la guerre aux auteurs de violences de masse.</p> <p>Cheval de bataille de la diplomatie canadienne et de l’ancien Secrétaire général des Nations unies Koffi Annan, la R2P est activement soutenue par des réseaux militants reliant des diplomates, des juristes internationaux, des cercles de réflexion et d’influence libéraux, des ONG de défense des&nbsp;droits de l’homme et des organisations humanitaires.<span class="annotation"><span>C’est notamment le cas d’International Crisis Group, de Human Rights Watch, d’Oxfam-International, de Refugees International.</span></span>Elle a été formellement endossée par les 192 chefs d’Etats et de gouvernement réunis lors du sommet mondial de 2005. Tout en réaffirmant que seul le Conseil de sécurité pouvait autoriser le recours à la force<span class="annotation">Au grand désarroi des partisans de la R2P qui entendaient réformer la charte des Nations unies afin que la lutte&nbsp;contre les atrocités de masse soit considérée comme une raison suffisante pour déclarer la guerre aux côtés de la légitime défense et des atteintes à la paix et à la sécurité internationale.</span><span>, les dirigeants de la planète se sont engagés à prendre collectivement et « au cas par cas » des mesures coercitives contre&nbsp;</span>des « autorités nationales [qui] échoueraient manifestement à protéger leur population d’un génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité. »<span class="annotation">United Nations General Assembly, ‘‘Resolution adopted by the General Assembly, 2005 World Summit Outcome,’’&nbsp;A/RES/60/1 (October 24, 2005).</span><span>Encouragés par ces développements, les partisans de la R2P entendent aujourd’hui en faire une&nbsp;</span>« règle coutumière du droit international à part entière ».<span class="annotation">Evans, <em>The Responsibility to Protect, </em>52.</span><span>Cette démarche est officiellement&nbsp;</span>soutenue par un certain nombre de chancelleries occidentales, dont le Canada, la Grande- Bretagne, la France et depuis peu les Etats-Unis. Mais elle rencontre l’hostilité de nombreux pays du Sud craignant un retour de l’impérialisme sous couvert du droit et de la morale.</p> <p>C’est en tant que théorie de la guerre juste – et non comme appel aux Etats à user de moyens diplomatiques pour prévenir et contenir les violences de masse – que la R2P soulève le plus de controverses, y compris parmi les organisations humanitaires. Celles-ci sont particulièrement concernées par le débat dans la mesure où la responsabilité de protéger puise aux mêmes&nbsp;sources de légitimation morale et légale que l’action humanitaire.<span class="annotation"><span>D’après la spécialiste de la R2P Naomi Kikoler (Global Center for the Responsibility to Protect), ‘‘R2P is broadly about the protection of civilians, drawing from international humanitarian, human rights, and refugee law for its legal foundation,’’ Naomi Kikoler, « Responsibility to protect. Keynote Paper », International Conference, Protecting People in Conflict and Crisis : Responsding to the Challenges of a Changing World, (Refugee Studies Centre, ODI/Humanitarian Policy Group, September 2009) : 3.</span></span><span>Pour les partisans de la R2P,&nbsp;</span>l’usage de la violence serait l’ultime moyen d’offrir aux civils la sécurité et l’assistance auxquelles ils ont droit (moralement au nom de notre commune humanité et légalement du fait des engagements des Etats à faire respecter le droit international humanitaire). Aide humanitaire et intervention militaro-humanitaire s’inscriraient ainsi le long d’un continuum d’actions visant à civiliser les guerres pour qu’elles se déroulent selon les formes imposées par le droit international humanitaire. La grande majorité des organisations humanitaires partage cette conception, considérant la R2P comme le « cadre normatif le plus à même de répondre aux besoins de&nbsp;protection des populations civiles auprès desquelles [elles interviennent] »<span class="annotation">Oxfam, ‘‘Responsabilité de protéger : un principe qui doit devenir réalité,’’ Communiqué de presse (14 février&nbsp;2008).</span><span>. En pratique, c’est&nbsp;</span>principalement pour justifier le déploiement de troupes étrangères qu’elles mobilisent cette notion&nbsp;– au Darfour, au Tchad, ou en RD Congo pour ne prendre que quelques exemples de ces dernières années.<span class="annotation">Cf. par exemple , CARE International, Christian Aid, Concern Worldwide, Islamic Relief, IRC, Oxfam and Tearfund, ‘‘Joint agency statement following Tuesday's Darfur Donor Conference’’ [more funding for the African Union force] (July 19, 2006); Oxfam, ‘‘Tchad : Les Etats membres de l’Union européenne tardent à prendre une décision sur l’envoi d’une force au Tchad alors que 400 000 vies sont en jeu,’’ communiqué de presse (9 décembre 2007) ; ACAT France / CARE / COSI / FIDH / HRW / LDH / Secours Catholique – Caritas France ? ‘‘ RD Congo : La France doit montrer l’exemple’’, Communiqué de presse (10 décembre 2008)</span></p> <p>L’engouement des humanitaires pour les politiques de force n’échappe pas au grand public, aux journalistes ou aux Etats. De façon récurrente Médecins sans frontières est interrogé sur le bien fondé des appels aux armes pour protéger les secours et les civils. Ce dont souffrent les victimes des conflits, c’est avant tout des violences de guerre dont la faim et les maladies ne sont que des conséquences. Une organisation humanitaire ne devrait-elle pas en tirer les conclusions et appeler à des interventions armées pour protéger les non-combattants et ceux qui leur viennent en aide ? Ne devrait-elle pas militer pour qu’un mécanisme juridique encadre ces interventions de façon à les soustraire à l’opportunisme politique ?</p> <h3><br /> Enjeu de l’appel aux armes</h3> <p>Il serait simple de répondre à cette question si l’envoi de troupes étrangères au milieu d’une guerre civile protégeait mécaniquement les populations. Or l’observation empirique des interventions militaro-humanitaires conduites depuis la fin de la guerre froide montre que déployer des troupes et protéger des civils sont deux choses différentes. Offrir une protection militaire est un acte de guerre à part entière qui implique de s’engager dans les hostilités sans certitude aucune de l’emporter ni d’éviter un bain de sang pour les populations civiles. Les trois interventions étrangères généralement citées en exemple par les partisans de la R2P – l’intervention britannique en Sierra Léone (2000), celles de l’Australie au Timor-Est (1999) et de l’OTAN au Kosovo (1999) – sont en la matière riches d’enseignements. Rappelons en brièvement les enjeux.</p> <p>L’intervention britannique en Sierra Leone a permis de mettre un terme aux violences contre la population victime depuis 1991 d’une guerre particulièrement brutale. Les 650 commandos débarqués en mai 2000 en soutien aux forces pro-gouvernementales et aux 11 000 casques bleus des Nations unies ont fait la guerre aux rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF). Ils l’ont ainsi contraint à signer et respecter un ultime accord de paix, permettant au régime de Freetown de rétablir sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. La paix a été imposée au prix d’une grande tolérance à l’égard des crimes de guerres des forces pro-gouvernementales, d’un embargo sur l’aide humanitaire en zones RUF et du transfert des combattants les plus irréductibles vers le&nbsp;Liberia où certains furent encouragés à renverser Charles Taylor<span class="annotation">Cf. Fabrice Weissman, ‘‘Sierra Leone: La paix à tout prix,’’ in A l’ombre des guerres justes. L’ordre international cannibale et l’action humanitaire, ed. Fabrice Weissman (Paris : Flammarion, 2003), 53-73.</span><span>.</span></p> <p>Au Timor-Est, les troupes australiennes débarquées sous bannière de l’ONU en septembre 1999 ont combattu les milices anti-indépendantistes, aidant ainsi les Timorais à se libérer du joug de l’occupation indonésienne responsable du massacre d’environ 40 % de la population dans les années 1970-1980. Tardive, l’intervention australienne n’a pu empêcher la mise à sac de la capitale Dili ni la déportation de 260 000 Timorais vers l’ouest indonésien de l’île par les milices en&nbsp;fuite.<span class="annotation">Cf. Gilles Gonzalez-Foerster, ‘‘Timor : mieux vaut tard que jamais,’’ in A l’ombre des guerres justes. L’ordre international cannibale et l’action humanitaire, ed. Fabrice Weissman (Paris : Flammarion, 2003), 37-52.</span></p> <p>Au Kosovo, l’intervention de l’OTAN au printemps 1999 a renversé le régime d’apartheid instauré par les nationalistes serbes et mis un terme aux nombreuses exactions de ces derniers. Elle a permis aux Kosovars albanais de recouvrer une plus grande liberté et de satisfaire leur aspiration à l’autodétermination. A cette fin, elle a impliqué l’invasion et l’occupation durable de l’ancienne province yougoslave et son placement sous tutelle internationale. Censée préserver un Kosovo multiethnique sans porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’ex-Yougoslavie, l’opération internationale s’est soldée par l’accession à l’indépendance du Kosovo et l’expulsion de son territoire d’une grande partie des minorités serbe et rom par les milices nationalistes albanophones.</p> <p>Il ne s’agit pas là de contester le bien-fondé de ces opérations mais de souligner qu’il s’agit de guerres contre des ennemis désignés<span class="annotation"><span>Le RUF et son parrain Charles Taylor en Sierra Leone et au Libéria, les milices pro-indonésiennes au Timor, l’armée yougoslave et les milices nationalistes serbes au Kosovo.</span></span><span>, gagnées en peu de temps, sur des territoires de petites tailles dont l’écrasante majorité de la population soutenait l’intervention étrangère. Comme toute entreprise politique, ces interventions ont fait des gagnants et des perdants, y compris parmi les&nbsp;</span>civils. Enfin, si elles se sont globalement traduites par une amélioration de la sécurité des populations, c’est qu’elles ont rapidement permis à l’intervenant ou à ses alliés de prendre le contrôle d’un territoire et d’y exercer le monopole de la violence physique légitime – autrement dit gouverner.</p> <p>De fait, les planificateurs militaires américains invités par le Carr Center à développer un concept militaire opérationnel permettant de traduire en actes la R2P en cas de « crimes de masses dans un pays d’Afrique sub-saharienne enclavé » retiennent trois options<span class="annotation">Mass Atrocity Response Operations (MARO) Project , ‘‘MARO Project Sample User’s Guide, Scenario Number 1,&nbsp;Mass Atrocity in Country X A Land-Locked Country in Sub-Saharan Africa,’’ (February 18, 2009), http://www.hks.harvard.edu/cchrp/maro/pdf/sub_saharan_scenario.pdf&nbsp;<span>(accessed March 15, 2010).</span></span><span>&nbsp;: en premier lieu l’invasion et l’occupation totale du pays, le renversement du régime criminel et l’installation d’un gouvernement&nbsp;</span>provisoire (autrement dit une solution à l’irakienne, qui a leur préférence) ; en second lieu, l’occupation partielle du territoire afin de créer des « zones sûres » administrées par les forces internationales où les civils menacés pourront se réfugier ; enfin, l’évacuation des civils à travers la frontière d’un pays voisin hébergeant des camps de réfugiés sécurisés – une option rarement évoquée par les partisans de la R2P qui n’envisagent jamais l’application du droit d’asile comme un moyen de soustraire les civils à la violence.</p> <p>Les scénarios produits par les planificateurs militaires de la R2P ont le mérite de décrire les implications concrètes de l’usage de la violence militaire pour protéger des populations en situation de guerre : envahir et occuper tout ou partie d’un pays, imposer sa souveraineté ou celle d’un allié sur un territoire disputé. En d’autres termes, protéger des populations ne relève pas du <em>maintien de l’ordre </em>à la manière de forces de police dans un Etat en paix, mais de <em>la création par la violence d’un ordre politique nouveau</em>.</p> <p>Il s’agit bien entendu d’une entreprise périlleuse soumise aux aléas de la guerre, exposée aux risques d’échec, d’escalade et de massacres de civils. En Somalie, les troupes américaines et onusiennes débarquées en 1992-1993 pour « sécuriser l’aide humanitaire » dans un contexte de famine et d’insécurité généralisées ont été incapables de protéger les civils et se sont rapidement transformées en partie au conflit responsable de nombreuses exactions (bombardements d’hôpitaux et de locaux d’organisations de secours, torture et assassinat de non-combattants,&nbsp;massacres de civils<span class="annotation">Cf. Rony Brauman, Somalie : Le crime humanitaire, (Paris : Arléa, 1993) ; Rony Brauman, ‘‘Somalia : A&nbsp;Humanitarian Crime,’’ (1993), http://www.msf-crash.org/drive/95d4-rb-1993-somalia-a-humanitarian-crime-_uk- p.10_.pdf&nbsp;<span>(accessed March 15, 2010)</span></span><span>). En Bosnie, les populations qui avaient cru aux promesses de protection&nbsp;</span>des Nations unies et s’étaient réfugiées dans les « zones de sécurité » de Zepa et Srebrenica ont été déportées et massacrées sous le regard des Casques bleus.</p> <p>L’équation « intervention militaire = protection des populations » n’est pas plus automatique quand l’intervenant fait preuve de détermination politique et y consacre d’importants moyens. Selon l’approche « population-centrée » développée par le Général Petraeus en Irak à partir de 2007 et par le Général McChrystal en Afghanistan depuis juin 2009, la « protection des populations » est désormais le principal objectif stratégique des forces armées américaines (« toutes les actions contre-insurrectionnelles doivent avoir pour objectif la protection de la population indigène »&nbsp;affirme Petraeus<span class="annotation">David H. Petraeus and John A. Nagel, ‘‘Préface : David Galula, le Clausewitz de la contre-insurrection,’’ in Contre- insurrection. Théorie et pratique, David Galula (Paris : Economica, 2008), VIII.