Un infirmier enlève sa combinaison de protection contre le virus ebola
Point de vue

Novartis doit renoncer

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Le 23 octobre 2001, le secrétaire d’Etat américain à la santé annonçait devant le Congrès : « Je peux vous assurer que nous n’allons pas payer le prix qu’ils demandent. » Confrontés à la menace terroriste d’une épidémie d’anthrax, les Etats-Unis décidaient de passer outre la réglementation sur les brevets et d’obliger la firme Bayer à leur fournir au prix des produits génériques le seul médicament efficace contre cette maladie mortelle. L’épisode resta sans suite pour Bayer, puisque l’épidémie en question ne survint pas, mais les conséquences internationales ne tardèrent pas. Le monde entier constatait que Washington se donnait, pour faire face à l’anthrax, les moyens mêmes qu’il interdisait aux pays du tiers-monde pour le sida. Bien involontairement, les autorités américaines venaient de donner à la notion d’urgence sanitaire un poids qu’elles contestaient jusqu’alors, et aux activistes qui se battaient pour la reconnaissance de celle-ci une légitimité inespérée. Quelques mois auparavant, une importante bataille avait été remportée à Pretoria par une coalition d’ONG : sous la pression de l’opinion publique et au terme d’une confrontation de deux ans, les trente-neuf compagnies pharmaceutiques qui avaient intenté un procès à l’Etat sud-africain pour obtenir le retrait d’une loi permettant l’importation de génériques anti-sida avaient dû abandonner les poursuites. Ces deux événements, largement médiatisés, allaient changer le rapport de forces entre multinationales du médicament et usagers, aux prises sur la question de l’accès aux médicaments essentiels. La conférence de l’OMC de Doha, en novembre 2001, reconnaissait le primat des impératifs de santé publique sur les intérêts commerciaux. Il est vrai que des dispositions allant dans ce sens existaient déjà dans les accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle mais cette déclaration, votée au terme de vifs débats, leur donnait une importance symbolique nouvelle. Désormais, le droit du commerce était explicitement corrigé et limité par des règles d’équité.

Le coût d’un traitement anti-sida passant, dans les pays pauvres, de 10.000 à 300 dollars par personne et par an, des centaines de milliers de malades ont pu être mis sous traitement et voir leur vie se transformer. En dépit des nombreuses barrières bureaucratiques qui compliquent à l’infini les procédures de demande de génériques pour cause d’urgence sanitaire, ce progrès est donc très concret. Mais le sida, plus encore que les autres infections, est caractérisé par la rapidité de mutation du virus qui en est la cause. L’apparition rapide de résistances aux médicaments était donc inévitable et le passage à des produits dits de seconde, puis de troisième ligne s’impose déjà, comme prévu, pour nombre de patients. D’où l’importance d’appliquer les clauses d’exception sanitaire dans l’esprit de la déclaration de Doha et de faire pièce à la stratégie de minage bureaucratique et juridique déployée par certaines compagnies pour en rendre la mise en œuvre toujours plus complexe.

C’est dans cette perspective que le procès intenté en ce début d’année 2007 par Novartis au gouvernement indien revêt une importance particulière. Cette firme, déjà partie prenante au procès calamiteux de Prétoria, veut obtenir de New Delhi l’abrogation des lois limitant la brevetabilité. L’industrie pharmaceutique indienne est devenue le premier fournisseur de génériques dans le tiers-monde. Si Novartis gagnait son procès, les antirétroviraux de deuxième ligne, aujourd’hui peu utilisés mais qui vont être rapidement indispensables, seraient inaccessibles. C’en serait fait de la première source d’approvisionnement en médicaments de qualité pour des millions de patients. Plus largement, la victoire de Novartis renforcerait la position des « fanatiques du marché », comme les nomme Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, en renforçant à nouveau leur emprise sur les politiques de santé. C’est pourquoi MSF a lancé une pétition demandant à Novartis d’abandonner les poursuites contre le gouvernement indienhttp://www.msf.org/petition_india/france.html.

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Novartis doit renoncer », 1 mars 2007, URL : https://msf-crash.org/fr/medecine-et-sante-publique/novartis-doit-renoncer

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