Redistribution alimentaire à Darfour
Point de vue

Que faire pour le Darfour

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Le 31 août dernier, passant outre le refus du Soudan, le conseil de sécurité des Nations Unies votait une résolution (1706) prévoyant le déploiement de quelque 20.000 casques bleus au Darfour. Leur mission : prendre le relais de la force inter africaine, présente depuis l’été 2004, pour désarmer les combattants, protéger les populations et les organismes d’aide en recourant si besoin à la force. Peu de temps après, le représentant de l’ONU, Jan Pronk, était expulsé du pays, officiellement pour avoir publié sur son blog des informations sur les échecs de l’armée gouvernementale face aux groupes rebelles. Il s’agissait à l’évidence d’un prétexte, le pouvoir militaire soudanais étant décidé à montrer qu’il ne s’en laisse pas imposer par l’ONU. La guerre qui fait à nouveau rage dans le Darfour et les exactions contre les populations civiles qui l’accompagnent appellent certes une réaction internationale. Ce n’est pourtant pas faire preuve d’indulgence envers ce régime violent et sectaire que se déclarer perplexe face à la décision du Conseil de sécurité. Personne, en effet, ne peut imaginer sérieusement qu’un contingent de l’ONU puisse imposer par la force sa présence au Darfour. Les Casques bleus se trouveraient immédiatement en butte aux attaques et aux provocations de nombreux groupes armés opérant sur un terrain qu’ils connaissent parfaitement et le remède serait rapidement pire que le mal. C’est d’ailleurs ce que remarquait lucidement Jean-Marie Guéhenno, le responsable des opérations de maintien de la paix de l’ONU, lorsqu’il rappelait en substance que, contrairement au maintien la paix, l’imposition de la paix était une fiction. Ajoutons que les ONG et les agences de l’ONU constitueraient dans ce contexte des cibles de choix alors qu’elles parviennent toujours, dans des conditions certes difficiles, à apporter une aide vitale pour des centaines de milliers de personnes déplacées.

Est-ce à dire que l’aide humanitaire serait la seule réponse ? Certainement pas. Une force de casques bleus sera utile pour contenir le conflit aux frontières du Tchad et de la Centrafrique. Sur le terrain proprement dit, plusieurs formes d’action sont possibles : soutenir la force inter africaine présente depuis deux ans, qui a montré sa capacité à faire baisser la violence par sa présence sur les lieux d’attaques et sa capacité à négocier avec les divers assaillants, mais qui piétine, faute de moyens logistiques et financiers suffisants ; saisir la Cour pénale internationale pour engager sérieusement des poursuites contre les principaux acteurs de violences, rebelles compris, et ne plus se contenter de menaces plus ou moins crédibles, comme cela a été le cas jusqu’à présent ; geler les avoirs financiers à l’étranger de certains des dignitaires de ce régime qui, pour être islamique, n’en est pas moins affairiste. Ces mesures paraîtront peut-être manquer d’ambition aux yeux des partisans d’une intervention armée. On peut soutenir au contraire que l’ère des missions pacificatrices-civilisatrices est révolue, que les expériences de ces dernières années en Somalie, en Afghanistan et en Irak ont clairement démontré l’impuissance de la force dans de telles situations. Remarquons au passage qu’au Timor et au Kosovo, ce sont de véritables protectorats qui ont été établis, sur des territoires exigus et avec le soutien d’une écrasante majorité de la population, ce qui explique la réussite, au moins technique, des interventions armées dans ces pays. Rien de comparable avec le Darfour.

Les manifestes interventionnistes publiés ces dernières semaines versent dans un maximalisme déconcertant, l’indignation tenant souvent lieu d’analyse et l’ignorance de détermination. Puisant dans le lexique de la lutte des races, la vision doloriste qui les inspire réduit le conflit du Darfour à un face-à-face entre « noirs » et « arabes », victimes civiles et tueurs sans pitié. Mais entre le tout- militaire et la contemplation passive du désastre, un espace d’action existe. A condition de garder à l’esprit que personne ne pourra se substituer aux intéressés pour établir les conditions d’un compromis acceptable permettant l’arrêt des violences.

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Que faire pour le Darfour », 1 décembre 2006, URL : https://msf-crash.org/fr/guerre-et-humanitaire/que-faire-pour-le-darfour

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