</span>). Pour les stratèges américains, seul le soutien de la population permet de gagner la guerre. Or celui-ci s’obtient en répondant à son « besoin vital de sécurité »<span class="annotation">Galula, Contre-insurrection, 25. Selon David Galula, ancien officier de l’armée française devenu à titre posthume le maître à penser des théoriciens américains de la contre-insurrection, « l’attitude de la population au cœur du conflit est moins dictée par les mérites et la popularité relative des adversaires que par son besoin vital de sécurité. Quel est celui des opposants qui offre la meilleure protection, celui qui menace le plus, celui dont la victoire est le plus probable : tels sont les critères qui déterminent le choix de la population en faveur de l’un ou de l’autre. C’est d’autant plus vrai bien sûr, si l’un des camps ajoute la popularité à son efficacité. » A défaut de terroriser les populations pour qu’elles craignent plus encore les forces internationales que les insurgés (ce que les armées démocratiques ont renoncé à faire), les Etats-Unis ont donc décidé de devenir leur protecteur.</span><span>. La protection des civils est vue comme le chemin le plus sûr vers la victoire – qui protège gagne. Or, force est de constater qu’en dépit des 200 000 hommes et de leur équipement de pointe, les&nbsp;</span>armées démocratiques n’ont pas réussi à s’affirmer comme la force de protection la plus efficace ni la plus populaire comme l’illustrent la multiplication des attentats et la progression des insurgés.</p> <p>Il n’y a pas de parade juridico-technique aux violences de guerre permettant de garantir que les populations qu’on entend secourir seront effectivement protégées et assistées. Appeler à la protection militaire des populations, c’est vouloir une « guerre juste » et l’avènement par la violence d’un ordre politique nouveau – une entreprise à l’issue toujours incertaine et condamnée à faire des victimes parmi les populations dont on entend assurer le salut.</p> <h3><br /> Autonomie de la démarche humanitaire</h3> <p>C’est pourquoi MSF a renoncé à appeler à l’usage de la force pour protéger des populations et des secours. Accéder au champ de bataille et assister en toute impartialité les non-combattants, quel que soit leur camp, implique que nous renoncions à nous prononcer sur la légitimité des buts de guerre poursuivis par les belligérants. Une guerre juste déclenchée au nom de la protection des civils n’a aucune raison d’échapper à cette règle. Pas plus que nous n’étions pour ou contre l’invasion américaine de l’Irak pour « mettre un terme aux souffrances du peuple irakien », nous ne pouvons être pour ou contre une guerre déclarée aux factions congolaises (par exemple) au nom de la « responsabilité de protéger ». Il s’agit là d’un principe opérationnel, d’une condition préalable pour défendre une position de tiers au conflit et revendiquer à ce titre de ne pas être pris pour cible dans l’accomplissement des activités de secours. Quel argument pourrions-nous opposer à des factions congolaises refusant l’accès aux zones qu’elles contrôlent au motif que nous soutenons les forces internationales qui leur font la guerre ?</p> <p>Par ailleurs, « distribuer l’aide à la pointe du fusil », comme l’y encourageait R. Kaplan en Birmanie en invoquant la R2P,<span class="annotation"><span>Robert D. Kaplan, ‘‘Aid at the Point of a Gun,’’ The New York Times, May 14, 2008, Op-Ed.</span></span><span>est incompatible avec les modes opératoires adoptés par MSF. Pour la bonne et simple raison que militariser un convoi ou un poste de santé humanitaires, c’est&nbsp;</span>les transformer en cible militaire. Les organismes d’aide médicaux qui opèrent aujourd’hui en Afghanistan sous la protection rapprochée des forces internationales ou des compagnies de sécurité pro-gouvernementales en font l’amère expérience. Considérées comme des cibles légitimes par les insurgés, elles ont participé à la transformation des structures de soins en champs de bataille, désertées par les populations. Rappelons que la grande originalité du droit international humanitaire moderne est d’avoir institué la démilitarisation des espaces de soins et de secours ainsi que celle de leur personnel, seule à même de garantir un accès impartial à toutes les victimes du conflit. Les organisations humanitaires qui en appellent aujourd’hui à plus de troupes étrangères pour garantir leur sécurité participent en ce sens à la régression de l’espace humanitaire et ne font que contribuer à leur propre impuissance.</p> <p>Mais au delà de ces raisons opérationnelles, il est une raison plus philosophique qui interdit l’appel aux armes : le but de l’action humanitaire est de contenir les violences de guerre, ce qui implique qu’elle ne peut en justifier de nouvelles. C’est ce que le CICR avait cru bon de rappeler en 1994, quelques mois après que le Conseil de sécurité ait voté deux résolutions autorisant le recours à la force en Somalie « afin d’instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les&nbsp;opérations de secours humanitaire. »<span class="annotation"><span>United Nations Security Council, ‘‘Resolution 794,’’ S/RES/794 (December 3, 1992).</span></span><span>Le Comité avait alors souligné que c’était bien au titre du&nbsp;</span>chapitre VII de la Charte des Nations unies et non au titre du droit international humanitaire que le Conseil de sécurité avait autorisé l’usage des armes. Quand bien même le Conseil agissait dans l’intention de lutter contre les violations du droit international humanitaire (en l’occurrence les obstacles à l'acheminement de l'aide), il ne pouvait prétendre agir au nom du DIH : « Car le droit international humanitaire part de la prémisse que tout conflit armé entraîne des souffrances humaines, et entreprend de développer un ensemble de règles destinées précisément à alléger ces souffrances. Il serait en effet logiquement et juridiquement indéfendable de déduire que ce&nbsp;même droit autorise le recours à la force armée, y compris dans des cas extrêmes. »<span class="annotation">Umesh Palwankar, ‘‘Mesures auxquelles peuvent recourir les Etats pour remplir leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire,’’ Revue internationale de la Croix-Rouge no. 805 (1994) : 11-27.</span><span>&nbsp;Autrement&nbsp;</span>dit, « shoot to feed » ou « shoot to heal » est incompatible avec la logique humanitaire. MSF ne veux pas devenir un énième acteur au conflit dont la stratégie militaire serait fixée par des impératifs de santé publique. Si nous ne sommes pas pacifistes, nous sommes non-violents.</p> <p>L’ambition de l’action humanitaire est de « civiliser » les guerres, grâce à la distinction entre combattants et non-combattants. Elle n’est pas de mener des « guerres de civilisation » qui partagent le monde entre civilisés et barbares, ouvrant ainsi la voie à une violence débridée. Certes, les pères fondateurs du CICR et les premiers humanitaires avaient à cet égard une autre opinion. Nombre d’entre eux estimaient que les « peuples primitifs » devaient être civilisés (y compris par la force) avant de pouvoir bénéficier de la protection du droit international humanitaire. A la fin du 19<span>ème</span><span> </span>siècle, Gustave Moynier, co-fondateur de la Croix rouge et initiateur des premières conventions de Genève jugeait les progrès du droit international humanitaire&nbsp;inaccessibles « aux tribus sauvages, qui pratiquent le cannibalisme, font la guerre à outrance et cèdent sans arrière pensée à leurs instincts brutaux, tandis que les nations civilisées, cherchant à l’humaniser, confessent par la-même que tout ce qui s’y passe n’est pas licite. »<span class="annotation">Gustave Moynier, Les causes du succès de la Croix-Rouge (Paris : Académie des sciences morales et politiques, 1888). Cité dans Alain Destexhe, L’humanitaire impossible ou deux siècles d’ambiguïté (Paris : Armand Colin, 1993).</span>Ces représentations perdureront bien après la Seconde mondiale, comme l’illustre la position du CICR face au soulèvement Mau Mau au Kenya (1952-59)<span class="annotation">Nicolas Lanza, ‘‘Le Comité international de la Croix-Rouge et le soulèvement des Mau-Mau au Kenya, 1952-1959,’’&nbsp;Relations internationales&nbsp;<span>no. 133 (2008/1) : 91-110.</span></span><span>. Le comité refusera longtemps de se préoccuper du sort des 80 000 personnes internées par les autorités britanniques au motif que les détenus Mau-Mau étaient trop « primitifs » pour comprendre « les notions de charité et de&nbsp;</span>solidarité qui sont à la base de la Croix-Rouge ». « Les notions humanitaires (…) sont pour le moment inaccessibles à la masse noire, naturellement cruelle » expliquait en 1962 le délégué du CICR pour l’Afrique équatoriale.</p> <p>Dans l’esprit d’un grand nombre d’humanitaires et philanthropes du 19<span>ème</span><span> </span>et d’une partie du 20<span>ème</span><span> </span>siècle, les sauvages devaient être élevés au statut de civilisé pour prétendre à la protection du droit international humanitaire. C’est pourquoi ils soutenaient les entreprises coloniales européennes. Dans son livre consacré au milieu des juristes internationaux à Genève à la fin du 19<span>ème</span><span> </span>siècle, le professeur Martti Koskenniemi explique que les praticiens du DIH considéraient lacolonisation comme un devoir moral s’exerçant dans le cadre du droit naturel et des droits de l’homme.<span class="annotation">Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations: The Rise and Fall of International Law 1870-1960&nbsp;(Cambridge: Cambridge University Press, 2002).</span>Non qu’ils faillent traiter les colonisés en égal des Européens, mais « comme des enfants, par la gentillesse et la persuasion » soutenait en 1885 le juriste Joseph Hornung de l’Institut du droit international de Genève, considéré par ses collègues comme « un humanitaire radical ».<span class="annotation">Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations, 129.</span><span>Jugeant que « l’hégémonie et la curatelle exercées par le fort » étaient légitimes, dès lors qu’elles s’exerçaient « dans l’intérêt du faible, en vue de sa future et complète émancipation »,&nbsp;</span>il reprochait aux puissances coloniales leur manque d’ambition, les exhortant à exporter des structures administratives et un système juridique permettant aux non-civilisés d’accéder à la souveraineté (on dirait aujourd’hui à l’exercice de leur responsabilité de protéger). En définitive, explique Koskenniemi, si la colonisation était vécue par les juristes internationaux comme une nécessité historique dont il convenait d’adoucir les rigueurs, elle était aussi pensée comme un devoir moral en vue de la constitution d’une fédération mondiale d’Etats souverains soumis au règne des lois humanitaires. Cette opinion était largement dominante dans les milieux humanitaires de l’époque – en France notamment, où la Ligue des droits de l’homme se prononça en 1931 pour une « colonisation démocratique », rejetant l’idée de « droit de conquête » au profit de celle de « mission civilisatrice » revendiquée par la doctrine coloniale officielle de la IIIème&nbsp;République.<span class="annotation">Matthieu Méance, <em>La Ligue des Droits de l’Homme et les Africains </em>(Paris : Collection les cahiers du Centre fédéral Henri Aigueperse N° 44, 2006).</span></p> <p>Le refus de MSF d’appeler à des guerres justes doit se comprendre à la lumière de la dimension impériale manifestée par l’universalisme libéral depuis le 19<span>ème</span><span> </span>siècle. Nous voulons rompre avec une tradition humanitaire qui conjugue abolition de l’esclavage avec travail forcé, droits de l’homme avec colonisation, aide humanitaire avec débarquement militaire, libération des femmes afghanes avec bombardements aériens. En un mot, nous voulons rompre sans ambiguïtés avec toutes les politiques de force agissant sous le couvert de l’universalisme humanitaire.</p> <p>Voulant soumettre le monde à sa norme d’humanité, l’universalisme en armes est autant un processus d’inclusion que d’exclusion rejetant ce qui lui résiste au-delà des frontières de l’humain. Il recèle un principe intégrateur mais également un principe tyrannique : l’inévitable éradication de ce qui obéit à d’autres codes et résiste à l’inclusion. Les commentaires d’Alexis de Tocqueville sur&nbsp;le sort des Amérindiens dans la Révolution américaine le révèlent sans ambages remarque le philosophe Alain Brossat.<span class="annotation">Alain Brossat, <em>L’épreuve du désastre. Le XXème siècle et les camps </em>(Paris : Bibliothèque Albin Michel Idées, 1996).</span><span>Corps étrangers à l’expansion démocratique, décrits par la Déclaration d’indépendance comme des « sauvages sans pitié, dont la manière bien connue de faire la guerre&nbsp;</span>est de tout massacrer, sans distinction d’âge, de sexe ni de condition », les Amérindiens furent anéantis selon les méthodes qui leurs sont reprochées, faute de faire la guerre avec humanité et d’être solubles dans la démocratie. « Tout semble en effet se passer comme si le mouvement inclusif [de l’universalisme démocratique] dessinait simultanément une limite, une frontière, un bord à partir desquels l’énergétique inclusive s’inversait rigoureusement : au delà de cette borne, on n’inclut plus, on n’exclut » commente Brossat. Si en Occident l’universalisme des droits de l’homme est associé à la défense des libertés, il renvoie aussi dans les anciens pays colonisés à l’expérience de la conquête et de la domination – ce qui ne semble pas émouvoir le co-président de la CIISS et avocat infatigable de la responsabilité de protéger, Gareth Evans, qui dans son ouvrage de référence sur la R2P semble trouver flatteur d’être comparé par un officiel sri-lankais à&nbsp;Christophe Colomb et Vasco de Gamo débarquant « la bible et le sabre à la main »<span class="annotation">Evans, <em>The Responsibility to Protect</em>, 4. Afin de souligner le rôle clef qu’il a joué dans l’élaboration et la promotion de la R2P, G. Evans met en exergue cette remarque d’un propagandiste sri lankais : « Just like in the past when&nbsp;Columbus in 1492 and Vasco de Gama in 1498 came with the Bible and the sword, the likes of Gareth Evans now come in 2007 with R2P. »</span><span>.</span></p> <p>Le partage de l’humanité entre inclus et exclus n’est certes pas l’apanage de l’expansion démocratique ni des conquêtes menées sous le sceau de l’universalisme – bien qu’il y trouve l’occasion de s’y affirmer de manière radicale. Les politiques de pacification comme la production de tout ordre politique génèrent immanquablement leurs quotas de victimes, d’exclus, de « résidus » voués à une mort lente ou violente. Les Sierra-Léonais et les Libériens sacrifiés à la pacification de la Sierra Léone tout comme les « victimes collatérales » des opérations de protection de la population afghane en sont le témoignage : « on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs ». Or nous voyons précisément l’action humanitaire comme « la révolte des œufs ». Nos secours s’adressent en priorité à ceux qui forment les « restes muets de la politique »<span class="annotation">Selon l’expression de Michel Foucault. Michel Foucault, ‘‘Face aux gouvernements, les droits de l’homme,’’ in&nbsp;Dits et écrits<span>, Michel Foucault (Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1994), vol IV, p. 708.