Le prélèvement sanguin d'un enfant
Point de vue

Toubib or not toubib

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Dans cette chronique d'Alternatives Internationales, Rony Brauman critique le retour en force, dans les textes de l'OMS et les pratiques de certains gouvernements, de l'agent de santé villageois comme pivot des soins de santé primaire.

On aurait pu croire le projet enterré, définitivement discrédité par son échec. On aurait pu penser que, les leçons de l’expérience tirées, les vieilles lunes étaient abandonnées. On aurait pu espérer, surtout, que dans un domaine aussi important que celui de la santé, la raison ne perde pas pied. On aurait eu tort : l’agent de santé villageois (ou communautaire) est de retour, héros défraîchi mais toujours vaillant promu par l’OMS dans la droite ligne de la conférence d’Alma Ata de 1978 au cours de laquelle avait été adopté le slogan « la santé pour tous en l’an 2000 ». Il s’agissait alors d’assurer à tous l’accès aux soins dits essentiels et à la prévention grâce à la mise en place d’agents de santé recrutés dans les villages, formés en quelques semaines aux techniques curatives et préventives de base, moyennant une (faible) compensation matérielle. Le « médecin aux pieds nus », personnage central de la propagande maoïste après le « garde rouge », trouvait là une consécration inespérée à un moment où son image pâlissait déjà en Chine. Dix ans plus tard, la conférence OMS de Bamako reconnaissait que cette stratégie n’avait pas permis de se rapprocher de l’objectif recherché, malheureusement sans poursuivre sur les raisons de cet échec. Les soins devenaient payants et l’agent de santé communautaire perdait de sa prestance dans les rencontres internationales, voilà tout. Crise aidant, cependant, le voici à nouveau promu depuis plusieurs années, ou plutôt implicitement réhabilité par l’OMS sous le label vague des « soins de santé primaire », avec d’autant plus de facilité que le bilan désastreux de la stratégie d’Alma Ata n’a jamais été publiquement reconnu. Et voici, dans les documents officielshttp://www.who.int/features/2010/community_health_workers/photo_story/fr/index.html l’agent de santé en première ligne lors des urgences, œuvrant au triage et au sauvetage des blessés, le voilà encore déterminant les groupes vulnérables, donnant l’alerte sur les tendances épidémiques ; le voici enfin, en temps ordinaire, hors urgences, éduquant la population aux comportements favorables à la santé, soignant les affections les plus courantes, telles les pneumonies, principale maladie tueuse d’enfants, luttant contre la propagation des maladies…

Il est vrai que certains gestes médicaux assurées par des professionnels de santé peuvent et doivent être pris en charge par des personnels formés à des tâches précises : par exemple, le diagnostic et le traitement du paludisme simple, grâce aux tests diagnostics rapides, le dépistage de la malnutrition ou encore le suivi de patients chroniques stabilisés. Il est vrai également que des centres de santé peuvent être efficacement dirigés par des assistants médicaux (4 à 5 ans de formation après le bac) assurant le rôle d’un médecin, comme cela fut fait en Afrique de l’Est dans les années 1970 sous l’impulsion de l’université de Makerere en Ouganda. Mais il est faux et dangereux d’affirmer que la plupart des pathologies potentiellement mortelles ou invalidantes sont faciles à prévenir et à traiter, et que des agents formés en quelques semaines peuvent donc remplacer sans grand dommage des professionnels de santé. Ou alors, que n’introduit-on cette révolution en Europe ? C’est en fait au milieu rural des pays pauvres, notamment africains que s’adresse cette stratégie, les paysans étant trop dispersés et trop peu formés pour s’organiser et protester comme le font les urbains. Une aubaine pour les gouvernements, qui peuvent plafonner leurs budgets de santé à 1% en moyenne de leur PIB tout en se voyant soutenus par les agences spécialisées de l’ONU et la plupart des ONG, une aubaine qui leur permet d’afficher leur bienveillance pour le peuple en parlant « participation communautaire », « prévention », « accès aux soins pour tous » tout en pratiquant la plus féroce des politiques libérales. Inaugurer une « pharmacie villageoise », se montrer en compagnie d’une promotion d’agents de santé est certainement plus facile que s’engager dans la mise en place d’universités régionales de santé et de réseaux de soins professionnalisés. Que l’OMS cautionne cette sous-médecine pour pauvres, et que des ONG se prêtent à ce jeu, n’est pas le moins révoltant de cette affaire.

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Toubib or not toubib », 3 septembre 2012, URL : https://msf-crash.org/fr/medecine-et-sante-publique/toubib-or-not-toubib

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