Un enfant se fait vacciner sur le site de Malith au Soudan
Point de vue

Méningite : une grippe humanitaire ?

Jean-Hervé Bradol
Jean-Hervé
Bradol

Médecin, diplômé de Médecine tropicale, de Médecine d'urgence et d'épidémiologie médicale. Il est parti pour la première fois en mission avec Médecins sans Frontières en 1989, entreprenant des missions longues en Ouganda, Somalie et Thaïlande. En 1994, il est entré au siège parisien comme responsable de programmes. Entre 1996 et 2000, il a été directeur de la communication, puis directeur des opérations. De mai 2000 à juin 2008, il a été président de la section française de Médecins sans Frontières. De 2000 à 2008, il a été membre du conseil d'administration de MSF USA et de MSF International. Il est l'auteur de plusieurs publications, dont "Innovations médicales en situations humanitaires" (L'Harmattan, 2009) et "Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997" (CNRS Editions, 2016).

La comparaison entre les réponses apportées aux épidémies de grippe en France et de méningite au Nigeria est instructive. Comme celle de la grippe, l'épidémie de méningite ne peut être prévenue par la vaccination. Les propriétés des vaccins disponibles pour l'Afrique ne le permettent toujours pas. Mais l'impact meurtrier de l'épidémie peut-il être diminué par l'administration du vaccin alors qu'elle a déjà débuté?

Dans l'exemple du Nigeria, une étude a été réalisée par Epicentre pour MSF qui était un des opérateurs de la campagne de vaccination de masse. L'étude est en attente de publication mais ses résultats alimentent déjà le débat. Dans l'Etat de Katsina, un million trois cent mille personnes ont été vaccinées. La campagne de vaccination a été un succès en termes de conduite des activités. La vaccination n'est pas intervenue trop tardivement après la déclaration des premiers cas et la couverture vaccinale de la population obtenue est de l'ordre de 80 %.

La différence avec la vaccination contre la grippe A H1N1 en France saute aux yeux. En revanche, l'évaluation de l'impact sanitaire de la vaccination soulève des interrogations proches de celles soulevées par la vaccination contre la grippe. En effet, selon l'étude citée plus haut, la vaccination contre la méningite dans l'Etat de Katsina aurait permis d'éviter 119 décès en diminuant de 13 % le nombre de cas attendus. Pour atteindre ce résultat, il a été nécessaire de vacciner un million trois cent mille personnes pour un coût d'environ deux millions d'euros. En d'autres termes, éviter une mort grâce à la vaccination contre la méningite revient dans l'exemple de cette intervention particulièrement réussie à plus de 16.000 euros dans un pays où le produit intérieur brut par habitant est estimé autour de 1.000 euros.

Dans le même contexte, s'abstenir de vacciner et restreindre l'action à la délivrance d'antibiotiques aux individus atteints par la maladie était une alternative moins coûteuse mais ce choix aurait eu pour conséquence le décès d'une centaine de personnes supplémentaires. Certes la vie n'a pas prix mais les décisions de santé publique ont toujours un coût à mettre en rapport avec les gains sanitaires qui auraient pu être obtenus en dépensant l'argent à d'autres fins. A titre indicatif, dans les pays à ressources limitées, les actions permettant d'éviter un décès dû à des pathologies relativement courantes (infection respiratoire aiguë, dysenterie, malnutrition sévère, rougeole...) occasionnent une dépense de quelques centaines d'euros.

Pour compléter ce tableau, il faut ajouter que les épidémies de méningite terrifient les populations mais sont peu redoutées par les régimes en place, y compris les plus autoritaires. L'absence de possibilité de les prévenir n'autorise pas la mise en cause des autorités lorsqu'elles surviennent. L'attention se centre alors sur la capacité de réponse des ministères de la Santé qui peuvent aisément se mettre en scène comme bienfaiteur par l'organisation de campagnes de vaccination de masse financées par l'aide internationale d'urgence.

Cependant, les Etats du nord du Nigeria avaient manifesté une réelle hostilité à d'autres propositions internationales de réponses à des crises sanitaires, la dénutrition infantile par exemple. Dans cette région, les campagnes de vaccination contre la poliomyélite avaient également rencontré de fortes réticences. Dans le cas de la méningite, les données épidémiologiques ne plaident pas en faveur de la vaccination réactive mais le bénéfice politique semble, lui, évident aux yeux des autorités.

Pourtant les récents développements scientifiques et technologiques permettraient l'utilisation d'une nouvelle génération de vaccins qui seraient beaucoup mieux adaptés à la vaccination préventive. Pour l'instant, faute de marché, l'industrie pharmaceutique écoule en Afrique une vieille génération de vaccins peu efficaces pour contrôler les épidémies de méningite. La nouvelle génération de vaccins est réservée aux marchés plus solvables de pays situés à l'extérieur de la ceinture de la méningite où la maladie n'est pas un fléau.

Mais la situation semble évoluer. Un nouveau vaccin est en cours d'introduction en Afrique de l'Ouest. Son profil n'est toujours pas optimal mais l'allongement de la protection immunitaire qu'il confère fait naître l'espoir que la vaccination puisse enfin jouer un rôle probant dans la protection des populations exposées. Cela permettrait aux organismes humanitaires qui s'impliquent dans ces campagnes de vaccination de masse d'être non seulement bien intentionnés mais également efficients.

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Pour citer ce contenu :
Jean-Hervé Bradol, « Méningite : une grippe humanitaire ? », 30 mars 2010, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/medecine-et-sante-publique/meningite-une-grippe-humanitaire

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