</span></span><span>, les hommes et les femmes dont l’existence est remise en cause par les arbitrages&nbsp;</span>des pouvoirs politico-militaires d’autant plus radicaux qu’ils se revendiquent de l’universalisme humanitaire.</p> <p>Précisons qu’il ne s’agit pas de défendre un pacifisme radical et encore moins d’opposer les « vertus de l’humanitaire » au « cynisme de la politique ». Nous entendons seulement affirmer l’autonomie de deux démarches qui ont tout à perdre à se confondre : celle des pouvoirs politico- militaires, chargés des intérêts <em>durables </em>de la collectivité, et nécessairement appelés à trancher entre des intérêts contradictoires et à sacrifier des vies humaines, y compris parmi les non- combattants ; celle d’un contre-pouvoir humanitaire, résolument situé aux côtés des perdants dont elle cherche à préserver la vie <em>ici et maintenant </em>tout en questionnant les raisons de leur sacrifice. Appeler à la guerre revient à renoncer à ce qu’il y a de spécifique à agir et penser sous le nom d’humanitaire.</p> <h3><br /> Circonstances exceptionnelles</h3> <p>Est-ce à dire que MSF n’appellera jamais à l’usage de la force dans aucune situation ? En l’état actuel de nos débats, la réponse est jamais… sauf exceptions. Nul ne peut dire en effet si des circonstances exceptionnelles ne pousseront pas MSF un jour à abandonner temporairement son rôle humanitaire et à entrer de plein pied dans le débat politique pour exiger l’usage de la force. A ce titre, la décision de MSF en juin 1994 de qualifier les massacres au Rwanda de génocide et d’appeler à une intervention militaire immédiate contre les auteurs du génocide – et non à une force neutre pour protéger les civils – doit être vue comme l’exception qui confirme la règle.</p> <p>Mais une chose est sûre, quiconque appelle aux armes doit expliciter ses intentions : la guerre certes, mais contre qui, avec qui, à quel prix, pour quelle politique… et pourquoi ici plutôt qu’ailleurs. Les organisations humanitaires qui réclament régulièrement l’envoi de troupes au nom de la R2P répondent rarement à ces questions pas plus qu’elles ne précisent quel ordre politique la guerre est censé faire advenir et en quoi il serait plus à même de garantir la sécurité des populations. Lorsqu’en décembre 2008, huit ONG parmi lesquelles les HRW, Oxfam, Caritas- France et CARE appellent l’Union européenne à remplir sa « responsabilité de protéger » en usant de sa « capacité militaire et opérationnelle » pour « déployer une force qui pourrait dès aujourd’hui protéger efficacement les populations » dans l’est de la République Démocratique du&nbsp;Congo, elles ne stipulent pas comment<span class="annotation"><span>ACAT France / CARE / COSI / FIDH / HRW / LDH / Secours Catholique – Caritas France ? ‘‘ RD Congo : La France doit montrer l’exemple’’, Communiqué de presse (10 décembre 2008)</span></span><br /> <span>&nbsp;: doivent-elle pacifier l’intégralité du Congo oriental et les&nbsp;</span>mettre sous tutelle internationale pour le compte de l’ONU ? Renforcer les troupes gouvernementales dans leur lutte contre les rebelles ? Mettre un terme aux ingérences des pays voisins, l’Ouganda et le Rwanda ? Toutes ces questions sont ignorées au nom de l’urgence humanitaire, le déploiement de troupes internationales étant supposé en lui-même instaurer l’ordre et la sécurité… Et quand Oxfam par exemple, déplore que l’envoi de troupes des Nations unies au Tchad se révèle incapable de garantir la sécurité des civils, c’est pour exiger plus de troupes&nbsp;encore sans s’interroger sur les raisons de leur échec ni sur la politique et la stratégie qu’elles doivent mettre en œuvre.<span class="annotation">Oxfam, ‘‘Tchad: l'ONU incapable de protéger les civils,’’ Communiqué de presse (9 septembre 2008) ;</span></p> <p>Soulignons pour conclure que le débat sur l’opportunité de déclencher une guerre juste ne peut être tranché par l’application d’une norme ou d’une règle de droit formel – pas plus pour MSF que pour les partisans de la R2P. Il serait particulièrement absurde de définir un seuil de violence contre les civils dont le franchissement ouvrirait la voie à une intervention armée. Car interdire les tueries et les déportations à partir d’un certain seuil, c’est les autoriser en deçà.</p> <p>Buttant sur cette aporie, la R2P ne peut-être qu’une théorie de la guerre juste aussi vague et subjective que le droit d’ingérence humanitaire. La référence aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et nettoyage ethnique n’est pas d’un grand secours pour définir les conditions du recours à la force. C’est ce que reconnaît lui-même Gareth Evans dans son ouvrage de référence sur la responsabilité de protéger : « l’éventail des conduites relevant de&nbsp;crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité est extrêmement large »<span class="annotation">Evans, <em>The Responsibility to Protect</em>, 12.</span><span>, la notion de&nbsp;</span>« ‘nettoyage ethnique’ n’a aucune définition légale formelle »<span class="annotation">G. Evans ne donne pas de definition du nettoyage ethnique se contentant d’expliquer: « It can be accomplished in a number of ways, including outright killing, expulsion, acts of terror designed to encourage flight, and rape when perpetrated either as another form of terrorism or as a deliberate attempt to change the ethnic composition of the group in question. » Evans, <em>The Responsibility to Protect</em>,&nbsp;<span>13.</span></span><span>, quant à celle de « génocide », son usage fait l’objet de nombreuses controverses comme au Soudan.</span></p> <p>Craignant les arguties juridiques qui pourraient faire le jeu des pouvoirs criminels Gareth Evans propose donc d’oublier les catégories définissant le champ de la R2P et de s’en tenir aux situations caractérisées par des « crimes de masse atroces » (<em>mass atrocity crimes</em>) – autrement dit d’en appeler à la morale. Il précise par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire que des atrocités aient déjà eu lieu ni d’avoir épuisé toutes les options diplomatiques pour passer à l’action militaire. Il suffit d’avoir « la preuve que des tueries ou des nettoyages ethniques à grande échelle sont&nbsp;probables »<span class="annotation">Evans, <em>The Responsibility to Protect</em>, 144. “It is absolutely clear that military action can be legitimate as an&nbsp;anticipary measure in response to clear evidence of likely large-scale killing or ethnic cleansing.”</span><span>et « des raisons valables de penser qu’en toutes circonstances, des mesures moins&nbsp;</span>extrêmes [que la guerre] ne marcheraient pas. »<span class="annotation">Evans, <em>The Responsibility to Protect</em>, 144;&nbsp;<span>« what is necessary is simply that there be reasonable grounds for believing, in all the circumstances, that these other less extreme measures would not have worked. »</span></span>En définitive, conclue-t-il, le choix des pays où l’usage de la violence s’impose relève de « jugements non quantifiables et subjectifs. »<span class="annotation">Evans, <em>The Responsibility to Protect</em>, 75.</span><span>Afin d’établir une liste de pays prioritaires, il suggère de s’en remettre aux experts de l’International Crisis Group dont il fut le président.</span></p> <p>Existe-t-il un conflit au monde où les civils sont à l’abri de tueries, de viols et de déplacements forcés ? De toute évidence, non et depuis longtemps... La R2P se présente donc comme une doctrine de la guerre préventive applicable à tous les pays en conflits ou susceptibles d’y sombrer, dès lors qu’ils remplissent les critères « subjectifs et non quantifiables » définis par celui qui l’invoque. C’est pourquoi elle est ouverte à toutes les interprétations. Si elle permet à Gareth Evans de militer pour un gouvernement du monde par les experts et les philosophes – habilités à désigner à qui les démocraties libérales doivent déclarer la guerre – elle permet également aux Etats d’énoncer leurs préférences politiques dans un langage moral universel. C’est ainsi que le gouvernement du Sri Lanka a défendu la guerre totale contre la guérilla séparatiste des Tigres tamouls comme la plus « vaste opération de secours humanitaire au monde »<span class="annotation">Voire par exemple, Sri Lanka Ministry of Defense, ‘‘Sri Lanka - the only nation to have defeated LTTE &amp; ended Terrorism,’’ http://www.defence.lk/new.asp?fname=20090518_12&nbsp;<span>(accessed on March 15, 2009)</span></span>et l’accomplissement le plus abouti de la « responsabilité de protéger ».<span class="annotation">Voire par exemple, Ambassador Palitha Kohona Permanent Representative of Sri Lanka to the United Nations,&nbsp;Security Council Debate on Protection of Civilians in Armed Conflict, ‘‘Statement on the Protection of Civilians,’’ (November 11, 2009), http://www.slmission.com/statements/security-council/86-security-council/380-statement-on-protection-of-civilians.html&nbsp;<span>(accessed on March 15, 2009)</span></span><span>&nbsp;</span>De même le président Russe a justifié l’intervention de ses troupes en Ossétie du Sud comme la « seule possibilité de sauver des vies » face à un pouvoir « ayant opté pour le génocide afin d’accomplir ses objectifs politiques. »<span class="annotation"><a>39</a> ‘‘Medvedev’s Statement on South Ossetia<a href="http://www.nytimes.com/2008/08/27/world/europe/27medvedev.html?_r=1"> </a>and<a href="http://www.nytimes.com/2008/08/27/world/europe/27medvedev.html?_r=1"> </a>Abkhazia,’’ The New York Times, August 26, 2008. http://www.nytimes.com/2008/08/27/world/europe/27medvedev.html?_r=1&nbsp;<span>(accessed on March 15, 2009)</span></span><span>&nbsp;</span>A l’occasion de son premier discours devant le Conseil de sécurité le 29 janvier 2009, la nouvelle ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU a clairement apporté son soutien à la R2P, affirmant que « la communauté internationale a la responsabilité de protéger les populations civiles des violations du droit international humanitaire lorsque les Etats refusent ou sont incapables de le faire », quitte à agir « de manière précoce et décisive ».<span class="annotation">USUN State Release, ‘‘Statement by Ambassador Rice on International Humanitarian Law’’ (January 29, 2009)&nbsp;http://www.america.gov/st/texttrans-english/2009/January/20090130083551eaifas0.5116693.html#ixzz0iHX5PixD&nbsp;<span>(accessed March 15, 2009).</span></span><span>Cette responsabilité, a- t-elle précisé, doit notamment s’exercer en Afghanistan, où « les forces Taliban emploient délibérément des tactiques destinées à augmenter le nombre de morts civiles innocentes », et à&nbsp;</span>Gaza où des « violations du droit international humanitaire ont été perpétrés par le Hamas » et où de « nombreuses allégations ont été émises à l’encontre d’Israël, dont certaines cherchent délibérément à enflammer [la situation] ».<span class="annotation">Soulignons au passage que la retranscription du discours de Susan Rice sur le site de la Coalition internationale&nbsp;pour la R2P reproduit les passages où l’ambassadrice soutient la R2P tout en omettant ceux où elle revendique son application par les USA en Afghanistan et en Israël. International Coalition for the Responsibility to Protect, ‘‘US Ambassador to the UN Susan Rice Voices US Support for R2P’’, http://www.responsibilitytoprotect.org/index.php/crises/37-the-crisis-in-darfur/2109-us-ambassador-to-the-un-susan- rice-voices-us-support-for-rtop (accessed March 15, 2009).</span></p> <p>On comprend dans ces conditions la résistance des pays du Sud à la légalisation de la R2P. Comment pourraient-ils soutenir une norme aussi vague autorisant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité à décider quel pays peut être envahi et occupé pour protéger des innocents, alors même que l’intégrité territoriale de ces puissances « protectrices » est farouchement défendue par la menace d’un Holocauste nucléaire – crime contre l’humanité s’il en est ? L’exercice de la R2P étant condamné à épouser les rapports de forces et de domination qui structurent la scène internationale, la légaliser ne reviendrait rien mois qu’à légaliser une nouvelle forme d’impérialisme – raison supplémentaire pour MSF de s’en distancier.</p> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Fabrice Weissman, Responsabilité de protéger : le retour à la tradition impériale de l’humanitaire, 15 mars 2010, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/responsabilite-de-proteger-le-retour-la-tradition-imperiale-de">https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/responsabilite-de-proteger-le-retour-la-tradition-imperiale-de</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3965" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3965&amp;2=reading_list" token="eY2SNKZTG4hkRClSKYW0aWLxiT2qqr7-uMaEZSdmJoI"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">Responsabilité de protéger : le retour à la tradition impériale de l’humanitaire</span> Mon, 15 Mar 2010 01:00:00 +0000 Corinne-03 3965 at https://msf-crash.org Zones à protéger https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/zones-proteger <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2009-03-01T12:00:00Z" class="datetime">01/03/2009</time> </div> </div> <span rel="schema:author" class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/62" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Charlene-01</span></span> <span property="schema:dateCreated" content="2009-03-01T01:00:00+00:00" class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">dim, 03/01/2009 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/espace-humanitaire" property="schema:about" hreflang="fr">espace humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" property="schema:about" hreflang="fr">DIH</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Rony Brauman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3221" role="article" about="/index.php/fr/rony-brauman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4256.jpg?itok=nCrBsaSM" width="180" height="230" alt="Rony Brauman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Rony</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Brauman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/rony-brauman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p>« Le soldat doit être parmi les paysans comme un poisson dans l'eau », disait Mao-Tsé-Toung. Se fondre dans la population et s'en nourrir pour mieux attaquer l'ennemi par surprise, l'organiser politiquement et s'y dissimuler pour échapper aux contre-attaques ennemies, voilà qui constituait le noyau dur de la guerre révolutionnaire. À de rares exceptions près, les insurrections armées ne se réclament plus, depuis belle lurette, des théories maoïstes de la prise de pouvoir par la violence mais elles continuent d'en appliquer les méthodes. Du côté des armées gouvernementales, on a depuis longtemps intégré cette stratégie dans les méthodes de guerres contre-insurrectionnelles, qui visent donc à vider le bocal pour asphyxier le poisson. Tous les conflits armés « asymétriques », c'est-à-dire opposant des forces irrégulières à des armées étatiques, s'inscrivent dans ce cadre.