Promotion de la santé à Boga, en république démocratique du Congo
Chapitre
Françoise
Bouchet-Saulnier

Directrice juridique, Médecins sans frontières

Elle a également été consultante en droits de l'homme pour diverses ONG, ainsi que directrice de recherche pour le Crash. Elle est l'auteure du Dictionnaire pratique du droit humanitaire.

Fabien
Dubuet

Représentant aux Nations unies, Médecins Sans Frontières

Avocat, spécialisé dans le droit international humanitaire, il rejoint MSF en 1999.

Date de publication

CONCLUSION

Au long de son histoire, MSF a refusé le piège du face à face silencieux avec le crime de masse en se réservant le droit de prendre la parole publiquement dans certaines situations et de suspendre ses actions dans certaines situations.

MSF a inscrit cette activité, dans le cadre d’efforts permanents pour donner un contenu et des limites précises à la responsabilité des acteurs de secours, et pour mettre cette responsabilité en relation et en tension avec d’autres sphères de responsabilités politiques.Le terme de « témoignage humanitaire » a été utilisé pour décrire cette activité mais il s’agit d’un terme qui est resté rebelle à toute tentative de définition précise et dont la confusion a été accentuée par l’apparition des tribunaux internationaux. Le conseil international de MSF avait demandé la rédaction d’un travail historique et pédagogique sur le témoignage à MSF en prenant acte que cette notion ne pouvait pas faire l’objet d’un guideline. Ce travail aboutit à la rédaction d’une série de cas historiques concernant les prises de paroles publiques qui portaient sur un dilemme de l’action humanitaire et avaient donné lieu a controverse. Voir la série « Prises de paroles publiques » réalisée par Laurence Binet et publiée par le Crash-Fondation MSF et MSF International à partir de 2004.

Les prises de paroles publiques et les dénonciations de MSF sont fondées sur une responsabilité d’acteur, et non sur une obligation de témoin.

Pour justifier sa participation à certaines enquêtes ou procédures judiciaires, MSF s’est fondée sur sa qualité de témoin, mais surtout, sur celle d’acteur et de victime directe ou indirecte. C’est, en effet, en qualité de victime que MSF a pu demander que la vérité sur certains faits soit reconnue, et c’est en tant qu’acteur, impliqué dans la gestion des secours qu’elle a réclamé que le partage des responsabilités politiques nationales et internationales, puisse être établi.Ce fut particulièrement le cas au sujet des massacres de Srebrenica et du génocide au Rwanda.

L’évolution du contexte international a conduit MSF à adapter sa politique de « témoignage » aux nouvelles contraintes et possibilités créées par l’apparition de tribunaux pénaux internationaux. Cette adaptation ne doit pas être perçue comme un renoncement, même si, selon un paradoxe apparent, elle conduit MSF à prendre des précautions avec les procédures judiciaires.

Le traitement judiciaire des crimes commis dans les conflits armés ne remplace pas les missions essentielles d’alerte et de responsabilisation jouées dans le temps de l’action, par les organisations humanitaires en général et par MSF en particulier. Ce sont ces missions spécifiques qui doivent aujourd’hui être redéfinies dans leur contenu et dans leur forme à la lumière des évolutions récentes. La perspective judiciaire peut certes participer à responsabiliser les acteurs armés sur les conséquences négatives de leurs actes, en leur faisant craindre une sanction dans l’avenir. Mais le traitement judiciaire international s’élabore de nombreuses années après les événements, et en association avec d’autres modes de gestion politique des crises qui conduiront à sélectionner certains crimes, et certains criminels, et à en occulter d’autres.

Le traitement judiciaire ouvre un nouvel espace d’action pour les victimes. En tant qu’acteur médical, MSF peut, dans certains cas, certifier médicalement la réalité des crimes et exactions. En effet la certification des faits participe à l’établissement du statut de victime, tout en laissant aux individus concernés le choix quant à un recours judiciaire ultérieur. Cette capacité va au delà de la simple lutte contre l’impunité, puisque les organes judiciaires récents comportent des éléments nouveaux de réparation ou d’indemnisation des victimes.

Dans ce contexte, la certification médicale, et la documentation des violences permettent à MSF d’équilibrer sa non participation directe aux procédures judiciaires.

Ce faisant, MSF reste fidèle à l’esprit du droit humanitaire et à une certaine philosophie de l’action humanitaire qui revendique d’aller au delà de la substitution directe que constituent les actions de secours, pour tenter de préserver ou rétablir la responsabilisation des différents acteurs vis à vis du sort des populations en danger; et qui assume une part de confrontation concrète et publique avec les situations de violence criminelle ou non, pour en faire apparaître les mécanismes et le coût humain.