</p> <p>Les conventions de Genève, qui encadrent juridiquement la conduite de la guerre, sont fondées notamment sur un principe de distinction entre combattants et non-combattants, c'est-à-dire sur le respect de la vie de ceux qui ne participent pas au conflit ou ont été mis hors de combat (civils, blessés, prisonniers). L'obligation faite aux combattants d'être visibles en tant que tels découle de ce principe : l'uniforme désigne les cibles légitimes au regard du droit humanitaire. Ou plutôt découlait, car les combattants ne sont en effet plus tenus de se distinguer en permanence des&nbsp;civils, depuis l'adoption des protocoles additionnels aux conventions de Genève adoptés en 1977&nbsp;<span><span class="annotation">Voir Véronique Harouel-Bureloup, Traité de droit humanitaire, PUF, 2005, p. 300 et sq.</span></span>.&nbsp;Pour tenir compte de la réalité des conflits du XXe siècle, il fallait donner un statut aux guérilleros, dissimulés dans la population civile mais bénéficiant des dispositions humanitaires en cas de capture. L'obscurcissement de cette distinction pourtant fondamentale pour le droit humanitaire n'a pas échappé aux juristes de la Croix-Rouge, qui ont donc choisi d'adapter le droit de la guerre à la guerre, faute de pouvoir faire le contraire.</p> <p>Dans ces conditions, la notion de « bouclier humain » est particulièrement difficile à cerner, sujette à interprétations infinies. Les représailles contre les civils sont interdites, de même que l'utilisation de civils pour mettre certains points ou certaines zones à l'abri des opérations militaires ou pour empêcher une riposte. À quel moment un groupe de guérilla immergé dans « sa » population peut-il être accusé d'utiliser celle-ci comme bouclier humain ? Et comment imaginer, à l'inverse, qu'une armée puisse distinguer ce qui est indistinguable ?</p> <p>S'il est impossible, par définition, de sanctuariser un territoire qui est l'enjeu d'un conflit, il est pensable de déclarer zones protégées et de signaler comme telles certains lieux précis de ce territoire, tels que hôpitaux, écoles, abris de populations civiles. Que ce soit au Darfour ou à Gaza, au Sri-Lanka ou en Somalie, la sanctuarisation humanitaire de lieux précis ne modifierait guère le cours de la guerre ni ne changerait rien à son issue et ce n'est pas ce qu'il faut en attendre. Mais en punissant lourdement la violation de ces sanctuaires, des limites plus nettes lui seraient fixées. À vouloir légiférer sur la violence de masse en général, ce qui est la tendance de la Cour pénale internationale, on s'expose à en niveler les enjeux et à perdre toute prise sur la réalité. Inverser cette tendance en limitant le cadre des crimes de guerre punissables redonnerait au droit humanitaire, qui par ailleurs n'a pas été conçu comme une mise en accusation mais comme un cadre normatif, une vigueur dont il a grand besoin. Tout usage des boucliers humains dans le sens indiqué plus haut et toute attaque contre un « sanctuaire humanitaire », quelles qu'en soient les justifications, pourrait faire l'objet de poursuites pénales à l'encontre des combattants impliqués, soldats ou guérilléros. Reste que ce ne sont évidemment pas le droit et ses prescriptions, mais la politique et ses compromis, qui peuvent venir à bout de cette abomination qu'est la guerre.</p> <p><a href="https://www.alternatives-economiques.fr/rony-brauman/zones-a-proteger/00070804" target="_blank"><strong>LIRE CET ARTICLE SUR LE SITE D'ALTERNATIVES ECONOMIQUES</strong></a></p> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Rony Brauman, Zones à protéger, 1 mars 2009, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/zones-proteger">https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/zones-proteger</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3826" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3826&amp;2=reading_list" token="YZ1Ydh6kG20sDdPJxxYncaSgXIBxb8rOejTS0738eEE"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">Zones à protéger</span> Sun, 01 Mar 2009 01:00:00 +0000 Charlene-01 3826 at https://msf-crash.org MSF et la protection : une question réglée ? https://msf-crash.org/fr/publications/acteurs-et-pratiques-humanitaires/msf-et-la-protection-une-question-reglee <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2008-04-01T12:00:00Z" class="datetime">01/04/2008</time> </div> </div> <span class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/62" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Charlene-01</span></span> <span class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">mar, 04/01/2008 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/protection" hreflang="fr">protection</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/responsabilite-de-proteger" hreflang="fr">responsabilité de protéger</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" hreflang="fr">DIH</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/temoignage" hreflang="fr">témoignage</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/epub" hreflang="fr">EPUB</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/pdf" hreflang="fr">PDF</a></div> </div> <div class="field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/judith-soussan" hreflang="fr">Judith Soussan</a></div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p>Ce document part du constat que la notion de "protection" est particulièrement difficile à manier aujourd'hui à MSF ; notion confuse, perçue comme évidente par les uns et comme tout à fait suspecte par les autres, elle suscite des cristallisations sans pour autant être réellement débattue. Or, parler de protection, c'est poser la question de notre responsabilité ou de notre rôle face à des violences, à côté du soin ; cette question serait-elle réglée une fois pour toutes à MSF?</p> <p>Afin de donner des éléments de réponse, l'étude s'intéresse aux pratiques et discours déployés par MSF (le siège, les équipes de terrain, les individus) hier et aujourd'hui, face à diverses situations de violences affectant des populations en général, ou des personnes que nous assistions. Elle analyse l'évolution de nos discours sur notre responsabilité - une évolution indissociable de celle de notre environnement de travail, et notamment de l'action internationale des Etats. Elle tente parallèlement d'identifier les constances au sein de nos pratiques (actes concrets en vue de protéger un individu ou un groupe, choix opérationnels visant à sécuriser notre sphère d'action, ou messages visant à alerter, dénoncer, activer la responsabilité d'autres acteurs, etc), à commencer par l'exigence incontournable de « ne pas nuire ».</p> <p>Présentées en annexes, trois études de cas regardent de plus près ces pratiques et la façon dont elles furent discutées ou justifiées dans chaque contexte précis, les éventuels désaccords qu'elles suscitèrent, les arguments qui présidèrent aux arbitrages opérés.</p> </div> <div class="field field--name-field-chapters field--type-entity-reference field--label-above"> <div class="field__label">Chapitres</div> <div class="field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/precision-en-vue-de-la-lecture" hreflang="fr">Précision en vue de la lecture</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/remerciements" hreflang="fr">Remerciements</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/introduction" hreflang="fr">Introduction</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/i-lere-du-temoin-sentinelle-des-droits-de" hreflang="fr">I - L’ÈRE DU TÉMOIN - SENTINELLE DES DROITS DE L’HOMME ET SOUTIEN AUX OPPRIMÉS</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/ii-lere-de-linterpellation-msf-defenseur-des" hreflang="fr">II - L’ÈRE DE L’INTERPELLATION MSF DÉFENSEUR DES POPULATIONS EN DANGER, ENTRE DÉNONCIATION ET IMPUISSANCE</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/iii-lere-de-la-desillusion-lemergence-de-la" hreflang="fr">III – À L’ÈRE DE LA DÉSILLUSION, L’ÉMERGENCE DE LA FIGURE DU SECOURISTE</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/iv-presence-et-pratiques-ou-la-constance-dun" hreflang="fr">IV – PRÉSENCE ET PRATIQUES, OU LA CONSTANCE D’UN ‘NE PAS NUIRE’</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/annexe-ndeg1-etude-de-cas-traque-des-refugies" hreflang="fr">ANNEXE N°1 / ÉTUDE DE CAS TRAQUE DES RÉFUGIÉS RWANDAIS, 1996-97</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/annexe-ndeg2-etude-de-cas-intervention-de-msf" hreflang="fr">ANNEXE N°2 / ÉTUDE DE CAS INTERVENTION DE MSF AU DARFOUR, 2003-2006</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/annexe-ndeg3-etude-de-cas-prise-en-charge-des" hreflang="fr">ANNEXE N°3 / ÉTUDE DE CAS PRISE EN CHARGE DES «VICTIMES DE VIOLENCES » AU NORD KIVU, RDC, 2003 - MI-2007</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/publications/msf-et-la-protection-une-question-reglee/annexe-ndeg4-occurrences-de-mots-cles-dans" hreflang="fr">ANNEXE N°4 OCCURRENCES DE MOTS-CLÉS DANS LES COMPTE-RENDUS DE CA ET RAPPORTS MORAUX, 1978 - MI-2007</a></div> </div> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Judith Soussan, MSF et la protection : une question réglée ?, 1 avril 2008, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/acteurs-et-pratiques-humanitaires/msf-et-la-protection-une-question-reglee">https://msf-crash.org/fr/publications/acteurs-et-pratiques-humanitaires/msf-et-la-protection-une-question-reglee</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3533" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">MSF et la protection : une question réglée ?</span> Tue, 01 Apr 2008 00:00:00 +0000 Charlene-01 3533 at https://msf-crash.org Dictionnaire pratique du droit humanitaire https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/dictionnaire-pratique-du-droit-humanitaire <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-hidden field__item"><time datetime="2006-01-01T12:00:00Z" class="datetime">01/01/2006</time> </div> <span class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/64" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Corinne-03</span></span> <span class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">dim, 01/01/2006 - 02:00</span> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Françoise Bouchet-Saulnier, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, 1 janvier 2006, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/dictionnaire-pratique-du-droit-humanitaire">https://msf-crash.org/fr/publications/droits-et-justice/dictionnaire-pratique-du-droit-humanitaire</a> </p> </div> </div> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" hreflang="fr">DIH</a></div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3535" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Françoise Bouchet-Saulnier</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3226" role="article" about="/index.php/fr/francoise-bouchet-saulnier" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Françoise</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Bouchet-Saulnier</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Directrice juridique, Médecins sans frontières</p> <p>Elle a également été consultante en droits de l'homme pour diverses ONG, ainsi que directrice de recherche pour le Crash. Elle est l'auteure du <a href="http://dictionnaire-droit-humanitaire.org/content/index/">Dictionnaire pratique du droit humanitaire</a>.</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/francoise-bouchet-saulnier" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p>Médecins Sans Frontières a conçu un ouvrage de référence pour baliser le champs de l'action humanitaire à l'attention des praticiens des relations internationales et de l'action humanitaire (ONG, organisations internationales, etc.), des journalistes, des étudiants et professionnels du droit, mais aussi des citoyens désireux de connaître les enjeux et les moyens de ce nouveau droit.</p> <p>De "Accords spéciaux" à "Zones de sécurité", ce dictionnaire propose la définition et l'analyse de plus de 300 termes: crime de guerre, génocide, maintien de la paix, population civile, secours, embargo, enfant, prisonnier de guerre, femme, détention, mission médicale, réfugiés, ONU, Comité des droits de l'homme, Agence centrale de recherche des disparus, Tribunaux pénaux internationaux, armes bactériologiques, etc.</p> <p>Les articles de ce dictionnaire proposent une définition précise de chaque terme, des droits qui y sont attachés, un exposé des problèmes concrets rencontrés dans chaque type de situation, les schémas de violation les plus fréquents et des conseils pratiques pour garantir le respect du droit. Un système de renvois, une bibliographie, les adresses et numéros de fax et de téléphone des différentes organisations complètent cet outil indispensable aux acteurs du droit humanitaire.</p> <p class="text-align-center"><a class="button" href="http://www.amazon.fr/Dictionnaire-pratique-du-droit-humanitaire/dp/2707147060/ref=sr_1_1?ie=UTF8&amp;s=books&amp;qid=1243349995&amp;sr=1-1" target="_blank">ACHETER SUR AMAZON.FR</a>&nbsp;&nbsp;</p> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3535&amp;2=reading_list" token="Q1YPknKawR4s97S7fuaQZ5E6b3KK3O4lMBFEvbTyTKA"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">Dictionnaire pratique du droit humanitaire</span> Sun, 01 Jan 2006 01:00:00 +0000 Corinne-03 3535 at https://msf-crash.org Militaro-humanitaire, une confusion mortelle https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/militaro-humanitaire-une-confusion-mortelle <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2004-08-16T12:00:00Z" class="datetime">16/08/2004</time> </div> </div> <span rel="schema:author" class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/65" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Jason-04</span></span> <span property="schema:dateCreated" content="2004-08-16T00:00:00+00:00" class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">lun, 08/16/2004 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/relations-militaro-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">relations militaro-humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/securite-du-personnel-humanitaire" property="schema:about" hreflang="fr">sécurité du personnel humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/interventions-militaires" property="schema:about" hreflang="fr">interventions militaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/principes-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">principes humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/droits-humains" property="schema:about" hreflang="fr">droits humains</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" property="schema:about" hreflang="fr">DIH</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/guerre-juste" property="schema:about" hreflang="fr">guerre juste</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Fabrice Weissman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3235" role="article" about="/index.php/fr/fabrice-weissman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4204.jpg?itok=sX0PzbdD" width="180" height="230" alt="Fabrice Weissman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Fabrice</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Weissman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Fabrice Weissman a rejoint Médecins sans Frontières en 1995. Logisticien puis chef de mission, il a travaillé plusieurs années en Afrique subsaharienne (Soudan, Erythrée, Ethiopie, Liberia, Sierra Leone, Guinée, etc), au Kosovo, au Sri Lanka et plus récemment en Syrie. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l'action humanitaire dont "A l'ombre des guerres justes. L'ordre international cannibale et l'action humanitaire" (Paris, Flammarion, 2003), "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de Médecins sans Frontières" (Paris, La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (Paris, Editions du CNRS, 2016).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/fabrice-weissman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p>Neuf jours après le meurtre de cinq membres de Médecins Sans Frontières en Afghanistan le 2 juin 2004, un porte-parole des Talibans justifiait leur assassinat en ces termes : des « organisations comme Médecins Sans Frontières travaillent dans l’intérêt des Américains, elles sont des cibles pour nous ». Aussi odieux que soit le crime qu’elle cherche à légitimer, cette accusation n’est pas surprenante étant donné le flou qui caractérise aujourd’hui l’emblème humanitaire.</p> <p>Obtenir des belligérants le droit d’accéder au champ de bataille afin d’assister en toute impartialité les non-combattants est une entreprise difficile et périlleuse. Les armées en campagne tolèrent mal la proximité d’acteurs étrangers, toujours suspects de servir les intérêts de l’ennemi. Dans ces conditions, la sécurité et la marge de manœuvre des secouristes internationaux sont étroitement liées à la crédibilité de l’emblème humanitaire sous lequel ils se placent et qui signifie : « nous avons renoncé à prendre parti pour quiconque dans cette guerre. Notre seul but est de venir en aide à ceux qui en sont victimes. » En définitive, l’unique protection dont disposent les acteurs humanitaires est la clarté de leur image qui doit refléter leur position de tiers au conflit et la transparence de leurs intentions. Or cette image a été fortement malmenée en Afghanistan, tant par les forces de la Coalition que par la plupart des acteurs de l’aide qui ont ainsi entretenu une confusion mortelle entre organisations humanitaires et institutions politico-militaires.</p> <p>Premier élément de confusion, le camouflage des opérations de guerre psychologique ou de renseignement en action humanitaire : largage de rations « humanitaires » à l’occasion des premières frappes aériennes en octobre 2001, déploiement de forces spéciales en civil affirmant être en « mission humanitaire », menace de suspension de l’aide humanitaire aux populations du sud de l’Afghanistan si elles refusent de fournir des renseignements sur les Talibans et Al-Qaida, etc. Gagner le cœur des populations civiles et les encourager à coopérer avec les forces militaires font partie des techniques militaires classiques et légales au regard des Conventions de Genève. En revanche, les présenter comme une opération humanitaire alors qu’elles relèvent d’une tactique de combat constitue une violation d’emblème caractérisée, au même titre, par exemple, que l’usage d’un véhicule de la Croix Rouge pour transporter clandestinement des armes aux côtés d’un malade.</p> <p>Une fois les Talibans défaits, la plupart des ONG et des agences de l’ONU ont été sommées par leurs bailleurs de fonds de participer à la stabilisation de l’Afghanistan et à sa reconstruction. En grande majorité, les acteurs humanitaires se sont mis au service de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) et du gouvernement intérimaire, tous deux soutenus à des degrés divers par les forces de la Coalition. ONG et agences onusiennes ont ainsi renoncé à l’indépendance indispensable à une action de secours impartiale ; et calqué leurs priorités sur celles du nouveau régime et de ses alliés, toujours en guerre contre les Talibans. Deuxième élément de confusion rendant impossible la distinction entre sous-traitant d’un belligérant et acteur humanitaire indépendant et impartial.</p> <p>Enfin, l’usage de la rhétorique humanitaire pour justifier le recours à la guerre constitue un troisième élément de confusion. Au delà de la riposte aux attentats du 11 septembre, la défense des droits humains et du droit international humanitaire ont été présentés comme des arguments de poids en faveur d’une intervention armée en Afghanistan. Par la force et l’occupation, il fallait sauver de la famine une population exsangue, améliorer l’accès aux soins des femmes, faciliter le retour des réfugiés, etc. Cet usage martial et impérial de la rhétorique humanitaire a grandement contribué à jeter le flou sur l’image des organisations de secours. Si l’appel aux considérations&nbsp;humanitaires peut à la fois justifier une opération d’assistance sanitaire et une campagne militaire, n’est-ce pas que secouristes et militaires internationaux représentent les deux faces d’une même pièce ? Certes, les acteurs de l’aide n’ont pas le monopole des mots qu’ils emploient. Néanmoins, l’usage à des fins guerrières du champ lexical et juridique mobilisé par les secouristes brouille considérablement l’image des organisations humanitaires dont il devient difficile de dire si elles sont des tiers au conflit ou l’avant-garde des corps expéditionnaires des nouvelles « guerres justes ».</p> <p>On aurait tort de rendre les gouvernement occidentaux seuls responsables du flou qui entoure aujourd’hui l’emblème humanitaire. Car nombre d’acteurs de l’aide contribuent à le rendre illisible. Il existe dans la mouvance caritative et chez les défenseurs des droits de l’Homme tout un courant libéral-universaliste qui conçoit que la guerre puisse être la continuation de l’humanitaire par d’autres moyens. Considérant l’exportation mondiale de la démocratie de marché comme la mission philanthropique par excellence, cette mouvance englobe sous le nom d’humanitaire tout ce qui peut contribuer à leur entreprise : assistance et protection des « bonnes victimes » (celles dont la survie ne compromet pas l’accomplissement de leur projet), sanctions économiques, bombardements, invasion et occupation d’Etats « coupables de violations massives des droits de l’Homme ». Dès lors, les organisations qui souscrivent à cette ligne ne voient aucune objection à soutenir les « guerres justes » et à servir les gouvernements qui les entreprennent. Dans cette perspective, assez proche de la vision d’un Bernard Kouchner, le terme action humanitaire n’est qu’un euphémisme pour désigner une entreprise de colonisation : l’imposition par la force d’institutions censées incarner en tout point un système de valeurs réputé universel. Terrible interprétation pour les secouristes qui brandissent ce même emblème humanitaire pour mener leur mission d’assistance sans autre but que d’ « humaniser la guerre » (Henry Dunant).</p> <p>Cette dilution de la sémantique humanitaire a eu les effets que nous redoutions. Sur la scène politique afghane, les acteurs de secours internationaux sont perçus comme des supplétifs des forces d’intervention occidentales pour ne pas dire des Croisés. Comment faire valoir la sincérité de leurs intentions et leur position de tiers au conflit, lorsque l’emblème qu’ils arborent est utilisé pour justifier une offensive armée suivie d’une occupation, consolider les institutions d’une partie au conflit et couvrir des opérations de guerre psychologique ? Rien d’étonnant à ce que les Talibans considèrent que nous « travaillons dans l’intérêt des Américains ». Au cours des derniers mois, c’est plus de trente travailleurs humanitaires afghans et neuf volontaires expatriés qui ont été assassinés par les forces hostiles à la Coalition, entraînant une réduction significative des activités de secours et le retrait de MSF d’Afghanistan après plus de vingt années de présence.</p> <p>Précisons toutefois que l’assassinat de nos collègues ne saurait se réduire à une « terrible méprise ». Il existe de la part des forces hostiles au gouvernement intérimaire et à la Coalition, une volonté de mener une guerre totale ne tolérant aucun compromis avec l’adversaire, y compris pour sauver des vies humaines dans le cadre d’opérations de secours indépendantes et impartiales. Nous ne sommes pas idéalistes au point de penser qu’une claire compréhension de nos principes d’action suffise à dissuader quiconque de nous attaquer. Reste que la confusion opérée entre forces d’occupation et organisations humanitaires a sans aucun doute encouragé les actes de violence contre les agences de secours. Si la clarté de l’emblème humanitaire n’est pas une garantie de sécurité absolue, elle n’en est pas moins une pré-condition indispensable.</p> <p>Le brouillage de l’emblème humanitaire et ses conséquences désastreuses pour la sécurité des équipes et les activités de secours ne sont pas propre au théâtre afghan. On les retrouve sur la plupart des terrains où des forces internationales sont déployées. En Irak bien sûr, où plus encore qu’en Afghanistan les acteurs de l’aide sont perçus comme des auxiliaires des forces d’occupation et à ce titre ciblés par des attentats sanglants au point que l’espace humanitaire s’y réduit presque à néant. Mais également dans des pays comme le Liberia où l’emblème humanitaire recouvre les opérations de maintien de la paix de l’ONU, à savoir des actions de combat et d’influence contre&nbsp;les groupes hostiles au processus de paix qui, dès lors, considèrent quiconque se revendiquant humanitaire comme un ennemi potentiel.</p> <p>Quelle que soit leur légitimité, les interventions armées destinées à assister et protéger des populations civiles mettent tout autant en péril la sécurité des secouristes dès lors qu’elles se déploient sous la bannière de l’humanitaire. Une opération de protection, si elle se veut sérieuse, implique nécessairement le recours à la force contre l’ennemi du moment et donc d’éventuelles victimes parmi les non-combattants. Comment une organisation humanitaire pourrait-elle leur porter secours si elle est assimilée à la force de protection « humanitaire » au combat ? Tel est le danger qui guette aujourd’hui les organismes d’aide au Soudan. En agitant, au nom de l’humanitaire, une menace d’intervention armée au Darfour, le Conseil de sécurité et certains Etats occidentaux rangent les acteurs humanitaires dans leur camp. Ce faisant, ils les désignent comme ennemi aux yeux des autorités de Khartoum pour qui les menaces d’intervention sont une véritable « déclaration de guerre ».</p> <p>Au risque de choquer, rappelons cette évidence : les secouristes internationaux n’ont pas d’ennemis. Pas plus que le RUF en Sierra Leone, l’UNITA en Angola ou les Talibans en Afghanistan, les milices pro-gouvernementales soudanaises ne sont les ennemis des acteurs humanitaires. Ces groupes armés sont une partie au conflit, au même titre qu’une potentielle force d’intervention internationale. Que cette dernière se revendique humanitaire, ou pire qu’elle fasse appel aux organisations de secours pour obtenir des renseignements militaires – comme vient de le faire avec succès l’administration américaine sur les leaders Jenjawid – et la position de tiers au conflit des organisations humanitaires se trouve ainsi décrédibilisé. A quand l’assassinat d’un secouriste au Soudan au motif qu’il « travaille dans l’intérêt des forces d’intervention », et l’abandon consécutif des dizaines de milliers de Soudanais situés du mauvais côté de la ligne de front ?</p> <p>Que les Nations unies ou des puissances occidentales interviennent au Soudan dans l’intention d’assister et de protéger les populations du Darfour est peut-être une bonne chose, ce n’est pas aux acteurs de l’aide d’en décider. Mais que cette « guerre juste » soit menée au nom et avec la participation des humanitaires est une menace létale pour les organisations de secours et les personnes qu’elles assistent. Après les populations irakiennes et afghanes, les populations soudanaises situées du mauvais côté de la ligne de front seront-elles les nouvelles victimes abandonnées par les organisations humanitaires contraintes d’évacuer le pays en raison de la militarisation de leur emblème ?</p> <p>&nbsp;</p> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Fabrice Weissman, Militaro-humanitaire, une confusion mortelle, 16 août 2004, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/militaro-humanitaire-une-confusion-mortelle">https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/militaro-humanitaire-une-confusion-mortelle</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3873" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3873&amp;2=reading_list" token="6zdV37AmwS-48Gt9Qjiw3EWITo7-6ch_ICNXT3cQKiM"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">Militaro-humanitaire, une confusion mortelle</span> Mon, 16 Aug 2004 00:00:00 +0000 Jason-04 3873 at https://msf-crash.org L’humanitaire et la tentation des armes https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/lhumanitaire-et-la-tentation-des-armes <div class="field field--name-field-publish-date field--type-datetime field--label-inline clearfix"> <div class="field__label">Date de publication</div> <div class="field__item"><time datetime="2004-04-28T12:00:00Z" class="datetime">28/04/2004</time> </div> </div> <span rel="schema:author" class="field field--name-uid field--type-entity-reference field--label-hidden"><span lang="" about="/fr/user/65" typeof="schema:Person" property="schema:name" datatype="">Jason-04</span></span> <span property="schema:dateCreated" content="2004-04-28T00:00:00+00:00" class="field field--name-created field--type-created field--label-hidden">mer, 04/28/2004 - 02:00</span> <div class="field field--name-field-tags field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/interventions-militaires" property="schema:about" hreflang="fr">interventions militaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/relations-militaro-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">relations militaro-humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/cedeao" property="schema:about" hreflang="fr">CEDEAO</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/ecomog" property="schema:about" hreflang="fr">ECOMOG</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/maintien-de-la-paix" property="schema:about" hreflang="fr">maintien de la paix</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/principes-humanitaires" property="schema:about" hreflang="fr">principes humanitaires</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/espace-humanitaire" property="schema:about" hreflang="fr">espace humanitaire</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/humanitaire-et-politique" property="schema:about" hreflang="fr">humanitaire et politique</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/genocide" property="schema:about" hreflang="fr">génocide</a></div> <div class="field__item"><a href="/fr/tags/dih" property="schema:about" hreflang="fr">DIH</a></div> </div> <details class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper"> <summary role="button" aria-expanded="false" aria-pressed="false">Fabrice Weissman</summary><div class="details-wrapper"> <div class="field--type-entity-person js-form-wrapper form-wrapper field field--name-field-authors field--type-entity-reference field--label-hidden field__items"> <div class="field__item"> <article data-history-node-id="3235" role="article" about="/index.php/fr/fabrice-weissman" class="node node--type-person node--view-mode-embed"> <div class="node__content"> <div class="group-person-profil"> <div class="group-person-image-profil"> <div class="field field--name-field-image field--type-image field--label-hidden field__item"> <img src="/sites/default/files/styles/profile_image/public/2017-04/DSCF4204.jpg?itok=sX0PzbdD" width="180" height="230" alt="Fabrice Weissman" typeof="foaf:Image" class="image-style-profile-image" /> </div> </div> <div class="group-person-content"> <div class="group-person-firstname-lastname"> <div class="field field--name-field-firstname field--type-string field--label-hidden field__item">Fabrice</div> <div class="field field--name-field-lastname field--type-string field--label-hidden field__item">Weissman</div> </div> <div class="clearfix text-formatted field field--name-body field--type-text-with-summary field--label-hidden field__item"><p>Diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Fabrice Weissman a rejoint Médecins sans Frontières en 1995. Logisticien puis chef de mission, il a travaillé plusieurs années en Afrique subsaharienne (Soudan, Erythrée, Ethiopie, Liberia, Sierra Leone, Guinée, etc), au Kosovo, au Sri Lanka et plus récemment en Syrie. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l'action humanitaire dont "A l'ombre des guerres justes. L'ordre international cannibale et l'action humanitaire" (Paris, Flammarion, 2003), "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de Médecins sans Frontières" (Paris, La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (Paris, Editions du CNRS, 2016).</p> </div> <div class="same-author-link"><a href="/index.php/fr/fabrice-weissman" class="button">Du même auteur</a> </div> </div> </div> </article> </div> </div> </div> </details> <div class="clearfix text-formatted field field--name-field-body field--type-text-long field--label-hidden field__item"><p><br /> <span class="annotation">Je tiens à remercier Jean-Hervé Bradol, Rony Brauman, Fabien Dubuet et Françoise Saulnier pour leur contribution essentielle à la rédaction de cet article.</span></p> <p><strong>Monrovia, juillet 2003 :</strong> <span>les combats entre forces loyales au président Charles Taylor et rebelles du Lurd ont déjà fait des centaines de victimes civiles. Sans eau courante, sans nourriture, sans soins, des centaines de milliers de Libériens se terrent dans la capitale craignant le déluge de balles et d’obus qui s’abat sur la ville ou d’être la cible de combattants enclins aux pires exactions. La malnutrition menace, une épidémie de choléra sévit. Comme souvent dans les villes en guerre (Beyrouth, Mogadiscio, Groznyï…), les activités de secours sont limitées. Les rares équipes humanitaires ne peuvent que soigner les blessés qui parviennent jusqu’à elles et poursuivre une assistance réduite dans les camps de déplacés grâce au courage du personnel national.</span></p> <p>Alors que la Grande-Bretagne s’est impliquée de façon décisive en Sierra Leone en 2000 et la France en Côte d’Ivoire en 2002, aucune puissance étrangère ne semble disposée à s’engager militairement pour arrêter le carnage. Parmi les humanitaires, des voix s’élèvent pour dénoncer cet « abandon » et demander une intervention internationale. Si en France, Action contre la faim (ACF) se contente de « s’insurge[r] une nouvelle fois contre l’attentisme criminel de la communauté internationale »<span class="annotation">Action contre la faim, « Libéria : Tandis que les tergiversations diplomatiques n’en finissent pas, de nouveaux&nbsp;fronts militaires plongent un peu plus le Libéria dans l’apocalypse », 30 juillet 2003.</span>et de « condamne[r] l’absence de toute mesure concrète et immédiate pour protéger les populations civiles à l’agonie »<span class="annotation">Action contre la faim, « Libéria/Monrovia: La capitale du Libéria sombre dans le chaos », 22 juillet 2003.</span>, les organisations anglo-saxonnes sont plus explicites. American Refugee Committee (ARC) « presse le président Bush d’utiliser notre force militaire pour aider à l’établissement et au maintien d’un climat de paix »<span class="annotation">American Refugee Committee, “ARC urges President Bush to send troops to Liberia”, 10 juillet 2003.</span>. Fin juillet, Oxfam prend acte du déploiement annoncé des troupes ouest-africaines mais demande aux USA de prendre parallèlement la tête d’une force multinationale<span class="annotation">Oxfam, “White House must give timetable for Liberia intervention – US indecision costing lives”, 24 juillet 2003.</span>.</p> <p>Médecins Sans Frontières (MSF) a refusé de se joindre à ces appels. Pourtant, l’horreur qui s’abat sur le Liberia soulève en chacun un sentiment de révolte unanime. Celui-ci est d’autant plus fort que le constat apparaît d’une cruelle simplicité : ce dont souffrent avant tout les Libériens, ce n’est ni de la faim, ni du manque de soins, mais de la violence débridée des combattants à leurs égards. Une organisation humanitaire ne devrait-elle pas en tirer les conclusions et appeler à une intervention armée pour les protéger ?</p> <h3>Le brouillard de la guerre</h3> <p>La première guerre du Libéria (1989-1996), déclenchée en décembre 1989 par l’insurrection de Charles Taylor contre le régime sanguinaire de Samuel Doe, avait déjà soulevé une question similaire. Le déploiement de casques blancs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en août 1990 avait rapidement mis un terme au débat. Constatant que le Libéria était aux mains de « factions ennemies qui [tenaient] l’ensemble de la population en otage, la privant de nourriture, de soins de santé et d’autres éléments indispensables à leur survie », la CEDEAO avait décidé l’envoi d’une force d’interposition, l’ECOMOG, afin d’ « arrêter le massacre insensé de civils innocents, nationaux et étrangers, et d’aider le peuple libérien à rétablir ses institutions démocratiques<span><span class="annotation">ECOWAS Standing Mediation Committee, Banjul, Republic of Gambia, Final Communiqué of the First Session, 7 August 1990.</span>&nbsp;</span>».</p> <p>Derrière ces considérations humanitaires, l’opération patronnée par le Nigeria avait pour but principal d’empêcher Charles Taylor d’accéder au pouvoir. A peine débarquées, les troupes ouest- africaines prirent fait et cause pour les factions hostiles au chef rebelle, l’empêchant <em>in extremis </em>de conquérir Monrovia. Elles se montrèrent peu soucieuses de protéger les civils lors des combats qui ensanglantèrent la capitale en août 1990, octobre 1992 et avril 1996. Engagé dans une guerre totale contre Charles Taylor, l’ECOMOG imposa entre 1992 et 1993 un embargo sur l’aide humanitaire à destination des zones rebelles, bombardant à cet effet les convois et les entrepôts d’organisations de secours<span class="annotation">Cf. F. Jean (dir.), <em>Face aux crises…</em>, Paris, Hachette, 1993, p. 86-95.</span>. Au final, après avoir pillé le Libéria et s’être livrée à de multiples exactions, l’ECOMOG opéra un revirement stratégique en 1995 pour laisser Charles Taylor s’emparer du pouvoir en avril 1996… six ans après l’avoir privé d’une victoire imminente.</p> <p>Il va sans dire que ce précédent ne condamne pas toute future opération de « protection » à desservir ses supposés bénéficiaires. En Sierra Leone, la « diplomatie éthique » du gouvernement britannique a permis de mettre un terme aux violences contre la population victime depuis 1991 d’une guerre particulièrement brutale. Les 650 commandos débarqués en mai 2000 en soutien aux forces pro-gouvernementales et aux 11 000 casques bleus des Nations unies ont fait la guerre aux rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF). Ils l’ont ainsi contraint à signer et respecter un ultime accord de paix. Seule ombre au tableau, la paix a été imposée au prix d’une grande tolérance à l’égard des crimes de guerres des forces pro-gouvernementales, d’un embargo sur l’aide humanitaire en zones RUF et du transfert des combattants les plus irréductibles vers le Liberia où certains furent encouragés à renverser Charles Taylor<span class="annotation">Cf. F. Weissman, « Sierra Leone: La paix à tout prix », in F. Weissman (dir.), <em>A l’ombre des guerres justes. L’ordre international cannibale et l’action humanitaire</em>, Paris, Flammarion, 2003, pp. 53-73.</span>.</p> <p>Ces brefs rappels soulignent une évidence : l’équation « intervention militaire internationale = protection des populations » est loin d’être automatique ni vérifiée pour tout le monde. Comme toute entreprise politique, ces opérations font des gagnants et des perdants, <em>y compris parmi les non-combattants</em>. Les précédents de la Somalie et de la Bosnie sont à cet égard tristement révélateurs. En Somalie, les troupes américaines et onusiennes débarquées en 1992-1993 pour «&nbsp;sécuriser l’aide humanitaire » dans un contexte de famine et d’insécurité généralisées ont été incapables de protéger les civils et se sont rapidement transformées en partie au conflit responsable de nombreuses exactions (bombardement des locaux d’organisation de secours, torture et assassinat de non-combattants, massacres de civils<span class="annotation">Cf. R. Brauman, <em>Somalie : Le crime humanitaire</em>, Paris, Arléa, 1993.</span>). En Bosnie, les populations qui avaient cru aux promesses de protection des Nations unies et s’étaient réfugiées dans les « zones de sécurité » de Zepa et Srebrenica ont été déportées et massacrées sous le regard des Casques bleus<span class="annotation">En revanche, les forces internationales dépêchées au Timor en septembre 1999 pour mettre un terme à la politique de terreur des milices pro-indonésiennes ont rempli leur mission. Elles étaient certes soutenues par un mandat clair, des moyens imposants et une ferme volonté politique, conditions importantes pour aboutir. Mais la raison primordiale de leur succès tient aux conditions locales de leur déploiement : un soutien total apporté par l’immense majorité de la population aux troupes débarquées sur un territoire de petite taille rapidement abandonné par les troupes indonésiennes et les milices. Cf. G. Gonzalez-Foerster, « Timor : mieux vaut tard que jamais », in <em>A l’ombre des guerres justes…</em>, <em>opus cit</em>., pp. 37-52.</span>.</p> <p>Autrement dit, l’appel aux armes pour défendre les populations libériennes est pour le moins risqué. Contrairement à ce que déclare l’organisation irlandaise Concern – reflétant les vues de ses consœurs favorables à une intervention armée – rien ne permet d’affirmer de façon péremptoire que « le déploiement rapide d’une force de maintien de la paix évitera de nouvelles morts civiles inutiles et permettra aux agences telles que Concern d’acheminer une aide humanitaire qui fait cruellement défaut.<span><span class="annotation">Concern, « Deploy peacekeeping force in Liberia now », 23 juillet 2003.</span>&nbsp;</span>» N’en déplaise aux « spécialistes de la solution des problèmes », il n’y a pas de parade technique au crime de guerre permettant de garantir que les populations qu’on entend secourir seront effectivement protégées et assistées. Tous ceux qui vivent dans le monde réel connaissent « l’abîme infranchissable entre le calcul et l’ensemble des possibilités dont la réalité est porteuse »<span class="annotation">E. Terray, <em>Clausewitz</em>, Paris, Fayard, 1999, p. 92.</span>, de même que l’incertitude et les dangers propre à l’exercice du pouvoir, particulièrement en temps de guerre.</p> <p>Peut-être qu’une robuste opération de police internationale pourra sauver un grand nombre de Libériens. Peut-être qu’elle se soldera par un surcroît de violence pour les civils, de fausses promesses de protection et une confusion croissante entre forces d’interpositions et acteurs de l’aide jugés complices des crimes de guerre commis par les troupes auxquelles ils ont fait appel. Peut-être aussi que l’injection massive de ressources au Liberia, sous forme d’aide bilatérale ou autre, offrirait une alternative à l’économie de prédation dont les chefs de guerre et les combattants se nourrissent et contribuerait à pacifier le pays ? Qui sait… Les humanitaires pas plus que les acteurs de la scène politique internationale et libérienne. Mais c’est uniquement à ces derniers – gouvernements, institutions internationales, partis, mouvements d’opinion, citoyens… – de se prononcer sur une telle question, de « trancher dans le brouillard de la guerre<span class="annotation">E. Terray, <em>ibid idem</em>.</span><span>&nbsp;</span>», de prendre les paris et d’en assumer les conséquences.</p> <h3>L’autonomie de la démarche humanitaire</h3> <p>En effet, accéder au champ de bataille et assister en toute impartialité les non-combattants, quel que soit leur camps, implique que les humanitaires renoncent à se prononcer sur la légitimité des buts de guerre poursuivis par les belligérants. Il n’y a aucune raison qu’une intervention déclenchée au nom de la protection des civils échappe à cette règle. Pas plus qu’ils ne pouvaient être pour ou contre la guerre lancée par les Etats-Unis pour « mettre un terme aux souffrances du peuple irakien », les acteurs de l’aide ne peuvent être pour ou contre une guerre déclarée aux factions libériennes « pour protéger les populations civiles ». Il s’agit là d’un principe opérationnel, d’une condition préalable pour défendre une position de tiers au conflit et revendiquer à ce titre de ne pas être pris pour cible dans l’accomplissement des activités de secours. Quel argument des acteurs humanitaires pourraient-ils opposer à des factions libériennes leurs refusant l’accès aux zones qu’elles contrôlent au motif qu’ils soutiennent les forces internationales qui leur font la guerre ?</p> <p>Mais au delà de ce principe opérationnel, il est une raison plus fondamentale encore qui interdit l’appel aux armes : telle que nous la concevons, l’action humanitaire repose sur une logique fondamentalement distincte de celle mobilisée par les partisans (ou les opposants) d’un recours à la force. En effet, quiconque défend un projet politique et <em>a fortiori </em>militaire ne peut échapper à la question suivante : parmi les gouvernés, quels sont les hommes qui doivent vivre et ceux qui peuvent ou doivent mourir<span class="annotation">Cf. J-H. Bradol, « L’ordre international cannibale et l’action humanitaire », in <em>A l’ombre des guerres justes</em>…, <em>opus cit.</em>, pp. 17-21.</span>. De fait, l’imposition de la paix comme la production de tout ordre politique à l’échelle internationale, nationale ou locale, génère immanquablement son quota de « victimes », d’ « exclus », de « sans-parts » voués à une mort violente ou à la souffrance par privation d’éléments indispensables à leur survie (eau, nourriture, soins médicaux, abris). Les Sierra-Léonais et les Libériens sacrifiés à la pacification de la Sierra Léone tout comme les prisonniers de guerre afghans massacrés pendant l’opération « Liberté immuable » sont là pour nous le rappeler. Quand elle ne nie pas l’existence de ces condamnés, la logique du pouvoir justifie leur sacrifice au nom d’une « paix durable » et du bien-être du plus grand nombre : « On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs ».</p> <p>Or l’humanitaire c’est précisément « la révolte des œufs »<span class="annotation">Cf. A. Finkielkraut, in <em>La responsabilité humanitaire</em>, Paris, MSF, 1996.</span>. Selon nous l’action de secours s’adresse en priorité à ceux qui forment les « restes muets de la politique »<span>&nbsp;</span><span><span class="annotation">Selon l’expression de M. Foucault.</span></span>: les hommes et les femmes dont l’existence même est remise en cause par l’indifférence ou l’hostilité ouverte de leurs contemporains. Joignant la parole au geste, l’humanitaire interpelle les pouvoirs en leur demandant si toutes les morts qu’ils décrètent ou tolèrent sont légitimes. Par le secours et le discours, il questionne la logique justifiant la disparition précoce et évitable d’une partie de l’humanité au nom d’un hypothétique bonheur collectif. Ce faisant, il désigne le seuil au delà duquel la destruction de la vie humaine ne peut plus être considérée comme nécessaire mais appréhendée comme un crime ou un scandale.</p> <p>En ce sens, l’acteur humanitaire ne peut que revendiquer une <em>autonomie critique </em>à l’égard de tout pouvoir et de toute politique – aussi respectables soient-ils. S’il se veut conséquent, il ne peut assumer <em>et </em>contester la logique du pouvoir qui impose de choisir entre les hommes qui doivent vivre et ceux qui peuvent ou doivent mourir. Précisons qu’il ne s’agit pas de défendre un pacifisme radical et encore moins d’opposer les « vertus de l’humanitaire » au « cynisme de la politique ». Nous entendons seulement souligner l’autonomie de deux démarches qui ont tout à perdre à se confondre : l’une, nécessairement appelée à trancher entre des intérêts contradictoires et à faire des perdants, y compris parmi les non-combattants ; l’autre qui se situe résolument aux côtés des perdants dont elle cherche à préserver la vie tout en questionnant les raisons de leur sacrifice. Dans cette perspective, appeler aux armes au Libéria revient à renoncer à ce qu’il y a de spécifique à penser et agir sous le nom d’humanitaire.</p> <p><em><strong>Hubris <span>de la bonté, refuge de l’utopie</span></strong></em></p> <p>Certes, la tentation du politique est forte parmi les acteurs de l’aide, condamnés par définition à une certaine forme de frustration. Car secourir les victimes et dénoncer les violences qui leur sont faites ne permet pas d’y mettre un terme. Le slogan lancé par MSF en 1994 pour appeler à la guerre contre les milices exterminatrices rwandaises, « On n’arrête pas un génocide avec des médecins », est transposable à toutes les crises qui ensanglantent la planète. Les violences commises au Libéria comme la destruction du peuple tchétchène ne s’arrêteront pas non plus avec des médecins, pas plus que les massacres de civils en Colombie, en RDC et au Burundi, les déplacements forcés de population au Soudan ou les famines à répétition en Ethiopie.</p> <p>Or, si l’aide humanitaire n’est pas une réponse aux crimes de guerre, les agences de secours ne peuvent réclamer le déploiement d’une force de « protection » sans renoncer à leur autonomie critique <em>ni faire appel à des références extérieures à leur pratique</em>. En effet, militer pour une intervention armée <em>en général </em>est un acte politique à part entière qui implique de se prononcer sur l’opportunité du recours à la force – pourquoi serait-elle requise au Libéria et non au Soudan ou en Tchétchénie par exemple ? – et sur les modalités de son emploi : <em>une intervention contre qui ?&nbsp;</em><em>avec qui ? à quel prix ? <span>Au Libéria, les troupes qui s’en chargeront devront-elles s’interposer entre toutes les factions ou choisir leur camp, comme l’ONU et les Britanniques l’ont fait en Sierra Leone ? La force d’interposition devra-t-elle être composée exclusivement de contingents ouest- africains ? Les Américains, les Européens ou d’autres pays doivent-ils également s’engager ? Jusqu’au sacrifice de dix, cent, mille… soldats ? Cette force devra-t-elle sécuriser en priorité Monrovia, au risque d’entraîner un déplacement des combats vers les camps situés à l’intérieur du pays, ou devra-t-elle prendre possession de tout le territoire ? Dans cette hypothèse entend-on placer le Libéria sous tutelle onusienne, protectorat américain ou ouest-africain ? etc.</span></em></p> <p>Il est impossible de répondre à ces questions sans faire appel à une vision politique du présent et de l’avenir qui dépasse amplement la question de la protection des Libériens et sur laquelle les organisations humanitaires ont forcément des opinions divergentes. De fait, les agences favorables à une intervention s’accordent rarement sur la nature et la composition de cette force. Chaque ONG manifeste sa préférence, qui pour une intervention onusienne, qui pour une opération américaine et ouest-africaine – sans pour autant préciser en quoi les intervenants qu’elles désignent seront plus à même de garantir la sécurité des Libériens, ni contre qui et à quel prix ils devront combattre. Toutes ces considérations sont balayées au titre de l’ « urgence humanitaire ». Au nom des souffrances de la population libérienne, il faut, selon ARC une action unilatérale de Washington et la nomination d’un coordinateur des affaires humanitaires « pour que l’aide humanitaire joue un rôle plus significatif dans la préparation et l’exécution de l’engagement américain »<span><span class="annotation">ARC, “ARC urges President Bush to send troops to Liberia”, 10 juillet 2003.</span></span>; pour Oxfam (Grande-Bretagne), il faut au contraire le déploiement d’une force multilatérale des Nations unies à laquelle les Américains devraient néanmoins contribuer sur la base « d’un calendrier concret et non négociable [définissant les étapes] de leur soutien aux forces de maintien de la paix devant inclure des troupes américaines »<span><span class="annotation">Oxfam, “White House must give timetable for Liberia intervention – US indecision costing lives”, 24 juillet 2003.</span></span>; l’organisation irlandaise Trocaire rejette quant à elle toute idée de participation américaine et préconise une intervention strictement onusienne en raison de « l’importance critique de promouvoir une approche multilatérale des conflits globaux »<span class="annotation">Trocaire, “Trocaire has called on the Irish Govt to take urgent action on Liberia”, 29 juillet 2003.</span>. Si la belle harmonie de la rhétorique victimaire vole en éclat – manifestant ainsi que l’appel aux armes est une affaire politique par excellence –, la posture d’infaillibilité qui accompagne les prises de position « humanitaires » est quant à elle intacte.</p> <p>Plus conscientes des enjeux associés à l’appel aux armes, d’autres organisations comme ACF ou MSF se sont montrées moins téméraires, se réfugiant dans les généralités consensuelles. En substance, elles ont surtout dénoncé le « manque de protection » des populations libériennes et « l’inaction de la communauté internationale ». Une telle position réclame à demi-mots le déploiement de forces de police internationale afin de protéger les civils libériens. Derrière les non-dits, on distingue l’appel à une force suffisamment puissante et déterminée pour faire barrage à tous les criminels de guerre, une force qui soit parfaitement respectueuse du droit international humanitaire et qui agisse sans arrière-pensées dans le seul et unique but de faire respecter les Conventions de Genève. Autrement dit, face à l’urgence, ces organisations font appel à l’utopie.</p> <p>Il est compréhensible que les acteurs de l’aide se sentent frustrés dans leur rôle humanitaire au Liberia et qu’ils cherchent le réconfort de solutions parfaites. Dénoncer « le manque de protection » des civils ou « appeler la communauté internationale à prendre ses responsabilités » donnent l’illusion d’échapper aux limites de l’action de secours en mimant une prise de position politique, qui parce qu’elle se situe dans l’utopie élude les dilemmes propre à l’action politique immédiate. Mais personne n’est dupe et la frustration demeure intacte devant le contraste entre la vanité de tels propos et l’urgence d’arrêter le carnage.</p> <p>&nbsp;</p> <h3>Réhabiliter la politique</h3> <p>Au Liberia comme ailleurs, la seule issue dont disposent les organismes de secours est d’assumer pleinement leur rôle avec ses limites : fournir une assistance vitale aux victimes et <em>contribuer à faire de leur sort un enjeu du débat politique en exposant les violences qui les engloutissent. </em>Car si les acteurs humanitaires ne peuvent apporter de réponses, ils sont en mesure de poser des questions. De toute évidence, rien ne sera entrepris contre le crime si celui-ci n’est pas nommé, s’il n’est pas visible, si ses victimes sont masquées à la vue de leurs contemporains. Donner une visibilité politique à l’intolérable et réfuter les discours qui le décrivent comme un mal « naturel » auquel il faudrait se résigner, sont des étapes indispensables à la transformation de l’inacceptable en problème politique appelant des réponses politiques.</p> <p>Au Libéria, cette entreprise de politisation implique tout d’abord de déconstruire les clichés qui analysent la guerre comme un déferlement de « sauvagerie tribale » – exonérant ainsi l’Occident de toute responsabilité et l’exhortant à tenir à distance les « nouveaux barbares » à défaut de les « civiliser »<span class="annotation">Cf. J-H. Jézéquel, « Libéria : Un chaos orchestré », in <em>A l’ombre des guerres justes... opus cit</em>., pp. 171-190.</span>. Mais surtout, il faut rappeler à l’opinion publique et à ceux qui dénoncent « l’abandon du pays par la communauté internationale », que celle-ci y intervient déjà et depuis de nombreuses années. En effet, la pacification de la Sierra Leone et l’endiguement de la crise ivoirienne ont été réalisées au prix de la déstabilisation du Libéria. Pour mettre un point d’arrêt aux agissements de groupes armés soutenus par Taylor à l’est de la Sierra Leone, au sud-est de la Guinée et dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les Etats voisins et leurs partenaires internationaux ont décidé de porter le feu sur le territoire libérien et armé à cet effet les deux guérillas qui avec les troupes de Taylor ravagent le pays et réduisent sa population en esclavage<span class="annotation">Cf. J-H. Jézéquel, <em>art. cit</em>.; « Rebels versus rebels », <em>Africa Confidential</em>, vol. 43, n°4, 22 février 2002, p. 5; « Liberia : Horse-trading, arms-trading. The new UN Resolution misses an opportunity to tackle the regional conflict from all sides », <em>Africa Confidential</em>, vol. 44, n°10, 16 mai 2003, pp. 4-5, 8.</span>. Cette politique régionale a été soutenue par le Conseil de sécurité et les puissances occidentales visiblement décidées à chasser le président libérien à n’importe quel prix. Bien que l’implication de la Guinée et des autorités ivoiriennes aux côtés des rebelles ait été mise en évidence par des experts nommés par le Conseil de sécurité des Nations unies<span class="annotation">Report of the Panel of Experts appointed pursuant to paragraph 4 on Security Council Resolution 1468 (2003),&nbsp;<em>concerning Liberia (S/2003/498), 24 avril 2003, cf. pp. 17 &amp; 30 notamment.</em></span>, celui-ci n’a jamais pris de sanctions que contre Charles Taylor. Plus, au moment même où s’ouvraient au Ghana des négociations de paix entre factions libériennes en juin 2003, le procureur américain du tribunal spécial pour la Sierra Leone (David Crane, ancien directeur de la sécurité nationale au Pentagone) a décidé d’inculper Taylor en raison du soutien qu’il avait apporté au RUF, le contraignant ainsi à regagner précipitamment Monrovia. « Les négociations peuvent se poursuivre, mais sans implication de cet inculpé » a déclaré à la presse David Crane<span class="annotation">« Le président libérien inculpé de crimes de guerre », <em>Libération</em>, 5 juin 2003.</span>, excluant des pourparlers de paix un interlocuteur incontournable.</p> <p>De toute évidence la Grande-Bretagne (dont des conseillers militaires déployés en Sierra Léone ont été en contact avec les troupes du Lurd)<span class="annotation">Ces contacts sont attestés par de nombreux combattants du Lurd et mentionnés par le chercheur W. Reno, cf. W. Reno, « La ‘sale petite guerre’ du Libéria » in <em>Politique Africaine</em>, n°88, décembre 2002, p. 64.</span>, les Etats-Unis (engagés dans un programme de formation de l’armée guinéenne qui elle-même appuie les rebelles) et la France (qui a fermé les yeux sur le soutien des autorités ivoiriennes aux combattants libériens) ont fait le choix de la guerre au Libéria. Plutôt que d’appeler à une intervention armée ou de dénoncer « l’inaction de la communauté internationale », les organisations humanitaires auraient mieux fait d’interpeller le Conseil de sécurité, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Guinée et la Côte d’Ivoire en leur demandant : vous qui avez opté pour le choix des armes au Libéria, quelle mesure allez vous prendre pour soulager le calvaire de la population libérienne dont vous êtes en partie responsables ? Que comptez vous faire contre les crimes de guerre perpétrés par les forces que vous avez encouragées à renverser Taylor ?</p> <p>Il est certes primordial d’opposer publiquement aux chefs de guerre libériens – qui tous affirment lutter pour la « démocratie » – la photo des habitants de Monrovia décimés par le choléra et les tirs indiscriminés ainsi que les récits des rescapés de la province du Bong qui décrivent viols, tortures, assassinats, pillages, enrôlement forcé perpétrés par les « combattants de la liberté ». Mais il est également important de dénoncer le lien entre ce tableau dramatique et la gestion internationale de la crise ouest-africaine. Une telle mise en cause, fondée sur des éléments objectifs et vérifiables, aurait le mérite de poser le débat en des termes politiques – et non moraux – sans pour autant apporter de réponses que les organisations humanitaires ne sont pas en mesure de donner. La stabilisation des crises sierra-léonaise et ivoirienne nécessitait-elle de renverser le régime tyrannique mais relativement stable de Charles Taylor au risque de faire de nombreuses victimes parmi la population civile ? Peut-être que oui, ce n’est pas aux organisations humanitaires d’en décider. Quoi qu’il en soit, ceux qui ont fait ce pari doivent en assumer les conséquences. A cet égard, il est tout à fait justifié que les humanitaires s’enquièrent de la façon dont les belligérants et leurs parrains étrangers entendent réagir aux crimes de guerre dont ils sont à des degrés divers responsables. Il appartient aux organisations de secours, comme à d’autres, de faire savoir dans quelle mesure le déploiement en cours de forces internationales conduit à une réduction significative des violences contre les civils, si les promesses de protection sont effectivement tenues.</p> <p>Enfin, ce recadrage du débat politique suppose que les organisations humanitaires renoncent à s’ériger en porte-parole des victimes. De fait, les agences de secours sont souvent tentées de recueillir le <em>cri </em>de douleur des populations qu’elles assistent – ainsi réduites à un statut animal dont la voix n’exprime que la souffrance – et d’articuler à leur place un <em>discours </em>manifestant leur conception du juste et de l’injuste. Or, s’il est normal que les humanitaires désignent ce qu’ils jugent contraire aux Conventions de Genève et qu’ils fassent de leurs violations une question politique, ils ne sauraient par là même substituer leur voix à celle des victimes. Suivant les analyses du philosophe Jacques Rancière<span class="annotation">J. Rancière, <em>La mésentente. Politique et philosophie</em>, Galilée, Paris, 1995.</span>, l’humanitaire doit « [faire] voir ce qui n’avait pas lieu d’être vu », mais aussi contribuer à faire « entendre comme un discours ce qui n’était entendu que comme bruit », en d’autres termes rompre l’ordre symbolique par lequel les vaincus de la politique sont rejetés « dans la nuit du silence ou le bruit animal des voix qui expriment agrément ou souffrance. » En pratique, plutôt que de répondre aux sollicitations du Conseil de sécurité des Nations unies ou des chancelleries, qui leur demandent ce qu’il faut faire dans l’intérêt des Libériens, les organisations de secours auraient été plus avisées de renvoyer ces instances vers les principaux intéressés, à savoir les Libériens qui prennent la parole et expriment leurs griefs, en entassant par exemple des cadavres devant l’ambassade des Etats-Unis à Monrovia. Il ne s’agit pas d’idéaliser le discours de la victime, comme reflet d’une vérité infaillible, mais de lui donner le même statut que celui des autres êtres parlants appelés à décider du sort de la « plèbe ».</p> <p>Rappeler les pouvoirs à leurs responsabilités, remettre en <em>question </em>« l’ordre des choses » en soulignant qu’il est aussi et surtout l’ordre des hommes et qu’à ce titre ces derniers ne sauraient se considérer étrangers aux injustices dont il se soutient, souligner la contingence historique du partage entre gagnants et perdants, inclus et exclus, riches et pauvres, contribuer à faire entendre dans le débat public la voix des « sans-parts » sacrifiés à la production de l’ordre, voilà la teneur politique de l’action humanitaire, la façon dont elle peut échapper à la dérive charitable et transformer la pitié en exigence de justice.</p> <p>&nbsp;</p> <h3>La singularité du génocide</h3> <p>Contrairement aux apparences, cette profession de foi minimaliste et radicale n’est pas une condamnation définitive de l’appel aux armes. Car nous pensons qu’il est au moins une situation dans laquelle des acteurs de l’aide peuvent demander une intervention armée : lorsqu’ils sont confrontés à un génocide et qu’ils estiment réaliste de le stopper par une action militaire. Cette exception, par laquelle l’humanitaire renonce temporairement à sa logique pour entrer de plein pied dans la politique, est justifiée pour au moins deux raisons : d’abord parce qu’une aide alimentaire et médicale est généralement d’un maigre secours pour des civils voués à l’extermination par un Etat qui mobilise à cet effet l’essentiel de ses moyens ; mais surtout parce que face à un génocide, il est impossible de rester humanitaire sans prendre parti. En effet, la singularité d’un tel crime tient notamment au fait que le massacre de civils n’y est pas considéré comme une « nécessité militaire » pour atteindre un avantage stratégique, mais à l’inverse, comme un but en soi auquel la stratégie et la logique militaires doivent se plier. Dans ces conditions, rappeler l’obligation de distinguer entre combattants et non-combattants et de préserver la vie de ces derniers revient à prendre parti contre le pouvoir qui fait de leur élimination la raison du recours aux armes. Le principe selon lequel l’humanitaire refuse de se prononcer sur la légitimité des buts de guerre afin de secourir les non-combattants devient <em>de facto </em>caduc lorsque l’extermination de ces non-combattants est précisément le but visé par l’un des belligérants.</p> <p>Il est aussi une raison plus opportuniste qui justifie en ce cas précis l’appel aux armes : demander une intervention armée contre un pouvoir génocidaire consiste tout simplement à réclamer l’application du droit. En effet, la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide enjoint ses 129 Etats parties de prendre les mesures appropriées, y compris militaires, pour le prévenir et le réprimer<span class="annotation">Cf. F. Saulnier, <em>Dictionnaire pratique de droit humanitaire</em>, Paris, La Découverte, 2000, p. 121-136.</span>. Autrement dit, désigner des violences extrêmes comme constitutives d’un génocide engage automatiquement la responsabilité des gouvernements signataires de la Convention de 1948 et les met en demeure d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour combattre ceux qui organisent, facilitent et mettent en œuvre ce « crime contre l’humanité ».</p> <p>Certes, cette obligation de « faire cesser » est tout aussi politique que juridique. D’un point de vue légal, elle s’applique également à l’égard des « violations graves » du droit international humanitaire – telles que les attaques indiscriminées contre des civils et des combattants<span class="annotation">Cf. F. Saulnier, <em>opus cit., </em>p. 135.</span>. Mais force est de constater que cette prescription posée par l’article 89 du premier protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève n’a pas le même poids moral, symbolique et politique que celle établie par la Convention contre le génocide (bien que celle-ci ait été ratifiée par moins d’Etats que le premier protocole additionnel qui compte 154 parties). Néanmoins, la question mérite d’être posée : l’appel aux armes n’est-il pas également justifié face à des crimes de guerre massifs visant, par exemple, le « nettoyage » de territoires ou la soumission totale des populations, crimes dont la létalité peut atteindre des proportions génocidaires (comme au Timor où la politique de répression de l’armée indonésienne a conduit à l’anéantissement de 35% à 43% de la population) ?</p> <p>De fait, la singularité du génocide ne résout pas automatiquement la question de l’appel aux armes. A partir de quel stade un processus organisé de destruction des populations civiles doit-il être considéré comme un génocide ? Dès lors que les victimes se comptent par dizaines, centaines, milliers, dizaines de milliers… ? A nouveau, seule une indépendance de jugement politique permet d’apporter des réponses ponctuelles et circonstanciées. Impossible, en effet, de s’en remettre aux acteurs politiques locaux, qui pour réclamer le soutien de la communauté internationale utilisent les ressources politiques et légales du mot génocide à l’encontre de leur adversaire. Dangereux également de faire confiance à des instances internationales, comme le Conseil de sécurité des Nations unies qui pendant plus d’un mois et demi a refusé de reconnaître l’existence du génocide au Rwanda en 1994 en raison des implications légales et politiques d’une telle qualification. Pour autant, si une autonomie critique est indispensable pour qualifier le crime, elle n’est pas une garantie de clairvoyance. Il a fallu plusieurs semaines à Médecins sans frontières pour réaliser que les massacres dont nous étions témoins au Rwanda en avril 1994 relevaient bel et bien d’un génocide...</p> <p>Enfin, l’appel aux armes, s’il se veut autre chose qu’une vaine prise de parole destinée à soulager la conscience des secouristes, doit également s’appuyer sur des éléments d’appréciation politique et militaire permettant de soutenir qu’une intervention armée est non seulement requise mais réellement possible. Bien entendu, tel n’est pas toujours le cas. Aurait-on envisager de demander aux Etats-Unis, à peine sortis de la guerre du Vietnam, d’envahir le Cambodge pour sauver les victimes de la machine de mort Khmer rouge ?</p> <p>Si la question de l’appel aux armes reste donc entrouverte, elle est selon nous tranchée dans le cas du Libéria. Quelle que soit la violence des combats en juillet 2003, ceux-ci ne relevaient pas d’une dynamique génocidaire. Les personnes que nous parvenions à sauver n’étaient ni en nombre dérisoire, ni condamnées à être assassinées une fois sorties de nos hôpitaux. Quant à la réelle amélioration des conditions de sécurité à Monrovia depuis la cessation des hostilités et le déploiement des forces internationales, elle ne remet pas en cause notre position. Au contraire, c’est bien parce que nous avons refusé de nous prononcer sur l’opportunité de leur déploiement que nous pouvons décrire les bienfaits limités mais réels de leur présence sans être accusés de partialité. Et c’est pour la même raison que nous pouvons refuser de nous placer aujourd’hui sous la tutelle des instances en charge de cette opération de pacification sans être taxé d’incohérence.</p> <p>&nbsp;</p> </div> <div class="citation-container"> <div class="field--name-field-citation"> <p> <span>Pour citer ce contenu :</span> <br> Fabrice Weissman, L’humanitaire et la tentation des armes, 28 avril 2004, URL : <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/lhumanitaire-et-la-tentation-des-armes">https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/lhumanitaire-et-la-tentation-des-armes</a> </p> </div> </div> <div class="contribution-container"> <div class="field--name-field-contribution"> <p> <span>Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article,</span> vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site. </p> <a href="/fr/contribuer?to=3872" class="button">Contribuer</a> </div> </div> <drupal-render-placeholder callback="flag.link_builder:build" arguments="0=node&amp;1=3872&amp;2=reading_list" token="pAFAAoso2oDNs2Ouc4ZLAie0L-Maarddt8m0f5ROmJU"></drupal-render-placeholder><span class="field field--name-title field--type-string field--label-above">L’humanitaire et la tentation des armes</span> Wed, 28 Apr 2004 00:00:00 +0000 Jason-04 3872 at https://msf-crash.org